8 avril 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée à la télévision japonaise "NHK", notamment sur les questions de politique étrangère en matière de défense nationale, les relations culturelles et commerciales avec le Japon, Paris, Palais de l'Élysée, jeudi 8 avril 1982

QUESTION.- Monsieur le Président, vous êtes sur le point de partir pour effectuer la première visite historique d'un chef d'Etat français au Japon. Au nom du peuple japonais et des spectateurs japonais, je vous souhaite un bon voyage et la bienvenue sur notre sol.
- Le peuple japonais, donc, au-cours de cette semaine, aura l'occasion de faire plus ample connaissance de la France aujourd'hui et de vous-même, mais pour faciliter leur compréhension, si vous le permettez, je voudrais vous poser quelques questions, auxquelles vous voudrez bien me répondre.
- Voici ma première question. Lors de notre récente rencontre, vous avez dit, monsieur le Président, que tout le monde n'aime pas d'amour le socialisme. Je crois que c'est d'autant plus vrai qu'à l'heure actuelle le socialisme n'est pas tout à fait populaire à cause des événements en Pologne et tout cela. Or, à mon avis, le socialisme en France que vous incarnez, monsieur le Président, n'a aucun -rapport avec le modèle soviétique ou social-démocrate, type nordique. Pourriez-vous expliquer aux spectateurs japonais ce qu'est le socialisme à la française ou, si vous le permettez, à la François MITTERRAND ?
- LE PRESIDENT.- Mes premiers mots seront pour répondre à votre présentation dont je vous remercie, donc, pour dire au peuple japonas ma joie de pouvoir être son invité, son hôte pendant quelques jours. Je suis déjà allé deux fois au Japon mais c'était à d'autres -titres et je suis très fier de pouvoir représenter pour la première fois mon pays, dans sa plus haute représentation, à l'occasion de ce voyage. Je vous prie de bien vouloir également transmettre au peuple japonais mon salut et l'expression de mes sentiments.\
`Réponse` Maintenant, j'en reviens à votre question. Le socialisme est né avec la société industrielle. Il y a donc déjà bien longtemps, c'est-à-dire au début du XIXème siècle. Il a commencé de s'affirmer, autour d'un corps de doctrines, vers la moitié du XIXème siècle. Très rapidement, beaucoup de familles de pensée se sont exprimées concurremment : déjà, les tempéraments, les idéologies, la façon de concevoir la société et aussi la différence de situation de la plupart des pays, notamment les pays industriels, a fait que plusieurs voies se sont dessinées pour définir le socialisme.
- Mais tous se recommandaient d'un même principe. Dans la société industrielle, le capitalisme était le maître et le nouveau seigneur après la destruction en France de l'ancienne féodalité £ il faut que les travailleurs, ceux qui sont en-train de fonder le monde industriel, puissent disposer des droits normaux : les droits de l'homme, en-particulier les droits très importants touchant à l'association, au droit d'aller et de venir ou au droit de s'exprimer. Ce sont aussi les droits du travail qui sont une sorte de libération économique. Il y a eu la liberté ou la démocratie politique, acquit de la révolution de 1789, il doit y avoir la démocratie économique qui, à son tour, créera la démocratie sociale. Là-dessus, tous les socialistes, à cette époque, étaient d'accord. Ils ne l'étaient pas sur la même façon de faire naturellement.
