20 octobre 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'Alliance française, sur les relations culturelles franco-mexicaines et le dialogue Nord-Sud, Mexico, mardi 20 octobre 1981

Monsieur le ministre,
- Monsieur le président de la Fédération des Alliances françaises du Mexique,
- Monsieur le président des Alliances françaises de Mexico,
- Saluer l'Alliance française, c'est saluer une institution mexicaine.
- Chers amis mexicains de la France, l'Alliance française du Mexique est au premier chef votre oeuvre. Une oeuvre bientôt centenaire qui a survécu à toutes les épreuves : la création du premier Comité pour l'Alliance ne remonte-t-elle pas à 1884 ? Plus récente est-il vrai - la date officielle de naissance de l'Alliance. Plus symbolique aussi de notre attachement commun à la liberté : 1910 - l'année de la grande révolution mexicaine.
- Forgée par l'amitié et l'intelligence de plusieurs générations d'élèves, de professeurs, de donateurs, l'Alliance est aujourd'hui anncrée dans la vie même de votre pays. Et, selon le mot du président de l'Alliance, "elle appartient au patrimoine culturel du Mexique". Quel plus bel hommage rendu à l'esprit de symbiose intellectuel inspiré par cette maison !
- Sans votre ferveur - amis mexicains - et sans les sacrifices financiers consentis par beaucoup d'entre vous, l'Alliance n'aurait pu connaître cette prodigieuse vitalité. Grâce-à vous, l'Alliance française du Mexique est la première du monde : 35 000 élèves. Un élève sur huit fréquentant l'Alliance dans le monde est un élève mexicain. Et pas seulement à Mexico, mais à travers tout le pays : établissement à têtes multiples, l'Alliance a ouvert 45 centres sur l'ensemble du territoire mexicain. Pas un appel lancé par les responsables de l'Alliance qui soit resté sans réponse : succès de vos cours £ succès de vos manifestations culturelles £ succès des voyages culturels en France £ succès des campagnes financières. Pourquoi l'appel adressé au gouvernement français serait-il le seul à être trop faiblement entendu ? A cette anomalie, je souhaite mettre fin. Certes votre Alliance doit demeurer une entreprise libre, autogérée, indépendante, nourrie par une multitude d'apports bénévoles. Le gouvernement français se doit pourtant de vous apporter à l'avenir un -concours plus actif, en-particulier pour la formation des professeurs. Le témoignage le plus fécond de notre reconnaissance sera d'ouvrir plus largement encore les portes de nos écoles, de nos lycées, de nos universités, de nos médias et de nos institutions culturelles à la langue espagnole et à la culture mexicaine.\
J'adresse aussi mon salut chaleureux au lycée franco - mexicain ainsi qu'aux institutions culturelles françaises officielles qui ne ménagent ni leur peine ni leur imagination pour assurer un plein épanouissement aux échanges culturels entre nos deux pays : les services culturels de notre ambassade £ l'Institut français d'Amérique latine, créé en 1945 à l'initiative du grand savant Paul RIVET, sauvé de la disparition en 1947 par l'écrivain Alfonso REYES et appelé à déployer son action universitaire, artistique et audiovisuelle sur l'ensemble du continent £ le Centre scientifique et technique £ la mission archéologique. Je sais que chaque Français ici présent n'oublie jamais de quel message il est porteur. Héritier de la révolution française, il doit plein respect à la dignité et à la liberté du peuple dont il est l'hôte. Chaque Français qui oeuvre en terre amie pour la culture et la langue française doit incarner l'esprit de tolérance et d'ouverture. Il est l'ambassadeur de son pays et doit, comme tel, faire aimer le meilleur de nous-même : notre passion est partagée par nos deux peuples. Le curé HIDALGO, fervent lecteur des encyclopédistes, de VOLTAIRE, de ROUSSEAU, est une figure exemplaire de la solidarité franco - mexicaine : en même temps qu'il appelait le peuple mexicain à la révolte contre le colonisateur, il enseignait le français, langue d'émancipation.\
Permettez maintenant au Président de la République française d'oublier un instant les institutions culturelles françaises ou plutôt de les inclure dans une perspective plus large :
- - d'abord celle des -rapports culturels entre le Mexique et la France £
- - ensuite celle, plus ambitieuse encore, des -rapports culturels entre les pays du Nord et les pays du Sud.
- 1 - Et d'abord les -rapports culturels entre le Mexique et la France.
