20 mai 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, au Palais des congrès, Niamey, jeudi 20 mai 1982.

Mesdames,
- Messieurs,
- Je suis heureux que mon premier voyage au Sud du Sahara, en qualité de Président de la République française, m'ait conduit à Niamey et me donne l'occasion de rencontrer ce matin, dans ce magnifique Palais et au-coeur de votre continent, les hauts responsables du Niger.
- A travers vous, monsieur le président, c'est aussi le peuple du Niger que je rencontre, et que je salue au nom de la France, un peuple en marche, avide de progrès, de paix mais aussi de liberté, un peuple qui veut maîtriser la nature et le temps pour forger son destin.
- Je veux saluer l'expérience originale et attachante de votre pays, que l'on vient de nous exposer en termes excellents, celle de la Société de Développement. A-partir de ces deux réalités fondamentales que sont chez vous les organisations locales de coopération rurale et les organisations locales de jeunes, vous avez entrepris de construire ce que vous appelez une pyramide de responsabilités sociales d'où devront émerger peu à peu les encadrements intermédiaires et nationaux indispensables au Niger de demain. C'est avec la plus grande attention que nous suivons cette démarche.
- Vous offrez le témoignage d'un pays certes attaché à la tradition, nous avons pu le constater hier soir, nous le constatons tous les jours, mais aussi porteur des forces vives de ses communautés, ardemment mobilisé vers la modernisation et le développem !ent, outils indispensables pour répondre aux besoins de son peuple.
- En refusant de vous abandonner à la facilité, et ce que j'avais tenu à vous dire, monsieur le président, dès notre première rencontre, il y aura bientôt un an, en saluant votre gestion scrupuleuse, ordonnée et sage. Bref, en refusant cette facilité, vous offrez une fois de plus et affirmez une dignité qui fait partie de la conscience profonde de votre peuple.
- Je suis venu vous dire aujourd'hui le salut cordial de la France et des Français.
- Et c'est depuis Niamey que je veux adresser aux Africains dans leur ensemble le message fraternel de la France.\
L'appel lancé, voici bientôt deux siècles, par le peuple français conserve à mes yeux sa valeur et sa nécessité, puisqu'il fonde les droits imprescriptibles de l'homme `déclaration des droits de l'homme` sur tous les continents.
- Nous continuons de nous en inspirer. C'est la priorité de toute politique universelle. Oui mon pays souhaite soulever un vaste écho dans tous les peuples de votre continent, épris de justice, impatients de solidarité et tendus vers la paix.
- Justice et solidarité dans nos difficultés, voilà bien les maîtres mots et le ressort de notre action : solidarité entre amis, entre frères, unis par l'histoire et par une langue devenue largement commune £ justice dans les relations entre les hommes et dans les échanges entre les pays.
- Notre première solidarité avec l'Afrique est, en quelque sorte, d'ordre public : après de longues luttes, de grandes épreuves, de dures souffrances, l'Afrique majeure prend en main son destin. C'est forts de tout ce qui nous lie et dans le respect de nos différences que nous devons organiser maintenant notre dialogue, parler de nos craintes, de nos doutes mais mieux encore de nos espoirs.
- A cet égard, les relations franco - nigériennes sont un bon exemple de celles que nous voulons approfondir et mettre en oeuvre sur votre continent.
- C'est ensemble, et seulement ensemble, que nous pourrons faire triompher la cause des peuples qui luttent contre les séquelles du colonialisme et de l'apartheid et que nous pourrons faire entendre leurs voix.
- La France, monsieur le président, mesdames et messieurs, est décidée à lutter à vos côtés pour que cet appel soit entendu. Nous agirons donc en ce sens, comme nous n'avons pas cessé de le faire depuis un an, aux Nations unies, dans les grandes réunions ou institutions internationales. Comme je l'ai fait, vous avez bien voulu le rappeler à Cancun, je l'avais fait à Ottawa, je le ferai bientôt à Versailles et comme, je l'espère, nous le ferons ensemble, dans cet esprit devant la conférence des chefs d'Etat d'Afrique et de France pour ouvrir les voies à suivre.\
Notre solidarité avec l'Afrique suppose également un effort commun en-matière de sécurité : l'Afrique ne trouvera sa véritable place que dans une société internationale où seront respectées et l'indépendance des nations et leur volonté particulière d'être ce qu'elles doivent devenir et où seront interdites les ingérences extérieures.