- Puis, des événements se sont produits, en-particulier, la révolution de 1917 en Russie, la naissance de la troisième internationale et l'avènement du marxisme léninisme qui est une dérivation du socialisme mais qui, à nos yeux, n'est plus le socialisme dans la mesure où le socialisme est un stade supérieur de la démocratie. Je viens d'ailleurs de vous le dire : démocratie politique, démocratie économique, démocratie sociale. Dans les trois termes, il y a toujours démocratie. Si on veut faire une révolution sociale ou économique, en perdant en chemin la démocratie, alors il n'y a plus de socialisme. C'est ce qui nous sépare des expériences dites socialistes, mais qui ne méritent pas ce nom, des pays communistes marxistes léninistes qui ont perdu en route la démocratie. Donc, il ne peut y avoir de socialisme, pour nous en tout cas, pour nous socialistes français, que si la démocratie politique est respectée.\
`Réponse` Ce qui nous distingue des sociaux-démocrates est d'une -nature tout à fait différente, ce n'est pas une différence de -nature, mais plutôt une différence de degré. Les sociaux-démocrates ont réalisé de très belles choses dans les pays scandinaves, en Allemagne `RFA`, les travaillistes de Grande-Bretagne dans bien d'autres pays. Nous estimons simplement qu'ils ont réalisé davantage une démocratie sociale qu'une démocratie économique et qu'ils ne se sont peut-être pas assez attaqués au coeur des choses, c'est-à-dire à de nouveaux -rapports sociaux entre les groupes socio-professionnels et à une nouvelle relation entre les différentes couches de détenteurs du capital et de ceux qui produisent le travail. Nous avons donc conçu une forme de socialisme, toujours démocratique, qui se soumet au suffrage universel, qui accepte l'alternance, qui veut le pluralisme mais qui entend, bien entendu, réussir à transformer la société par le consentement populaire. Je crois, sans vouloir prolonger cette explication, vous avoir dit l'essentiel.\
QUESTION.- Monsieur le Président, en ce qui concerne l'attitude prise par votre gouvernement vis-à-vis de l'Union soviétique, il nous paraît que c'est une option de fermeté, est-ce que je me trompe ?
- LE PRESIDENT.- Fermeté, le commentaire est libre. Ce qui est vrai, c'est que nous considérons que la condition de la paix, - qui est d'ailleurs l'un des éléments fondamentaux de l'approche socialiste, la paix par l'arbitrage, la sécurité collective, le désarmement - tient pour l'instant à l'équilibre des forces. Ces forces, pour les plus grandes puissances, tiennent, le Japon comprendra ce que je viens de dire, à la détention de l'arme nucléaire. Aujourd'hui, les Etats-Unis d'Amérique et la Russie soviétique `URSS` ont plusieurs fois la capacité de destruction. Le problème est immense : dès qu'il y a un déséquilibre de forces, la paix est menacée.
- Dès que j'ai aperçu que dans la démarche soviétique, au travers surtout de l'installation de ce qu'on appelle les SS 20, qui sont des fusées de portée suffisante pour détruire en l'espace de quelques quarts d'heure la totalité du dispositif militaire européen - de la Norvège à l'Italie - dès que j'ai aperçu cette menace, alors que j'étais encore dans l'opposition, je suis monté à la tribune de l'Assemblée nationale et j'ai dit : "ce n'est pas acceptable", et je continue à le penser. Je pense qu'il faut l'équilibre des forces afin de parvenir d'ailleurs à les réduire, d'où la nécessité de la négociation pour le désarmement.\
QUESTION.- J'ai pu bavarder lors de son dernier pasage à Paris, avec M. ASUKATA `président du parti socialiste japonais`, que vous connaissez bien et que je connais moi-même depuis des années. Nous avons parlé du désarmement. De nombreux partis socialistes dans le monde, notamment les travaillistes britanniques réclament le désarmement unilatéral de la part des occidentaux. Qu'en pensez-vous ?
- LE PRESIDENT.- Cela regarde les travaillistes avec lesquels nous entretenons de bonnes relations mais qui ont, tout de même, leur point de vue particulier. C'est dans-le-cadre de leur politique nationale britannique qu'ils ont à décider ce qu'il leur paraît meilleur pour leur pays, c'est leur affaire.
