30 mars 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'issue du conseil européen à Bruxelles, notamment sur les problèmes de politique internationale, la contribution britannique au budget communautaire et les négociations sur les prix agricoles, mardi 30 mars 1982

LE PRESIDENT.- Avant de regagner Paris, j'ai souhaité vous rencontrer. Dites-moi maintenant quelles sont les questions principales qui vous préoccupent ?
- QUESTION.- Est-ce que vous êtes content de ce document? est-ce qu'il représente pour vous, ce que vous espériez trouver ici ?
- LE PRESIDENT.- Tout ce qui est dedans me convient puisque je l'ai adopté. Aurais-je ajouté autre chose, sans doute, mais un texte de ce genre suppose une conciliation, donc je suis d'accord avec ce texte qui répond à beaucoup de questions que je me pose moi-même, pas à toutes.
- QUESTION.- Qu'est-ce qu'il y a comme addition que vous auriez pu faire ?
- LE PRESIDENT.- Oh, posez-moi des questions précises, et je vous répondrai, mais moi je ne vais pas faire de discours exhaustif.
- QUESTION.- Sur la relance par exemple.
- LE PRESIDENT.- Non, j'ai des idées sur ce que je dois faire en France, mais je ne prétends pas imposer à mes partenaires mes propres conceptions £ nous n'avons pas discuté là-dessus.
- QUESTION.- Sur ce qu'on appelle le mandat `mandat du 30 mai 1980, sur la réduction de la contribution britannique au budget de la CEE et la réforme de la politique agricole commune`, monsieur le Président, quelle est votre position exacte ?
- LE PRESIDENT.- Ma position exacte a déjà été exprimée, elle est d'ailleurs très simple à exprimer. S'agit-il de la dernière proposition de MM. THORN et TINDEMANS ? Je peux dire en dehors de ce que je leur ai dit directement, cela est très simple à dire, j'ai dit non, on ne peut pas discuter sur cette base, ce n'était pas la peine de faire un discours supplémentaire, cela se comprend tout seul.
- QUESTION.- M. SPADOLINI vient de déclarer qu'une des principales conclusions de cette rencontre a été d'éviter la rupture. Qu'est-ce que vous pensez de ce point de vue, monsieur le Président ? LE PRESIDENT.- Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y a pas eu rupture, à aucun moment, je n'ai ressenti ou remarqué un ton dramatique propre aux séances de rupture et même de rupture évitée. Je dois dire que le dialogue a été, sur-le-plan que l'on vient d'évoquer, c'est-à-dire sur celui du mandat et particulièrement du budget, très sobre. D'autant plus qu'il ne faut pas résumer ou réduire plutôt le sommet de Bruxelles au problème du mandat qui n'en était qu'un des éléments et même pas l'un des éléments principaux, c'est-à-dire que ce n'était pas à l'ordre du jour, mais il se trouve que nous avons été quelques-uns à considérer que l'on pouvait difficilement se rencontrer sans dire ce que l'on en pensait, c'est ce qui arrivé à Mme Thatcher, et c'est ce qui est arrivé à moi-mêm. Nous n'avons d'ailleurs pas dit exactement la même chose.\
QUESTION.- Monsieur le Président, qu'est-ce que vous appelez : "des éléments les plus positifs s'il en est, de ce conseil européen ?"
- LE PRESIDENT.- Sur-le-plan de la politique extérieure, les points de vue sont plus proches qu'ils ne l'ont jamais été £ sur-le-plan de la politique économique il y a un très réel effort de rapprochement, et donc de plus en plus nombreux sont les points communs. Vous avez pu remarquer que dans les démarches économiques et surtout dans la démarche sociale, nous sommes déjà loin des positions de Luxembourg, donc un progrès net sur-le-plan politique extérieure dans les termes habituellement reconnus comme ceux de politique extérieure, étant bien entendu que c'est un terme insuffisant car l'économie fait partie de la politique extérieure et que là, il reste des différends mais les points communs, je le répète, sont de plus en plus nombreux, l'espace s'élargit.\
QUESTION.- Monsieur le Président, avez-vous l'impression d'avoir été lâché par les Allemands dans ce sommet...
