23 juin 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de la réception donnée à l'hôtel de ville, Madrid, mercredi 23 juin 1982.

Monsieur le maire,
- Vous imaginez aisément le plaisir que j'ai d'être votre hôte ce matin en cet hôtel de ville.
- Je vous ai connu il y a déjà quelques années. Nous avions, à cette époque, projeté sur le futur la pensée que nous avions du présent et j'ai pu éprouver la qualité de votre réflexion, de même que je savais déjà l'autorité politique et morale qui s'attachait à votre enseignement.
- Je me réjouis de cette circonstance qui me vaut d'être reçu, non seulement à Madrid, mais encore à l'hôtel de ville, la maison du peuple. Et aussi parce que c'est vous qui m'y recevez. Cette dernière réflexion n'est pas une intrusion dans la vie politique intérieure de l'Espagne ou de la cité. C'est simplement l'expression d'une amitié déjà ancienne qui a une occasion solennelle de s'exprimer.\
Lorsque, comme c'est mon cas depuis hier, l'on parcourt les artères de votre cité, on feuillette certes les pages de votre histoire au-cours des cinq derniers siècles, mais aussi, vous le remarquez vous-même, de notre propre histoire puisque heureux ou malheureux, ce passé nous est largement commun. Au-coeur de Madrid, vaste et belle capitale, issue d'une volonté politique, votre hôtel de ville reflète par son architecture un style d'une impressionnante sobriété où l'on retrouve tout à la fois l'ampleur des masses et la justesse des proportions qui font l'austère beauté de tant de bâtiments publics dans cette ville.
- Comment ne pas évoquer dans cette salle, à travers les fresques de Francisco Palomino son disciple, Vélasquez lui-même, génie si rare, capable de créer la vie avec quelques touches de son pinceau. Voyage à travers le temps et aussi au travers de votre histoire, celle du baroque espagnol, celle des grandes réformes urbanistiques du règne de Charles III au-cours duquel furent construites les grandes avenues par lesquelles s'écoule aujourd'hui l'activité d'une cité de près de quatre millions d'habitants. Enfin et surtout, la Madrid moderne, celle de la cité universitaire bien sûr, mais aussi du Paseo de la Castellano qui démontre, s'il en était besoin, la vitalité, le talent, la force créatrice des architectes de l'Espagne contemporaine.\
Monsieur le maire, je sais tout le soin que vous prenez à mettre Madrid à l'heure de la démocratie et de la liberté, par l'attention toute particulière que vous portez à son animation culturelle, à l'essor de la vie associative ainsi qu'à la promotion d'un urbanisme à taille humaine.
- Qui ne comprendrait votre ambition en ce domaine ! Vous voulez "récupérer Madrid", c'est-à-dire lutter contre le mode de vie anonyme et écrasant des grandes monopoles. Cela ne doit pas surprendre venant de vous, monsieur le maire, de l'homme politique que vous êtes, incarnation d'un peuple qui n'a jamais renoncé, à travers les vicissitudes de son histoire, à l'idéal d'un consentement et de l'unité nationale. J'évoque le responsable politique, j'aurais pu le faire de l'écrivain, du sociologue, du spécialiste des sciences humaines et je ne saurais oublier à cet égard de citer votre ouvrage sur "la théorie politique de Jean Bodin" qui s'est attaché à décrire l'évolution de nos sociétés entre la tradition et le modernisme, à réfléchir sur la façon de préserver les valeurs de l'humanisme dans nos villes. Mais vous avez aussi des fonctions internationales, vous en aviez déjà l'autorité, puisque vous assurez avec le succès que je sais la vice-présidence de l'association des villes jumelées, où se trouvent représentées beaucoup de villes françaises. Association soucieuse tout à la fois de promouvoir l'urbanisme dont je parlais et de rapprocher les peuples par délà leurs différences.\
Je vous remercie, monsieur le maire, de votre accueil dans cet hôtel de ville. Il contribue au même-titre que les échanges de vues que j'ai eus et que j'aurai encore avec les responsables de votre pays à nous faire mieux, à me faire mieux comprendre et mieux apprécier l'Espagne d'aujourd'hui, grand pays, façonné par une grande histoire aux grandes ambitions pour le présent et l'avenir et dont Madrid, votre ville est l'un des plus prestigieux symboles.
- Je suis venu à Madrid parler au nom de mon pays au peuple espagnol tout entier. A de tels interlocuteurs, je dois le langage de la franchise. Soyez sûr que c'est aussi le langage de l'amitié.
- Je forme des voeux pour la ville de Madrid, pour la réussite de votre action. Je forme des voeux pour vous-même, monsieur le maire et cher ami, laissez-moi vous dire, comme j'ai commencé de le faire, la joie d'être parmi vous.
- Enfin voici la clé de la ville que vous m'avez offerte : je ne saurais dire déjà si c'est la clé des coeurs, de toute manière c'est par là que l'on passe avant d'aller ailleurs.\