24 novembre 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de l'inauguration des locaux d'immunologie de l'Institut Pasteur, Paris, mardi 24 novembre 1981

Monsieur le président,
- monsieur le directeur,
- mesdames, messieurs,
- C'est avec plaisir que j'ai accepté l'invitation de l'Institut Pasteur à venir inaugurer, en compagnie de multiples et prestigieuses personnalités du monde de la recherche médicale, ce nouveau bâtiment de recherche fondamentale destiné à une discipline de pointe, notamment l'immunologie.
- Cher monsieur GROS, vous nous rappeliez à l'instant, qu'il y a un an, presque jour pour jour, nous avions une conversation à ce sujet lors d'un colloque qui se tenait, rassemblé par vos soins, précisément sur les relations de la science ou des sciences de la vie et de la société.
- J'ai tenu à venir aujourd'hui vous confirmer ce que je vous avais dit à l'époque avant d'accéder à la responsabilité que le peuple m'a confiée £ j'ai foi en la recherche. Je crois qu'un pays qui délaisse ses chercheurs est naturellement voué au déclin. Il en va de la place de la France dans le monde. Il en va de la transformation de la société française. Il en va, et vous l'imaginez, d'autres données encore et simplement du sort de l'homme.
- Donner la priorité à la recherche, c'est choisir une voie pour combattre la crise et affermir notre économie en confortant l'une de ses racines essentielles. C'est aussi un moyen de donner à la France le projet culturel sans lequel elle continuerait de douter d'elle-même.
- La quête de la connaissance c'est la volonté d'acquérir l'aptitude à maîtriser son avenir. L'intérêt d'un pays pour sa recherche, c'est le signe d'une société en mouvement : l'esprit, l'esprit en mouvement, chercher, découvrir. On découvre, si l'on cherche.
- Il ne sert à rien d'opposer artificiellement recherche fondamentale et recherche appliquée. L'histoire des siens nous montre qu'il n'existe pas d'application de la recherche - d'autres diraient de recherche appliquée - qui ne procède d'un puissant courant de recherche fondamentale.
- Il est certain que cette dernière doit bénéficier d'une autonomie de choix et de méthodes sans laquelle la créativité risque vite de s'étioler. Un chercheur qui ne sent pas libre n'a d'autre ambition légitime que de recouvrer sa liberté. Mais il doit en retour penser que cette liberté - qui est aussi celle de disposer de moyens de travail - lui est offerte par la collectivité. Cette responsabilité "sociale" du chercheur doit à la fois l'honorer et le motiver.\
Mais nous parlons ici d'un domaine dont la complexité empêche parfois le plus grand nombre d'apprécier l'intérêt, et de comprendre les conséquences. L'apparition d'un doute sur les méfaits de la science et même la crainte de son détournement à des fins néfastes, qu'elles soient mercantiles ou même résolument offensives, traduit un malaise qu'il est important de dissiper par une reprise du dialogue entre les chercheurs et la société. Je crois à la puissance de l'esprit, de l'esprit humain, à sa capacité de maîtriser sa propre capacité créatrice. Je pense que ce dialogue est non seulement possible, mais nécessaire, comme d'ailleurs vient de le montrer le succès, que je crois assez spectaculaire de la journée "Portes Ouvertes" à l'institut Pasteur qui s'est déroulée, il y a quelques mois ici-même.
- Un grand colloque sera organisé en janvier prochain. Le ministre d'Etat chargé de la recherche et de la technologie, M. Jean-Pierre CHEVENEMENT, a lancé, au-niveau régional, le débat sur les choix scientifiques qui concluera le colloque.
