13 octobre 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de son voyage en Lorraine, à la coopérative agricole de Bras-sur-Meuse, mardi 13 octobre 1981

Je vais vous remercier en peu de mots, monsieur le président. Vous administrez là, avec plusieurs de vos collègues, une très belle et forte coopérative. Vous me citiez le nom, je crois, des sociétaires, le nombre des sociétaires, quelques 3 000, et aussi votre chiffre d'affaires.
- Il est certain que l'une des réponses aux problèmes de l'agriculture repose dans la capacité des agriculteurs à s'unir, à s'entraider et le grand mouvement mutualiste représente à cet égard un des beaux exemples de ce qu'il est possible de faire, chacun gardant sa liberté et chacun usant de sa liberté pour s'entraider et pour mettre en commun des productions qui soont seules capables d'affronter par ce moyen la compétition nationale et internationale.
- Les résultats, tels qui m'ont été communiqués, de votre entreprise, de votre coopérative, sont significatifs et quelles que soient les difficultés que vous venez d'énoncer, il est certain que vous représentez une puissance économique et que des départements comme celui-ci, département qui vit difficilement, dont la population se raréfie, qui, comme tous les départements, à base rurale, connaissent un déclin, contre lequel il faut maintenant lutter, doit pouvoir s'arcbouter sur des organisations de ce type afin de retrouver l'élan qui fut le sien en certaines périodes.\
Les difficultés sont dues au marché commun, qui, dans sa globalité est surtout un marché commun agricole. Si les difficultés sont celles que nous vaut le fait d'être un grand pays agricole affronté à de grands pays industriels, nous sommes aussi un pays industriel, mais à des pays industriels qui ont tendance à considérer le marché commun comme un poids lourd pour eux, nous entendons bien, nous responsables du pays, défendre notre agriculture dans-le-cadre de ce marché commun, quitte à demander et obtenir que certaines de ces règles en soient modifiées s'il le faut.
- Cependant, la perte qui dure depuis maintenant des années, 6 ans, 7 ans, 8 ans, du pouvoir d'achat des agriculteurs, présente en effet cet aspect inquiétant que vous avez souligné. Je dirai même que c'est la catégorie socio-professionnelle la plus frappée par la crise moderne et ce n'est pas normal si l'on songe aux richesses naturelles dont dispose notre pays. C'est vrai aussi que les gains que la France, au total, a tiré du marché commun agricole ont surtout reposé sur le marché des céréales et que nous avons la chance d'être dans un coopérative à base de céréales. Mais c'est vrai aussi que pour les producteurs de viande par exemple cela n'a pas été aussi profitable et encore moins bien entendu puisqu'il n'y a pas de règlement pour les producteurs de vin ou de fruits et légumes. Quant aux producteurs de lait, c'est vrai, il en ont tiré eux aussi profit bien qu'il y ait aujourd'hui quelques menaces que nous ne parviendrons à dominer que si interprofessionnellement on arrive, comme vient de le faire le Gouvernement, à organiser notre marché.
- Mais enfin, vous êtes là sur un bon terrain, monsieur le président, il fallait bien que vous me disiez quelques raisons, justifiées au demeurant, que vous aviez de vous inquiéter, si vous n'aviez pas fait le tableau ou s'il était incomplet, j'aurais été tellement surpris que je n'en serais pas revenu ! Il fallait donc qu'il en eût.\
A cet égard, je tiens à vous dire que les dispositions prises par M. le ministre de l'Economie et des Finances ù`Jacques DELORS`, par Mme le ministre de l'Agriculture, `Edith Cresson`, au-sein du Gouvernement, ont abouti à un desserrement de l'encadrement du crédit au-plan du Crédit agricole. Et nous allons continuer dans ce sens.
- Quand on s'est trouvé, il y a quelques mois, au moment où nous engagions une politique de croissance, affronté à une formidable élévation du prix du loyer de l'argent aux Etats-Unis d'Amérique, laquelle Amérique aspirait grâce-à cela tous les capitaux disponibles et mobiles dont vous savez qu'ils sont par-nature fluctuants, nous nous sommes trouvés dans une situation délicate et nous ne pouvions pas faire autrement que d'essayer de suivre, ou bien il y aurait eu une désertification complète des capitaux en France.
