8 décembre 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Discours de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du centenaire de l'Ecole des Hautes études commerciales, Paris, Palais des Congrès, mardi 8 décembre 1981

Monsieur le président,
- Monsieur le directeur,
- Monsieur le professeur,
- Messieurs,
- C'est avec plaisir que j'ai accepté ainsi que vous m'y avez convié de venir aujourd'hui un moment parmi vous pour célébrer à vos côtés le centième anniversaire de la création de l'Ecole des Hautes études commerciales.
- Cette visite me donne l'occasion non seulement de saluer votre établissement, ses responsables, ses élèves, ses anciens élèves, mais aussi de vous dire que le rôle éminent joué par HEC n'appartient pas au passé et reste bien vivant dans la société et l'économie de notre pays. Je sais d'ailleurs que votre Ecole reste confiante dans son avenir et le colloque "L'Entreprise demain" que vous avez organisé est justement là pour le prouver car plus que jamais la France a besoin d'entreprises fortes, vivantes, actives, dans le monde entier, tournées vers le marché extérieur, mais aussi vers le marché intérieur.
- Nos entreprises ont besoin de cadres de haut niveau sachant s'adapter à une économie constamment changeante mais où la compétition est appelée à se nuancer à la mesure des efforts de rééquilibrage des productions et des échanges qu'appelle la solidarité à l'égard du tiers monde, plus habituellement connue sous le vocable du dialogue Nord-Sud.
- C'est parmi d'autres, mais parfois au premier rang, à votre Ecole qu'il appartient de former ces cadres hautement qualifiés dont nos industries ne sauraient se passer en cette époque où nous avant tant à faire pour donner à la France, dans l'Europe et dans le monde, une place qui reste à conquérir. Ce que nous venons d'entendre au-cours des allocutions précédentes, 1881, le gouvernement GAMBETTA, nous rappelle que l'école des HEC est née avec la grande crise industrielle, celle de la fin du XIXème siècle, avec l'apparition du machinisme, celle de l'automobile, avec la naissance de la grande entreprise moderne et aussi le renouveau de la République. Aujourd'hui le monde traverse une nouvelle mutation : un nouveau machinisme, une nouvelle organisation dans l'entreprise, et je l'espère aussi en France, l'apparition d'un grand projet pour la République.
- Votre Ecole, en fêtant aujourd'hui son centenaire, doit montrer, et elle le montre, je le vois bien, qu'elle est prête, comme le reste de la nation, à prendre part à cette grande oeuvre, à prendre part mais aussi à préparer les futurs cadres de l'entreprise au temps qui vient.\
Pour réussir et pour gagner la grande bataille économique mondiale, je voudrais développer quelques thèmes et d'abord celui-ci : essayons de comprendre le monde où nous sommes, ensuite je vous parlerai d'un sujet qui vous tient à coeur, j'ai pu le constater : il faut que naisse ou que se développe, pour qui ne l'aurait pas, un esprit d'entreprise, non seulement au niveau de chacune des entreprises françaises, mais aussi à l'échelle de la nation.
- Comprendre, comprendre la crise, celle qui nous frappe. Comprendre la crise au niveau mondial, vous l'avez dit tout à l'heure, monsieur le président, : mutation démographique, mutation sociale, mais aussi :
- - mutation technologique : l'apparition de l'ordinateur, les progrès de la biologie, les télécommunications, le développement du nucléaire. Que de problèmes posés, non seulement sur-le-plan de la technique, mais aussi pour le devenir et l'équilibre de l'homme.
- - mutation financière : des masses énormes de capitaux changent de pays et de propriétaires.
- - mutation industrielle : les nouvelles grandes entreprises dépassant les frontières qui apparaissent, en même temps que, dans certains pays, se multiplient les innovateurs qui créent à-partir de peu de moyens, de nouveaux produits. Ces entreprises parfois déterminantes ne sont bien souvent composées que de quelques personnes.