- Voici deux nations soeurs, façonnées par leurs révolutions, éprises de liberté, pratiquant une langue latine, enrichies toutes deux par les métissages et les confluences de civilisations, hospitalières aux combattants de la liberté bannis de leurs pays, ennemies des impérialismes uniformisateurs, fortes d'un rayonnement intellectuel incontesté en Europe comme en Amérique. Tout ne milite-t-il pas pour que le Mexique et la France batissent ensemble une communauté culturelle exemplaire et pour que nos deux peuples s'assignent une ambition commune : l'apprentissage mutuel de leurs cultures. Marquées du sceau de la réciprocité, nos relations culturelles peuvent briser le cercle traditionnel des -rapports avec les pays d'Occidant, se fondent sur l'égalité et le respect et offrir un modèle de coopération.
- De notre pays, nous avons, nous français, beaucoup appris et nous espérons encore apprendre. Combien d'hommes de culture français n'ont-ils pas puisé chez vous une inspiration nouvelle : André BRETON, Antonin ARTAUD, Benjamin PERET ou, plus proches de nous encore, le romancier Jean-Marie LE CLEZIO ou mon ami Max-Pol FOUCHET. Comment oublier d'autre part l'influence déterminante du compositeur mexicain Carlos CHAVEZ sur les compositeurs contemporains ? Le symbole de notre parenté et de notre dépendance réciproque. Je le vois, comme l'écrivain Alfonso REYES, dans la cochenille, fixée sur les branches du nopal mexicain et réputée pour produire le rouge le plus éclatant - celui-là même avec lequel fut teint le premier drapeau de la Convention. Tel est le signe sous lequel je voudrais placer l'avenir des relations entre le Mexique et la France. Déjà j'observe avec plaisir qu'au-cours des dernières semaines plusieurs projets ont vu le jour. Ainsi a-t-on simultanément programmé en 1982 une exposition sur l'architecture française à Mexico. De même a-t-on décidé d'organiser en 1981 à Paris une vaste exposition sur l'art aztèque et la période contemporaine sous le titre "Mexique d'hier et Mexique d'aujourd'hui" dans le même temps où, à Mexico, le Centre POMPIDOU préparera une rétrospective sur l'art français moderne et le Musée RODIN une présentation des oeuvres de RODIN. Nous aurons aussi le plaisir d'accueillir à Paris l'orchestre philharmonique de la ville de Mexico que préside Mme Carmen Romano de LOPEZ PORTILLO.\
Je souhaite que nos gouvernements soient plus ambitieux encore et qu'ils explorent hardiment d'autres voies.
- Ainsi le futur accord cinématographique qui sera conclu au début de 1982 par Mme Margarita LOPEZ PORTILLO et le ministre français de la culture pourrait-il échafauder une construction entièrement nouvelle. Comment comprendre en effet que nos deux pays aient enserré leurs échanges par des règles rigides alors même que leurs marchés du cinéma offrent tant de traits similaires et complémentaires. Pourquoi ne pas ouvrir plus largement les autorisations d'importation de films ? Pourquoi ne pas multiplier les coproductions ? Pourquoi ne pas associer nos télévisions et les faire servir à la connaissance mutuelle de nos pays ? Un exemple pour mieux me faire entendre. Sur 240 films étrangers programmés à la télévision française en 1980, près de 200 étaient américains - et pas toujours les meilleurs -, 30 étaient européens et 10 films - pas un de plus - étaient regroupés sous l'aimable rubrique "divers". Dix films pour représenter l'ensemble du cinéma de plus de la planète : du Japon à l'Amérique latine, de l'Amérique à l'Asie. Voilà la vision du monde proposée aux télespectateurs français ! A l'avenir notre télévision sera ouverte à toutes les cultures du monde et notamment à la culture mexicaine. Dans la bataille de l'audiovisuel qui oppose cinémas nationaux et télévisions nationales aux productions multinationales standardisées, l'entente franco - mexicaine peut former bouclier.
- D'autres champs sont à couvrir : des co-éditions aux recherches scientifiques conduites par des équipes mixtes. Des obstacles sont à vaincre : le prix des transports des livres et des journaux, le nombre encore insuffisant de bourses. Je suis confiant et optimiste. Je crois à notre destin commun. Je crois à la réussite de notre nouvelle coopération. Pour en célébrer et en consacrer le succès, je propose l'organisation par une même équipe d'historiens et de conservateurs français et mexicains d'une manifestation commune "Paris - Mexico" en 1985. Le Centre Beaubourg `Centre POMPIDOU` l'accueillerait à Paris. Consacrée à l'histoire de nos influences réciproques, elle marquerait notre volonté de porter plus loin encore l'union de nos deux peuples.\
2 - Notre marche amicale s'inscrit dans un projet plus ambitieux encore : la transformation des -rapports culturels Nord-Sud.
