21 mai 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du dîner offert en son honneur, Abidjan, vendredi 21 mai 1982.

Monsieur le président,
- Madame,
- Mesdames et messieurs,
- Il est peu de pays unis par des liens aussi nombreux, aussi étroits que la Côte d'Ivoire et la France. Ils ont été tissés tout au long d'une histoire commune, marquée par les ambiguités de la période coloniale dont vous avez su retenir et privilégier le meilleur en sauvegardant par-là un avenir de solidarité entre partenaires égaux et souverains. Mais bien au-delà, cette solidarité s'est renforcée au fil des ans et, mieux encore, dans les libres choix et dans l'indépendance affirmée d'un peuple majeur, conduit d'une main sûre de telle sorte qu'une coopération confiante et multiple a pu contribuer aux progrès réalisés par votre pays lui-même.
- La Côte d'Ivoire est parmi les pays africains, et ceux du Sahara, notre premier partenaire au-titre de la coopération car vous avez toujours choisi de faire route avec nous. De ce fait, et d'un commun accord, de nombreux Français ont choisi de venir travailler dans votre pays £ de nombreux Ivoiriens vivent en France, où ils étudient, où ils travaillent £ des échanges entre les hommes sont réalisés. Bref, c'est donc un réseau de relations et d'amitiés qui font qu'Ivoiriens et Français ne sont plus tout à fait, les uns pour les autres, des étrangers et se sentent, s'éprouvent comme des frères.
- Pour ce qui la concerne, la France entend poursuivre et améliorer l'action menée en commun et répondre à la confiance qui lui est faite. Notre coopération devra être adaptée afin de mieux répondre aux nécessités nouvelles qui résultent de vos propres progrès. J'ajoute qu'en-raison de la crise mondiale que vous venez d'évoquer, la Côte d'Ivoire se trouve confrontée à des difficultés supplémentaires. Vous savez que la France ne s'est pas dérobée. Je dis qu'elle ne se dérobera pas davantage dans les temps qui viennent et qu'elle fera tout ce qui est en son pouvoir pour aider son amie, la Côte d'Ivoire, à franchir les obstacles économiques.\
Faut-il le dire, cela ne ma paraît même pas nécessaire, simplement peut-être pour ceux qui à l'extérieur pourraient ne pas nous entendre ce soir, que si venaient à être évoquées les dispositions de nos autres accords, spécialement sur-le-plan de notre défense mutuelle, la Côte d'Ivoire trouverait la France à ses côtés comme on a vu vos pères, vos frères être aux nôtres dans les jours difficiles. La qualité des relations entre la France et la Côte d'Ivoire ne repose pas seulement sur une sympathie, ni même sur des intérêts réciproques. Elle est fondée aussi sur une communauté de vues, sur des questions fondamentales, celles qui dominent le cours de l'histoire, le cours des événements actuels qui marquent le monde.
- Ces convergences se révèlent tout d'abord - et nous avons eu l'occasion de nous en entretenir à plusieurs reprises et depuis bien longtemps - dans notre approche du problème des relations entre le Nord et le Sud dont selon nous, vous et moi, dépendent en fait, si l'on a la vue qui porte un peu loin, l'avenir de la paix dans le monde. Comme vous le savez, mon pays, conscient de l'enjeu, a décidé d'accroître son aide publique afin de la porter, au-cours des prochaines années et selon les recommandations de l'organisation des Nations unies, à 0,7 % de son produit national brut. La France souhaite également orienter son action de façon à privilégier les formes de développement auto-centré, susceptibles de répondre réellement aux besoins essentiels des populations et de renforcer l'autonomie des pays bénéficiaires et non pas d'accroître leur dépendance.
