26 février 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, au dîner offert à la Villa Madama à Rome, vendredi 26 février 1982

Monsieur le président du Conseil, mesdames et messieurs les ministres, mesdames et messieurs, nous avons l'occasion de nous exprimer ce soir à la fin d'une journée qui, je l'espère, marquera l'histoire de nos deux peuples.
- Déjà peuvent être tracées certaines conclusions, en même temps que les projets qui nous permettront pour les mois et les années suivantes de dessiner, je l'espère de nos propres mains, le devenir de cette amitié active et vivante.
- Je suis venu avec sept membres du gouvernement et de nombreux collaborateurs avec l'intention claire et déterminée de marquer un tournant dans la -nature de nos relations. Non qu'elles aient été mauvaises dans le passé. Tout le temps que la démocratie italienne s'est fondée et s'est développée, l'Italie et la France ont entretenu constamment des rapports cordiaux. Ce ne sont pas les humeurs d'un moment - il y en a eu, il y en a, il y en aura -, qui ont pu entamer le capital de confiance réunissant nos deux pays. Peut-être cependant, fallait-il d'une part, y ajouter ce qui me paraît aujourd'hui et ce soir manifeste, monsieur le président ù`Giovanni SPADOLINI`, une dimension sentimentale ou affective. Dimension semblable à celle que tant de familles italiennes venues sur le sol de France ont pu rencontrer dans leur village ou dans leur quartier, à l'accueil qu'ont pu connaître tant de vos hommes d'Etat ou tant d'obscurs militants que leur courage et même leur héroisme désignaient aux coups. Tous, ils sont les témoins de ce que peut être sans complication politique, sans question inutile l'amitié naturelle de deux populations. De même, combien de Français ont pu, franchissant les Alpes, vivre dans votre pays, se sentir chez eux, épouser tout de suite les normes de votre culture et finalement s'identifier à votre vie !\
Vous avez, monsieur le président `Giovanni SPADOLINI`, cité de grands artistes qui ont marqué la création française. Mais je n'ose pas dire la création française : on sait bien que l'inspiration vient de chez vous ! Ce partage ou cet échange mérite bien qu'aujourd'hui nous donnions à nos relations un caractère particulier. Nous sentons en effet une sorte de fraternité dans ce compagnonnage voulu par la géographie, confirmé par l'histoire et qui puise ses sources dans la culture. Il fallait également y ajouter une autre dimension, que vous avez évoquée à la fin de votre exposé. C'est-à-dire sans rien institutionnaliser, sans loi écrite - tendance qui nous est chère jusqu'à l'abus depuis le droit romain - prendre un petit air anglo-saxon pour établir une meilleure amitié latine £ ne pas trop écrire, mais agir et faire, comme nous venons de l'inaugurer, que cette rencontre ait lieu au moins une fois par an et peut-être davantage. Il nous suffira d'en décider, sans qu'il y ait de déception, puisque rien n'existait.
- Nos responsables se rencontreront pour confronter et rapprocher leurs points de vue, tandis que les chefs d'Etat, les Premiers ministres ou présidents du Conseil ne manqueront pas dans l'intervalle de multiplier les relations afin qu'aucune décision importante touchant à nos pays et à l'Europe ne soit prise sans que préalablement on ait éprouvé la réaction de l'autre. C'est tout simplement la pratique d'une bonne alliance. Je ne vous propose pas un système miraculeux. Je sais simplement que beaucoup d'alliances se sont vidées de leur substance parce qu'on s'était enfermé dans des normes juridiques tandis que la réalité, la vie même passait, et s'affadissait jusqu'à substituer le simple vocabulaire à la force des sentiments et à la puissance de la raison.
- Quand nous aurons ajouté, comme nous entreprenons de le faire, ces deux éléments, nous n'aurons pas pour autant supprimé les contradictions. La vie est faite de contradictions : cette dialectique vous est habituelle. Tout est contradiction dans la vie d'une société, tout est contradiction dans la vie d'un peuple, tout est contradiction en nous-même. On se demande comment la France et l'Italie échapperaient à cette loi générale. Constamment, des intérêts se lèveront, et il conviendra de les dominer. où serait la démocratie s'il n'y avait cette contradiction ? Je le dis souvent à mes compatriotes français : "Vive les contradictions, vive les oppositions". C'est ainsi que quelques hommes ont pour vocation de les régler, d'arbitrer. C'est comme cela que vit la démocratie. Quand une seule voix s'exprime sous un seul commandement, une seule forme d'éducation, un seul système politique et idéologique, on sait bien comment cela finit.\
Nous sommes nombreux ici à appartenir à la génération née avant, ou pendant une guerre mondiale, et dont la jeunesse fut marquée par une deuxième guerre mondiale, elle-même précédée de tant d'attentats contre l'esprit, contre la dignité d'un peuple et tout simplement contre le sens que l'on a et que l'on doit avoir de la société civile entre les hommes.
