23 mai 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'hôtel de ville de Yamoussoukro, dimanche 23 mai 1982.

Monsieur le président de la République,
- Chers amis,
- Vous rencontrer à Yamoussoukro, se trouver aussi au confluent d'une histoire que nous avons vécue avec celle qui aujourd'hui commence. Yamoussoukro, en effet, représente, vous l'avez fort bien dit, monsieur le maire, un moment décisif de l'histoire de la Côte d'Ivoire puisque c'est à-partir de ce qui était un village et qui veut le rester, c'est à-partir de ce village, dont vous me rappeliez qu'il n'y avait pas si longtemps il ne comptait pas moins de 500 habitants, que vous-même, né à Yamoussoukro, avez grandi non seulement en âge mais aussi en sagesse, en autorité, c'est là que s'est formée votre expérience de la vie, votre capacité de réflexion, c'est de là qu'est parti le grand mouvement de libération, qui non seulement a saisi votre pays tout entier mais aussi, puisque vous étiez dès l'origine reconnu comme l'inspirateur, le responsable africain du RDA, c'est à-partir de Yamoussoukro que la grande et longue suite de l'indépendance africaine dans sa meilleure définition s'est formée. C'est dire l'importance historique de ces lieux. Certes au-cours de ces trente dernières années, beaucoup de choses ont été accomplies qui ont transformé l'apparence de Yamoussoukro, bien que, et vous avez l'intention de nous le montrer, ait été préservé un certain nombre de lieux en son centre qui permettent de retracer l'histoire de ces trois décennies. Et l'important c'est peut-être aussi dans l'âme africaine, dans les traditions, celles qu'incarnent les chefs traditionnels, que je suis heureux de saluer ici, celles qui habitent l'âme de vos paysans : traditions, réflexions, fidélité au souvenir des anciens, ouverture d'esprit sur le futur, musique, danse £ toute une série de mythes, vous les rappeliez tout à l'heure, ouverts aux croyances, aux spiritualités, aux façons d'être de tous les autres. C'est d'ailleurs tout à fait caractéristique de la Côte d'Ivoire que d'y rencontrer dans la paix des esprits, les grandes religions, qui se partagent le monde en Occident et même dans une partie de l'Asie. Avec cet animisme profond, qui continue d'inspirer bien plus que votre poésie, votre façon de préparer ou de comprendre les relations de l'homme avec ce vaste monde, que dis-je bien au-delà de la planète, la connaissance de l'univers. Je ne saurais donc trop souscrire à ce qui vient d'être dit par M. le maire de Yamoussoukro sur la signification profonde de ces lieux que j'ai l'honneur et le plaisir avec un certain nombre de Français de connaître aujourd'hui.\
Je suis heureux, madame `Marie-Thérèse Houphouet-Boigny`, aussi de vous rencontrer en ces lieux. Vous rappeliez tout à l'heure le temps passé qui n'est pas si lointain lorsque nous étions dans cet immeuble mais dans une autre salle, celle du mariage. L'hôtel de ville de Yamoussoudro est né avec l'indépendance de la Côte d'Ivoire et c'étaient des lieux plus modestes mais qui rappellent beaucoup de choses, au président Houphouet-Boigny, à vous-même madame qui vivez très souvent à Yamoussoukro, partageant votre temps entre les lieux où votre mari exerce ses fonctions mais attachée, je le sais, très profondément à tout ce qui peut rappeler l'origine même de votre action. Je suis heureux de vous redire la fidèle amitié qui fait que depuis également fort longtemps nous avons pu parler de la Côte d'Ivoire, de la France et de nos amitiés communes.\
Monsieur le maire, je suis très sensible non seulement à vos paroles qui ont constitué un discours charpenté, réfléchi, bien écrit et dont les résonnances vont loin et je suis sensible aussi aux offrandes, aux dons qui sont tellement significatifs de la vie de la Côte d'Ivoire. Oui, sans doute sont-ce les signes d'un passé, qui n'est pas révolu, puisqu'il sert de trait d'union par la présence même mêlée de ceux qui réprésentent l'Etat et de ceux qui représentent, au sein de cet Etat, la grande tradition que j'évoquais tout à l'heure. J'ajoute que ces objets sont beaux, c'est-à-dire que non seulement ils portent avec eux ou en eux la grande signification de l'histoire mais aussi ils portent la marque d'une esthétique propre à la Côte d'Ivoire qui a inspiré elle-même, au travers de certains éléments sculpturaux ou bien dans un autre domaine la vie de la musique, qui ont inspiré au travers de détours que l'histoire vous a imposés une large part de l'art contemporain dans un pays comme la France.
- Je vous remercie donc, monsieur le maire, et je le fais en votre personne tout en m'adressant aussi aux conseillers municipaux, à tous les responsables de la ville, de la qualité de votre accueil depuis le moment où nous sommes descendus de l'avion, depuis l'aéroport, jusqu'à cet instant et c'est toute une population qui s'est associée à la démarche de son premier magistrat. Tout à l'heure nous ferons la connaissance, nous approcherons davantage les responsables auxquels nous avons pu serrer la main comme cela rapidement, ou apercevoir d'un peu loin, mais je n'ignore pas le rôle rempli par ceux qui ont organisé dans ces journées bien au-delà à travers le temps, les formations politiques sans lesquelles et hors desquelles il n'eut pas été concevable de mener à bien non seulement la lutte pour l'indépendance dans les formes que nous avons connues, c'est-à-dire toujours respectueuses d'autrui et fermes dans les objectifs, depuis que cette indépendance a été modelée dans le progrès et pour la paix.\
J'ai là quelques notes sur lesquelles il m'est raconté, je ne m'y attarderai pas davantage, cette histoire de Yamoussoukro. Ce n'est pas à vous que je l'apprendrai. C'est donc une partie inutile de mon texte. Mais chacun sait que l'existence ne s'apprend pas seulement dans les discours ni dans les livres. Pourquoi j'imagine assez aisément le jeune Houphouet assis naguère auprès de ses anciens, écoutant avec attention le récit des hauts faits des ancêtres de la famille ? De ces légendes et de ces traditions, l'enfant puis l'homme s'est forgé une certaine conception de la vie, une sagesse personnelle qui l'amènera à prononcer un serment que l'on souhaiterait de bien des chefs d'Etats, celui de tout faire pour ne jamais verser le sang humain.