- LE PRESIDENT.- Lâché, sur quoi ? Et pourquoi ? Je n'ai pas de conflit sur la question du mandat, je n'en ai pas l'impression, non, non.
- QUESTION.- Helmut SCHMIDT a fait déclarer hier par son porte-parole qu'il n'avait pas l'intention de jouer les arbitres entre vous et Mme Thatcher.
- LE PRESIDENT.- Oui, alors posez-lui la question. Je n'ai pas à faire de remarque particulière à ce sujet. J'ai d'ailleurs rencontré le chancelier ce matin, pendant une heure environ, je dois dire que nous n'avons pas énormément parlé de ce sujet, nous l'avons quand même abordé et il n'y a pas de différend entre l'Allemagne et la France, il y a un certain nombre d'approximations qu'il faut préciser sur la charge des uns et des autres.
- QUESTION.- Monsieur le Président, en ce qui concerne le mandat et la façon dont vous avez rapidement défini les positions de la Grande-Bretagne et celles de la France...
- LE PRESIDENT.- Non, non, j'ai très rapidement défini les miennes, je ne prétends pas définir celle des autres.
- QUESTION.- Vous n'étiez donc pas d'accord avec celle de Mme THATCHER.
- LE PRESIDENT.- Voilà, a contrario, j'ai très bien défini celle des autres.
- QUESTION.- Pensez-vous que la différence qui paraît assez grande entre les points de vue permettra néanmoins dans un délai rapproché de parvenir à un accord ou bien est-ce que c'est quelque chose à moyen terme ?
- LE PRESIDENT.- Je n'en sais rien, je sais ce que je veux, je sais ce que je peux et pour le reste, je n'ai pas d'opinion.\
QUESTION.- Monsieur le Président, j'ai beaucoup de difficultés à comprendre la section dans le communiqué qui parle de ce que le conseil attend du sommet de Versailles. Est-ce que ces questions qui sont évoquées, sur les taux d'intérêt, etc..., est-ce que cela constitue une sorte d'agenda que vous souhaitez avoir, est-ce que ce sont des messages pour les Etats-Unis, pour les autres partenaires qui vont se réunir ? Quelle est la substance de ce paragraphe et du fait que l'on demande à la Communauté `CEE` de soumettre des propositions ? Quel est l'-état de l'agenda maintenant et qu'est-ce que vous voulez vraiment discuter avec les autres partenaires ?
- LE PRESIDENT.- Nous savons ce dont nous discuterons à Versailles, je le sais d'autant mieux que c'est moi qui aurai l'occasion de préciser l'ordre du jour et de faire le rapport initial et comme vous le savez, je placerai les problèmes économiques en exergue. Je pense que le conseil européen (c'était une bonne idée) n'a pas voulu se trouver placé devant la réunion de Versailles comme étant obligé de marquer les coups après-coup, de voir se définir l'esquisse politique ailleurs avec certains de ses membres, d'autres étant absents et que, il a saisi cette occasion, celle de la fin mars pour être en mesure de prendre des initiatives pour le mois de juin et personnellement j'ai approuvé cette démarche. Je ne souhaite pas que les quatre pays d'Europe plus le président de la Commission `Commission européenne` qui participent aux délibérations des sommets des pays industrialisés se substituent en tout et pour tout à la Communauté des Dix. Donc il était sain, je crois, pour la commauté, qu'elle se saisisse de ce problème, prépare certaines esquisses, les plus grandes lignes de débat, de discussions, et si avant juin on a plus encore précisé la position commune au regard des taux d'intérêt et des taux de change, cela aura restitué à la Communauté le rang qui est le sien.\
QUESTION.- Monsieur MITTERRAND, n'estimez-vous pas que le sommet d'aujourd'hui marque en fait un pas en arrière par-rapport à celui de Londres qui avait, pour ce qui est des investissements productifs, fixé un organe en l'appelant par son nom et en lui donnant une dotation de 3 milliards d'écus. Aujourd'hui, on n'en fait pas mention dans le communiqué, cela signifie-t-il qu'on n'entend plus lancer cet instrument ? Quelle est votre position là-dessus ?
