11 septembre 1981 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée à la BBC, sur la situation politique en France, la défense nationale, la CEE et les relations franco-britanniques, Londres, vendredi 11 septembre 1981

QUESTION.- Monsieur le Président, nous vous souhaitons la bienvenue en Angleterre. Première question, en tant que socialiste, dans quelle mesure voulez-vous changer radicalement la situation politique en France ?
- LE PRESIDENT.- Je vous répondrai d'abord en adressant mon très amical salut au peuple de Grande-Bretagne et je voudrais dire la joie que j'ai de me retrouver sur ce sol que j'ai connu dans les heures difficiles, en-particulier dans les années 1943 et 1944.
-Votre question ne peut être traitée à fond en raison du peu de temps dont nous disposons. Je compte exécuter le programme sur lequel j'ai été élu et sur lequel les Français m'ont accordé leur confiance, confiance renouvelée lorsqu'ilsont élu une majorité absolue de députés socialistes. Ce programme consiste à développer ce que j'appelle les espaces de liberté, notamment sur-le-plan social, pour que les couches sociales qui ne jouissent pas dans leur vie quotidiennedes libertés reconnues par le droit puissent les vivre, ces libertés, pour qu'il y ait une plus grande justice, c'est-à-dire une meilleure répartition, une plus grande égalité entre les couches sociales françaises et pour que, d'une certaine façon la france soit tournée vers l'extérieur, ait une conception moderne de son développement et de ses relations avec l'ensemble des pays du monde et particulièrement du Tiers monde.
- QUESTION.- En tant qu'alliers de votre pays, comment devrions-nous comprendre l'inclusion d'un certain nombre de communistes dans votre Gouvernement ?
- LE PRESIDENT.- La France est libre de mener la politique qu'elle entend mener. Le Parti socialiste, vous avez pu le constater, jel'ai déjà dit, a obtenu la confiance de la -majorité absolue des suffrages. C'est la première fois que cela se produit dans l'histoire de la République française. Mais l'effort que nous avons mené a été même dans le sens d'un grand mouvement populaire, et à l'intérieur de ce mouvement populaire ont figuré des millions d'électeurs communistes.\
QUESTION.- Sur les questions centrales de la défense et de la sécurité européenne, il semble que vous ayez choisi la continuité par-rapport à ce qui se passait avant votre entrée en fonctions, notamment en ce qui concerne les forces nucléaires françaises. Alors que dites-vous à vos amis socialistes britanniques qui, eux, viennent de décider qu'il faut renoncer à ces forces nucléaires et renoncer aux armes américaines ?
- LE PRESIDENT.- A propos de la question précédente, je n'ai pas tout à fait terminé et je profite de la latitude que vous m'accordez pour dire que la présence de représentants d'autres partis que le Parti socialiste au-sein du Gouvernement, cela s'est fait autour du programme présidentiel que j'ai présenté pendant la campagne électorale et que c'est ce programme qui délimite de façon précise les termes de l'alliance.
- Pour ce qui concerne l'autre problème si important que vous venez d'aborder, je vous dirais que le Parti socialiste français avait déjà précédemment, avant l'élection présidentielle, considéré que notre défense, à nous Français, reposait désormais quasiment de façon unique sur la stratégie de dissuasion nucléaire et que sans dissuation nucléaire nous n'avions plus de défense. Et comme nous sommes des patriotes et que nous voulons une défense, nous avons retenu cette stratégie que nous allons poursuivre. Alors le problème pour moi n'est pas de juger ce que veulent les\
QUESTION.- Craigniez-vous un neutralisme croissant au-sein de l'Alliance en Europe ?
- LE PRESIDENT.- Je me méfie du mot neutralisme, qui parfois prend un aspect critique, désagréable... Quand on penseen-particulier aux Hollandais, aux Danois, aux Allemands, aux Scandinaves, dont on dit qu'ils seraient devenus neutralistes, je connais leur histoire, je sais que ce sont des peuples courageux, qui ont su se battre autant que les autres pour leur liberté, pour quelques grandes idées, en plus ce sont des peuples qui nous sont très proches. Ce qui est vrai, c'est qu'ils ont des problèmes qui leur son particuliers, ils ne disposent pas de force nucléaire comme la Grande-Bretagne, comme la France. Un pays comme l'Allemagne est soumis à des traités maintenant anciens qui leur interdisent certains développements militaires, et en même temps ce sont des pays qui sont très exposés, qui redoutent à-juste-titre de devenir des champs de batailled'une guerre future. Donc il faut quand même dire cela pour bien comprendre certaines réactions de leur opinion publique. Simplement, il faut y prendre garde, il y a des problèmes d'équilibre des forces dans le monde, et l'équilibre des forces dans le monde c'est la garantie de la paix. S'il y a déséquilibre, il y aura la guerre. Donc je suis pour que cet équilibre soit maintenu, préservé. Et si cet équilibre est rompu au détriment des forces occidentales, alors il faut rétablir cet équilibre. Bien entendu tout cela suppose aussi que l'on ait toujours la volonté de négocier le désarmement.\
QUESTION.- Une autre question, qui concerne la communauté européenne `CEE`. Vous êtes, dans un sens, plus proche de THATCHER que du Parti travailliste britannique qui préconise, qui souhaiterait le retrait de la Grande-Bretagne de la communauté européenne. Alors que dites-vous à vos collègues travaillistes britanniques concernant cette notion du retrait de la Grande-Bretagne de la communauté ? Peuvent-ils le faire ? Devraient-ils le faire ?
- LE PRESIDENT.- Je pense d'abord aux intérêts de mon pays, je pense que la France doit persévérer dans la construction européenne et si possible tenter de donner un peu plus d'âme et de force à ceux qui sont aujourd'hui les ouvriers de cette construction. Ensuite, je crois qu'il est bon que la Grande-Bretagne soit dans cette construction, c'est un grand peuple européen, sans doute dit-on qu'il est davantage attiré par l'espace, par les océans... Mais c'est un grand peuple européen et moi je préfère qu'il soit là, au-sein de la communauté. Et, je le répète, je me garderai de toute appréciation sur le sentiment que peuvent avoir les travaillistes, sur ce qu'ils considèrent être les intérêts britanniques, c'est la liberté de leur opinion. D'autant plus qu'il y a beaucoup de sujets sur lesqels j'ai un bon accord avec eux, mais il arrive parfois que ce ne soit pas le cas.
- QUESTION.- Enfin, monsieur le Président, de quel oeil nous regardez-vous, nous Britanniques, aujourd'hui ? Sommes-nous à vos yeux un allié fort, ou un allié affaibli ?
- LE PRESIDENT.- Je ne suis pas de ceux qui pensent que la Grande-Bretagne soit en décadence. Cela se dit beaucoup. Vous traversez une crise, eh bien nous aussi. Et vous avez subi, supporté plus que d'autres encore le poids de la guerre, et sans vous elle n'eût pas été victorieuse. Tout cela suppose des contrecoups, mais au total je considère le peuple, l'ensemble du peuple britannique, du Royaume-uni, comme un solide allié, capable de disposer de puissantes ressources et de tirer peut-être de ses difficultés présentes une résolution plus forte encore pour l'avenir. Donc je fais confiance, je suis tranquille avec la Grande-Bretagne.\