- Nous, en France, ce gouvernement socialiste a hérité d'une défense nationale qui repose sur la détention de l'arme nucléaire, sur la stratégie de la dissuasion. Et si l'on privait notre défense nationale de cet atout, il n'y aurait plus de défense nationale française et comme les socialistes sont des patriotes, ils essaient au mieux d'utiliser cette force de dissuasion, essentiellement défensive et qui ne peut avoir de valeur offensive. Nous nous sommes interdits et nous n'avons pas l'intention de provoquer en quoi que ce soit une déflagration dans le monde, ni d'être provocant à l'égard des grandes puissances qui détiennent des forces considérables. Ce serait le contraire de notre conception de la paix. Mais notre défense nationale repose sur la dissuasion et nous l'utilisons du mieux possible.\
QUESTION.- Monsieur le Président, au début de cette année, vous avez dit que tout ce qui contribue à affaiblir ou briser le système YALTA serait bon. Pourriez-vous élaborer un peu là-dessus ?
- LE PRESIDENT.- Cela veut simplement dire qu'au lendemain de la guerre mondiale, les deux plus grands pays victorieux se sont partagés les zones d'influence en Europe. L'Europe a cessé d'être elle-même. C'est une situation dont il faut tenir -compte. Nous n'allons pas nous en débarrasser alors qu'elle dure depuis trente-huit ans. Il faut que l'Europe redevienne indépendante. Il faut qu'elle apprenne à redevenir indépendante. Cela ne veut pas dire que je sois hostile à l'Alliance atlantique puisque j'y suis, puisque j'y reste et puisqu'il y a des blocs militaires - ce que je regrette - il faut bien assurer sa sécurité et être loyal avec ses alliés. Pour l'instant, je parle de l'Europe dans laquelle je suis, c'est-à-dire de l'Europe de l'Ouest, mais tout mon raisonnement devrait aussi bien s'appliquer à tous les pays de l'Europe. Je ne vais pas provoquer pour cela je ne sais quelle situation qui accroitrait les tensions, il y en a déjà assez comme cela. J'indique simplement que c'est un objectif politique, qui sera atteint avec le temps ..., beaucoup de temps.\
QUESTION.- Maintenant, avec votre permission, je voudrais poser quelques questions en ce qui concerne les relations bilatérales franco - japonaises. Si je ne me trompe, c'est donc la troisième fois que vous allez au Japon, quelles ont été vos impressions de vos précédents voyages ?
- LE PRESIDENT.- C'est difficile à résumer. J'arrivais là avec une très grande curiosité. Je dois dire que la première surprise, alors que l'on me présentait Tokyo comme une ville impossible, surchargée de pollutions de toutes sortes, dans laquelle on ne pouvait plus circuler, ni respirer, j'ai trouvé que Tokyo était une ville très agréable, plus aéré et moins polluée que beaucoup d'autres villes que j'ai connues dans le monde. Ceci démontrait que, si cette situation avait existé, des efforts considérables avaient été réalisés et réussis pour rendre cette ville habitable. Je l'ai trouvée intéressante, je m'y suis beaucoup plu. J'ai trouvé aussi qu'il y avait chez les Japonais que j'ai rencontrés beaucoup d'ouverture d'esprit. On pouvait vraiment discuter de tout. La première fois que je m'y suis rendu, c'était à l'invitation de mes amis socialistes japonais et j'avais eu l'occasion de rencontrer et de discuter avec l'ensemble des formations politiques et syndicales de gauche.
- La deuxième fois, j'y suis allé à l'occasion d'une conférence de l'Internationale socialiste. J'ai pu rencontrer d'autres fractions de l'opinion publique japonaise £ j'ai fait quelques voyages à l'intérieur, je suis déjà allé à Nara, à Kyoto. J'étais très intéressé par la très grande histoire de ce pays et j'essaie aussi de comprendre de mieux en mieux son caractère, qui n'est pas toujours très facile à saisir car cette civilisation, cette très grande civilisation s'est développée très loin de nous-mêmes. C'est pourquoi il est nécessaire d'établir des ponts pour mieux nous comprendre.\
QUESTION.- Il est parvenu une sorte de rumeur selon laquelle vous aviez envie d'étudier un peu le bouddhisme Zen avant votre départ au Japon. Si c'est vrai, pourriez-vous me dire pourquoi ?