- LE PRESIDENT.- C'est plutôt un pas en avant, on n'en parle pas parce que l'on considère que c'est acquis, vous n'ignorez pas qu'il y a une difficulté d'application et que les 3 milliards se sont traduits jusqu'au moment où je m'exprime en une autorisation de deux fois un milliard, c'est-à-dire que l'on n'est pas encore au terme de la décision de Londres. Mais il est bien entendu qu'il s'agit maintenant de mettre en oeuvre. Donc c'est plutôt un progrès. L'occasion de Bruxelles a permis de cesser les atermoiements qui, entre Londres et Bruxelles, avaient pesé trop lourd sur nos discussions.\
QUESTION.- Monsieur le Président, vous allez partir au Japon bientôt, est-ce que vous auriez préféré avoir au paragraphe 13 notamment quelque chose d'un peu plus solide que ce qui est dit aujourd'hui ?
- LE PRESIDENT.- Non, je ne suis pas mécontent de ce texte, vous savez quand on demande au Japon d'ouvrir davantage son marché cela a une signification bien précise, cela doit être compris dans toute la signification du mot, il ne suffit pas de dire : "je ne mets pas d'entraves, je ne vote pas des textes, je ne ferme pas mes frontières sur tel ou tel produit", il faut aussi que dans la réalité des moeurs économiques, les marchés soient vraiment ouverts, et c'est bien de cela qu'il s'agit.
- QUESTION.- Il n'y a aucune trace dans ce paragraphe de mesures de rétorsion.
- LE PRESIDENT.- On ne peut parler de rétorsion avant même d'avoir engagé un vrai dialogue, le Japon sait maintenant que ce dialogue doit s'ouvrir, alors on ne peut pas le conclure prématurément. QUESTION.- Monsieur le Président, Mme THATCHER a bien déclaré qu'il y avait très peu de chances d'un accord sur les prix agricoles...
- LE PRESIDENT.- Mme THATCHER est une personne de grand sens.\
QUESTION.- Monsieur le Président, voulez-vous définir la position en ce qui concerne le Moyen-Orient ? et particulièrement ce qui se passe dans les territoires arabes occupés ?
- LE PRESIDENT.- Vous avez dû lire le texte je pense, vous devez avoir le texte en main ? Non ? vous ne l'avez pas, je vous comprends. M. MARTENS va vous donner communication du communiqué et vous aurez une réponse à cette question. Il y a en effet la prise en-compte de la position du Conseil, qui ne se contente pas de déplorer la situation créée en Cisjordanie mais qui ne peut pas accepter le manquement à des institutions ou à des règles démocratiques dans la façon de traiter les personnes, ou bien de nier les institutions démocratiques, ou plus démocratiques qu'elles n'étaient auparavant, et récemment instaurées, je pense en-particulier aux municipalités élues. Donc, dans le communiqué qui vous sera transmis, il y aura réponse à votre question.
- QUESTION.- (inaudible)
- LE PRESIDENT.- Je ne connais pas par-coeur le communiqué, bien que j'aie participé à sa rédaction, mais il est toutefois clair que la politique des taux d'intérêts élevés pose une question de l'Europe aux Etats-Unis d'Amérique, il ne peut pas y avoir d'ambiguité là-dessus. Je crois même que le texte, au moment où il a été délibéré, a été légèrement corrigé pour que cela soit plus clair encore.\
QUESTION.- Monsieur le Président, qu'est-ce que vous pensez de la position prise par M. PAPANDREOU à propos des relations de la Grèce avec la CEE, de la demande qu'a formulée aujourd'hui M. PAPANDREOU ?