- J'attends donc beaucoup de ce type de rencontre. Chaque fois que cela se produira, nous aurons sous le bras ou dans nos serviettes des dossiers à propos desquels des ministres soucieux diront à leur Président, de part et d'autre, "cela ne peut pas marcher", "les Italiens sont insupportables", "ces Français, il est bien difficile de traiter avec eux".
- Rassurez-vous, mesdames et messieurs, cela est commun à toutes les autres relations à l'intérieur de la Communauté. Si j'écoutais chacun, on ne pourrait certainement pas s'entendre avec les Italiens, mais peut-être pas avec les Allemands, pas davantage avec les Anglais. Quant aux Belges, on ne sait pas. Les Hollandais, les Danois, le Luxembourg ...? Bref, rien.
- Tout est contradiction, tout peut être surmonté, à compter du moment où, l'on sait qu'après la contradiction vient le temps de la synthèse et du syncrétisme. La -recherche de l'unité n'est-elle pas précisément la finalité recherchée de toute existence, une fois prise en-compte toutes nos diversités ? Bref, ce sont des débats théologiques sur lesquels je n'insisterai pas davantage, étant dans une ville comme Rome où je trouverai sans doute trop de maîtres pour prétendre leur faire la leçon !\
Nous sommes placés ensemble devant une situation internationale qui voit depuis quelques années s'éloigner les mondes qui semblaient naguère se rapprocher. Est-ce l'effet de ces pôles nouveaux qui apparaissent sur la surface de la terre et qui conduisent peut-être les puissants d'hier et les puissants d'aujourd'hui à redouter de n'être pas les plus puissants de demain ? Chacun ramasse ses forces sur lui-même, ignore le reste du monde.
- L'Est et l'Ouest sont beaucoup plus loin de se comprendre qu'ils ne l'étaient il y a seulement dix ans, alors que tout semblait devoir les rassembler : d'abord la menace, qui pèse sur l'un et l'autre, par la faute de l'un et de l'autre, menace mortelle et décisive. Imaginons ce qui entraînerait le laisser-aller des responsables de la paix et de la guerre. Des pays fiers de leur civilisation, de leur conquête scientifique et technique, les maîtres du monde autour desquels s'organisent et s'équilibrent toutes les autres forces et qui en quelques quarts d'heures, on dira bientôt en quelques minutes, sont en mesure de se détruire jusqu'à déraciner dans toute part de la terre toute vie végétale ou animale. Songez au bouleversement minéral, à cette autre terre, pétrifiée, à une matière dont nous aurions perdu le peu que nous savions. Et c'est à la disposition de quelques hommes ! Eux-mêmes le savent. Eux-mêmes redoutent et ne veulent pas. Mais peut-être laissent-ils trop à la fatalité le soin de décider, peut-être ont-ils trop peu de méfiance à l'égard simplement de l'inclination des passions, cette pente si difficile à remonter. Et ceux qui ont la charge de millions et de millions d'hommes sur la terre, semblent abandonner cette responsabilité, simplement pour prendre des gages qui apparaîtront dans l'histoire des hommes bien dérisoires auprès de l'enjeu. Des pays comme les nôtres qui ne sont plus ou qui ne sont pas les plus grands sont tout de même assez grands pour que leurs paroles ne puissent être étouffées et pour que leurs pouvoirs ne puissent être ignorés. Nous sommes en mesure de parler haut et d'éveiller dans la conscience de chacun cet écho assourdissant qui peut résonner plus haut que le fracas des armes. Prenez l'exemple de la Pologne. Qui pourrait songer régler ce problème par le moyen des armes ? Cela fait maintenant près de quarante années d'une histoire fixée même si elle n'est pas éternelle. J'ai assez dit qu'il fallait maintenant passer à l'acte suivant, mais que cela ne pouvait être acquis par les moyens de la force. Parlez au nom des droits de l'homme, au nom des principes fondamentaux sur lesquels repose la liberté : on dira que c'est naif ! Non, car les forces de l'esprit valent bien des divisions `armées`. Les forces de l'esprit disposent de cette puissance que l'on accorde aujourd'hui à l'atome, elles peuvent désintégrer les forces matérielles.\
Ne nous payons pas de mots, la force matérielle est également indispensable. Nous vivons dans un monde dans lequel il faut connaître la réalité. L'équilibre des forces est le secret actuel de la paix. Si l'Ouest est en mesure de détruire l'Est, il y aura la guerre ? Si l'Est est en mesure de détruire l'Ouest il y aura la guerre. Si l'un et l'autre ont le moyen égal de se détruire, il n'y aura pas de guerre. L'équilibre des forces est une règle d'or pour quiconque veut régler pacifiquement les conflits latents, entre l'Est et l'Ouest quelle que soit leur gravité. Le dialogue doit permettre aux experts, puis aux gouvernements de connaître et d'apprécier comme ne peuvent le faire les propagandes, la réalité des armements. Aujourd'hui, ce ne sont qu'entrechocs et propagandes.
