30 avril 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, au ministère danois des affaires étrangères, Copenhague, vendredi 30 avril 1982.

Mesdames et messieurs,
- Avant de rentrer en France, voici la dernière halte de ce voyage de deux journées pleines au Danemark. Vous avez, pour la plupart d'entre vous, participé aux différents épisodes de ces deux journées. Vous avez entendu à la fois les dirigeants du Danemark s'exprimer, vous m'avez moi-même entendu. Je pense qu'il est donc inutile de prolonger les préliminaires. Je remercie les journalistes qui se sont rendus à cette réunion aujourd'hui. Je leur dirai au revoir à 15 h pour tenir mon emploi du temps. Mais nous avons le temps, d'ici-là, d'avancer dans l'étude de quelques questions. Tout cela dépend de vous. Je vous écoute.\
QUESTION (Télévision danoise).- Pendant votre voyage au Danemark, vous avez souligné les convergences de vues entre la France et le Danemark, mais il y a aussi des points sur lesquels les deux pays ne sont pas d'accord. Je pense plus spécialement aux Pershing `fusée` en Allemagne `RFA` et en Europe, mais aussi, avec les mots de M. Jean-Jacques SERVAN-SCHREIBER, au "meurtre de la Polynésie". Est-ce que ce n'est pas une trop grande responsabilité de continuer les essais nucléaires ?
- LE PRESIDENT.- Je dois dire qu'on en a fort peu parlé au-cours de ces deux journées et je suis content que vous m'en parliez maintenant. Les hommes politiques responsables ont une position au Danemark, les Français ont la leur. Nous ne sommes pas dans la même situation. Nous n'avons pas non plus le même passé. Mais cette question n'est jamais apparue dans nos conversations comme un obstacle dans les relations entre le Danemark et la France. Cela peut - et c'est tout à fait légitime - émouvoir certaines fractions de l'opinion et, à-ce-titre, cela mérite d'être noté.
- Je comprends très bien votre question, mais il ne faut pas non plus poser ce problème comme une sorte de difficulté dans les relations de nos deux peuples et de nos politiques. Donc, apprécions à sa juste mesure et seulement à sa juste mesure le problème que vous évoquez.
- J'ajoute que sur les Pershing, je ne vois pas très bien ce que vous voulez dire. Nous ne souhaitons pas que les Pershing, nous Français, s'installent.
- D'ailleurs, c'est une décision à laquelle nous n'avons pas de part £ c'est une décision de l'organisation militaire intégrée `OTAN` de l'Alliance atlantique et la France n'y participe pas. Bien entendu, c'est un sujet qui nous intéresse. Simplement, nous pensons - je l'ai dit hier au Folketing `Parlement danois`, ce n'est pas la peine d'insister - qu'il faut rechercher l'équilibre des forces. Je pense qu'il y a déséquilibre - notamment en Europe et d'une façon très sensible - et qu'à-partir de là, il convient d'en discuter sérieusement : j'espère que c'est ce qu'on fait ou ce qu'on fera à Genève. Mais il faut que ce soit bien clair : l'équilibre des forces doit être recherché. On ne peut pas en rester à la situation présente. Il est donc parfaitement normal, à-partir de là, de chercher à renforcer le potentiel nucléaire tactique du côté occidental.