- LE PRESIDENT.- Un mémorandum grec a été déposé et longuement commenté par M. PAPANDREOU. Il n'a pas suscité d'émotion particulière, je crois que nous avons tous très bien compris les problèmes particuliers que la Communauté `CEE` pose à la Grèce et je dois dire que M. PAPANDREOU, qui a le mérite de s'exprimer très clairement et d'être un homme très ferme sur ses positions, les a traités de telle sorte qu'à aucun moment il n'a donné le sentiment de vouloir en faire un élément de rupture avec la Communauté, donc cela s'est déroulé dans les conditions d'un dialogue très constructif.
- QUESTION.- (inaudible)
- LE PRESIDENT.- Je ne pense pas que l'on puisse discuter de cela maintenant d'autant plus qu'il n'était pas question de trancher sur les problèmes posés par ce mémorandum dans la journée d'aujourd'hui ou d'hier soir, donc je ne vais pas préjuger ce qui sera dit par les organes de la Communauté. Moi, personnellement, j'examine les problèmes qui touchent à la Grèce avec une très grande sympathie.\
QUESTION.- Monsieur le Président, quelle conclusion pouvez-vous tirer des élections au Salvador et quelles seraient les mesures que la France prendrait pour accomplir la résolution du Conseil sur l'aide accrue à la région de l'Amérique centrale ?
- LE PRESIDENT.- Il y a eu un texte assez précis, plus précis qu'on ne l'attendait à l'extérieur sur les problèmes d'Amérique centrale avec le rappel extrêmement clair, énumératif de ces principes qui font qu'il y a démocratie et, s'ils ne sont pas respectés, qu'il n'y en a pas £ ces principes marquent le refus des informations étrangères. Lisez ce texte quand vous l'aurez, et vous verrez que le conseil européen, par-rapport à ce que nous avons connu dans le passé, s'avance plus hardiment que je ne le pensais. Cela ne va pas jusqu'à épouser la position française sur tous ses aspects.
- QUESTION.- Vous ne parlez pas des élections au Salvador, quelle est votre impression ?
- LE PRESIDENT.- Je ne parle pas de mes impressions au Salvador, mais mes impressions ne sont pas mystérieuses : faire des élections dans une circonstance de ce genre, c'est accepter que soient mis en doute tout aussitôt leurs résultats.\
QUESTION.- Monsieur le Président, si vous le permettez, je voudrais revenir au mandat du 30 mai. Est-ce que vous pourriez nous préciser si le texte qui est de MM. THORN et TINDEMANS, qui ne vous paraît pas acceptable, ne l'est pas parce qu'il n'est pas encore chiffré et qu'il subsiste une ambiguité sur les résultats, ou si ce texte compte des éléments qui, en eux-mêmes vous choquent et lesquels si c'est possible de le préciser ?
- LE PRESIDENT.- Non, non, c'est comment dirais-je, c'est le système de pensée qui n'est pas acceptable. La notion d'instituer dans la durée une récupération par la Grande-Bretagne des sommes dues sans que l'on fasse intervenir en aucun moment l'idée qu'elle pourrait diminuer cette restitution, tout cela n'est pas acceptable. Que l'on aide l'Angleterre comme l'on sera amené à aider tel ou tel autre pays, comme on pourrait aider le mien, c'est une idée parfaitement recevable naturellement. La solidarité doit exister entre les pays de l'Europe des Dix. Mais que cela soit quasi institutionnalisé ne peut pas être accepté par la France.
- QUESTION.- Monsieur le Président, j'ai entendu dire, hier soir, que les ministres des affaires étrangères s'étaient mis d'accord pour reprendre comme base de discussion, le 3 avril, le compromis du 23 mars et que d'ailleurs M. CHEYSSON ne s'était pas du tout opposé à cette idée.