- Moi-même, chef d'Etat, je ne peux vous dire l'exacte réalité des moyens dont disposent les deux super-puissances. Je fais la part de la crainte qui inspire l'imagination, mais aussi de la propagande qui tend à inspirer la crainte ou l'épouvante.
- Mais la réalité tragique est là, ce moyen mis à la disposition des Etats par l'intelligence de l'homme, la force nucléaire, qu'elle s'appelle stratégique ou tactique, mais qui porte en elle-même la mort. Il arrive même à certains chefs d'états-majors d'imaginer que ce serait faire faire de sérieuses économies que de régler en une demie journée ce que d'autres avant nous ont mis deux fois quatre ans à faire, lors des deux guerres mondiales de 14/18 `1914 - 1918` et de 39/45 `1939 - 1945`. Régler cela, le temps d'une belle matinée, parce que des fusées sont parties dans un ciel qui sera peut-être resté d'azur et de clarté.
- L'équilibre des forces, la négociation et le dialogue : je me suis réjoui de constater, en dépit de tous les tourments qu'Américains `Etats-Unis` et Russes `URSS` y avaient consenti. Seulement, la position de la France, et je crois que c'est celle de l'Italie, est de considérer que cette négociation ne peut réussir que si chacun des deux partenaires sait que l'autre ne renoncera à rien de sa force si le dialogue n'aboutit pas. La moindre faiblesse dans cette discussion de part et d'autre, et c'est à nouveau le faux calcul. Tout étant -rapport de forces entre eux, nous connaîtrons à-partir de 1983, si la négociation devait échouer, une escalade dont je pense qu'elle ne laissera aucun des éléments d'appréciation sur lesquels repose aujourd'hui l'équilibre du monde.
- C'est dire la gravité de l'époque actuelle. L'invitation, je dirai même la pression des opinions n'est pas pour désarmer sauf si cela était concomitant et simultané. Qui peut en rêver malheureusement avant négociations ? Cela me fait dire souvent que le pacifisme n'est pas la paix, quelquefois même son contraire. Et pourtant, il faut bien aboutir, et pour cela ne pas faire de geste qui puisse nuire à la négociation. Nuire à la négociation ce n'est pas simplement faire monter l'escalade verbale, prendre des gages excessifs ici ou là. C'est aussi laisser croire à d'autres que l'on est prêt à délaisser, à abandonner, à renoncer, à s'humilier, à s'incliner, bref, à ne plus croire en soi et à la civilisation dont on est l'héritier.\
Je me permets, monsieur le président, mesdames et messieurs, de tenir ce discours devant vous en sachant qu'il ira plus loin que cette admirable demeure. La France et l'Italie sont des nations soeurs qui ne sont pas en mesure de trancher. Mais leurs forces et leur conseil sont tout de même des éléments qui comptent sur ce que l'on appelle, expression que je n'aime pas, l'échiquier international. Il composte des pièces bien connues : la tour, la dame, le fou, le roi et le pion. A quelque place que l'on soit celui qui pratique ce jeu sait qu'on peut toujours faire échec et mat. Avec la plus modeste, comme bien entendu avec les plus puissantes pièces. L'égalité se rétablit dès lors que le joueur s'affirme plus vigilant et plus prévoyant que l'autre.