- Mais il faut donner la primeur à la négociation. Et sur ces données-là, je n'aperçois pas qu'il y ait des difficultés entre nos deux pays. Le problème n'est pas posé à la France d'avoir à recevoir des Pershing II. Nous avons notre propre armement nucléaire. Le problème a été posé au Danemark et il appartient au Danemark d'y répondre comme il le désire. Je n'ai pas à me substituer à lui.\
`Réponse`
- Pour les expériences de Mururoa, je m'en suis assez expliqué hier devant le Folketing `Parlement danois` : la France a besoin d'une défense, a besoin d'assurer sa sécurité. C'est le seul pays, en effet, qui soit aujourd'hui en mesure, en dehors des superpuissances, d'assurer sa sécurité face à l'armement atomique et c'est une situation que nous n'entendons pas diminuer. Et pour cela, les conditions pratiques sont telles, même si je le regrette, qu'il faille des expériences pour connaître l'-état exact de notre technologie. Ces expériences ont lieu et continueront d'avoir lieu jusqu'au moment que je -recherche, où l'évolution attendue et peut-être prochaine de la technique nous permettra d'arrêter ces expériences. Je répète ce que je souhaite. Cela créerait une situation harmonieuse dans le Pacifique sud. Cela éviterait toute une série de contradictions. Mais cela n'arrêtera pas un meurtre, parce qu'il n'y a pas de meurtre. Je ne connais pas le nom d'une seule personne qui ait eu à souffrir dans sa vie des expériences qui se déroulent actuellement à Mururoa. Il y a donc dans le refus dont vous êtes l'expression, une exagération qu'il faut tout de même apprécier. Cela dit, je ne considère pas comme désirable que ce type d'expériences ait lieu. Je l'estime nécessaire. Tant que ce sera nécessaire, cela continuera. Je ferai tout pour que cela ne soit plus nécessaire.\
QUESTION.- Indépendamment de cette discussion sur l'Est-Ouest que vous avez eue avec le Premier ministre danois, êtes-vous satisfait du degré d'accord auquel vous êtes arrivé dans d'autres domaines, tels que l'Europe et ce qu'on appelle le Nord-Sud ?
- LE PRESIDENT.- Oui, mais nous n'avons pas de désaccord sur les relations Est-Ouest, pas du tout. On peut observer cette nuance par-rapport aux types d'armement mais les autorités danoises maintiennent avec beaucoup de clarté leur adhésion à l'OTAN, à ses objectifs, de telle sorte que c'est le Danemark qui est impliqué dans la décision du Pershing II `fusée`, ce n'est pas la France. Il ne faut pas renverser les termes du problème.
- Peut-être que le Danemark regrette cette décision, mais il fait partie de l'OTAN. Nous ne la regrettons pas, et nous ne faisons pas partie de l'OTAN. Voyez comme les choses sont compliquées ! Et nous n'avons, je le répète, pas du tout de différends là-dessus.
- De même, l'appréciation qui a été exprimée, avec d'ailleurs beaucoup plus de nuances qu'il n'est apparu dans certains compte-rendus, sur la proposition du gel soviétique. Il est évident que le gel n'a d'intérêt que s'il est le début d'une négociation devant aboutir à la diminution du potentiel militaire.
- Si le gel était une politique de désarmement, cela serait bien entendu ne pas répondre à la question posée, puisqu'il existe déjà assez de SS 20 pour remplir leur office, c'est-à-dire tenir en respect la totalité du dispositif militaire de l'Europe occidentale. Moi, je suis de ceux qui acceptent toutes les propositions dès lors qu'elles s'orientent vers le dialogue. Simplement je dis qu'il ne serait pas sérieux d'en rester là.\
`Réponse`
- Quant aux relations bilatérales au-sein de l'Europe du Marché commun `CEE`, elles sont très bonnes. Je dirais même qu'elles sont particulièrement bonnes. Partant d'une vue similaire du devenir de l'Europe, sur l'interprétation et l'application du traité de Rome, sur la nécessité d'une politique structurée, sur la nécessité de réformes mais sans déviation par-rapport à l'esprit initial du traité, le Danemark et la France sont sur la même longueur d'ondes. Et lorsqu'il s'agit d'élargir le champ de cette Europe, particulièrement dans le domaine social, si deux pays se trouvent bien associés dans cette démarche, c'est bien le Danemark et la France.
- Même harmonie lorsqu'il s'agit de parler du tiers monde. Vous connaissez les thèmes que je développe en toutes circonstances. Le nouveau système monétaire international `SMI` : il n'est pas possible aujourd'hui si les autres n'en veulent pas. Au moins un certain nombre de dispositions sont immédiatement possibles, en-particulier les projets qui ont été évoqués à Cancun sur l'autosuffisance alimentaire à rechercher dans les autres pays pauvres. Il existe un certain nombre d'exemples qui permettent d'espérer dans ce domaine. Voyez l'exemple de l'Inde.