- Et cependant, sans rien perdre de l'autorité nécessaire, des obligations qui incombent à ceux qui incarnent la vie collective sans pour autant non plus vous fermer aux influences extérieures, vous avez gardé intact votre profond attachement au village de Yamoussoukro. Disons symbole de tous les villages de Côte d'Ivoire. Vous avez compris qu'un peuple a besoin, surtout dans ce monde bouleversé qui est le nôtre, de retrouver ou de préserver ses racines, ses biens qui le rattachent à ce passé que nous évoquions tout à l'heure l'un et l'autre, monsieur le maire et moi-même.
- Dans la tradition africaine, le village, la communauté villageoise constitue ses liens. A travers eux, se sont perpétuées au fil des années les qualités de votre peuple laborieux, ingénieux, qui en se vouant au travail de la terre assure la prospérité de votre nation.
- Et je trouve personnellement remarquable que le respect des traditions ait été pour vous une source d'innovation et de progrès. Au lieu d'opposer deux modes de vie : celui du paysan et celui du citadin, vous avez réussi à les rendre complémentaires et su faire de Yamoussoukro le pôle de développement d'une riche région agricole, vous le disiez aux confins de la forêt, de la savane, maintenant de toutes ces terres conquises à l'agriculture, vous avez veillé à l'introduction de la culture du café et du cacao, aujourd'hui prospère dans des plantations modèles. Elles sont votre fierté. Non seulement parce que vous avez amélioré les rendements mais aussi la qualité de vos produits dont certains ont conquis la première place dans le monde. Et je ne saurais oublier les cultures vivrières qui dans votre quête de l'autosuffisance alimentaire sont une de vos préoccupations essentielles.\
Mais je remarquerai un autre aspect : l'aspect de cette mission qu'ensemble vous remplissez, mesdames et messieurs, autour de votre président, celle qui consiste à former et à éduquer les jeunes Ivoiriens. Les réalisations que j'aurai le plaisir de visiter dans l'après-midi dont j'ai déjà entendu parler témoignent assez du -prix que vous attachez à cette éducation sans laquelle une nation ne peut prétendre à un stade avancé de développement.
- Yamoussoukro, haut lieu de réflexion et de formations, centre culturel, c'est bien l'une des marques du lent travail accompli au-cours de ces dernières décennies.
- Personne ne me contredira, monsieur le maire, si je déclare que Yamoussoukro n'est pas un symbole figé mais, au contraire, la preuve vivante de ce qu'a pu, aujourd'hui, instaurer votre récente gloire municipale : la création de communes, ces collectivités territoriales dotées de la personnalité morale de l'autonomie financière a, sans aucun doute, apporté un souffle nouveau à la démocratie ivoirienne.
- Vous êtes conscient de l'importance de la tâche à accomplir au sein d'une administration municipale. Car il revient en définitive au maire et aux conseillers municipaux de prendre les décisions qui façonnent la vie et donc les chances de bonheur dans la vie quotidienne de leurs concitoyens. Nous vivons nous-mêmes dans un pays comme la France une évolution qui tend de plus en plus à contribuer au développement de la responsabilité sur-le-plan communal parce que c'est là que se maintient le lien personnel, que s'établissent les relations, les communications, c'est généralement une unité à la bonne mesure, celle qui permet aux responsables et aux citoyens de rester ensemble non seulement dans la connaissance humaine de leurs problèmes, mais dans ce qu'ils voient de leurs propres yeux : le -fruit de leur travail. C'est un lieu privilégié pour toutes les actions de développement ici comme ailleurs et je suis heureux de voir que nous avons adopté la même démarche.
- Mais il est évident que pour mener à bien une telle évolution, c'est le capital humain qui reste la source de toute réussite. Il faut donc à-tout-prix préserver ce qu'il y a de meilleur dans la capacté de l'homme à s'affirmer lui-même. Ce que nous voyons, ce que nous vivons avec vous, les enseignements que nous tirerons de ce voyage vont dans ce sens. C'est pourquoi, monsieur le président, et vous monsieur le maire, me tournant vers vous, je vous dis que ce rapide passage, ce qui est tout juste un peu plus qu'une halte, en Côte d'Ivoire, qui se situe sans doute après bien d'autres rencontres, mais qui tout de même, presque trop rapide, nous a impressionné le regard et l'esprit, nous en garderons un profond souvenir et nous en tirerons de riches enseignements, c'est pourquoi, monsieur le président, monsieur le maire, mesdames et messieurs, nous vous disons à notre tour merci à Yamoussoukro. Il n'est pas que des leçons villageoises que l'on retire de ces lieux, il est des leçons universelles qui porteront plus loin que les frontières de vieux villages.\