- Or, où que se tournent nos regards, nous constatons que de plus grandes puissances et d'autres aussi ne résistent pas à la tentation de pousser toujours plus loin leurs intérêts mondiaux à quelque -prix que ce soit. Il nous faut donc être vigilants et garder présents à l'esprit notre souci commun de nos intérêts nationaux, de notre dialogue souvent privilégié et de la liberté de nos peuples.
- Vous voulez empêcher que l'Afrique ne devienne le champ clos des rivalités et des contradictions d'intérêts extérieurs nous aussi et c'est dans ce sens que la France participe aux efforts de l'Afrique. Je le disais hier encore : présence de la France, oui £ ingérence, non.
- Ainsi, à travers les conflits qui troublent votre continent la France cherchera, comme vous, à dégager les chemins du dialogue et du retour à la paix.
- Il est clair que non seulement la France tiendra ses engagements lorsqu'elle y a souscrit pour assurer la sécurité de ses amis, mais encore elle veillera à ce que les conditions de cette sécurité soient mieux encore assurées si cela est et devient nécessaire. Mais rien ne peut venir de la France qui ne soit désiré par les peuples africains. Il leur appartient d'abord d'assurer eux-mêmes leur responsabilité.\
Enfin, notre solidarité s'affirme chaque jour davantage par la coopération pour le développement.
- C'est là une dimension essentielle de notre action, car la France entend résolument refuser l'égoisme à courte vue et voudrait faire partager cette attitude par les autres nations de la communauté mondiale. C'est à ce -prix que les rapports nord - sud seront mieux équilibrés, c'est le moins que l'on puisse dire, que sera évité l'écrasement des plus faibles, que sera assuré l'avenir de tous, et les forts et les faibles, qui ne seront pas éternellement fixés dans cette situation, dans ce rapport de force. C'est bien de la solidarité du Nord et du Sud que naîtront la prospérité et de l'un et de l'autre.
- Le Niger est directement touché par la crise mondiale, notamment par la chute brutale des cours mondiaux de l'uranium et sa situation économique s'en trouve momentanément dégradée. Aussi, j'ai apprécié la sagesse du président Kountché qui, dans un tout récent message à la nation du Niger, a décidé je cite, "de consolider ce qui a été acquis et de terminer ce qui a été entrepris". Nous sommes d'autant plus attentifs à l'évlution des dossiers, que nous avons évoqué ensemble encore ce matin, que nous apprécions le haut sens des responsabilités des dirigeants du Niger. A-titre d'exemple : neuf conventions de financement viennent d'être récemment signées entre nous qui intéressent la maîtrise industrielle, les ressources hydrauliques et minérales, le réseau routier, le reboisement et la santé publique.\
Vous le voyez, vous le savez, la France ne ménage pas et ne ménagera pas ses efforts. Mais elle ne peut tout faire, ne peut agir seule : c'est pourquoi, à côté de notre aide bilatérale, nous voulons redéployer certains moyens dans-le-cadre de la CEE et nous nous réjouissons que vous puissiez bénéficier d'une aide exceptionnelle de l'Europe pour permettre à-titre d'exemple précis et récent, aux 3000 familles de petits commerçants récemment frappées par le dramatique incendie du marché de Niamey de reprendre leurs activités.