- Et les ressources énergétiques autres que le pétrole : pensez à la richesse d'un pays comme la Tanzanie, avec ses richesses hydrauliques. Pensez enfin à toutes les formes de richesses du sous-sol, toutes les formes d'énergies nouvelles, c'est-à-dire d'énergies renouvelables dont dispose le tiers monde. Il est donc tout à fait normal d'attendre de la Banque mondiale qu'elle organise des méthodes de financement et d'exécution qui permettraient de faire échapper ces pays pauvres à la loi d'airain des cours du pétrole commandés par le prix du dollar.
- De même, pour le soutien des cours des matières premières : cette façon de voir est moins générale. Elle est acceptée par le Danemark, elle est acceptée par la France. La France la propose constamment. Mais l'unanimité est moins forte lorsqu'il s'agit de s'adresser à l'ensemble des nations insdustrielles et même à certains pays du tiers monde. Nous estimons que ce n'est même pas la libre loi du marché qui détermine le prix des matières premières. Ce sont souvent des spéculations de sorte qu'aucun pays du tiers monde non-détenteur de pétrole ne peut être assuré, d'une année sur l'autre, de garantir ses cours. Cela interdit tout plan, toute coopération sur deux ans. Comment voulez-vous faire avec un prix du café ou du cacao qui tombe de 50 % à n'importe quel moment ?... Donc, les plans de développement sont hypothéqués par cette situation qui ne peut pas durer.
- Ce sont des thèmes que nous avons développés et sur lesquels je parle même trop longtemps. Il n'y a rien d'original dans ce que j'ai à vous dire puisque j'ai simplement à déclarer que nous sommes - Danemark et France - dans une situation d'accord quasiment sans nuances.\
QUESTION.- La France et le Danemark envisagent-ils d'obtenir de la CEE qu'elle subordonne son soutien à la Grande-Bretagne dans la crise des Malouines à des concessions britanniques à Bruxelles ?
- LE PRESIDENT.- Non. Les Britanniques ont eu tort de lier le problème du mandat au problème des prix agricoles. Nous n'allons pas, par-dessus le marché, lier ce problème au problème des Malouines. Ce serait de mauvaises méthodes.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous avez dit hier à l'Union soviétique et aux Etats-Unis : "dépêchez-vous, sinon nous arriverons à une crise aussi grave que celle de Cuba". Pouvez-vous préciser vos raisons ?
- LE PRESIDENT.- Peut-être pouvez-vous les chercher vous-même. Vous avez assez de culture politique pour comprendre qu'à compter du moment où l'on va reprendre la course aux armements - en passant par des armes nucléaires tactiques qui ont en réalité le rayon d'action et la puissance des armes stratégiques - qu'à-partir de là il y a un déséquilibre, ou il y aurait un déséquilibre tel que la tension deviendrait proprement insupportable. Il vaut mieux négocier avant.
- Comme il s'agit de problèmes touchant à la vie, à la sécurité des peuples, cela prendrait naturellement une ampleur que les différends, limités à telle ou telle zone de territoire ou à telle et telle compétition économique, n'ont pas l'habitude de produire. Ces problèmes spécifiquement politiques sont liés aux problèmes militaires. C'est pourquoi j'ai évoqué les précédents que vous venez de rappeler.
- QUESTION.- Monsieur le Président, quelle est votre appréciation quant à la possibilité d'une rencontre entre M. BREJNEV et M. REAGAN ?
- LE PRESIDENT.- Ni l'un, ni l'autre ne m'ont demandé mon avis, je dois le dire tristement. D'autre part, ils ne m'ont pas confié autre chose que ce qu'ils ont confié au monde entier. A savoir qu'il y en a un qui aimerait aller en Suisse, l'autre qui voudrait aller ... Enfin bref, ils ne sont pas encore, semble-t-il, tout à fait d'accord sur le lieu de la rencontre. En général, lorsque l'on n'est pas d'accord sur le lieu d'une rencontre, c'est parce qu'on a encore des hésitations sur la rencontre elle-même. Maintenant, je ne veux pas me substituer à eux. Il faudra bien qu'ils se rencontrent un jour. Le plus tôt sera le mieux.\
QUESTION.- Vous avez dit au Folketing `Parlement danois`, hier, que le modèle social ici vous intéressait particulièrement, que c'était une expérience qui vous paraissait intéressante. Or c'est un moment, où ici on envisage de diminuer un peu la façon égalitaire de répartir les biens sociaux. Quels sont les aspects de cette expérience sociale danoise qui vous paraissent dignes d'intérêt pour la France ?