- - mutation interne de la géopolitique : ces nouvelles nations qui font leur apparition sur la scène économique et particulièrement autour du Pacifique comme dans certaines autres régions du tiers monde, tandis que dans notre Europe et dans les vieux pays industriels apparaissent des signes de déclin.\
Je ne jugerai pas l'-état de la France, ce n'est pas le lieu ni le moment, tout cela appartient aujourd'hui à l'histoire, les historiens le jugeront. Je voudrais simplement que chacun ici comprenne que qu'elle que soit l'opinion politique des responsables de la France, ils ont eu affaire au-cours des années précédentes à un certain nombre de données qui ont conduit à ce que des secteurs entiers et essentiels de l'économie aillent en décadence : sidérurgie, textile, faut-il parler de la machine-outils, les industries du cuir, les industries du bois.
- Les efforts nécessaires dans les secteurs de pointe ont été entrepris et cependant même sur-le-plan de l'électronique où la France se situe parmi les trois premiers pays du monde un certain ralenti s'opérait là où les conditions performantes étaient désormais exigées.
- Le déficit extérieur de la France en 1980 qui se perpétue en 1981, le développement du chômage commencé il y a sept années et qui continue en 1981, le développement du nombre de faillites et de liquidations judiciaires qui excédaient le nombre de créations d'entreprises... comment cela n'aurait-il pas découragé les innovateurs ? Et s'il est très difficile de décourager les hommes et les femmes d'énergie et d'intelligence qui composent aujourd'hui le meilleur de l'entreprise française, il faut reconnaître que les conditions générales dans lesquelles aujourd'hui ils travaillent et évoluent rendent plus difficiles encore leurs réussites. En tout cas je constate sans juger, que depuis 5 ans l'investissement et particulièrement l'investissement privé ne s'est pas développé puisqu'il ne s'est accru depuis 1976 que d'environ 1 %.
- Voilà un problème. Qui est responsable ? Disons que la France tout entière doit aujourd'hui, sans s'attarder à rechercher ses responsabilités, tenter de dominer cette passe.
- Et aujourd'hui, comme il y a un siècle, quand naissait HEC, ne pensez-vous que la question qui reste posée et que je crois avoir traduit des trois allocutions précédentes, c'est qu'on ne pourra sortir de la crise tous ensemble que par un formidable esprit d'entreprise à l'échelle de la nation.\
Mais pour que naisse cet esprit d'entreprise et pour qu'il s'accorde aux projets que j'ai personnellement voulus - et d'autres avec moi -, pour la France et pour les Français, il faut bien entendu qu'un certain nombre de conditions soient réunies aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. Dans l'un comme dans l'autre, il est aujourd'hui essentiel de promouvoir les technologies de pointe, d'aider à la création des entreprises performantes, de créer des conditions nouvelles entre les partenaires de la production, sans pour autant délaisser ou abandonner les entreprises traditionnelles indispensables à l'indépendance du pays.
- Il nous faut donc une stratégie industrielle pour la France. Et cette stratégie doit conduire à animer d'un véritable esprit d'entrepreneur tous ceux qui participent à l'action, partout, dans l'entreprise privée, dans l'entreprise publique, dans l'administration, au-niveau de l'Etat, du gouvernement ... Tous oui ! s'il manque quelqu'un, nous raterons le train tous ensemble.
- Le secteur public élargi, objet de tant de discussions, auxquelles, en tant que citoyens, vous participez. Ici même nous avons à nous dire bien des choses et cette discussion reprendra après coup. Nous considérons, nous responsables, que cet élargissement représente un axe important de notre politique industrielle parce qu'il doit nous permettre de relancer l'investissement, par l'investissement public qui, au-cours des cinq mêmes dernières années, a représenté un progrès trop peu important, mais qui s'est monté lui à 52 %.