- LE PRESIDENT.- Hier soir ? Première nouvelle ... Mais ce que je peux vous dire c'est que je serais fort étonné que le ministre des relations extérieures n'ait pas exprimé d'une façon très claire la politique de la France telle qu'elle a été définie par moi-même. Donc, j'ai dit à 18 h ou 18h30 : "Le rapport Thorn - Tindemans ne peut pas pas servir de base à la négociation et je dis non à ces propositions", et je ne vois pas comment cela se serait transformé en "non-mais" quelques heures plus tard. J'ai suffisamment confiance dans la capacité du ministre français des relations extérieures à exprimer ce qu'il pense pour que les "on-dit de couloir" ne se substituent pas à la réalité.
- C'est un peu troublant, la façon dont, successivement, on fait toujours dire des choses qui sont toujours contraires à ma pensée, mais il est facile de remettre les choses d'aplomb, il suffit d'être persévérant.\
QUESTION.- Monsieur le Président, pour en revenir au Japon, est-ce qu'il y a vraiment unanimité dans une position commune des Dix pour Versailles, je pense à la position de l'Allemagne et à la Grande-Bretagne en-particulier et, d'autre part, est-ce que la France n'apparaît pas un peu comme le chef de file des partisans de mesures protectionnistes et ne craignez-vous pas que cela ne soit un obstacle à la bonne perception par les Japonais de votre prochain voyage à Tokyo ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai absolument pas ressenti cela au-cours du débat d'hier et ce matin, absolument pas. La France n'était absolument pas le chef de file. Je suis d'ailleurs très peu intervenu sur ce sujet, très satisfait du texte qui nous était présenté, et il n'y a eu à aucun moment un débat dans lequel on aurait vu d'un côté l'Allemagne et l'Angleterre et de l'autre, la France. Cela ne s'est pas produit, donc je ne vois pas comment la France serait le chef de file des protectionnistes. La France estime que la Communauté `CEE` doit défendre ses intérêts légitimes aussi bien face au Japon lorsque cela est nécessaire que face aux Etats-Unis d'Amérique, mais elle -compte régler ses problèmes par un dialogue avec ces pays, donc a priori la conversation que j'aurai dans quelques jours avec les dirigeants japonais ne sera pas altérée par cette prise de position.
- QUESTION.- Vous tiendrez un discours français ou européen aux Japonais, c'est-à-dire est-ce que vous serez un peu mandaté par l'Europe ?
- LE PRESIDENT.- Je n'ai pas songé à le demander, d'ailleurs on ne me l'a pas demandé, cela m'aurait plutôt embarrassé, je dois dire... Je m'occupe de ce dont j'ai la charge, de la France et pas de l'Europe. Je suis un partenaire loyal de la Communauté des Dix et je ne remplis pas les fonctions pour lesquelles je n'ai pas été désigné. Non, non, ne mélangeons pas les choses. Mais je crois que ce qui a été dit à propos du Japon me permettra de parler au nom de la France sans contradiction avec la politique européenne. S'il y avait eu contradiction, je l'aurai dit.\
QUESTION.- Monsieur le Président, si vous n'acceptez pas la proposition Thorn - Tindemans, est-ce que la réunion des ministres des affaires étrangères pourra avoir lieu le 3 avril ?
- LE PRESIDENT.- Elle peut avoir lieu, bien entendu, et elle aura lieu.
- QUESTION.- Sur quelle base ?
- LE PRESIDENT.- Vous leur poserez la question.
- QUESTION.- Monsieur le Président, je voudrais vous demander comment vous pensez qu'il peut y avoir des politiques économiques communes lorsque les politiques économiques nationales divergent à ce point ?
- LE PRESIDENT.- Oh, vous avez une vue un peu trop simple de ces choses, simple, simplifiée, je n'ai pas dit simplette, mais un peu simple quand même. Il y a beaucoup de territoires communs à nos politiques et entre le moment où elles ont été définies et le moment où elles sont appliquées, on s'aperçoit par exemple que la France mène une politique de relance et que cette politique de relance à-partir de la consommation était absolumenet indissoluble, indissociablement liée à une politique de relance de l'investissement. L'investissement productif, l'investissement bien placé, pas n'importe quel investissement. Simplement la première va plus vite que la seconde. C'est la loi de la politique française comme de celle de ses partenaires européens.