- LE PRESIDENT.- On ne va pas faire un cours sur ces questions qui sont archiconnues. L'expérience social-démocrate dans les pays scandinaves et particulièrement au Danemark représente une avancée sociale qui a toujours paru très séduisante aux socialistes français. Je pense que ces avancées demeurent, sur bien des -plans, des progrès par-rapport à la situation sociale des travailleurs français. Nous souhaitons pouvoir, dans-le-cadre de nos moyens économiques, continuer d'aller dans cette direction ... Ce n'est pas le modèle mais c'est une bonne référence.
- Quant à l'opinion publique au Danemark, cela reste son affaire. Je n'ai pas l'intention de me mêler des mouvements d'opinion danois. Il faut évidemment toujours songer au point limite où la solidarité - je ne parle pas là de l'égalité artificielle - joue de telle sorte que si la puissance publique entend procéder elle-même aux dispositions nécessaires, la tension fiscale, le poids social et fiscal additionné - budget social budget d'Etat - atteignent des pourcentages qui peuvent être appréciés différemment selon les pays - en France, c'est 43 % - mais pouvant aller jusqu'à 50 ou 55 %. Je sais bien que cela doit naturellement provoquer des réactions très difficiles. La France a bien l'intention de ne pas atteindre des chiffres qui représenteraient des tensions redoutables. Pour cela, nous disposons d'un certain nombre de procédés que nous mettrons en oeuvre.
- Ce qui est vrai, c'est qu'au-cours des sept années qui ont précédé mon élection, la charge fiscale et sociale en France est passée de 36 à 42,5 %. Dans les années qui ont précédé, la progression a été constante. Je suis donc amené, moi, à mettre un terme à une progression qui n'a pas été dominée pendant les 10 ou 15 années précédentes. Cela dit à l'intérieur de ces sommes importantes, il est possible de faire progresser la solidarité nationale, simplement en cherchant plus de justice sociale à l'intérieur des mêmes sommes.\
QUESTION.- Pouvez-vous dire quand vous ferez votre prochaine conférence de presse à Paris ?
- LE PRESIDENT.- Je m'adresserai aux Français par des moyens à déterminer, peut-être une conférence de presse. C'est pour l'instant plutôt la direction choisie à bref délai. Simplement, je ne voudrais pas me mêler au choeur des "pour" et des "contre" qui vont s'élever dans une formidable cacophonie aux alentours du 10 mai. Je ne voudrais pas simplement être une voix dans le concert.
- QUESTION.- Est-ce que vous allez célébrer le 10 mai vous-même ?
- LE PRESIDENT.- Non, pas du tout, non, non. Pourquoi voulez-vous que je le célèbre ? Je ne veux pas comme cela, chaque année, mobiliser les Français. Non, non, non, le bilan, c'est à la fin. Et puis, beaucoup d'autres auront envie de le célébrer. Ce n'est pas à moi de le faire. Non, non ... je serai spectateur de ce qui sera fait par les uns et par les autres, dont je peux, d'ailleurs vous décrire à l'avance le projet.
- QUESTION.- Parlant de votre mandat, je voudrais savoir comment se porte le Président de la République.
- LE PRESIDENT.- A quel point de vue ? ... Point de vue mental, ça va (rires). A quel point de vue ?\
QUESTION.- En substance : vous sentez-vous bien à la tête de la France ?
- LE PRESIDENT.- Oui, je me suis fait élire pour cela.
- QUESTION.- En substance : n'êtes-vous pas surpris par la lourdeur de votre tâche ?