- L'ensemble des ministres concernés y sont et seront associés. Et je me plais à mentionner la bonne collaboration qui s'est instaurée dans ce domaine avec les différents ministres et notamment avec le ministre de la solidarité nationale `Nicole QUESTIAUX` et le ministre de la santé `Jack RALITE`. L'idée de ce colloque est partie de la conviction que notre société est responsable et que chacun d'entre nous a le droit et l'envie d'être informé, tant sur les résultats obtenus que sur les conséquences que certains de ces résultats peuvent entraîner. Et que peut-on tirer comme enseignement de votre présence ici, mesdames et messieurs, de votre présence elle-même, élément secondaire de la tâche à laquelle vous appliquez votre vie, votre propre réflexion, sinon, précisément, le sens de notre responsabilité commune dont vous êtes les éléments avancés, puisque vous nous montrez le chemin.
- Bien entendu, le souci qui est le mien, parce qu'il est celui, je pense, des Français, de voir la recherche scientifique comprise et admise dans notre vie quotidienne, concerne l'ensemble du champ de la recherche, bien au-delà de cet amphithéâtre, de cette salle et de cette maison. Je pense notamment à des secteurs entiers qui ont été trop longtemps sous-estimés, comme le secteur des sciences humaines et sociales ou celui de la santé publique.\
Toute notre recherche doit être valorisée comme une ressource naturelle. Ce sera le sens de la loi d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France pour les années 1982 à 1985 que j'ai demandée au gouvernement de préparer afin qu'elle soit soumise au Parlement lors de prochaine session de printemps.
- Cette loi sera élaborée à-partir des conclusions du large débat qu'aura permis la colloque dont j'ai parlé, des 13 et 14 janvier prochain. C'est aux chercheurs eux-mêmes et à la collectivité toute entière de participer, par l'idée, la suggestion, la critique, à la définition des intentions fondamentales et du contenu de cette loi.
- L'Etat, quant à lui, a décidé d'accorder à la recherche des moyens budgétaires sans précédent. Nous pensons en effet que les dépenses affectées à la recherche, qui représentaient, en 1980, 1,8 % du produit intérieur brut sont insuffisantes. Notre objectif est de porter ce pourcentage à 2,5 % en 1985. D'ores et déjà, les crédits budgétaires affectés au budget civil de recherche seront, en 1982, en hausse de près de 25 % et nous aurons en un an et demi, créé 1400 postes de chercheurs, tandis qu'ont été mises en place six missions prioritaires.
- L'intérêt public sera le seul et le véritable critère dans le choix des priorités de la recherche. D'ailleurs à qui serait confié ce choix sinon à vous-mêmes et quel est votre autre souci que celui que je viens d'indiquer ? Nous n'avons pas l'intention de nous substituer à quinconque. L'Etat est là pour donner un élan et donner des moyens, le reste vous appartient. Nous devons concevoir cet intérêt public, guide de votre recherche national, comme un moyen, et il n'est pas médiocre, un moyen d'assurer le rayonnement de la France dans le monde. C'est pourquoi, je place au premier rang l'effort que nous avons désormais entrepris pour tenter de sortir à la mesure de nos forces et de la misère et du sous-développement économique.\
Cet objectif, j'en parle ici avec d'autant plus d'aise qu'il est celui de cette maison depuis près d'un siècle au-point que l'on parle du "modèle pasteurien".
- Nous avons des moyens. Il faut les mobiliser. Notre réputation n'est plus à faire. Vous avez cité, monsieur le président, monsieur le directeur, de grands noms du présent. La continuité est assurée. J'ai devant moi ici ceux que je connais ou que je ne connais pas et tous vous les connaissez. Vous vous reconnaissez entre vous et surtout la postérité reconnaitra bien à la fois l'illustre et l'obscur, l'équipe. Ceux qui sans chercher à faire valoir ni leur don, ni leur oeuvre, ont été les fondateurs d'une science moderne au service de l'homme.