- LE PRESIDENT.- Ce serait beaucoup de prétention. On ne peut pas se permettre d'étudier une philosophie de cette ampleur en l'espace de quelques semaines, ni en faire le tour en l'espace de quelques heures lorsque je me trouverai au Japon. Non, je n'ai pas cette prétention. Je dis simplement que je souhaite en avoir une certaine connaissance approchée, une perception un peu plus claire. En effet, j'ai demandé à rencontrer des personnalités pénétrées par cette philosophie. Ainsi, quand je serai revenu de mon voyage, qui sera très chargé, je pourrai réfléchir aux enseignements que j'en aurai retenus.
- QUESTION.- Je vous ai demandé cela, monsieur le Président, parce que certaines personnes s'accordent à dire que le succès fantastique du Japon dans le domaine économique et technologique ne serait pas le résultat d'une sorte de mutation soudaine mais le résultat d'une longue tradition historique du Japon. Qu'en pensez-vous ?
- LE PRESIDENT.- Eh bien ce serait plutôt mon interprétation. Parce que je ne crois pas qu'il soit possible qu'une civilisation technologique surgisse du néant. Il faut qu'un peuple soit prêt à saisir, au deuxième degré, les évolutions de la technique et de la science, lesquelles évolutions de la technique et de la science sont généralement à l'origine des formes d'expression esthétique et littéraire, qui sont donc étroitement mêlées au processus de civilisation. Donc une grande civilisation technologique comme celle du Japon ne peut pas sortir de rien, il y a forcément un lien avec une certaine appréhension, un certain modèle culturel et je m'acharne à le dire aux Européens qui voient souvent dans le Japon une sorte de formule magique de progrès matériel. Au contraire, c'est parce qu'il y a une civilisation puissante et profonde que cette situation matérielle a pu se constituer, plutôt se reconstituer après le désastre et le deuil. Votre pays a montré un immense courage, il l'a puisé dans les générations présentes et aussi dans les générations passées.\
QUESTION.- Monsieur le Président, le fait que vous serez accompagné de cinq ministres, y compris le ministre de la culture, M. LANG, montre combien vous êtes désireux de renforcer les relations culturelles avec le Japon ?
- LE PRESIDENT.- Oui, naturellement, il est inutile d'essayer de comprendre le Japon si on ne connaît pas sa réalité culturelle qui est immense. Je viens, en effet, avec cinq ministres et le ministre de la culture. De nombreuses manifestations culturelles ont été organisées à l'occasion de mon voyage. Je m'en réjouis.
- QUESTION.- Est-ce qu'il y aura un symposium qui regroupera des personnalités scientifiques, littéraires ...?
- LE PRESIDENT.- Oui. Des personnalités scientifiques, littéraires et artistiques. Je souhaite qu'il en reste quelque chose. Je voudrais qu'ensuite à Paris, il y ait une permanence de cette présence japonaise, nous en parlerons au-cours de mon voyage.
- QUESTION.- Est-il vrai que vous voulez bien avoir une maison culturelle du Japon à Paris ?
- LE PRESIDENT.- Oui. Je le souhaite.
- QUESTION.- Je crois savoir que les Japonais vont commémorer votre visite historique en construisant une maison culturelle du Japon à Paris.
- LE PRESIDENT.- Nous allons le faire.\
QUESTION.- Naturellement, entre nos deux pays, monsieur le Président, il existe hélas quelques problèmes commerciaux. Et l'autre jour lorsque j'ai pu bavarder avec M. Jacques ATTALI, votre conseiller, il m'a dit que nos deux pays devaient cesser de se caricaturer mutuellement. Du côté japonais, par exemple la France aujourd'hui est vue comme le plus protectionniste parmi les pays européens £ aux yeux des Français, les Japonais sont, selon l'expression d'un rapport de la Communauté européenne `CEE`, les alcooliques du travail. Je crois que ce sont les deux images qu'on doit corriger. Qu'en pensez-vous, monsieur le Président ?