- LE PRESIDENT.- Enfin, je le supposais avant de me faire élire. Non, non. Si j'ai été candidat, c'est sans doute parce que je souhaitais pouvoir inaugurer une politique nouvelle, plus utile à la France et plus heureuse pour les Français. Admettez que ce soit un objectif louable. Mais c'est aussi parce que je m'en sentais capable avec une majorité forte et cela s'est produit. Elle aurait été moins forte, je m'en serais senti capable quand même. Et s'il s'agit de résister aux phénomènes quotidiens qui se produisent, qui me placent au centre des turbulences, je dirais que c'est plutôt intéressant. Et que si j'avais eu tendance à m'assoupir avant mon élection, toutes les conditions sont réunies pour que je reste bien éveillé.
- On en a parlé hier et d'autres fois : je m'occupe de la politique française comme c'est mon devoir, chaque jour, sans m'éloigner jamais des problèmes de la vie intérieur des Français. Je ne crois pas d'ailleurs avoir été absent un seul jour de ma charge depuis le 21 mai, non pas le 10 mai mais bien le 21 mai 1981. Je tenais à le préciser puisque par exemple, entre le 10 et le 21 mai, ce sont quelques 5 milliards de dollars qui sont partis de nos réserves alors que ce n'est pas moi qui avait la charge de les retenir.
- Donc, depuis le 21 mai, je suis responsable, et il n'y a pas de jour où je me sois mis en congé de ma responsabilité. J'ai le sentiment que c'est un bon aiguillon et que c'est une année pendant laquelle je me suis de mieux en mieux porté. J'espère qu'il en va de même pour la France, en dépit des analyses contraires dans lesquelles certains se complaisent. C'est bien normal, c'est le jeu de la démocratie : le pluralisme. Il faut pour cette musique-là multiplier les notes désaccordées. Cela s'appelle de la musique concrète, je crois, non ? C'est en tout cas une forme audacieuse de l'art à laquelle je suis parfaitement préparé. Pour ce qui me concerne, je cherche à développer et à maintenir le rythme sur lequel je vis déjà depuis longtemps. Je souhaite que la France, puisqu'on parle de la France, sans entrer dans le détail de la vie politique intérieure - cela je le fais à Paris, je ne le fais pas à Copenhague - je souhaite que la France puisse constater au moment du bilan que cela a représenté pour elle un très utile pas en avant.\
QUESTION.- Après l'évacuation du Sinai, croyez-vous que le processus de Camp David puisse se poursuivre ?
- LE PRESIDENT.- C'est un heureux résultat de Camp David. C'est l'aspect le plus positif qu'on pouvait en attendre, puisque cela dépendait strictement des deux partenaires qui avaient décidé de faire la paix plutôt que la guerre. Les autres décisions, notamment le devenir des Palestiniens, ne dépend pas que de ces deux partenaires-là - mais aussi des Palestiniens eux-mêmes. A-partir de là, on peut penser que nous entrons dans une phase infiniment plus complexe.\
QUESTION.- Monsieur le Président, comment considérez-vous les derniers développements de la crise des Malouines ?
- LE PRESIDENT.- Je les ai constamment suivis en relations avec le ministre des relations extérieures `Claude CHEYSSON`. Il se trouve d'ailleurs avec moi à Copenhague, mais enfin le téléphone existe et il l'a suivi d'heure en heure entre Paris et le Danemark. Je ferai connaître en temps utile ce que j'en pense.\
QUESTION.- En ce qui concerne la multiplication des actes de terrorisme en France, quelle analyse faites-vous sur les causes de cette vague. Est-ce que vous pensez par exemple que cela pourrait être lié à votre voyage en Israel ?
- LE PRESIDENT.- Nous n'allons pas, si vous le voulez bien, faire une conférence de presse de caractère général. Nous n'en sortirions pas. J'ajoute que pour tout ce qui touche la vie politique intérieure française, c'est une règle pour moi que de ne pas en traiter lorsque je me trouve à l'étranger, y compris dans un pays ami.
- Enfin, la fin de votre question élargissait le propos. Le terrorisme a commencé en France, malheureusement, bien avant l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement à direction socialiste. Le terrorisme a pris les formes les plus diverses au-cours de ces dernières années. Il est resté souvent impuni.
- Et ce n'est pas mon voyage en Israel, surtout si l'on veut bien réfléchir à ce que j'ai dit en Israel, qui a pu marquer le renouveau du terrorisme en France.
