1 février 1982 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée à la télévision égyptienne, sur les relations franco-égyptiennes, le conflit du Proche-Orient et son prochain voyage en Israel, Paris, Palais de l'Élysée, lundi 1er février 1982

QUESTION.- Le président MOUBARAK a été la première personnalité étrangère que vous avez reçue après votre élection par le vote historique du peuple français... Quelle signification donnez-vous à votre rencontre d'aujourd'hui ?
- LE PRESIDENT.- Très exactement si j'ai reçu le chancelier SCHMIDT, première personnalité à venir à l'Elysée après mon élection, représentant de l'un des pays de la Communauté européenne, le président MOUBARAK a été la première personnalité dans le reste du monde que j'ai reçue à l'occasion d'un voyage rapide qu'il faisait en France. J'ai continué d'attacher une valeur symbolique à cette visite initiale. Pourquoi ? A la fois parce que l'histoire, l'histoire au travers des générations déjà depuis longtemps et parce que l'actualité et les problèmes contemporains se rejoignent et font que l'amitié franco - égyptienne est une des données très importantes de notre politique internationale.
- D'ailleurs depuis bientôt neuf mois que je remplis cette fonction, les échanges ont été multipliés avec l'Egypte, à la fois les circonstances heureuses et les circonstances tragiques ont fait que nous avons dans notre pays ressenti profondément tout ce qui concernait la vie de l'Egypte et la vie en Egypte, et maintenant nous suivons avec un intérêt particulier ce qui se passe en Egypte. Nous nous intéressons beaucoup au présent et à l'avenir de l'Egypte. C'est pourquoi la visite d'aujourd'hui du président MOUBARAK revêt une signification durable et dépasse de beaucoup les visites purement protocolaires. Cela a une signification importante pour la suite de nos relations.\
QUESTION.- L'Egypte moderne débarrassée des Ottomans en 1805 a trouvé dans la France un interlocuteur loyal pour son développement et pour la découverte de sa propre civilisation... Comment voyez-vous, monsieur le Président, l'avenir de la coopération entre la France nouvelle et l'Egypte nouvelle ?
- LE PRESIDENT.- Je crois que la géographie y est pour quelque chose, la France sur la rive nord de la Méditerranée occidentale a tout naturellement développé une grande politique méditerranéenne et africaine. Je crois que l'Egypte sur le rivage sud de la Méditerranée orientale à tout naturellement été portée à se mêler aux grands événements de la vie du monde qui pendant plusieurs siècles ont eu l'europe pour centre.
- Deuxièment, mais je vous le dirai dans un instant... deuxièmement, la culture, les affinités intellectuelles et culturelles, la grande civilisation égyptienne a été l'un des phares de l'humanité et la France s'en est beaucoup inspirée et d'autre part, le réveil de cette civilisation a été accompli par une symbiose étroite entre l'intelligence égyptienne et la science française, la géographie et la culture réunies ont voulu que la France qui depuis fort longtemps a une politique privilégiée à l'égard des pays du Proche-Orient, devait être naturellement portée à bien comprendre la -nature et les intérêts du peuple égyptien. Tout cela s'est transformé par la nécessité des temps, dans des relations de type économique et commercial qui aujourd'hui nous lient étroitement. Rien ne peut se faire de durable dans cette région du monde sans que le poids de l'Egypte n'intervienne, et le fait que l'Egypte est disposée, dispose de gouvernants, de responsables, de présidents d'envergure employant un langage qui peut être saisi sur-le-plan universel, tout cela intéresse beaucoup les Français. C'est dire à quel point le président MOUBARAK est aujourd'hui le bien venu en France.\
QUESTION.- L'Egypte et la France visent au Moyen-Orient paix et stabilité... Comment cet objectif politique commun peut-il influencer la coopération politique entre Paris et Le Caire ?
- LE PRESIDENT.- J'ai toujours approuvé l'idée qui est devenue réalité selon laquelle l'Egypte devait régler elle-même ses problèmes et était maitresse de son choix, surtout lorsque ce choix était celui de la paix ou de la guerre. L'Egypte a fait avec courage et dans certaines circonstances avec gloire la guerre à Israel, elle a fait aussi avec courage et j'espère avec gloire la paix. Mais je comprends que l'Egypte ait aussi à résoudre le problème de sa solidarité ou de ses relations avec le monde arabe auquel elle appartient et que cet acte qui a conduit à la paix avec Israel ne soit pas ou ne puisse pas être la seule préoccupation politique de ce pays.