- La géographie et l'histoire désignent nos pays comme deux nations-charnières entre les deux hémisphères £ elles nous assignent une vocation de médiateurs entre le Nord et le Sud. Il appartiendra au Mexique et à la France de prolonger le dialogue économique de chacun par un futur dialogue culturel. L'échange inégal n'est pas seulement économique ou financier. Il est aussi, culturel. Ce ne sont pas uniquement les termes economiques de l'échange qu'il faut inverser. Ce sont simultanément ses termes culturels. La balance culturelle entre le Nord et le Sud confère aux plus puissants du Nord une domination intellectuelle et mentale qui prive souvent les pays du Sud de leur liberté de communication et de leur droit à l'identité. Quelle source d'appauvrissement en même temps pour la culture du Nord qui, pour élargir ses marchés standardise les produits de la pensée ! Serait-ce là le futur de l'humanité ? Le même film stéréotypé diffusé sous toutes les latitudes ? La même musique industrielle propulsée sur tous les continents ? La même langue dénationalisée sur tout les murs du monde ? Ni le Mexique ni la France ne se résignent à devenir les vassaux de l'empire du profit. Là encore nos deux pays peuvent faire oeuvre d'avant-garde et rassembler leurs intelligences et leurs talents pour changer le -cours des choses.
- Puis-je indiquer quelques pistes ?\
a) Sur ma demande se tiendra à Paris la première biennale Nord-Sud en 1983 - première grande confrontation artistique entre les artistes des pays du Sud. Cet événement se tiendra au Grand palais, à Beaubourg `Centre POMPIDOU` et dans les musées nationaux. Je propose que cette manifestation ait lieu d'abord à Mexico au Printemps 1983 avant de s'installer à Paris à l'automne de la même année. Elle préfigurera la grande exposition universelle dont la France sera le siège en 1989 et qui coincidera avec le bicentenaire de la révolution française. Dédiée à la liberté des peuples et aux droits de l'homme, l'exposition universelle de Paris accordera une place centrale aux pays du Sud.
- b) Autre initiative qui pourrait être commune à la France et au Mexique dans l'esprit du dialogue culturel Nord-Sud : le rassemblement des hommes de culture des pays d'expression latine. Après une mission exploratoire, notre ami Gabriel GARCIA MARQUEZ a bien voulu me remettre un projet de création d'une organisation non-gouvernementale `ONG` qui, en une vaste alliance culturelle, réunirait les intellectuels des pays pratiquant une langue latine. C'est un projet puissant et mobilisateur. Les 600 millions d'humains parlant une langue latine peuvent opposer le fer de lance de leur parenté et de leur amitié aux multinationales de l'industrialisation culturelle. Des Andes à l'Extrême-Orient, de l'Afrique à l'Asie, de l'Europe au monde arabe, un front culturel d'idées et de pensés lie et relie les peuples amis de la liberté et attachés à leur art de vivre. Imaginez qu'au même festin de l'intelligence soient conviés les créateurs des cinq continents ! Quelle révolution dans nos moeurs : l'internationale des groupes financiers contrebattue par l'internationale des hommes de culture ! L'internationale des forces de destruction tenue en respect par l'internationale des forces de vie !\
c) C'est dans le même esprit de restauration du dialogue culturel Nord-Sud que je donne mon approbation au projet établi par Léopold SENGHOR et l'UNESCO de créer à la Bibliothèque nationale à Paris un département des "archives de la littérature latino - américaine et africaine du XXème siècle ".
- A l'exemple des manuscrits offerts par ASTURIAS à la Bibliothèque nationale, les manuscrits latino - américains et africains seront protégés et microfilmés et bénéficieront ainsi d'une diffusion mondiale.
- d) Sans changer pour autant de sujet je reviens une dernière fois sur l'Alliance française. Elle montre le chemin à suivre : à Paris même ses locaux du boulevard Raspail seront modernisés et agrandis pour abriter "la Maison des cultures du monde", projet imaginé et soutenu par le ministère de la culture. La Maison des cultures du monde sera un foyer permanent de rencontres, d'échanges et de confrontations entre artistes, hommes de science, journalistes de tous les continents. Je donne mon plein soutien à cette initiative.
- Ce matin lors des entretiens entre Mme LOPEZ PORTILLO et le ministre français de la culture une première traduction a été donnée à ce grand projet. A l'initiative de nos deux gouvernements se tiendra à Paris au mois de janvier une conférence des instituts nationaux cinématographiques appartenant au bloc culturel latin. Cette conférence jettera les bases d'un accord cinématographique entre les pays d'expression latine.
- Pour conclure, je vous le dis de toute la force de ma conviction : Mexicains et Français, agissons ensemble, bousculons les habitudes et les routines, avançons d'un pas alerte. Soyons deux peuples bâtisseurs à l'image du peuple toltèque dont le président José LOPEZ PORTILLO a si remarquablement décrit l'épopée constructrice. Croyez-moi, nos idées seront contagieuses et feront le tour du monde.\