- Non, il y a moins de différences qu'il ne semble, nous sommes dans les mêmes parties du monde, nous avons déjà des économies extrêmement imbriquées, et si nos finalités diffèrent, si certains de nos moyens, c'est facile à voir, sont très différents, sans quoi la Communauté `CEE` n'aurait pas de raison d'être, nous sommes très profondément associés sur un vaste champ d'action. Je me demande en quoi nous ne pourrions pas avoir de politique énergétique, de politique industrielle, de politique agricole, comme nous n'aurions pas de politique de la recherche £ pourquoi nous n'aurions pas de politique agro-alimentaire etc, etc... On écoute beaucoup mieux aujourd'hui ce que je m'étais permis de dire il y a quelques mois sur le chômage, croyez-moi.\
QUESTION.- Monsieur MITTERRAND, est-ce que la France peut établir une date précise pour résoudre les problèmes du mandat ou bien est-ce que la crise peut durer indéfiniment ?
- LE PRESIDENT.- Dans le mandat, il y a plusieurs éléments : trois en-particulier. Ma réponse serait différente selon les cas, il y a en tout cas, pour ce qui touche aux problèmes budgétaires, tout le temps d'examiner les choses.
- QUESTION.- Pouvez-vous nous préciser si c'est à votre initiative que l'allusion qui était contenue dans le projet de document final au paragraphe 4 du document qui concerne les politiques économiques à l'intérieur, et qui parlait de contrôle des revenus a été enlevé dans le document final ? Et deuxièmement, j'aimerais savoir si vous considérez la décision sur une réunion d'un conseil "jumbo" sur le social et l'économique peut être considérée comme une victoire de votre projet d'espace social européen.
- LE PRESIDENT.- Sur ce dernier point, je ne résume pas les choses en termes de victoire ou de défaite, ce que je veux dire, c'est qu'après avoir rappelé la nécessité de créer progressivement un espace social européen que d'autres appelleront "politique" ou "dimension", peu m'importe, ce qui est vrai, c'est que je n'ai pu qu'approuver et me réjouir de la position hollandaise de recouir au "jumbo", comme vous dites.
- Quant à la politique des coûts pouvant comprendre, selon le texte initial, celle des revenus, c'est vrai que personnellement je ne pouvais pas consentir à ce que l'on voulut réduire les coûts par les revenus et notamment les salaires sans insérer l'idée que cela commandait en même temps une répartition plus juste de la distribution de ces revenus, de la distribution du produit national £ donc ces deux notions associées me paraissaient indispensables l'une à l'autre mais elles nous auraient conduits à une série de projections qui nous auraient mené bien loin.
- QUESTION.- Il semble que la proposition hollandaise de "Jumbo" n'ait pas été adoptée finalement par tous, c'est ce que vient de dire le chancelier SCHMIDT au-cours de sa conférence de presse. LE PRESIDENT.- Il y a eu quelques observations en disant : est-ce que c'est vraiment nécessaire, mais là, vous me surprenez, j'avais le sentiment que cela avait été adopté, c'est ce que me confirme le ministre des relations extérieures.\
QUESTION.- Comment en venir à la convergence de la politique économique. N'y a-t-il pas une exception au principe que vous venez d'énoncer dans le fait que l'on assiste actuellement aux divergences de comportement des principales devises sur-le-plan monétaire, taux de change, comment réconcilier cette idée de convergence et la divergence que l'on constate sur le marché des changes ?
- LE PRESIDENT.- Qu'est-ce que vous voulez dire ?
- QUESTION.- Que le franc fait partie des monnaies en difficulté, on le voit encore actuellement, alors que d'autres, tels que le mark, le florin, les autres monnaies qui suivent le mark sont au contraire en progrès ?