- Mais l'action de quelques pays ne suffit pas : un problème de cette dimension suppose une prise de conscience collective au-niveau mondial, des solutions durables supposent un consensus, une mise en oeuvre commune à toute la société des nations. Voilà pourquoi, chaque fois que j'ai eu l'occasion de m'exprimer, et dès ma première intervention, celle d'il y a tout juste un an, voilà pourquoi à Ottawa dans une première conférence au Sommet des pays industrialisés, à Cancun, voilà pourquoi dans toutes les circonstances où je me suis exprimé comme je le ferai dans quelques jours à Versailles pour la deuxième conférence en question, j'ai défendu la thèse de l'ouverture de négociations globales, dans-le-cadre des Nations unies, et pas seulement parce qu'il était nécessaire d'être ou de parler à l'unisson des pays du tiers monde.\
Certes, il peut arriver, sur certains points, que, chargé de la défense des intérêts de mon pays, je ne dise pas la même chose que vos pays. Mais je pense qu'ils ont raison, lorsqu'ils parlent du développement parce que c'est dans toutes ces dimensions que ce problème doit être abordé. Et puisqu'aussi il existe des institutions, créées par des accords ou des traités particuliers, notamment au lendemain de la dernière guerre mondiale, comme la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, qui organisent des discussions internationales de haut niveau, tout ceci doit être conduit de telle sorte que nous marchions du même pas et dans la même direction. Si l'on veut que les deux dangers principaux qui menacent l'existence même de l'espèce humaine, c'est-à-dire la prolifération nucléaire et l'aggravation du fossé qui sépare les pays riches des pays pauvres soient maîtrisés et ils peuvent l'être car cela ressort de l'intelligence de l'homme dans sa maîtrise de la matière.
- Voilà ce sur quoi - négociations globales, Nations unies, autres institutions -, il convient de se rassembler si l'on veut à peu de distance du siècle prochain, assurer à nos enfants des chances de vivre en harmonie. Il faut que les négociations en question aboutissent à un accroissement, à une gestion satisfaisante de l'aide alimentaire au niveau mondial. Il faut rechercher l'autosuffisance alimentaire et cela sera possible, et cela est déjà réalisé dans trop peu de pays du monde qui hier s'appelaient tiers monde, par le développement de la science, de la recherche, de la technologie, mais surtout par l'application, la connaissance et l'expérience des hommes qui constituent le tissu profond d'un pays comme celui-ci, ceux que vous appeliez précisément les agriculteurs à-partir desquels se construit la société ivoirienne, et dont les traditions, les enseignements, la forme de culture durera bien au-delà de sa propre technologie. Et même lorsque vous aurez atteint - vous y parviendrez bientôt - le stade industriel, ce sont ces valeurs encore - et vous y veillez je le sais - qui assureront à cette société transformée sa permanence sur des valeurs capables d'élever l'homme. Il faut pour cela parler de problèmes concrets, de problèmes pratiques. L'autosuffisance alimentaire ne sera atteinte que si l'on est capable de mettre à la disposition des agriculteurs et des Etats les moyens d'une recherche appliquée capable de démultiplier, en peu de temps, les capacités de production, étant bien entendu qu'il faut, dans le même moment, développer les systèmes commerciaux qui permettent les échanges.\
Je vous l'avais dit, monsieur le président de la République `Félix Houphouet-Boigny` et vous l'avez dit aussi on peut débattre, dans-le-cadre de négociations globales, on peut rechercher l'autosuffisance alimentaire. On peut - nous n'en avons pas encore parlé - rechercher le moyen de produire, de différencier les sources d'énergie. Nous en avons besoin et c'est pourquoi la France se fait l'avocat, dans toutes les institutions internationales, de cette fameuse filière énergie de la banque mondiale, où tout autre système comparable car nous ne sommes pas entêtés sur une formule plutôt que sur une autre, qui permettra à l'ensemble des nations, tout du moins aux plus riches d'entre elles, de contribuer à la maîtrise de l'énergie dans les pays qui ne sont pas détenteurs de pétrole. Je sais que la Côte d'Ivoire a la chance de pouvoir espérer, dans l'énergie traditionnelle que constitue le pétrole. Mais combien d'autres, en Afrique, pourront s'équiper eux-mêmes, sans avoir recours à ces importations coûteuses, dès lors qu'ils disposeront des investissements qu'ils ne peuvent assurer eux-mêmes pour leur hydraulique par exemple, pour le développement des énergies renouvelables, bref, pour tous les moyens dont ils disposent. C'est là une thèse chère à la Côte d'Ivoire et à la France : malheureusement, elle n'est pas encore partagée par l'ensemble des pays industriels et pas par les principaux d'entre eux tandis qu'elle est même parfois contestée par certains pays du tiers monde : ainsi j'ai pu observer, à Cancun, que lorsque nous parlions des garanties à apporter aux cours des matières premières, certains pays du tiers monde demeuraient réservés.