- La France a également relancé, dans-le-cadre des Nations unies et dans la mesure bien entendu de son pouvoir, particulièrement au-cours des rencontres récentes que j'ai citées il y a un moment, ce qu'on appelle les négociations globales, l'accélération de la prise de conscience des pays occidentaux afin qu'ils puissent accroître leur contribution, afin de stabiliser le cours des matières premières, de définir leur juste-prix. Il est clair que si l'on ne s'arrête pas de réduire constament les aides, comme cela se fait actuellement pour le plus grand dommage du développement des relations nord-sud. Si l'on ne parle pas clairement pour définir des plans pour l'aide à l'autosuffisance alimentaire : développement des techniques et des productions agricoles. Si l'on ne développe pas les moyens de produire des énergies, d'utiliser des sources d'énergies, autres que le pétrole, à-partir des richesses naturelles, des pays en cause. Et si l'on n'a pas la volonté d'établir un plan, bien entendu sur la base des relations monétaires internationales différentes, d'un plan de garantie et de soutien des matières premières, surtout pour les pays pauvres qui ne disposent que d'une ou deux matières premières représentant leurs véritables ressources. Alors nous irons vers un grave déclin et toutes les crises qui en naitront. Pour ce qui concerne la France, nous poursuivrons notre action dans-le-cadre des accords de Lomé, vous savez le rôle qu'a joué dans l'élaboration et la signature de ces accords le ministre des relations extérieures `Claude Cheysson` de la France, de même que cette action sera poursuivie dans-le-cadre du programme intégré des Nations unies.\
Vous avez appris le dégagement de certains pays comme les Etats-Unis d'Amérique au regard de l'AID et les réductions qui s'en sont suivies par décision de la plupart des pays en cause. Seuls quelques pays : pays scandinaves et la France et d'une certaine manière la Grande-Bretagne ont maintenu leur engagement et ont affecté en dépit du retrait des autres les mêmes sommes au développement.
- Nous avons d'ailleurs pris l'initiative et notre ministre de la coopération et du développement `Jean-Pierre Cot` en a pris sa part, de même que notre ministre de l'économie et des finances `Jacques Delors`, nous avons soutenu un plan dit plan d'aide bis pour permettre d'affecter ces sommes d'une façon cohérente puisqu'elles se trouvent réduites à l'apport de quelques pays dans leur intégralité antérieure. Oui, je le répète, mesdames et messieurs, la France à la tête de laquelle j'ai été porté voici un an, mettra, j'espère que vous n'en avez pas douté, en accord ses principes et ses actes, la politique qu'elle préconise et la politique qu'elle pratique. Je tiendrai les engagements de mon pays, ils ont été longuement réfléchis, ils ne sont pas, loin de là, hasardeux, je me porte garant de leur exécution.
- Cela sera fait sans complaisance. Je veux dire par là que nous ne multiplierons pas les promesses ou les nouveaux engagements sans en avoir longuement délibéré avec nos partenaires et en leur faisant connaître nos propres limites, puisque nous sommes aussi dans une crise internationale, celle qui vous frappe vous-mêmes.
- Lors de la conférence des Nations unies, rappelez-vous, sur les pays les moins avancés `PMA`, conférence qui s'est tenue à Paris même sous la présidence de M. Jean-Pierre Cot, j'avais annoncé que l'aide publique pour le développement de ces pays les plus démunis serait portée, d'ici à 1985, à 0,15 % de notre produit intérieur brut, comme cela a été demandé tandis que l'aide publique au développement doublerait en pourcentage de notre PNB d'ici à 1988, passant de 0,35 à 0,70 %.
- Pour ne pas rester vains, ces engagements vont demander un important effort de solidarité de la part de mes compatriotes, alors que notre propre situation économique exige que notre budget de 1983, tout en respectant les règles de la justice sociale qui sont l'axe, ou l'un des axes essentiels, de notre politique, soit préparé avec rigueur.\
Mais au-delà d'une augmentation du volume de son aide, la France entend modifier la logique de son action. Elle oeuvrera donc pour un véritable co-développement et pour une croissance auto-centrée. Ce langage qui pourrait paraître obscur, à qui ne serait pas informé, n'étonnera aucun de ceux qui m'écoutent, puisqu'il est venu de votre continent lui-même.
