4 mai 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'hôtel de ville de Brive, mardi 4 mai 1982.

Je vous remercie de votre accueil.
- Il était évident que, venant dans la région Limousin, j'allais m'arrêter à Brive.
- Non seulement parce que cette ville depuis mon adolescence a toujours représenté pour moi un pôle d'attraction, mais parce que ce pouvoir, cet attrait, sont demeurés tels qu'ils étaient, parce que j'ai pu connaître et éprouver son tempérament, sa vie, ses exigences et ses contradictions.
- Brive a toujours fait figure, pour moi, de métropole. Pourtant, elle ne l'est ni de la région, ni du département. Elle l'est en tant que telle. Vous venez de le rappeler en termes fort justes.
- Venir saluer les habitants de cette ville et de sa région, c'était aussi un devoir pour moi. Comment pourrais-je venir dans le Limousin et ignorer l'une de ses composantes même si, vous aviez raison de le dire, la vocation de Brive dépasse les seules limites du Limousin. Cette ville, vouée par la géographie et, depuis déjà quelques siècles, par son histoire, à représenter un lieu où se rassemblent des migrations diverses venues des quatre coins de l'horizon, est un véritable carrefour. Cela, indépendamment, explique en partie le développement de Brive : dans une région qui supporte plus que d'autres le poids de la dépopulation.\
Depuis, hier matin, c'est bien ce que ses élus et moi-même n'avons cessé de dire à l'unisson.
- Pour le reste, je suis ici pour entendre tout le monde. Cela aurait été peut-être un peu lassant de n'entendre que ma seule voix dans une région où, par vocation, la fraction de l'opinion qui s'est exprimée, il y a un an, pour le changement, était majoritaire. Et, aujourd'hui, la plus grande majorité encore se retrouve très naturellement dans la fonction, la charge et l'expression du Président de la République française. Pour moi, c'est très agréable et je me sens très à l'aise partout. C'est peut-être un défaut, peut-être une qualité, mais je me sens à l'aise parmi ceux qui se réclamait de mon amitié politique, mais aussi parmi ceux qui ne s'en réclamaient pas, ou qui se réclamaient du contraire. Je me sens à l'aise aujourd'hui parmi les uns, parmi les autres puisque j'ai la charge commune et que les uns et les autres sont aujourd'hui en droit d'exiger du chef de l'Etat qu'il soit plus qu'un symbole, qu'il soit la réalité de l'unité nationale.
- Quant aux opinions particulières, vous en avez exprimé quelques-unes. Vous avez le droit de n'être pas satisfaits, à moitié satisfaits, au quart satisfaits, au dixième satisfaits, d'autres inverseront la proportion. Cela restera ainsi tant que la majorité des Français continuera à penser que finalement ce qui a été fait, il y a un an, était une bonne chose. J'ai le sentiment et je pense que c'est aussi le fond de votre pensée, que l'on pourra disposer d'un appui politique suffisant car dans les grandes circonstances de la vie nationale, il y a bien au-delà des frontières d'une majorité, ce consentement, cette volonté, cette façon de se comprendre et de se connaître.
- L'opposition, je sais ce que c'est. J'en ai une excellente pratique. Je pourrais même donner des conseils et dire à d'autres qu'à vous : voilà jusque-là ça va, au-delà ça se gâte. Comme dans toute démocratie, il y a des hommes et des femmes qui, tout en préservant avec raison la fermeté de leurs pensées et la rigueur de leur action, savent s'insérer, s'intégrer, demeurer dans le mouvement général de notre pays et ne jamais récuser l'intérêt général au nom de leur passion propre. Certains ont tout de même quelque peine à franchir ce pas. Je serai indulgent pour eux. Je disais hier : "après tout personne ne conteste". Je voulais dire personne de sensé ne peut contester qu'aujourd'hui il existe un chef de l'Etat très assuré de la confiance du peuple et qui entend bien justifier cette confiance par la justesse, la fermeté, et la fidélité à ses engagements.\
Je ne vous reprendrai que sur un seul mot, monsieur le maire, étant entendu que j'ai beaucoup apprécié votre allocution. C'est qu'en démocratie, il n'y a pas de condition. C'est sans condition. On est tous ensemble. On exerce nos talents et nos choix chaque fois que l'occasion s'en présente. Pas simplement par les urnes - je ne veux pas limiter les choix de la nation aux élections présidentielles, législatives ou même cantonales - c'est tous les jours qu'il convient au pluralisme français de s'exprimer. Je comprends très bien la revendication dans une usine, je comprends très bien l'allocution d'un maire au Président de la République. Je comprends très bien, qu'à tous moments, celui-ci ou celle-là dans la rue, dans sa maison, dans ses contacts avec moi, me dise j'approuve ou bien non je refuse. Tout cela fait que je suis à l'aise, mesdames et messieurs, avec vous, à Brive. Et je sais fort bien que la ville de Brive est conduite par une équipe municipale qui ne va pas forcément dans son ensemble, en tout cas dans sa majorité, vers les choix qui étaient les miens au moment où je me suis présenté à la Présidence de la République. Vous pouvez imaginer, monsieur le maire, qu'avant d'aller dans une ville comme Brive, je m'informe. Je suis venu, vous connaissant, mais sachant aussi que c'est une ville où l'on n'économise pas le débat politique. Quelle ardeur, quelle vivacité, quelle permanence ! Brive, de ce point de vue, pourrait servir d'exemple de représentation des Français à cela près que, selon le type d'élection, la représentation peut varier.
- Comme c'est agréable de pouvoir parler comme cela de ces choses. Quelquefois ça m'ennuie d'être enfermé dans je ne sais quel portrait robot. Vous m'avez permis d'en sortir, monsieur le maire, et laissez-moi vous dire que le plaisir que j'exprimais pour commencer n'était pas feint. D'abord, vous avez une belle mairie, ensuite vous avez une ville essentiellement sympathique et vivante. Ensuite, je sais bien, qu'au-delà des divisions politiques, il y a beaucoup de mérite amassé par l'histoire, et par l'histoire récente, dans cette population et dans ses représentants. Aussi bien d'un côté que de l'autre, il y a des sacrifices, des deuils, des chagrins supportés par la grandeur de la patrie. De ce point de vue, la Corrèze et cette ville vous offrent un bel exemple qui vous appartient en commun, mesdames et messieurs, et particulièrement aux élus du peuple dont vous faites partie.
- Je vous remercie, mesdames et messieurs.\