- Et pourtant, comment imaginer que seront possibles les indispensables plans de co-développement entre un pays industriel et un pays du tiers monde possesseur d'une richesse naturelle ? Comment imaginer que l'on pourra s'engager à distance, même sur deux ans, trois ans, quatre ans, cinq ans, si d'une année sur l'autre les cours chutent de 50, 60 ou 70 % ? C'est ce qui vient d'arriver, et qui arrive toujours au café, au cacao, c'est ce qui arrive également à beaucoup d'autres produits. Déjà on a pu esquisser, ici et là, des barrages de défense. Au-niveau de la Communauté européenne `CEE`, des systèmes ont été mis en place et certains Français, qui sont des nôtres ont été à l'origine de ces définitions. Je crois que certains progrès sont déjà réalisés, sur le sucre par exemple : encore est-ce bien timide ! Mais il faut absolument convaincre, et ce sera l'un des objets de mon intervention dans quelques jours à Versailles, que les garanties des cours des matières premières assorties d'une série de mesures, telle que l'embryon d'un nouveau système monétaire international, seront les seules façons de permettre aux uns et aux autres d'aller vers le progrès et d'échapper à l'accroissement de la misère.\
De même que le désert physique gagne du terrain, à une époque où l'on a l'orgueil de penser que l'homme peut tout, de même donc que le désert gagne du terrain, et vient vers vous du Nord au Sud, de même sur-le-plan des idées comme sur-le-plan des relations humaines, le désert avance plus souvent qu'on ne croit. Notre rôle, c'est précisément de rendre fertiles des terres abandonnées et de restituer à l'esprit, aux forces et aux richesses de l'esprit, toute la puissance et les domaines immenses qui s'offrent à qui le veut.
- C'est dont parce que je pense que c'est mon devoir, et parce que je crois que c'est l'expression d'une volonté profonde de la France que je veux partout que mon pays soit celui qui ait non seulement annoncé la venue des temps futurs mais les ait préparés. Bien entendu, cela n'est possible que dans la mesure de mes moyens. C'est pourquoi je disais que c'est le monde tout entier qui doit être finalement convaincu que c'est la marche à suivre. Mais pour ce qui nous concerne, par exemple, nous sommes inquiets lorsqu'un pays qui est notre ami, pays auquel nous parlons fermement, librement, les Etats-Unis d'Amérique, se retire des institutions internationales dès lors qu'il s'agit d'aller vers le tiers monde, cette sorte de repli sur soi par le choix accordé, la priorité donnée aux relations Est-Ouest, jusqu'à remettre en cause les plans de l'AID, donc de bousculer ou de mettre à terre, de briser en morceaux toute une série de programmations qui semblaient acquises pour les pays les plus pauvres. Après que le plus grand nombre ait suivi les Etats-Unis d'Amérique dans la réduction de leur part, quelques pays - je dois dire d'abord les pays scandinaves et la France - ont décidé de maintenir intégralement leur contribution. Je dois dire que la Grande-Bretagne en dépit de ses propres difficultés est pour une part de ses obligations internationales, je pense en-particulier à l'Inde, a pris une décision du même type. Mais les autres non ! Je dirais de la même façon à Versailles `sommet des pays industrialisés`, m'adressant aux puissances amies qui seront là rassemblées, que cet appel doit être entendu. Sans quoi, le fossé s'élargira et au travers de ce nouveau dissentiment, que de sources et de raisons de troubles et de ruptures, que d'entraînements et que de fanatismes deviendront vite un langage mieux reconnu que le nôtre.\
Je tiens donc à le dire ici, parce dans un pays comme la Côte d'Ivoire on peut se permettre de le dire sans fard et sans jamais avoir le sentiment de faire la leçon. Il est quelquefois difficile de s'adresser à des pays pauvres, très pauvres, en leur disant ce que je viens de dire, comme si nous étions des puissances nous, des puissances européennes d'Occident, des puissances tutélaires prêtes à se substituer alors qu'il ne faut pas se substituer. Et il est facile de dire celà dans un pays comme le vôtre, parce que rien n'a été possible, ni ne l'aurait été, si vous n'aviez pas été capables de faire, vous-mêmes, l'effort nécessaire d'organisation, de travail, de production, d'intelligence organisée. Vous avez donné un exemple dont on sait qu'il est remarquable et que je tiens à saluer ici. Mais rien ne sera possible si à-partir des peuples majeurs de l'Afrique, et particulièrement de l'Afrique Noire, ne part pas ou ne partent pas les sources d'énergie, les élans à-partir desquels assurément des pays plus riches peuvent pendant quelque temps, assurer leur relais. On ne peut pas laisser l'économie de millions et de millions d'hommes à la disposition de ces spéculateurs que vous dénonciez tout à l'heure. Croire qu'il existe une loi du libre marché, c'est ignorer tout des ressorts du monde moderne.