- Quoi qu'il en soit, je vous en parlerai plus tard, dans mon pays et ce n'est pas non plus le terrorisme qui, sur quelque point que ce soit, me fera changer de route.\
QUESTION.- La France s'est dotée d'un régime socialiste, les Danois vivent sous le régime social-démocrate. Est-ce que, sur le long terme, vos différents interlocuteurs politiques, en-particulier ceux de ce matin, se sont informés, inquiétés ou ont manifesté de la curiosité sur les options françaises ?
- LE PRESIDENT.- Curiosité mutuelle. C'est intéressant de savoir comment cela fonctionne, la social-démocratie, surtout dans un pays où elle a provoqué beaucoup de bienfaits. Je pense que c'est intéressant pour les Danois de savoir de quelle façon procèdent les socialistes français qui ont la chance de pouvoir tirer profit des expériences des autres, notamment des sociaux-démocrates. Oui, cette curiosité mutuelle a naturellement rempli une bonne part de nos conversations. Enfin, on peut dire que chacun avec son tempérament, avec ses méthodes, avec son histoire, nous allons dans la même direction. Je n'oublie pas qu'il y a peu de temps encore, j'étais l'ami et le camarade de combat d'Anker JORGENSEN `Premier ministre danois` et si j'ai changé de fonctions, je n'ai pas changé d'amitiés.\
QUESTION.- Vous venez de dire que le terrorisme ne vous fera pas dévier de la route que vous avez choisie. Fallait-il entendre là une allusion à l'enlèvement de Jean-Edern Hallier ?
- LE PRESIDENT.- Vous voulez que je réponde à cette question là ? Vous en mesurez parfaitement l'incongruité ici même. Tout acte criminel doit être poursuivi, toute atteinte aux droits des individus doit être réprimée et le devoir de l'Etat, de sa police et de sa justice, c'est de veiller à ce que le droit des personnes et des biens, d'abord des personnes, soit assuré. Lorsqu'il y a un manquement à cette règle, il faut que l'Etat se mobilise. C'est tout. Cela vaut dans tous les cas. Nous ne faisons pas de distinctions politiques dans la protection des citoyens français.\
QUESTION.- En ce qui concerne l'entrée de l'Espagne dans le Marché commun `CEE`, avez-vous trouvé un soutien auprès du Premier ministre danois `Anker JORGENSEN` pour les réserves faites par la France ?
- LE PRESIDENT.- Vous auriez tout aussi bien pu inverser la question. J'ai déjà dit cent fois que tous les obstacles politiques à l'adhésion de l'Espagne étaient levés par la courageuse démarche démocratique de ce pays. Il reste bien des problèmes économiques extêmement sérieux à traiter, à propos desquels nous sommes tout à fait désireux de négocier. Nous avons fait connaître dès le point de départ - et je crois que c'était honnête - un certain nombre de préalables qui nous paraissaient indispensables afin d'assurer le droit légitime des producteurs français. Mais l'Espagne est un pays ami et nous pourrons parler de ces choses, je l'espère, en confiance.
- QUESTION.- Monsieur le Président, pour rester dans le Marché commun, pensez-vous qu'on va bientôt pouvoir sortir de l'impasse entre les revendications budgétaires britanniques et les prix agricoles ?
- LE PRESIDENT.- Je crois que la réponse commence à être apportée pendant que nous parlons. Je voyais M. CHANDERNAGOR `ministre chargé des affaires européennes` qui rentrait lui-même de Strasbourg et qui a suivi naturellement les conversations à Luxembourg. Vous savez qu'un accord de 9 pays sur 10 est actuellement ébauché. Il appartiendra aux procédures du Traité de Rome de jouer. Je souhaite vivement l'accord des 10. Dans tous les cas, il ne peut pas y avoir de lien entre deux domaines qui n'en ont pas. Ce sont deux domaines différents et les lier serait manquer aux obligations que nous avons contractées mutuellement.\
QUESTION.- Est-ce que les dernières arrestations de membres présumés de l'organisation terroriste ETA, pratiquées par la police française, signifient un changement de l'attitude de votre pays envers les problèmes du terrorisme basque espagnol ?