- LE PRESIDENT.- Il n'est pas exact que la France est un pays plus protectionniste £ ce n'est pas exact du tout. Cela n'est pas fondé sur des réalités. Je ne connais aucun pays européen qui ne fasse jouer les clauses de sauvegarde lorsqu'une partie de leur industrie est en péril. Et le Japon lui-même n'est pas indemne de ces critiques : son marché intérieur est très difficile à pénétrer. Cela ne tient pas à des règlements, cela tient à des usages, à une façon d'être et il faut que le Japon s'ouvre davantage aux possibilités commerciales que peut lui offrir l'Europe.
- Il ne faut pas que l'Europe tombe dans une sorte de guerre commerciale, ferme ses frontières, pose des conditions impossibles au Japon. Mais après tout, l'émulation est saine et bonne. Il faut aussi que le Japon comprenne qu'il ne peut pas innonder de ses produits le marché européen sans qu'il y ait une sorte de règle du jeu qui fasse que cela se passe aussi harmonieusement que possible. Nous sommes faits pour nous entendre. On ne s'entendra pas si on ne parle pas.\
QUESTION.- Monsieur le Président, ce n'est un secret pour personne que le Japon, depuis la fin de la guerre, est tourné plutôt vers les Etats-Unis au détriment de l'Europe et il y a pas mal de mes compatriotes qui méconnaissent la France et notamment le progrès de la France dans le domaine technologique. A votre avis, quelles sont les mesures concrètes qu'on puisse prendre pour avoir des relations plus étroites dans le domaine technologique ?
- LE PRESIDENT.- Les Japonais devront vraiment assimiler cette réalité, que l'Europe du Marché commun `CEE` représente deux cent cinquante millions de personnes et est en fait la première puissance commerciale du monde. Avant la crise pétrolière, c'était vraiment la première puissance commerciale du monde. La réalité, c'est un marché immense. Il appartient aux responsables japonais de s'en rendre -compte et cette prise de conscience est en-train de se faire. Voilà pourquoi je crois à la nécessité des échanges et des rencontres. C'est une des raisons pour laquelle je me rends au Japon.
- La France elle-même dans le domaine particulier de l'informatique est un pays bien placé, le savez-vous. Si l'on dit que les Etats-Unis d'Amérique sont le premier pays du monde dans ce domaine, que le Japon est le deuxième, la France ne doit pas être bien loin du Japon. Elle a perdu un petit peu de terrain au-cours des trois dernières années sur certaines industries de pointe, mais elle n'en est pas loin. Nous sommes de vrais et de bons concurrents. Nous pouvons encore mieux être de bons associés.\
QUESTION.- Une toute petite question qui n'est peut-être pas digne de la hauteur de vos fonctions : le problème de l'importation de cognac au Japon. Le gouvernement français regrette que les droits de douane soient plus élevés sur le cognac que sur le whisky. Est-ce que vous allez soulever de telles questions avec le leader japonais ?
- LE PRESIDENT.- J'ai des ministres pour cela. Le ministre de l'économie et des finances `Jacques DELORS`, en-particulier, m'accompagnera dans mon voyage.
- Je suis très sensible à cette question car je suis né à 13 km de Cognac. Toute une partie de ma famille était des viticulteurs ou des producteurs de cognac. Donc, je suis toujours cela avec une affection particulière, bien que je ne sois pas spécialement un buveur de cognac. Je ne peux, bien entendu, que souhaiter que ce commerce s'élargisse. Cette production a besoin d'être soutenue, bien qu'elle ait de grande réussite et mes ministres en parleront certainement.
- QUESTION.- Etes-vous au courant que les Japonais boivent du cognac non pas comme digestif mais comme apéritif avec de l'eau et qu'il y a une grande consommation de cognac ?
- LE PRESIDENT.- Oui. Je ne veux pas trop intervenir dans ces problèmes. C'est une puissante activité française portée vers l'extérieur. C'est une production d'une qualité exceptionnelle qui jusqu'ici ne semble pas avoir rencontré de véritable concurrence.\
QUESTION.- Je voudrais poser une autre question sur la conférence au sommet des pays industrialisés qui se tiendra à Versailles cette année-ci. La France étant le pays hôte, vous allez présider cette conférence. Quels sont les sujets que vous voulez souligner le plus, monsieur le Président ?