- D'autres pays que le nôtre ont été contraints d'agir de la sorte. Certains ont pratiqué une audacieuse politique de réduction de ces taux d'intérêts, nous-mmes l'avons fait. Non, disons, nous l'avons fait de façon prudente et progressive. Et si nous avons eu au-cours d'un récent à-coup la nécessité de remonter un peu ces taux d'intérêt, notre projet est bien de les faire retomber jusqu'à, je ne sais pas combien, 15, 14,... 16 ? 16, nous dit le ministre de l'Economie et des Finances, plus prudent que moi. Etant bien entendu que dans la réalité les 14 et les 15 sont atteints par combien de professions qui bénéficient de prix bonifiés et qu'en fait nous mettons en mesure, dans-le-cadre de notre marché intérieur, un certain nombre de professions de continuer à vivre normalement et à ne pas s'endetter exagérément, à ne pas être ruiné par le taux de l'argent.
- En somme, peu à peu nous sommes amenés à disposer de deux marchés, l'un international et l'autre intérieur, et vous en comprenez bien la nécessité. Mais enfin je vous le répète, un Crédit agricole désencadré ou du moins, moins encadré, plus de facilités accordés aux producteurs, et l'ensemble des données qui font que nous mettons sur pied actuellement une politique agricole dynamique, devrait nous permettre d'affronter les prochaines années en tentant de remonter la pente. Ce n'est pas facile en arrivant au milieu d'une année, soudain de faire basculer les courbes, et la courbe du pouvoir d'achat 1981 est comme celle de 1980,\
J'ai pendant longtemps, 35 ans, représenté un département qui ressemble assez à celui-là, en bordure du bassin parisien, et inspiré par les grandes villes, avec des structures de plus en plus fragiles, la disparition dans les petits chefs-lieux de cantons de tout l'appareil administratif en-raison des dispositions prises par les différents gouvernements pour concentrer sur les chefs-lieux l'essentiel de l'armature et finalement un appauvrissement, un déclin, un départ des jeunes agriculteurs.
- Et si l'on songe qu'il y a 20 ans on était véritablement en grande peine sur-le-plan des équipements collectifs, jusqu'où allait l'adduction d'eau, quel était le degré d'électrification, comment était tenue la route, au moins de trois mètres de large ? On se demande pourquoi les jeunes agriculteurs et surtout les jeunes femmes ou jeunes filles seraient restées là lorsqu'il convenait d'aller chercher l'eau au puits ou bien à la rivière et ce dans les hivers les plus rudes ?
- Résultat : dans mon petit coin, je n'avait plus que des villages de célibataires hommes, ce qui n'est pas la meilleure façon de perpétuer une collectivité. Et de ce fait, dans les années dont je vous parle la tendance générale était d'évacuer la campagne, chacun voulant aller vers la ville, vers le mirage de la lumière, du monde, des compagnons, des distractions de toutes sortes.
- Et ce qui est très intéressant, aujourd'hui, c'est que le phénomène inverse se produit. Cette génération-là, elle assure la validité de sa démarche, elle y était poussée par les raisons et les structures économiques insuffisantes, depuis lors on a équipé et je sais que beaucoup de départements au-niveau de leur conseil général, au-niveau de leur commune ont fait cet effort.\
A-partir de là, cet équipement étant convenable, on assiste également sur-le-plan culturel à un besoin de la jeunesse de rester travailler et vivre au pays. Encore faut-il qu'il y ait l'emploi pour cela car comment revenir si on n'a pas de travail. Et notre tâche à nous, et la vôtre, mesdames et messieurs. les élus qui êtes dans cette salle, c'est de créer cette infrastructure de l'emploi.