- Cette maison et cette discipline témoignent de vos moyens combien de grands noms, français et étrangers, y sont associés. Laissez-moi rendre à l'instant hommage à Jacques MONOD qui, vous l'indiquiez, a eu l'idée de ce nouveau centre et plus près de nous encore au professeur DAUSSET qui reçut l'an dernier la plus haute des récompenses. Mais nous n'allons pas nous féliciter nous-mêmes ni établir des hiérarchies que personne ne reconnaît surtout ceux-là même qui sont aujourd'hui placés en avant tant ils désirent restituer à la communauté scientifique ce qui fut leur apport personnel. Plutôt que de nous féliciter, il s'agit en effet de progresser encore.\
La recherche médicale, elle, se propose de reconnaître les maladies par de nouveaux moyens, d'en démontrer les mécanismes et, à-partir de là, d'en proposer le traitement. Mais elle permet également d'inventer de nouveaux appareils, de nouveaux procédés pour le diagnostic et la thérapeutique. Elle participe autant que le développement socio-économique et culturel à l'élévation du niveau de santé et vous citiez tout à l'heure toute une série d'applications de vos recherches médicales qui ont des applications industrielles, de sorte que vous assurez le lien entre des disciplines dont le pays a le plus grand besoin.
- Les progrès qui en découlent sont socialement profitables et économiquement productifs même s'ils peuvent difficilement être comptabilisés. Ne croyez pas que je cède en disant cela à je ne sais quelle religion de l'économisme à laquelle je ne crois pas £ je veux seulement souligner ceci : économique et social, développement de l'homme, survie, chance affirmée à toutes les ressources de l'esprit et du corps forment un tout.
- Selon la formule de GANDHI : "Dieu ne parle pas à un estomac vide ou à un corps malade". Enfin bien entendu toute formule mérite d'être corrigée. La santé au sens large, celui que lui donne l'OMS dans cette définition précise "d'-état de santé physique, mental et social complet, et pas seulement l'absence de maladie ou d'infirmité" c'est un objectif primordial de développement.\
Et je ne doute pas que ce noble objectif sera au-coeur des travaux qui se dérouleront dans ce bâtiment d'immunologie que j'ai eu l'honneur d'inaugurer aujourd'hui.
- L'immunologie est l'une des plus modernes avancées de la biologie. J'y vois l'affirmation de l'infinie diversité des hommes et de leur singularité biologique, qui apporte ainsi le démenti scientifique le plus cinglant à ceux qui peuvent rêver de la supériorité de certains hommes sur d'autres. Je paraphraserai l'un de vous, le professeur François JACOB, en disant que l'égalité a sans doute été inventée précisément parce que les êtres humains ne sont pas identiques.
- Bien entendu, l'immunologie, au-delà de sa dimension humaniste, procure pour l'ensemble de la médecine, des baases théoriques et des méthodes expérimentales dont l'importance est démontrée par l'extraordinaire fécondité de ses applications.
- Cette discipline entraîne derrière elle aujourd'hui une véritable industrie et la médecine toute entière, depuis la prévention jusqu'aux traitements les plus efficaces en passant par de nouvelles méthodes de diagnostic plus précises plus rapides et surtout moins agressives pour les malades.
- Tout ceci, c'est le présent, mais c'est aussi le champ d'un programme de travail dont nous savons, dès maintenant, qu'il occupera toutes les prochaines décennies. C'est une des conditions de la disparition pour l'an 2000 des maladies contagieuses, infectieuses ou parasitaires qui sévissent encore sur les deux tiers de la planète. Je souhaite donc aux hommes et aux femmes qui vont venir travailler ici, courage, ardeur, succès.
- Ici, dans cette salle, et au-delà dans cette maison des centaines et des centaines de femmes et d'hommes, à des -titres divers, directement scientifique ou simplement pour la bonne marche de cette maison, apportent le -concours de leur compétence et de leur dévouement. Ils aiment leur maison et ils la servent, je voudrais au-delà même de tous ceux qui ont illustré, qui illustrent la science faire sentir à quel point le plus modeste ou le plus illustre d'entre vous, c'est l'Institut Pasteur, c'est le modèle pasteurien, c'est une école de pensée, c'est un choix de vie que je suis venu ici célébrer en apportant par la présence du Président de la République française, le témoignage et l'hommage d'un peuple.\