- LE PRESIDENT.- Il est difficile d'établir une hiérarchie mais comme on disposera de peu de temps, de deux jours de conférence, il faut bien se déterminer. Je crois que le premier problème qui s'imposera sera celui des relations économiques, telle la politique monétaire, telle la politique des taux de change, telle la politique des loyers de l'argent, telle la politique de nos relations commerciales. Nous sommes des pays unis dans beaucoup de domaines, nous avons une conception comparable de la sécurité dans le monde : il faut que nous soyons aussi capables d'harmoniser davantage nos politiques économiques qui lorsque la concurrence devient féroce, finissent par être destructrices de nos intérêts mutuels. Le monde a besoin de concevoir d'une façon plus précise son intérêt collectif.
- Bien entendu, je souhaite que l'on puisse parler de nos relations avec le tiers monde car une politique mondiale ne peut se concevoir en laissant à l'abandon des centaines de millions qui deviennent des milliards d'êtres humains qui ont besoin de moyens de consommer. Le monde industriel ne doit pas agir simplement - il le fait d'ailleurs bien peu - par générosité et solidarité, il doit le faire dans son propre intérêt. Je -compte, bien entendu, en saisir mes amis, et nous serons forcément sollicités par la situation internationale présente.\
QUESTION.- Justement, les -rapports Nord-Sud tiennent lme plus à-coeur aux socialistes français. Quel rôle vous comptez voir jouer au Japon dans ce domaine de l'assistance du tiers monde ?
- LE PRESIDENT.- Le Japon peut apporter beaucoup, parce que le Japon est un pays leader dans de grands domaines et en-particulier dans le domaine des industries de pointe, de haute technologie qui peuvent éviter aux pays du tiers monde le passage par la fondation d'industries lourdes. Ce passage intermédiaire, que nous avons connu nous-mêmes à la fin du XIXème et du XXème siècles, le tiers monde peut y échapper et accéder directement à la connaissance et à la domination des grandes techniques modernes qui exigent une éducation individuelle, qui ouvrent la possibilité d'affirmer la capacité des travailleurs, non seulement de leurs mains, mais aussi de leur culture et de la formation de leur esprit. Je crois que le Japon est de ce point de vue irremplaçable. Il peut être déterminant dans l'évolution du tiers monde qui n'est pas détenteur des matières premières si recherchées.
- QUESTION.- Vous croyez, monsieur le Président, qu'il y a une possibilité de coopération dans ce domaine entre nos deux pays ?
- LE PRESIDENT.- Oui, j'espère que le Japon s'y intéresse.\
QUESTION.- Pour terminer monsieur le Président, le Japon ne sera pas au banc d'accusé lors de la conférence au sommet de Versailles ?
- LE PRESIDENT.- Pourquoi voulez-vous qu'il soit accusé ? Les dirigeants japonais sont des gens avec lesquels on peut parler. Il faut vraiment qu'ils admettent que la conception du monde ne peut être à sens unique. Faire un procès au Japon parce qu'il a des qualités, ce serait absurde, ce serait même injuste £ par ses qualités il est un remarquable producteur de biens multiples et de marchandises produites dans des conditions telles qu'il peut emporter beaucoup de marchés. Il faut qu'il se rende -compte qu'il ne peut pas accentuer davantage sa pénétration sans que lui-même accepte davantage de s'ouvrir au commerce des autres pays. Je dis il doit s'ouvrir davantage sans quoi inévitablement l'Europe deviendra par nécessité protectionniste. Je répète qu'il n'est pas question de faire un procès au Japon qui ne le mérite pas. Mais il y a une discussion franche, ouverte, sérieuse qui est devenue absolument nécessaire.
- QUESTION.- Au nom de tous nos téléspectateurs je vous remercie infiniment monsieur le Président, et je vous attends donc au Japon.
- LE PRESIDENT.- Je vous remercie.\