- La solution aux difficultés de l'Afrique, et particulièrement de l'Afrique noire ne passe pas, en effet, par une imitation pure et simple des modèles des pays industrialisés. Elle passe d'abord par un développement industriel et agricole tourné vers la satisfaction des besoins essentiels de la population et fondé sur l'exploitation et la mise en valeur des ressources naturelles du pays.
- Je dis là une vérité d'évidence. Encore faut-il la rappeler lorsque l'on fait le compte de toutes les expériences et de tous les échecs qui ont été éprouvés par tant de pays d'Afrique noire et du continent `africain` tout ensemble depuis plus de vingt ans. Le Niger l'a compris par une démarche dont je signalais ou soulignais, pour commencer, l'aspect courageux et responsable. Ainsi votre pays rejoint les préoccupations de la France qui coopérera avec vous sur ces bases, dans cet esprit, sans se substituer ni décider à votre place.
- Nous respecterons ainsi la volonté exprimée par les Africains à Lagos en juin 1980, réclamant un développement, je le répète, auto-centré faisant largement appel à la mobilisation interne des ressources et des énergies.
- Enfin, dans-le-cadre d'une politique de coopération, la France et le Niger devront s'assurer d'une étroite concertation capable de donner les bases les plus utiles possibles à un co-développement bénéfique pour l'un et l'autre de nos pays.\
Voici un an, monsieur le président, mesdames et messieurs, j'ai proposé aux Français, dans la mesure où le domaine politique permet d'agir, de changer la vie des Français. C'était déjà une nécessité dans mon pays, mais vous ressentez à quel point c'est une nécessité dans le monde. Alors, j'ajouterai tout simplement : essayons de changer la vie ensemble, c'est-à-dire de changer les -rapports, je l'ai dit, du Nord et du Sud £ comme il nous importe de changer les rapports entre l'Est et l'Ouest, comme il convient de changer les rapports entre l'Afrique et le reste du monde. Vaste ambition qui ne trouvera pas son terme en une génération mais l'a dit notre fabuliste, "c'est parce que c'est long et difficile qu'il faut commencer maintenant". J'ai le sentiment, par contre, que nous n'avons guère à changer les -rapports entre la France et le Niger. Certes on peut toujours améliorer, car tout doit être régulièrement adapté et perfectionné, mais nos relations fournissent un bon exemple de ce qu'il convient d'établir entre nations qui savent se parler le langage de la raison, du coeur, de la responsabilité, entre nations qui ont en commun tant de liens, une telle histoire dans laquelle nous puisons la force de nous comprendre et de nous aider mutuellement à faire face. Que faut-il donc souhaiter de plus ?\
Après avoir remercié les responsables du pays et la population du Niger pour la qualité de leur accueil £ après avoir rappelé le plaisir personnel que j'éprouve à me retrouver dans ce pays, que j'ai connu naguère, que j'ai parcouru un peu dans tous les sens, dont j'ai suivi l'évolution £ après avoir dit à quel point ces paysages, la noblesse du fleuve Niger, la grandeur dans la réalité même de ces terres, la fierté de ces populations, l'histoire plus riche que l'on ne suppose dans nos cultures occidentales, soit de ces migrants, soit de ces agriculteurs attachés à leur terre, la force de leur tradition, la résonnance culturelle dont nous percevions l'écho encore hier soir, comment ne pas voir que tout cela doit nous permettre de rendre notre amitié plus fraternelle encore, notre solidarité plus agissante, nos voix mieux écoutées, par tous les peuples qui ont soif de dignité, de paix, de liberté. Cette société internationale que j'appelle de mes voeux, nous avons commencé de la bâtir et je rends hommage au Niger qui a su prendre la mesure de ce qu'il peut apporter à cette grande oeuvre, qui s'est mis à la tâche sans ménager sa peine et ses efforts, persuadé qu'il est d'être lui aussi, et j'en témoigne ici, à la mesure de son temps.\