- Nous n'avons pas nous Français dans-le-cadre de notre action gouvernementale, à nier ou à combattre les forces honnêtes naturelles et véritables du marché. Mais nous ne voulons pas nous laisser abuser par un vocabulaire qui recouvre, en réalité, la mise en place d'un système qui a pour objet de réduire d'abord, et de détruire ensuite, sous le bénéfice du vocable et de l'idéologie qui s'y attache, tout ce qui est liberté économique des hommes et liberté des échanges.\
Quelques puissances économiques souveraines apparaissent à l'horizon du monde, c'est d'elles que dépend, que dépendra de plus en plus, la décision, le véritable marché dans sa liberté livré aux spéculateurs de Londres, de Chicago ou de New York. Monsieur le président, il fallait bien dire que lorsque l'on joue sur le café, ce n'est pas parce que les cours du café ont suivi les évolutions d'une honête compétition, c'est parce qu'on a décidé de gagner de l'argent, sans se préoccuper du sort des producteurs de tous les pays dont vous êtes. Je crois qu'une juste harmonie entre les véritables lois du marché, lorsque la concurrence subsiste, correspond à une réalité et à une forme de planification dans laquelle les nations, d'une part, et d'autre part, les individus, à l'intérieur de chaque nation, s'organisent non point pour édifier une société étouffante mais pour servir les intérêts de chaque individu, dans ses cellules naturelles : la famille, la commune, l'entreprise, le métier. Je crois que c'est dans cette synthèse que le monde trouvera réponse aux questions qui se posent.
- Vous l'avez dit, monsieur le président, le premier bien, c'est la paix. Est-ce que le premier responsable d'un pays qui a souffert de deux guerres mondiales en deux générations, je dirais même avec une seule génération chevauchant les vingt ans qui séparèrent 1918 de 1938, 1919 de 1939, est-ce que le responsable d'un pays qui vit un million et demi de ses fils abattus dans la première, et 700 à 800000 dans la seconde, avec les champs non ensemencés, les maisons détruites, les couples déchirés, la démographie fléchissante, des millions et des millions de gens exilés, hors de leur pays natal, hors de leur patrie, avec tout ce que cela suppose, suivi par des guerres coloniales qui furent heureusement évitées au continent de l'Afrique noire, est-ce que celui qui a vénu ces choses, né pendant la première guerre mondiale, soldat pendant la deuxième et responsable politique pendant toute la phase tragique de ce qui, avant d'être une heureuse décolonisation, a été tout simplement la guerre meurtrière avec tant de nations aujourd'hui devenues amies, est-ce que ce responsable pourrait douter de votre affirmation ? La scène du monde nous propose trop d'exemples pour que je m'y attarde, y compris au moment même où je m'exprime.\
Mais il faut éviter, cela était contenu tout le long de votre exposé, que les difficiles relations Est-Ouest qui sont surtout la compétition des très grandes puissances et le partage universel des intérêts dominants cessent de prendre en compte les problèmes du Nord et du Sud.