- Dans-le-cadre d'une planification que je veux et qui restera bien entendu démocratique c'est-à-dire qu'elle se discutera au-niveau où se passent les choses du travail, de la vie, avec les responsables sur le terrain, avant d'être dé idée par les représentants du peuple, c'est-à-dire par le gouvernement et d'être débattue au-sein du Parlement lui-même issu des suffrages de la nation, ce secteur public élargi permettra d'alimenter le secteur privé par des commandes stables et durables, d'encourager la naissance de petites et moyennes entreprises `PME` privées créatrices d'emplois, de créer aussi de grandes entreprises à l'échelle mondiale dans les secteurs-clés de l'avenir, dont certains étaient cités il y a un moment : informatique, biologie, machine-outils, télématique, électronique, sidérurgie fine, agro-alimentaire, énergie, j'en passe.\
Mais le secteur public, une fois les nationalisations adoptées et mises en place, adoptées à la fin de cette année, dans ce mois de décembre (vous voyez qu'il y a controverses, mais ce n'est pas ici qu'on en décidera, c'est au Parlement ... et non par les ordonnances, c'est pour les ordonnances car celles-ci concernent les mesures sociales ...) pour ce qui concerne les nationalisations, le Parlement a voté sans vote bloqué, sans aucune intervention du gouvernement et par l'application la plus libérale du règlement de l'Assemblée. Les nationalisations seront donc menées à bien. Les nationalisations industrielles qui représenteront, lorsqu'elles auront été votées, 17 % de la production française, alors qu'elles représentaient jusqu'alors, après le train de nationalisations du général de GAULLE, en 1945, 12 %. Cela représentera également un volume de nationalisations inférieur à celles de l'Italie ou de l'Autriche. (Je suis ici dans un milieu suffisamment scientifique pour que vous ayez l'obligeance d'aller à l'information).
- Cette nationalisation qui représentera 17 % de la valeur ajoutée de la nation restera, je le répète, inférieure à ce qu'elle est dans d'autres pays démocratiques d'Europe et créera, je l'espère, les conditions d'une économie à haute technologie.
- Ce secteur public devra s'appuyer sur l'administration, mais les décisions que j'ai déjà prises, et qui seront appliquées par le gouvernement seront telles qu'il faudra que ces entreprises agissent avec le maximum de liberté pour atteindre leurs objectifs, ne soient pas a priori soumises aux directives de telle ou telle institution d'Etat, mais qu'elles soient responsables de leurs résultats, bref qu'elles exercent leurs activités dans les conditions normales de concurrence.
- Pour ce qui concerne le secteur privé, je veux qu'il bénéficie des efforts du secteur public, par les marchés publics, la relance de l'investissement et de la consommation. Ce secteur privé, avec le secteur public, et beaucoup plus important d'ailleurs que ce dernier, représenteront une amorce de société d'économie mixte qui devra s'appliquer à développer les conditions d'une croissance sociale, que nous réaliserons si nous nous y attachons, afin d'alimenter la croissance des entreprises, étant bien entendu que la croissance des entreprises vous l'avez dit et bien dit, doit fournir les richesses nécessaires à la croissance sociale.\
Voilà pour 1981. Mais c'est déjà le passé ou presque le passé. Comment se présente 1982 ? Toutes les prévisions qui sont faites démontrent que ces objectifs sont réalisables.
- Malgré un environnement international caractérisé par les difficultés que vous savez, la France devrait connaître en 1982 :
- - un taux de croissance de l'ordre de 3 %, ce qui nous situera en tête des nations européennes,
- - un ralentissement du rythme de l'inflation, qui était aux alentours de 14 % dans le premier trimestre de cette année, qui dépassera légèrement 14 % à la fin de cette année, en dépit des quelques 35 milliards qui ont été diffusés dans le corps national pour soutenir les citoyens en difficulté et pour permettre certains développements,
- - nous irons vers une stabilisation du commerce extérieur, car il est en train de se produire une vive progression de nos ventes à l'étranger,
- - enfin, tout sera fait pour que le déficit budgétaire, aujourd'hui inférieur, par-rapport au produit intérieur brut, aux déficits de tous nos partenaires européens de la Communauté des Dix, reste inférieur à celui de nos mêmes partenaires tandis que notre endettement public restera l'un des trois plus faibles de l'Europe.