- LE PRESIDENT.- Cela dépend des circonstances, il n'y a rien de plus variable que ces affaires de change donc je ne crois pas que vous puissiez traduire des différences de change, dont je viens de dire à l'instant qu'elles sont essentiellement variables. Il n'y a pas si longtemps lorsqu'on a fait l'examen d'un réaménagement au-sein du système monétaire européen `SME ` dévaluation`, vous vous souvenez que tel et tel pays ont refusé de s'associer à ce réaménagement, puis deux mois plus tard ou trois mois plus tard, ils y ont consenti. Cela est un élément important, bien entendu, des politiques économiques, mais on n'a jamais vu que des variations de change différentielles puissent interdire une politique commune, c'est au contraire, si j'ose dire, une sonnette d'alarme qui montre qu'il faut resserrer les politiques économiques.\
QUESTION.- Que se passerait-il, monsieur le Président, si jeudi vous n'avez pas obtenu des prix agricoles que vous jugerez satisfaisants ?
- LE PRESIDENT.- On verra bien, on verra bien, on verra jeudi.
- QUESTION.- Est-ce que la négociation agricole reprend demain ? Est-ce que vous êtes inquiet ?
- LE PRESIDENT.- Inquiet de quoi ? Sur l'évolution de la négociation, moi je sais ce que je veux, je ne sais pas encore pour le reste, enfin j'agirai. Je n'ai pas d'inquiétude profonde car mes résolutions sont prises donc j'agis et je ne trouble pas mes nuits par des inquiétudes particulières. J'ai souvent rappelé que j'étais un fidèle de la morale d'EPICTETE. J'agis sur quoi je peux agir, et ce sur quoi je ne peux pas agir, je regarde.
- QUESTION.- Savez-vous si le blocage anglais empêche d'arriver à un accord sur les prix agricoles avant le début d'avril ?
- LE PRESIDENT.- Mais je vous répète : on verra bien, on peut toujours bloquer, il appartient aux autres membres de la Communauté `CEE` de savoir ce qu'ils ont à faire, non, non ce sont des questions prématurées.\
QUESTION.- Monsieur MITTERRAND, l'insistance sur le chômage signifie-t-elle que l'inflation a désormais moins d'importance ?
- LE PRESIDENT.- Non, mais l'inflation est inégalement perçue tandis que le chômage est ressenti partout de la même façon, c'est sans doute ce qui a donné cette différence de tonalité.
- QUESTION.- Monsieur le Président, est-ce que vous avez dans l'-état actuel des choses le sentiment que l'Europe ira à peu près d'un même pas uni et ferme au sommet de Versailles et d'ici là est-ce que vous prévoyez d'autres rencontres préparatoires et de quel type ?
- LE PRESIDENT.- D'un pas uni suffisamment, oui, je le crois. Nos intérêts sont vraiment les mêmes en face des taux d'intérêt et des taux de change. Nos intérêts sont vraiment les mêmes et sur bien d'autres questions encore, ce qui nous réunit prévaut, et de loin, sur ce qui peut nous diviser, lorsque nous nous rencontrons avec les Américains du Nord, Etats-Unis ou Canada et avec les Japonais. D'ici là, c'est-à-dire depuis le début juin il y aura bien des contacts par les ministres des affaires étrangères, par le téléphone, par quelques rencontres bilatérales et moi-même je poursuivrai ma visite des partenaires que je n'ai pas encore vus, puisque je rencontrerai les Japonais au mois d'avril, de nouveau M. SCHMIDT au mois de mai, comme vous savez, j'ai déjà rencontré M. REAGAN, et les dirigeants italiens. Il me restera maintenant à rencontrer les dirigeants anglais, notamment Mme THATCHER et M. TRUDEAU. C'est ce que je mets sur pied au moment où je vous parle.
- Je crois qu'il faut céder la place à M. MARTENS. Je vais vous remercier d'avoir été présents, à bientôt.\