- Mon pays appartient à une alliance `Alliance atlantique`. Il est donc, comme l'on dit, dans un des blocs. Celà n'est pas son voeu, puisqu'il souhaite la disparition progressive mais simultanée de ces blocs. Mais nous sommes fidèles à nos alliances et à nos engagements et nous avons opté nous-mêmes pour les moyens d'assurer notre propre indépendance. C'est dire que lorsque j'affirme la vocation particulière de la France à comprendre les problèmes du tiers monde, à les assumer en tenant un langage, sur-ce-plan, qui n'est pas aligné qui ne doit pas l'être et qui ne le sera pas, je n'entends pas pour autant distendre les liens qui, dans le monde où nous sommes, nous attachent à nos alliés. Mais parce que des -rapports Est-Ouest ne peuvent pas recouvrir les relations Nord-Sud, la France entend sortir de ce cycle infernal pour ramener les pays qui voudront bien l'entendre, du côté industriel avancé, à tenir un langage et à mettre en oeuvre une action librement déterminée pour le développement du tiers monde.\
Monsieur le président, vous qui êtes un membre éminent peut-être le plus écouté, de l'Organisation de l'Unité Africaine, vous qui êtes membre de l'Organisation des Nations unies et de tant d'autres institutions internationales, vous êtes à même d'aider à faire comprendre que partout où un conflit local ou régional se perpétue il échappe inévitablement un jour à la décision de ceux qui se querellent pour passer sous la responsabilité et la décision des super-puissances. Ce sont ceux-là mêmes qui affirment l'indépendance des pays du tiers monde qui appellent ainsi, sans doute sans l'avoir voulu et un peu par inconscience, les grandes puissances à arbitrer, à décider et à trancher. Voyez de quelle façon, aujourd'hui, se développe le conflit autour du Sahara Occidental, de quelle façon se développe la dispute, ou les difficultés, autour du Proche-Orient £ voyez les risques lorsqu'on se tourne du côté de l'Ogaden £ voyez les risques autour du conflit interne du Tchad £ voyez comme ont été enrayés ou comme pourraient l'être à nouveau, les efforts pour l'indépendance de la Namibie, voyez l'ingérence extérieure partout où les peuples n'ont pas été en mesure de régler leurs propres problèmes par leur sagesse, et par la sagesse africaine, car elle existe et repose sur un grand bon sens, sur la connaissance des réalités, sur l'attachement à quelques valeurs profondes et permanentes. Je crois pouvoir dire monsieur le président, que vous incarnez toutes ces vertus car chaque fois qu'il faut apaiser et non envenimer, c'est presque toujours vers vous que l'on se tourne !
- Il faut dégager et mettre en oeuvre quelques principes simples : respect de la souveraineté des Etats, droit des peuples à disposer d'eux-mêmes selon les procédures généralement retenues par les Nations unies ou par l'Organisation de l'Unité Africaine. Et lorsqu'il y a débat, c'est aux peuples de décider eux-mêmes et l'on doit s'efforcer de mettre en place honnêtement ces procédures. Pourquoi chercher ailleurs une réponse à des questions bien vite impossibles, lorsqu'elles sont posées avec le souci premier de ne jamais y trouver de réponse !\
Voici pourquoi la France prend bien garde à ne jamais se substituer à ceux dont le destin est en cause. Je l'ai dit et répété et je le répéterai encore pendant ce voyage, en Afrique noire. C'était le sens de l'exposé que je faisais hier au Niger. La présence de la France, vous pouvez en être assuré ! Nous n'avons pas l'intention d'oublier ou de délaisser votre continent et si vous le souhaitez nous y remplirons nos obligations. Mais nous ne déciderons pas à votre place, ce qui veut dire "oui" à notre présence et "non" à tout ce qui pourrait être considéré comme ingérence. Certes, la frontière n'est pas toujours aisée à tracer. Mais notre volonté politique est ferme : nul ne doit douter de la France, et nous avons mis de côté le réflexe de domination et les habitudes de puissance pour des raisons qui ne relèvent pas toutes des mouvements du coeur mais qui relèvent aussi de l'intérêt bien compris de la France. Car l'intérêt de la France, c'est d'assurer sa présence par le meilleur d'elle-même, sachant qu'à quelque distance de là, dans le temps, il ne se passera pas deux générations avant que l'on ne soit capable de bâtir, entre les pays industriels et les pays du tiers monde, de solides accords dès lors que la confiance, à-partir de nous, monsieur le président, et de quelques autres, aura dominé la méfiance, dès lors que la confiance sera devenue le tissu de nos jours et de nos actes. Alors les intérêts de mon pays n'auront pas besoin d'être protégés, ni par nos armes, ni par l'intervention de notre puissance, dès lors que la confiance existera et elle existe déjà. Nos intérêts seront garantis par vous-mêmes.\