- Voilà les dispositions prises pour permettre aux entreprises de savoir où elles sont, où elles vont.\
Ce que j'ai dit tout à l'heure des nationalisations n'était fait pour convaincre personne, mais simplement pour que chacun d'entre vous soit convaincu d'autre chose. C'est que nos dispositions politiques étant prises sur la base du contrat passé avec le pays, avec les Français qui se sont prononcés, nous entendons rester fidèles à ce contrat. Et la fidélité à ce contrat signifie que pour employer une expression à la mode, les règles du jeu sont fixées. Certains groupes et sociétés passeront dans le secteur public, ce sera fait, je vous l'ai dit, rien ne l'empêchera. Mais toute société, toute entreprise, tout groupe industriel qui échappe à cette loi sera hors du champ des nationalisations et y restera jusqu'à ce qu'un nouveau contrat soit passé.
- C'est le pays qui décide, messieurs, ni vous ni moi, c'est le pays qui décide, il pourrait arriver qu'un futur chef de l'Etat et future majorité, par exemple, réduise le champ des nationalisations, il semble que cela ne soit pas l'hypothèse à laquelle vous vous arrêtiez à l'instant.
- Ce qui est sûr, c'est que tant que j'aurai la responsabilité du pouvoir, dans-le-cadre du contrat que j'ai passé avec l'opinion publique, cette règle est fixée. Il n'y aura plus de passage du secteur privé au secteur public et chacun saura exactement à quoi il s'engage, étant bien entendu, sachons nous comprendre, qu'il n'a jamais été dans l'esprit de ceux qui ont décidé ce changement qu'il pourrait y avoir quelque atteinte que ce fût au secteur privé dès lors qu'il ne s'agissait pas de biens essentiels à la sécurité de la nation. Nous savons quelles sont les conditions dans lesquelles nous vivons. Nous connaissons les usages et les traditions de notre pays, nous respectons les entrepreneurs privés, oui nous les respectons et nous demandons à ceux qui nous écoutent aujourd'hui de comprendre qu'il y a aussi de belles tâches à remplir. C'est ainsi que le comprennent les cadres et les responsables du secteur public : de grandes tâches et de belles tâches sont à accomplir dans le secteur public pour le service de la France.\
Quant aux charges qui pèseront sur les entreprises, il est certain qu'il y a débat. D'une part, le gouvernement présent a cherché à les alléger et non seulement a cherché mais les a effectivement allégées. Mais, d'autre part, et dans le même moment, un certain nombre de mesures font que les responsables des entreprises, surtout au regard de la Sécurité sociale et de son devenir, continuent de s'interroger et s'inquiètent en se demandant si cette disposition que je viens de rappeler entrera vraiment en effet lorsqu'ils établiront leurs comptes au bout de quelques mois.
- Sur la base des hypothèses économiques actuelles, les prélèvements obligatoires sur les entreprises, qui représentaient 17,4 % du produit intérieur brut en 1980 et 17,5 % en 1981, passeront à 17,3 % en 1982. Je ne plaiderai pas la diminution en-raison de la modicité de la différence, je plaiderai le maintien des dispositions présentes quant au prélèvement global étant entendu que la gradation éventuelle du prélèvement social sera alors compensée par une diminution relative plus forte du prélèvement fiscal. Au demeurant notre pays se situe à cet égard dans la moyenne des pays industriels comparables.
- Voilà pour l'environnement économique des entreprises. J'en viens maintenant à la politique qui leur est destinée.\
Je suis presque gêné d'avoir à le dire après mes prédécesseurs, car il semblait naturel qu'ils puissent le dire et il semblerait que cela soit moins naturel dans ma bouche si j'en juge par certaines réactions. Eh bien oui, je pense que les entreprises, parce que c'est une vérité de La Palice sont le lieu où se crée la richesse du pays. D'elles, viendront les biens dont la France a besoin, les devises nécessaires aux échanges et les progrès technologiques, ce sont les instruments du progrès tout court et ces instruments c'est vous messieurs qui les avez dans les mains ! Vous êtes en effet appelés soit en tant que cadres, soit en tant que chefs d'entreprises à participer à la création de cette richesse, et moi, j'ai confiance, sachant qui vous êtes, connaissant assurément sur-le-plan personnel nombre des vôtres, connaissant la qualité de votre Ecole - ce n'est pas par hasard si je suis parmi vous. Je sais que vous êtes en mesure, grâce-à l'effort pédagogique entrepris depuis un siècle, de créer une large part de la richesse de la France.\
Jugeons sur pièces dans le budget de 1982 dont le Parlement achève l'examen. J'ai demandé à ce que les actions en faveur des entreprises progressent. Dans trois semaines vous nous direz si je me suis trompé. On a veillé à ce que les crédits destinés au développement de l'innovation soient en hausse de 30 %, à ce que les prêts participatifs soient multipliés par trois, à ce que la recherche, gage de marchés futurs, voit son budget progresser de 36 %.