- C'est vrai que nous avons déploré et que nous déplorons les tristes événements de Pologne et nous entendons apporter au peuple polonais notre aide alimentaire en-particulier. Nous entendons mesurer notre -concours économique à la mesure des engagements qui seront pris, d'autre part, dans le sens que nous souhaitons. C'est-à-dire : plus de liberté, libération de tous ces travailleurs qui ont eux-mêmes créé l'histoire et qui en souffrent aujourd'hui.\
C'est vrai que sur toute la surface de la terre on entend s'élever les cris de suppliciés. Le rôle de la vieille Europe qui elle-même a traversé tant de crises et connu tant de malheurs, et qui n'a pas de leçon à donner, résulte du fait qu'elle est aujourd'hui, par chance, habitée par des démocraties. Le rôle de cette vieille Europe, c'est de ne pas choisir les victimes ou préférer les bourreaux, de ne pas s'interroger sur la couleur du sang. Car elle est partout la même. Et d'être vigilant pour défendre le droit. Point seulement par humanisme, mais aussi par souci bien compris de nos propres intérêts. Attention à la contagion. Il faut défendre partout le droit, en Europe, en Amérique, en Afrique, en Asie, et même en Océanie.
- Je crois que la civilisation, souvent venue de vos collines pour se répandre jusqu'au rivage de l'Atlantique doit et peut nous inspirer. Civilisation marquée par l'histoire que vous évoquiez tout à l'heure, monsieur le président du Conseil. Emanant non seulement des sources chrétiennes, mais aussi de toutes les philosophies, et qui contre l'intolérance, est parvenue à créer un équilibre dont nous sommes aujourd'hui responsables.
- Cela suppose que nous regardions tout à côté de nous, et cherchions à donner à la communauté qui a le mérite d'exister, une force nouvelle. C'est une communauté qui ne répond à rien de très clair dans l'histoire ou même dans la géographie. Il y a le Danemark, pourquoi n'y a-t-il pas la Norvège ? Il y a l'Allemagne `RFA`, pourquoi n'y a-t-il pas l'Autriche ? L'histoire ne l'a pas voulu. Il y a la France, il n'y a pas la Pologne. L'histoire non plus ne l'a pas voulu. Notre communauté est le -fruit du hasard, elle résulte du sort des armes, de frontières établies parce qu'un soldat avait avancé de quelques mètres et voilà que se traçait le nouveau mur qui séparait les deux Europe. Puisqu'elle a le mérite d'exister, je vous en prie, chers amis, réussissons, et cette communauté aura un pouvoir d'attraction. Elle l'a déjà.\
De telle sorte que la question que nous nous posons maintenant est celle-ci : il ne faudrait pas que l'attraction de la Communauté `CEE`, et donc l'arrivée de nouveaux membres en-son-sein ne fasse perdre à la communauté existante sa véritable -nature. Vous savez bien qu'entre la notion d'une communauté comme celle qui existe, avec ses imperfections, et celle d'une zone de libre échange universel il y a une contradiction mortelle. Ne cédons pas à ceux qui ne souhaitent faire de l'Europe qu'un appendice d'autres puissances.
- Voyons les choses en face : la communauté a pour l'instant dételé, comme on le dirait de quatre chevaux devant un char. On est à l'étape et l'on ne voit plus les obstacles. Ce ne sont pas les obstacles entre l'Italie et la France qui sont les plus gênants. Ils sont beaucoup moins élevés que les Alpes ! Même s'il est désagréable d'avoir un contentieux, des procès, des plaidoiries, l'essentiel est de savoir ce que l'on veut.
- Si l'on considère que l'Europe a d'abord pour objet de protéger le pouvoir d'achat des gens qui travaillent et des gens qui produisent de leurs mains, alors on a déjà une ligne de conduite assez simple. On n'a pas le droit de laisser à l'abandon ceux qui produisent, qui travaillent et qui méritent au moins le -fruit de leur travail. C'est cela qui explique des attitudes parfois critiquables en droit, de part et d'autre il faut comprendre qu'il y a un premier devoir : celui d'assistance à personne, à groupes socio-professionnels en danger £ il y a devoir d'assistance à l'égard de régions, il y a devoir d'assistance à l'égard de nos peuples. C'est dans ce sens, mesdames et messieurs, que la France acceptera toujours de discuter pour apaiser les querelles si elles se produisent.
- Il faut que dans les mois, j'allais dire dans les semaines qui viennent, nous soyons capables de régler les conflits en-cours sur le lait, sur les produits méditerranéens, sur l'aide à l'Angleterre, sur la charge et le montant des ressources propres, sur la fixation des prix agricoles bien que cette dernière liaison soit tout à fait artificielle, qu'elle n'a pas à être mêlée au reste. où irons-nous s'il l'on remet en cause la charte qui nous engage, chaque fois que se produit un accident de parcours. Si tel ou tel pays a tendance à confondre principes et problèmes de la vie quotidienne, il ne faudra pas longtemps pour que l'Europe disparaisse.