- Pour le reste nous allons certainement parler avec le président MOUBARAK de nos intérêts matériels communs. Cela fait partie de la vie et de la responsabilité politique. Je crois que la France peut pour le développement de l'Egypte qui dispose déjà de structure et de capacité humaine remarquable mais doit supporter le poids d'une démographie considérable, le fait ici que l'immense partie de son territoire ne peut pas avoir le rendement encore aujourd'hui désiré malgré les grands travaux exécutés. Je pense que la France qui est un pays qui n'exerce aucune forme d'impérialisme, qui a appris à respecter son partenaire, peut remplir un rôle très utile dans ce développement et dans des échanges économiques.\
QUESTION.- Monsieur le Président, la diplomatie égyptienne a toujours cru que l'-état excellent de vos -rapports personnels avec Israel pouvait jouer positivement en faveur du processus de la paix au Moyen-Orient... Quel est votre commentaire monsieur le Président ?
- LE PRESIDENT.- Il est de la vocation de la France d'entretenir de bonnes relations avec l'ensemble des peuples du Proche-Orient... Qu'ils soient arabes, qu'ils soient d'Israel ou qu'ils répondent à l'ensemble des données historiques et ethniques qui ont occupé depuis déjà plusieurs siècles ce Proche-Orient dont nous avons été toujours les partenaires.
- Notre position est une position simple. Nous considérons que le droit doit être servi, le droit d'Israel à exister, reconnu par les Nations unies, reconnu aussi par l'histoire, doit être respecté de même que les aspirations des peuples de ce pays démunis de patrie lorsque cela se produit, ce qui est le cas aujourd'hui des Palestiniens doit être reconnu. La réponse à cette question simple ne l'est pas en-raison des contradictions qui font que ces peuples aspirent aux mêmes terres.
- Le rôle de la France n'est pas de se poser en arbitre ou en médiateur. Il appartient essentiellement aux pays de la région de régler eux-mêmes leurs problèmes. Sans doute la France peut elle contribuer par les bons échanges, par les relations utiles à une solution de ce conflit, mais pour l'instant le problème se pose en d'autres termes. Nous disons aux uns et aux autres la même chose et nous recherchons la paix dans le droit.\
`Réponse` Nous refusons également, nous Français, nous le gouvernement de la France, et moi chef de l'Etat, tout interdit. Nous reconnaissons et nous avons des relations multiples avec Israel. Pourquoi n'irai-je pas en Israel ? Au début du mois de mars, sans vouloir donner à ce voyage une autre signification que celle de l'amitié, du témoignage et de la volonté de resserrer des relations, mais sans être pour autant en accord avec ce qui est d'ailleurs pas normal ni raisonnable de penser, avec l'ensemble des évolutions de politique propre à ce pays, pas plus qu'aux autres pays qui composent la région du monde, je serai heureux de pouvoir saluer ce peuple courageux mais, comme je vous l'ai dit, n'ayant qu'un seul langage, je dirai en cette circonstance, comme dans les autres, ce que je pense de l'intérêt commun.
- Je pense bien que ce voyage en Israel sera aussi un moyen de développer par la clarté de mes positions, nos positions à l'égard des pays arabes voisins, avec lesquels nous voulons entretenir également des relations fécondes. Cela doit être possible sans quoi se serait bien inquiétant pour la suite des choses. Et à cet égard, je pense que le rôle de l'Egypte peut être aussi déterminant.\
QUESTION.- De toute façon, monsieur le Président, nous l'avons bien senti en Egypte la clarté de vos positions lorsqu'on a suivi votre voyage en Arabie saoudite. Cette politique qui consiste à dire, à parler le même langage, aux uns et aux autres.
- LE PRESIDENT.- Je vous remercie.
- QUESTION.- Merci monsieur le Président de votre temps et j'espère qu'un jour en Egypte, le public égyptien puisse être heureux de votre visite en Egypte.
- LE PRESIDENT.- Je pense que cette visite aura lieu, j'en serai personnellement très heureux et ce sera pour moi une occasion importante de connaître de plus près ce peuple égyptien que j'ai sans doute déjà fréquenté dans le passé car je me suis rendu plusieurs fois, à-titre privé, dans votre pays. Mais le fait d'y aller et d'y apporter officiellement le salut de la France sera pour moi très important.
- QUESTION.- Merci monsieur le Président.\