- On a mis sur pied tout un programme de développement, d'aides de trésorerie, de renforcement des fonds propres, d'amélioration de la sous-traitance, de simpliciations administratives, de facilités pour la création d'entreprises. Et cependant j'entends bien la plainte ou l'inquiétude qui émane des milieux dont vous êtes les représentants et je n'en conclue par que vous avez tort sur chaque point, tandis que d'autres auraient raison quand j'énumère l'ensemble de ces mesures, quand je constate l'effort du gouvernement, quand j'entends les principaux responsables de l'économie s'exprimer dans des discours publics mais aussi dans nos conversations privées, et lorsque j'entends d'autre part l'expression de votre inquiétude ou de l'inquiétude de bon nombre d'entre vous.
- Alors, je ne cherche pas a priori à savoir si l'un à raison et l'autre tort et je pense, comme vous qui le disiez il y a un instant, "adversaires ou partenaires ?" Les chefs d'entreprises ne doivent pas être des adversaires, mais des partenaires. Peut-être devront-ils comprendre qu'il ne faut pas considérer les responsables de la France comme des adversaires, mais aussi comme des partenaires. Et c'est dans ce sens qu'inlassablement, sachant fort bien combien la France est composée de ses contradictions et combien la vie démocratique consiste précisément à dominer ces contradictions pour en réaliser les synthèses, sans chercher à convaincre plus que de raison en m'adressant à l'intelligence de chacun et à son patriotisme, je suis sûr que la démarche -entreprise et que l'explication permettront, à travers le temps, et plus tôt qu'on ne le croit, à chacun de se sentir à l'aise dans une oeuvre commune.\
Je voudrais aussi vous dire que rien de ce qui a été jusqu'alors exposé n'aurait de sens si notre politique industrielle pour la France ne se mettait en place. Aucune mesure particulière y compris celles qui sont critiquées par une partie de cette salle n'aurait de signification et justifierait vos critiques si elles n'étaient insérées dans une politique industrielle, dans une politique de restructuration industrielle, dans une politique de reconquête de notre marché intérieur, dans une reconquête qui a déjà commencé dans certains domaines, ceux de l'ameublement, du textile, de l'habillement, de la chaussure, du jouet même, il faut en parler en cette moitié du mois de décembre, tandis que se développe un programme ambitieux pour la machine-outil, cela était décidé par le dernier conseil des ministres.
- Et à cette occasion j'ai demandé au ministre de l'industrie `Pierre DREYFUS` de faire une autre communication dès le début du mois de janvier afin de replacer toutes les actions dans une perspective d'ensemble. Comme cela peut être exhaltant que d'engager toutes les forces vives de la nation dans cette perspective ! Que chacun se sente concerné et qu'il ait envie, là où il se trouve, avec toutes ses capacités de donner à la France, là où nos industries sont menacées, là où elles se développent si rapidement, de donner toutes ses chances à notre pays. Cela n'est possible que si nous unissons nos compétences, nos intelligences et nos volontés, que si nous travaillons tels que nous sommes, sur les bases du contrat que nous avons passé, de telle sorte que dans quelques temps nous saurons que nous avons tous ensembles avancé.\
Ce qui est attendu du secteur public notamment est je vous l'assure à la mesure de l'ambition industrielle et technologique que je nourris pour la France. Ce n'est pas par hasard si j'ai demandé au gouvernement, je vous le rappelais il y a un instant, dans un moment où il convenait de limiter au maximum les effets d'un déficit budgétaire de 95 milliards dont j'ai dit ce qu'il représentait au regard du produit intérieur bruit, d'accroître considérablement en deux ans, les crédits de la culture et les crédits de la recherche.