- Je lance un appel car 1982 est à cet égard une année charnière. Ou bien la communauté versera dans le libre échange universel que j'évoquais tout à l'heure et la menace du protectionnisme deviendra sérieuse. Une sorte de lutte sauvage, de protection hasardeuse anti-économique deviendra la règle de chacun de nos pays. Notre Europe d'abord a montré qu'elle est capable de gagner sa bataille économique. Il est triste d'avoir à dire que pour gagner cette bataille économique, il faut d'abord l'emporter sur l'allié et sur l'ami d'outre-atlantique `Etats-Unis`. Quant elle aura gagné sa bataille économique ce sera avec au bout du compte, je l'espère, un bon accord de paix avec ceux qui sont si proches de nous dans l'équilibre général des forces, je veux dire les Américains.
- Il faudra que nous soyons capables d'affirmer la capacité d'indépendance de l'Europe occidentale. Mais n'en parlons pas davantage. Je m'engage sur un terrain qu'il n'est pas recommandé d'aborder sachant seulement que l'Europe, selon votre expression, "fare da se" - ou bien elle ne se fera pas - et c'est ce que vous disiez aussi de l'Italie.\
Je pense, sans vouloir pénétrer dans les arcanes de la politique intérieure italienne, rien ne m'y autorise, que la phrase que je viens de vous rappeler aura une signification pour un membre du parti républicain. C'est la seule allusion que je ferai. Considérez-là comme un hommage particulier à la personne du Président du Conseil, et ne m'en veuillez pas davantage.
- En Europe, la France et l'Italie comptent beaucoup. Elles doivent compter davantage. L'Europe, dans le monde, cela -compte beaucoup et cela doit compter davantage. Alors commençons par le commencement. Nous venons, il est vrai, après bien d'autres qui ont illustré l'histoire de l'Europe, il y a maintenant de longues années. J'étais un jeune homme politique lorsque j'entendais parler de Robert SCHUMAN, GASPERI, ADENAUER. J'étais tout enfant - j'habitais dans le village voisin -, lorsque Jean MONNET me faisait sauter sur ses genoux. J'ai été le secrétaire d'Etat de Robert SCHUMAN dans les années de l'immédiate après-guerre. J'étais présent au premier congrès de l'Europe à La Haye deux ans après la fin de la guerre, à côté de députés allemands. Alors que comme tant d'autres, ma famille avait été cruellement frappée par l'occupation allemande. Je ne veux donc pas que cette histoire apparaisse comme notre conquête : nous avons été précédés par des hommes remarquables et d'une haute imagination. Mais maintenant c'est à nous qu'il revient de savoir s'il y aura un nouveau départ. C'est à quoi, mesdames et messieurs, je vous invite.
- Les conversations que j'ai eues avec le président PERTINI, les conversations que nous avons eues de part et d'autre, les échanges que depuis quelques mois j'entretiens avec le président SPADOLINI m'ont rendu certain que l'Italie disposait à l'heure où je m'exprime du moyen d'agir dans ce sens et que vous pouviez jouer un rôle déterminant pour aider l'humanité à franchir cette étape.
- Représentant de la France, je suis venu en ami, un ami nourri d'admiration et formé à la culture, depuis les structures du langage elles-mêmes, par les maîtres venus de chez vous. C'est dire combien j'aimerais que les rudes tâches de la politique, si souvent ingrates, parfois cruelles, ne m'éloignent jamais des origines que j'aime, des affinités choisies, des amis préférés. Je souhaite que l'amitié entre l'Italie et la France ne soit jamais déçue par-rapport à l'élan que je sens aujourd'hui, et auquel j'apporterais, comme vous-même, ma pleine contribution.
- Monsieur le président du Conseil,
- mesdames et messieurs les ministres,
- mesdames et messieurs, la tradition veut qu'on lève son verre à la santé de quelqu'un. Me tournant d'abord vers le président du Conseil, je m'adresserai au-delà de sa personne au Président de la République italienne à l'intention duquel je formule des voeux personnels. Et je m'adresserai au président du Conseil lui-même, levant mon verre à tous les êtres qui lui et vous sont chers. Et qu'est-ce qui nous est plus cher que notre peuple, à nous responsables politiques ?
- Vive le peuple italien,
- Vive le peuple français,
- A la santé de notre amitié.\