- Sur-le-plan industriel, nous y venons, nous en avons parlé pendant ces deux jours en Lorraine, mais sur-le-plan de l'organisation de notre campagne française du monde rural, il y a encore beaucoup à faire. Le premier geste que nous ayons accompli cela a été de doubler les aides aux jeunes agriculteurs. Il faut quand même commencer par là, il faut que les jeunes agriculteurs aient envie de rester. Pour qu'ils aient envie de rester, il faut qu'ils ne se trouvent pas dans la situation décrite par leur syndicat de jeunes agriculteurs comme devant mourir riches, c'est-à-dire propriétaires d'un sol qui a une certaine valeur, une capitalisation foncière importante, après avoir vécu pauvres c'est-à-dire sans avoir les moyens de leur équipement ou bien alors totalement opprimés par un endettement grossissant. Comment voulez-vous que fasse un jeune homme, une jeune femme, qui souhaiterait rester sur la terre de ses pères ou bien y aller, si dès le point de départ il convient d'acheter le sol à des prix tels ?
- Enfin la religion du sol, de la propriété du sol. Elevé dans une famille d'origine paysanne, je me souviens de cette religion de mon propre grand-père, exploitant agricole, pour lequel la propriété signifiait à elle seule toutes les ressources d'un pouvoir, d'une continuité, d'une tradition, d'un attachement prodond à la terre, et voilà que sa propriété est presque devenue un fardeau pour les jeunes, qui pour l'acquérir perdent le moyen de s'équiper.
- Il faut pouvoir allier les deux choses, d'ou il faut trouver les relais, les relais financiers, ils existent déjà bien entendu au travers des SAFER et bien d'autres choses, les moyens données aux jeunes de disposer du terrain dont ils ont besoin. Pour cel\
Enfin, nous allons peut-être continuer de circule r à travers la coopérative. Vous nous avez montré un matériel moderne, ce matériel moderne, pardonnez-moi de vous le dire, comment vous le procurez-vous ?
- Réponse : Nous sommes concessionnaire d'une marque, de plusieurs marques.
- Vous êtes concessionnaire d'une marque, de plusieurs marques, et vous mettez à la disposition de vos sociétaires ce matériel, et vous l'entretenez, vous le réparez ?
- Réponse : nous le réparons et nous le vendons à nos sociétaires.
- Et vous le vendez à vos sociétaires. Et d'autre-part vous êtes producteurs de matières premières et particulièrement de céréales. Cela dans l'ensemble du pays où j'ai visité des organisations similaires, cela peut constituer un remarquable instrument de travail. A nous de vous aider, de vous donner les moyens qui risquent de vous manquer. L'échec mutualiste serait déterminant pour la dernière dégradation du tissu agricole français.
- Croyez-le, nous le savons et ce ne sont pas ceux qui m'entourent qui me contrediront. Voyez, vousavez les ministres, les ministres d'Etat, l'Intérieur et la Décentralisation, M. DEFFERRE, le ministre de l'Economie et des Finances, M. DELORS, M. AUROUX, ministre du Travail, M. Jean LAURAIN, (votre compatriote), ministre des Anciens combattants, il y avait hier auprès de moi, M. Jack LANG, ministre de la Culture, qui est parti, M. Pierre DREYFUS `ministre de l'Industrie` était avec nous jusqu'au dernier quart d'heure, il fallait qu'il retourne débattre des problèmes industriels.
- C'est une équipe du Gouvernement qui a bien entendu ce que vous avez dit, j'espère qu'elle aura entendu et retenu, et si elle n'y pensait pas, vous me le diriez, mon rôle n'est pas de me substituer au Gouvernement, il est, quand c'est nécessaire, mais cela l'est rarement dois-je dire, naturellement ayant tracé des grandes perspectives, de l'aiguillonner. Mais il se trouve que ce sont des ministres qui longtemps ont su ce que c'était que la difficulté de l'opposition, qui ont eu longtemps l'occasion de réfléchir à ce qu'il conviendrait de faire si l'opinion publique leur donnait le moyen électif de l'accomplir. Ils sont maintenant sur le terrain, je leur fais confiance et j'espère que vous pourrez vous-mêmes constater que le Gouvernement de la France à pris en-compte les intérêts de l'agriculture.
- Merci monsieur le président, merci mesdames et messieurs.\