- Il faut fabriquer le fer de lance de l'investissement et de la modernisation : ce n'est pas pour rien que j'ai tenu peu de temps après mon installation à débattre avec les chefs d'entreprises du SICOB, pas davantage je n'ai hésité à créer de toutes pièces un certain nombre de groupements qui se réuniront en un Centre de recherches français et étranger pour que la France atteigne le premier rang dans certains domaines de l'électronique avancée.
- A un moment, je le répète où l'investissement privé se fait attendre, mais où la concurrence extérieure acharnée n'attend pas, il faut redonner à notre industrie et à travers elle, à tout notre tissu économique la volonté,non pas la capacité, mais volonté commune, partagée par l'ensemble du pays, qui semble encore manquer.\
Des objectifs seront donc fixés par accords entre les entreprises publiques et l'Etat, par accords avec qui voudra dans le secteur privé qui reste et qui doit rester largement majoritaire. Les moyens nécessaires seront associés. La liberté d'entreprendre continuera de produire l'imagination, le dynamisme indispensables à la réussité économique. Mais vous me comprendriez et me connaîtriez bien mal si vous ne sachiez vraiment aujourd'hui que rien ne s'explique de la vie de notre vie, de la place de la France dans le monde, et sans doute de ce que vous faîtes chaque jour, et du développement de vos entreprises là où vous vous trouvez à quelques niveaux que ce soient, si nous n'avions le culte de la création, le culte de l'intelligence informée, la volonté de créer l'instrument, l'amour de l'objet et le cas échéant la capacité de le faire connaître et de le vendre, d'être meilleur que les autres. Dans quel domaine ne sommes-nous pas habités par cette passion, non pas de dominer mais là où nous appliquons notre capacité d'être les meilleurs ? Ensuite, eh bien il appartient aux autres de choisir et de savoir si la France et les Français sont en cette fin de siècle capables d'aborder en situation de gagneur le siècle qui commence !\
Vous disiez tout à l'heure, monsieur le président, mutation technologique et vous ajoutiez mutation sociale. Et c'est vrai que si l'esprit d'entreprise doit être largement répandu et donc défendu, il faut aussi que tous ceux qui prennent part à l'entreprise s'y sentent à l'aise et ceci était contenu dans votre exposé, je ne fais que reprendre une idée déjà exprimée mais dont chacun sait ici qu'elle me tient à coeur.
- Progrès social et progrès économique sont liés. Le changement des -rapports sociaux dans l'entreprise c'est un objectif fondamental de notre société. Mais je sais bien qu'aucun changement n'est facile et celui-ci pas plus que d'autres. Mais ce changement-là, dans les -rapports sociaux, ne peut être décrété : il sera négocié pour être maîtrisé et adapté à la diversité des situations. Comment ne pas reprendre ce beau mot de pluralisme déjà prononcé tout à l'heure par un autre que moi. Qui pourrait croire qu'une démocratie politique pourrait connaître ces prolongements sous la forme de la démocratie économique et de la démocratie sociale, si cette démocratie n'était pas d'essence pluraliste ? C'est l'honneur de ceux qui gouvernent la France que de la gérer selon les idées qui sont les leurs dès lors que ces idées ont été retenues par la majorité du peuple, mais d'être disponibles à tout moment pour qu'en-raison du pluralisme et des lois mêmes de l'alternance, la démocratie continue, quels que soient ceux qui ont la charge du pays.\
C'est pourquoi les partenaires sociaux seront consultés. C'est pourquoi leurs avis seront pris en-compte. Il appartiendra aux chefs d'entreprises, aux salariés ou à leurs représentants d'organiser ensemble la vie de l'entreprise dans-le-cadre de la loi. Et la loi elle-même autant qu'il est possible ne doit pas se substituer au dialogue, mais simplement le consacrer. N'observe-t-on pas souvent que bon nombre d'entreprises françaises à l'image de notre société, sont encore trop centralisées, trop hiérarchisés, trop rigides ? Ce mal n'est souvent pas le propre de telle ou telle forme d'organisation. Vous pouvez observer de quelle façon, au travers d'un siècle et demi, les formes de gigantisme se sont développées et j'entendais quelqu'un tout à l'heure exprimer la nécessité d'établir ou de créer des entreprises à l'échelle de l'homme, chacun y trouvant une capacité nouvelle de développer un type de relations et aussi d'appliquer sa compétence autrement.