- LE PRESIDENT.- On ne va pas rebâtir le monde cet après-midi à Copenhague. Il est trois heures moins cinq. Je vous quitte à trois heures. Ce que je peux vous dire, c'est que pour tout ce qui touche à la législation française, chaque fois qu'il y aura manquement à la législation française, il sera normal que les forces de police interviennent et la justice à son tour. Quant au déroulement futur de ces choses, ce n'est pas à moi d'en décider ici.\
QUESTION.- Si les Etats-Unis envahissent ou établissent le blocus à l'égard du Nicaragua, votre gouvernement viendrait-il à l'aide du Nicaragua ?
- LE PRESIDENT.- On ne peut pas, comme cela, discuter d'hypothèses telles que celle-ci. Pour l'instant, les Etats-Unis n'ont pas fait d'invasion au Nicaragua. J'ai l'impression même que des progrès y sont faits sur-le-plan de la négociation. Nous souhaitons vivement que les Nicaraguayens puissent décider eux-mêmes de leur sort. Les attitudes que nous avons prises et les interventions que nous avons faites, notamment dans la même région avec le Mexique, ne peuvent pas laisser de doute sur la politique française. De là à délibérer avec vous en ce jour sur une situation qui n'existe pas, il y a une marge. Alors, attendons avant de nous prononcer sur ce sujet.\
QUESTION.- Hier, vous avez évoqué pour la première fois les problèmes de vos nombreux voyages à l'étranger. Pourquoi voyagez-vous autant à l'étranger ? Préférez-vous le tapis rouge aux problèmes de l'inflation ?
- LE PRESIDENT.- Ce n'est pas du tout la première fois ... On m'a dit hier soir, que certains journalistes français avaient trouvé que c'était un précieux scoop. Alors j'ai cherché, j'ai relevé mes notes : cela faisait la 7ème fois. Mais, seulement, les 6 autres fois, vous n'avez pas voulu m'écouter. J'en parle quand on m'en parle et j'avais relevé tout une série d'articles à ce sujet. Il y a même eu des sondages. Le dernier sondage dans un grand journal a posé des questions aux Français là-dessus. Ce n'est pas du tout moi qui pose ce genre de choses. Alors n'y voyez pas une intention qui ne serait pas la mienne.
- Je ne vais pas plus souvent à l'étranger qu'il ne faut. Il faut dire aussi qu'on m'invite. Comme je suis dans la première année de mon mandat, que j'incarne une politique tout à fait nouvelle de la France, cela provoque un mouvement d'intérêt. De ce fait, les invitations se multiplient et comme beaucoup d'entre elles sont très utiles pour la France, j'y réponds favorablement.
- Dans le premier trimestre, je suis parti - je l'ai dit hier - je suis parti six jours. Ce n'est pas excessif, six jours sur un trimestre pour un chef d'Etat français qui doit mener une politique internationale. Cela voudrait dire que je me suis occupé - en arrondissant les chiffres, un trimestre représente 90 jours - je me suis donc occupé pendant 84 jours de l'inflation et le chômage frappant mon pays, vous voyez comme vos calculs risquent d'être dérisoires !\
QUESTION.- Vous avez émis, hier au Parlement, l'idée de rencontrer plus souvent les leaders de petits pays européens. Dans quels dessins souhaitez-vous multiplier ces rencontres ?