Je crois que c'est la seule démarche qui nous permettra de rester fidèles aux engagements du premier jour. Vous vous souvenez, cher président `Félix Houphouet-Boigny`, de nos conversations d'il y a trente-cinq ans, des premières décisions d'où découlèrent toutes les autres. Alors que jeune médecin, fondateur-initiateur de coopératives de productions agricoles, vous vous heurtiez aux lois qui étaient celles de mon pays, parce qu'il était admis que le producteur local ne devait pas avoir le même droit à la vie que les grands maîtres des circuits commerciaux, parce qu'il était dit qu'il ne pouvait pas y avoir d'industrie de transformation proche des lieux de la production, qu'il fallait passer par les grands ports, les grandes villes, les métropoles lointaines pour pouvoir aller de la matière première aux produits finis, je me souviens de votre combat. Comme dans tout combat pour l'homme et pour la liberté, il fut d'abord mal compris et quelle réserve de courage et de puissance ne vous a-t-il pas fallu ? Ainsi qu'à vos compagnons, dont j'ai revu ce soir avec plaisir certains d'entre eux qui m'ont rappelé tant de souvenirs. Et cela a duré jusqu'à ce que nous concevions de nouvelles structures, de nouvelles institutions qui nous permirent, au travers d'une période difficile où se répandaient les conflits coloniaux de toute sorte, d'amorcer une façon d'être, de vivre ensemble, qui a finalement prévalu à travers des gouvernements de -nature différente, même à travers deux régimes différents, la quatrième et la cinquième République. Cette continuité dont nous avons été, je crois, les fondateurs a permis de vivre des moments comme celui de ce soir, où nous avons le sentiment, vous me permettrez de le dire, d'être aussi à l'aise que si nous nous trouvions chez nous, parce que vous avez le don de l'hospitalité. Je crois d'ailleurs que c'est un don de l'Afrique noire et parce qu'aussi nous avons une histoire et que cette histoire là nous permet de déblayer et de balayer devant nous. Nous avons tous à nous faire des promesses, à prendre des engagements, à jurer sur un papier ou sur un document. Mais nous avons vécu ensemble une période que l'on qualifiera d'historique et qui nous permet de savoir aujourd'hui que dans la même ligne, Côte d'Ivoire et France resteront intimement liées pour le meilleur.\
Je dis que cela n'aurait pas été possible sans votre action. Je viens de rappeler - mais l'histoire s'est déjà emparée de ces faits - que vous aviez dans votre jeunesse appelé votre peuple à se reconnaître et à se rassembler sur des objectifs justes, inspirés par le respect et l'amour de l'homme. Vous l'avez invité à développer sa capacité à grandir sans jamais renoncer aux -concours, aux aides, aux amitiés dont vous sentiez à quel point ils étaient nécessaires. Je ne connais pas de pays d'Afrique où l'on ne sache que la Côte d'Ivoire a la chance d'avoir le doyen, le père, on dit quelquefois le vieux ! Eh oui, vous le disiez, oui le vieux conducteur d'un peuple jeune ! Moi qui suis à quelques pas de votre génération, je peux me permettre de vous le dire et je peux témoigner que vous n'avez pas attendu d'être le doyen pour être sage ! Sinon ce serait inquiétant ! Je n'ai d'ailleurs jamais constaté personnellement que l'âge fut jamais l'apprentissage de la sagesse. Quelquefois c'est même à-partir de là que l'on s'égare. Je vous retrouve tel que vous étiez , tel que vous êtes resté tout le long d'une vie. Chef d'Etat `Félix Houphouet-Boigny`, depuis le premier jour où cet Etat a existé, respecté, ayant constamment choisi les débats, la conversation et finalement la conciliation et la réconciliation de préférence à la dispute, à la querelle ou au combat.\
Voilà bien des atouts pour la Côte d'Ivoire. Je souhaite que les générations qui montent dans ce beau pays s'inspirent de cet exemple pour perpétuer à leur façon, à leur style, à leur mode, avec leur goût et leur besoin, ce qui reste la pierre angulaire d'une grande construction historique. En tout cas, je veux bien vous apporter, monsieur le président, ce témoignage du président de la République française parlant au nom de son peuple. Nous vous respectons, nous vous aimons et nous vous remercions d'être ce soir, une fois de plus, l'hôte délicat que vous avez toujours su être avec vous, madame, que nous avons aussi connue à travers le temps. Eh oui, on peut aussi le dire à madame Houphouet-Boigny qui garde, il suffit de le voir, beaucoup plus qu'un air de jeunesse. Nous nous sommes connus il y a déjà de longues années et nous avions déjà su créer, entre nous, comme un air de famille dont nous ne nous sommes jamais éloignés et je tiens à vous associer à l'hommage que je rends au président Houphouet-Boigny.
- Mesdames et messieurs, je lève mon verre à la santé du président de la Côte d'Ivoire qui, dans une soirée comme celle-ci, ne peut qu'être, chacun se dépassant, l'expression des volontés et des aspirations de son peuple. Oui, à votre santé !
- Vive la Côte d'Ivoire et je pense pouvoir dire aussi Vive la France, parce que pour moi, c'est l'explication même de notre présence ici.\