- Il faut que chacun de ceux qui participent à la vie de l'entreprise y trouve les conditions d'une vie normale, des chances pour la vie personnelle ou pour la vie de son foyer.\
On applaudissait tout à l'heure et on avait raison, tel ou tel propos qui visait à vous mettre en -état de défense contre l'excès de bureaucratie. Je vais sans doute vous surprendre si je garde le fil du discours et aussi de certaines réactions : il faut tout faire pour que les contraintes bureaucratiques cessent de freiner les performances économiques. Il faut tout faire pour cela. Et je vous l'ai dit tout à l'heure, c'est vrai pour le secteur public comme pour le secteur privé, car chaque entreprise doit pouvoir tenter sa chance et courir ses risques. Je ne mets à cela qu'une seule condition, ne jamais perdre de vue l'intérêt général.
- L'entreprise de demain devra organiser la diversité des carrières, des formes et des temps de travail. On en discute, on en débat actuellement. Cela correspond inéluctablement à la variété de plus en plus grande des aspirations et des motivations des femmes et des hommes de ce siècle.
- Quant au profit, monsieur le président, il est évident que le profit est le moteur hors duquel il serait inconcevable que dans la compétence mondiale une entreprise ait quelques chances de survivre. Et il faut que le profit soit la juste récompense de ceux qui ont appliqué tout leur temps de vie, leurs peines, parfois aussi leurs angoisses. Mais il faut aussi que ce profit, dans les conditions de justice, de mieux en mieux comprises par un grand nombre de responsables, soit tel qu'il puisse être réparti entre tous ceux qui ont réalisé la grande oeuvre de cette entreprise. Croyez-moi c'est l'essentiel de ma démarche.\
Vous avez mené, messieurs, une importante réflexion collective sur l'entreprise de demain. Cette réflexion débouche sur des propositions. Croyez-le ces propositions je les étudierai et je ne serai pas le seul à le faire. Plusieurs ministres sont ici et vous savez, quoique vous pensiez de la politique du gouvernement, que ce sont des hommes qui croient en ce qu'ils font et qui ont conscience et sincérité dans leur action. Nous réfléchirons à vos propositions. Si vous souhaitez qu'elles contribuent à orienter les décisions des dirigeants et des cadres d'entreprises, qu'elles aident à la préparation du futur, eh bien nous seront partenaires. S'il arrive comme je l'espère que vos réflexions rejoignent les conceptions et les projets qui sont les nôtres, eh bien à votre tour étudiez-les, tenez-en compte. Aurons-nous ensemble la capacité d'inventer une nouvelle manière de vivre dans l'entreprise hors de l'entreprise ? Je le souhaite tant je suis persuadé que le mal le plus profond de notre société, de notre société urbaine est de n'avoir pas encore bâti les fondements de sa civilisation, à peine sortie de la société pastorale éclatée par les effets conjugés de la science et de la technique, tant je suis convaincu que cette civilisation de la ville ne trouvera à sont tour sa réalité que dans le retour à la communication entre les membres d'une même société.\
Le rôle qui revient alors au système éducatif devient primordial et je suis ici invité par une Ecole, par ses élèves, par ses dirigeants, par ses anciens élèves. De la diffusion du goût d'entreprendre, de la préparation de l'homme, non seulement de son intelligence mais aussi de son caractère, de l'acquisition du sens du dialogue, je suis sûr que naîtront de nouvelles capacités afin d'intégrer la gestion dans la culture moderne parce qu'elle est culture elle-même.