- LE PRESIDENT.- Oui, je suis au Danemark et nonobstant la remarque précédente, j'espère pouvoir aller en Hollande, en Belgique et au Luxembourg, en Irlande, en Grèce, ce qui fera que je partirai de temps à autres pour 48 heures. Quand je vais dans un petit pays proche de la France, comme la Belgique, il me faut 48 heures. Lorsque je vais dans un grand pays et assez loin, comme les Etats-Unis d'Amérique, une journée me suffit. Mais c'est parce que les transports sont rapides et aussi parce que, après tout, les chefs d'Etat peuvent très bien, en l'espace de 3 heures, remplir ce temps-là. J'ai déjà dit dans d'autres circonstances - et cela c'est du domaine de la confidence - jamais les chefs d'Etat n'arrivent à se parler aussi longtemps que je ne l'ai fait, par exemple, avec M. REAGAN l'autre jour à Washington, en dépit de la surprise un peu feinte de bon nombre de commentateurs. Jamais dans les conférences internationales on ne parle 3 heures à la même personne. Et pour ceux qui, plus malins encore, disent que cela ne fait qu'une heure et demie parce qu'ils ne se comprennent pas, il faut savoir que la traduction simultanée, cela existe. Vous la pratiquez vous-même, j'imagine, assez souvent pour savoir très bien qu'en quelques minutes, on finit par oublier complètement qu'on ne parle pas la même langue. J'ajoute que je ne sais pas tout à fait aussi en retard que vous avez l'air de le croire - quelques-uns d'entre vous seulement : il y a des langues que je pratique mal, mais que je comprends fort bien.\
QUESTION.- Cette année, c'est celle des sanctions contre l'Afrique du Sud. Pensez-vous faire quelque chose dans ce domaine ?
- LE PRESIDENT.- On a fait beaucoup déjà et on continue. Pour l'instant, la France remplit un rôle absolument pilote dans l'affaire du comité des cinq pour tenter de résoudre les problèmes de la Namibie. Nous avons établi des relations cordiales avec l'Angola, ce qui n'existait pas auparavant. J'ai moi-même reçu M. DOS SANTOS et nous parlons même de coopération. Tout cela n'est pas tout à fait indifférent au problème que vous venez d'évoquer ... Une dernière question ? (A madame Lally HOFFMANN, de la télévision danoise) : Madame on va finir comme on a commencé...\
QUESTION.- En ce qui concerne l'espace social européen, est-ce que vous avez trouvé suffisamment d'écho chez nos gouvernements ?
- LE PRESIDENT.- Au Danemark, sans aucun doute, c'est là que j'en ai rencontré le plus puisque, lorsque j'ai évoqué pour la première fois ce problème, c'était au Luxembourg au premier Sommet européen auquel je participais, et le seul pays qui se soit engagé dans cette voie d'une façon claire, c'était le Danemark. Depuis lors, cela a fait des progrès. Si vous aviez participé au Sommet de Bruxelles, le dernier, vous auriez constaté que des pays comme l'Allemagne `RFA`, la Grèce, l'Irlande, l'Italie et la liste n'est pas limitative, s'intéressaient sérieusement à ce problème.
- Je termine avec vous, madame. Vous avez bien voulu m'interroger, il y a peu de temps, pour la télévision danoise et l'on ma dit, au demeurant, que cette émission avait été très intéressante. Je ne dis pas cela pour les propos que j'y ai tenus, puisque je crois que c'était une émission d'une heure dans laquelle je n'occupais qu'une dizaine de minutes moi-même. Mais cela me fait plaisir de m'adresser de nouveau aux auditeurs et aux télespectateurs danois pour répondre à la question que vous me posez. Nous avons parlé de façon concrète de l'espace social européen. Ce n'est pas une formule vide et, ce matin même, cela occupait une large partie de notre conversation élargie aux ministres, avec le Premier ministre et moi-même.
- En-particulier, nous avons abordé le problème de la durée du travail, le problème des conditions de travail et des droits des travailleurs dans l'entreprise. Nous avons parlé de la formation des jeunes, de la formation professionnelle. Nous avons parlé de la relance industrielle qui ne serait pas concevable sans crédits, ce qui est donc lié à la capacité d'emprunter de l'Europe. Déjà elle s'est engagée dans cette voie en attribuant 3 milliards d'ECU au Conseil de Londres pour choisir des objectifs industriels, permettant de mieux assumer la mutation technologique, ce qui en fin de compte doit servir aussi au développement d'un espace social par les facultés nouvelles apportées à la lutte contre le chômage.
- Voilà donc les données concrètes qui ont retenu notre attention ce matin et qui s'inscrivent dans une politique sociale dite "l'espace social européen". C'est donc le Danemark qui, sur-ce-plan là, a pris une position de précurseur à laquelle j'ai ajouté - ce qui n'est pas négligeable - le poids de la France. Nous marchons dans cette affaire avec beaucoup de confiance mutuelle.
- Mesdames et messieurs, je vous remercie.\