5 octobre 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion de la prestation de serment et de la remise de la questia par les autorités andorranes, Paris, Palais de l'Élysée, lundi 5 octobre 1981

Monsieur le Syndic général,
- Monsieur le Vice-Syndic,
- Messieurs les Conseillers-majors,
- C'est avec joie que j'accueille aujourd'hui, pour la première fois, les représentants du peuple andorran à l'occasion de la cérémonie traditionnelle de remise de la questia. Permettez-moi de voir dans le tribut que vous me remettez non pas l'antique hommage féodal à l'égard d'un suzerain lointain mais le symbole de la fidélité et de l'attachement sans faille qui ont uni, pendant plus de sept siècles, le peuple andorran et son Co-Prince français et dont je souhaite, pour ma part, qu'ils se poursuivent à l'avenir.
- Il y a dans le destin de l'Andorre, dans cette sorte de défi jeté à l'histoire, quelque chose de singulier et de fascinant. Qu'une communauté d'hommes et de femmes, industrieux et avisés, soudés par une même culture, animés d'un égal désir d'être, traverse ainsi les siècles et épouse les inflexions du temps sans rien renier de sa personnalité ni rien abdiquer de sa liberté me semble rassurant à l'heure où les conditionnements et les asservissements de toute espèce menacent l'intégrité et l'indépendance des peuples.
- Aujourd'hui, à la suite d'une foudroyante accélération de l'histoire, Andorre se trouve à la croisée des chemins. Plus que jamais, il est vital de choisir la bonne voie. La clé de l'avenir de la Principauté tient, me semble-t-il, dans une formule, s'adapter tout en restant soi-même.
- La nécessité d'une adaptation est dictée à la fois par des raisons d'efficacité et des impératifs de justice. C'est l'objet de la réforme des institutions amorcée par le décret du 15 janvier 1981 qui dresse un -cadre d'ensemble et balise les perspectives d'avenir. Cette réforme, à laquelle la population andorrane aspire est entre vos mains. Personne ne saurait vous l'imposer contre votre gré. Personne ne la conduira à votre place. Les Co-Princes, pour leur part, sont disposés, de concert avec vous à faire avancer la réforme dans le respect des grands équilibres qui, depuis les Paréages, sont la substance même des institutions andorranes. J'insisterai plus particulièrement sur l'indispensable mise en place de l'exécutif. Il n'est pas de démocratie véritable sans pouvoir de décision responsable. Il n'est pas de progrès économique et social durable sans une administration efficace qui en assure l'orientation et la maîtrise.
- La démocratie c'est aussi la reconnaissance des idéaux éthiques qui la fondent. Vous trouverez toujours le Co-Prince français à vos côtés dès lors qu'il s'agira d'étendre et de garantir les droits individuels et les libertés publiques dans les Vallées. Avec la création d'un tribunal administratif et fiscal et la mise en place d'une commission chargée d'étudier la rénovation de la justice civile et pénale, nous allons dans le bon sens.
- L'Andorre peut-elle se moderniser sans perdre son identité ? J'en ai la ferme conviction.\
Rester soi-même, à l'heure où les convoitises s'exercent tantôt brutalement et tantôt insidieusement, c'est aussi se prémunir contre les risques d'assujetissement extérieur. A cet égard, les vertus du statut exceptionnel dont bénéficie l'Andorre ne sont plus guère à démontrer. L'institution des Co-Princes a garanti aux Vallées sept siècles de paix et d'indépendance dans un monde déchiré par les conflits, et quelques lustres de prospérité, quand la misère est le lot de tant de peuples. Elle constitue sans aucun doute le gage de la bonne entente entre l'Andorre et les deux grands Etats voisins. Le maintien de cette harmonie exige toutefois le respect du droit et en-particulier des règles régissant la communauté internationale. L'accord auquel nous sommes parvenus sur la question des radios - et dont je me félicite - me paraît de bon augure : la voix de la raison et du bon sens l'a emporté sur la tentation de l'intransigeance et de la surenchère. Alors que la première permet la conciliation des intérêts réciproques, la seconde n'engendre qu'impasses et ruptures.
- Renforcer l'identité andorrane signifie, enfin, que l'on prenne en compte la spécificité culturelle de la Principauté. C'est un des principes qui guideront désormais notre action en-matière d'enseignement. Je puis d'ores et déjà vous annoncer que la réforme des établissements scolaires du Co-Prince français dans les Vallées est sur le point de voir le jour et qu'elle fera droit à la demande d'andorranisation que vous avez formulée, en intégrant dans l'enseignement qui sera dispensé l'étude de la langue et de la culture andorranes et en assurant la parité entre professeurs français et andorrans.\
Je souhaite que vous vous fassiez auprès des Andorrans les porte-parole du message de sympathie que leur adresse leur Co-Prince français.
- Aux plus jeunes d'entre eux, avides de responsabilités et de participation, je dis ceci : mettez votre ardeur et vos talents au service de votre pays. Faites-le avec discernement. On ne saurait, sans risques, bouleverser des équilibres pluriséculaires qui ont fait la preuve de leurs vertus.
- Aux hommes mûrs, à ceux qui ont vu changer le visage de l'Andorre, je dis - mais est-ce bien utile ? : ne confondez pas le respect des traditions et des valeurs qui sont votre mémoire collective avec l'immobilisme et le maintien de situations acquises qui heurtent le sens de l'équité.
- A tous les Andorrans, je dis : pensez à l'avenir, c'est aujourd'hui qu'il prend forme. Méditez la leçon des grands pays qui, pour s'être laissés prendre au mirage d'une croissance sans fin, sont aujourd'hui démunis devant la crise. Ne soyez pas tributaires d'une seule source de richesse, diversifiez vos activités, misez sur la qualité plus que sur la quantité et songez que les travailleurs étrangers concourent à la prospérité de l'Andorre.
- Vous entrez dans une période de transformations qui requerra tout votre réalisme et toute votre intelligence et au-cours de laquelle il vous faudra savoir concilier vos idéaux et vos intérêts. L'avenir de l'Andorre sera ce que vous le ferez.
- Monsieur le Syndic général, monsieur le Vice-Syndic, messieurs les Conseillers-majors, voyez dans les paroles que je viens de prononcer la marque de l'attention particulière que le Co-Prince français porte à l'Andorre. J'assumerai les responsabilités que cette fonction suppose avec le désir d'aider les Andorrans à progresser dans la voie de la démocratie et du bien être social et de veiller au respect des institutions qui ont assuré pendant sept siècles et qui assureront demain le maintien et le renforcement de la personnalité andorrane.\