- Vous avez rappelé votre devise, "Apprendre à oser". Moi, je suis sûr et pour cela je fais confiance (comment ne ferais-je pas confiance, alors vers qui me tournerais-je ?) je suis sûr que vous saurez vous lancer de toutes vos forces dans la noble aventure à laquelle vous convie votre propre jeunesse, les espérances de cette jeunesse et les choix de l'âge adulte. Nous avons choisi nous de notre côté ce qu'on appelle la relance par la demande et nous connaissons fort bien les limites de ce choix dès lors que la relance de la demande ne serait pas accompagnée de la relance par l'investissement. Nous le savons : nous aussi nous sommes passés par quelques écoles ! La demande, instrument mis à votre disposition doit être relayé par l'investissement qui ne dépend pas naturellement que de vous mais qui dépend de vous et de nous dans la politique que nous mettons aujourd'hui en mouvement. Elle ne trouvera à s'appliquer que si nous savons préserver les chances de la concurrence internationale. Nous n'allons pas, telle n'est pas notre intention, vers un système protectionniste : il faut aborder la concurrence d'abord européenne, à l'intérieur de la Communauté `CEE`, qui suppose une liberté extraordinaire de mouvement en même temps qu'une part de risque dont vous pouvez mesurer l'importance. Il faut y aller hardiment, apprendre à oser ! Et lorsque je me trouvais récemment à Londres encore, face à neuf autres partenaires de la Communauté économique européenne j'étais l'un de ceux qui disaient : "Mais n'oublions pas les bienfaits que nous avons reçus les uns et les autres, y compris ceux qui semblent marcher à reculons dans cette Communauté, en connaissant aussi la rudesse des compétitions, en sachant parer aux éventuels itinéraires qui passent impudemment au travers du réseau de la Communauté".\
Jouer la carte de la concurrence internationale, savoir orienter notre recherche pour que nous soyons capables de reconquérir notre propre marché, mais loyalement, c'est-à-dire parce que nous serons capables aussi de produire mieux. Et cet immense chantier qui en appelle au-delà de la solidarité, de la générosité, au-delà des bons sentiments, cependant nécessaires, cet immense chantier qui fait qu'aujourd'hui la France apparaît ou puisse apparaître comme l'un des pays industriels capables de mieux comprendre les besoins du tiers monde, ces six milliards d'êtres humains que l'on ne peut ni considérer comme des pauvres auxquels il faut tendre la main pour apporter la nourriture qui leur permettra de ne pas mourir de faim et qu'il ne faut pas non plus considérer comme des consommateurs, des numéros, des gens prêts à acheter nos produits, mais comme tout simplement des hommes, des femmes, qui ont d'abord besoin de vivre et qui pour vivre ont besoin de produire, après avoir consommé et hors desquels la petite Europe industrielle sera incapable de vendre ses produits. Déjà 40 % des produits de la Communauté `CEE` sont exportés vers le tiers monde ! Avoir au moins l'idée que cela est possible, parvenir à convaincre les grands pays industriels qui s'y refusent, qui se replient sur eux-mêmes, dans des politiques égoistes ! Faire comprendre que c'est en ouvrant ses marchés, formant des hommes, en développant les industries de transformation sur place, en organisant la garantie des cours des matières premières, en développant les secteurs énergie dans les pays où il n'y a pas de production de pétrole, bref, en organisant les échanges ! Cela nécessitera un effort de notre part plus grand au point de départ c'est sûr, mais au bout du -compte, dans dix ans et dans vingt ans, la génération qui vient, verra s'ouvrir non seulement les marchés qui pourront satisfaire l'orgueil légitime de ceux qui ont créé et produit, mais aussi le sentiment d'appartenir au vieux pays civilisé qui est le nôtre et qui aura su comprendre avant les autres qu'il existe une solidarité internationale, réplique de la solidarité nationale à laquelle messieurs je vous convie.\