15 avril 2017 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, en hommage aux tirailleurs sénégalais, à Paris le 15 avril 2017.


Monsieur le ministre de l'Intérieur,
Monsieur le ministre des Anciens combattants,
Mesdames, messieurs les parlementaires, les élus,
Mesdames, messieurs les ambassadeurs,
Messieurs et tirailleurs sénégalais devenus français.
Nous sommes rassemblés pour une cérémonie d'entrée dans la nationalité française.
Mais en réalité ce sont des retrouvailles, car vous n'êtes jamais partis et donc vous revenez là où vous étiez.
Ce sont les retrouvailles aujourd'hui entre la France et 28 hommes. C'est cette cérémonie que je veux présider parce qu'elle a un caractère à la fois humain et symbolique. C'est aussi une page longue, une longue page de notre histoire.
Cela a été ici rappelé, les tirailleurs sénégalais sont un corps constitué sous Napoléon III. Puis des centaines de milliers d'africains se sont battus pour la France sur tous les champs de bataille.
Ils venaient de l'Afrique de l'Ouest, du Sénégal mais aussi du Mali, de la Côte d'Ivoire, de la Guinée, de la Mauritanie, du Niger, du Bénin, du Togo, du Burkina-Faso. Ils venaient d'Afrique centrale, du Cameroun, de la République centrafricaine, du Tchad, du Gabon, du Congo. Ils venaient aussi de ce qu'on appelait les Somalis mais aussi des Comores, de Madagascar.
C'est ce qu'on appelait l'Empire et en 1910, le colonel Mangin imagine de former une armée à partir des troupes africaines. C'est la « Force noire » et son mythe qui est ainsi créé.
Quand l'Europe bascule dans la Grande Guerre, la France va recruter entre 1914 et 1918 plus de 230 000 soldats pour défendre son sol et elle va les recruter dans toute l'Afrique occidentale française.
Ces soldats vont se couvrir de gloire sur tous les fronts, en Champagne, à Verdun, dans la Somme, dans l'Aisne, dans la Marne. Toutes ces batailles sont inscrites sur le drapeau des bataillons de tirailleurs sénégalais.
Je serai demain au Chemin des Dames pour le centenaire de l'offensive. Là encore, les tirailleurs sénégalais ont été en première ligne le 16 avril 1917. Ils perdirent jusqu'à trois quarts de leurs hommes dans les premiers jours de l'assaut, trois quarts.
En tout, entre 1914 et 1918, 25 000 tirailleurs sénégalais sont morts pour la France, 36 000 ont été blessés.
Durant la Seconde Guerre mondiale, les soldats africains sont de nouveau venus au secours de la France. En 1940, ils furent 60 000 à se battre lors de la Campagne de France, 30 000 ont été faits prisonniers, 5 000 ont été tués, certains massacrés après avoir été capturés, parce qu'ils étaient noirs.
Dans les ténèbres de l'été 1940, c'est vrai que c'est de Londres qu'est venue avec le Général de Gaulle la voix de l'espoir. Mais c'est d'Afrique qu'est venue la lumière des premières victoires, grâce aux tirailleurs qui furent les premiers à rallier les forces françaises libres.
La première capitale de la France libre était à Brazzaville et les tirailleurs furent de toutes les campagnes. Ils étaient à Koufra, ils ont combattu en Tunisie, en Italie, en Provence, en Alsace jusqu'à la poche de Royan où ils participèrent à l'une des dernières batailles du Front européen qui débuta le 15 avril 1945.
De 1940 à 1945, 160 000 tirailleurs sénégalais ont servi. Le Général de Gaulle en avait pris l'exacte mesure et il fit d'un officier, de 9 gradés et tirailleurs, des Compagnons de la Libération. 50 furent médaillés de la Résistance, 123 médaillés des évadés.
Pendant encore 20 ans, les tirailleurs ont continué à porter l'uniforme français vous en êtes ici les plus beaux symboles dans tous les conflits, en Indochine, au Maroc, en Tunisie et pendant la guerre d'Algérie.
Vous êtes les survivants de cette époque, vous y avez gagné vos médailles, vous en êtes fiers, vous les portez. Vous vous rappelez des citations qui ont été faites sur vos livrets militaires pour les faits d'armes qui ont été les vôtres. Mais vous êtes aussi une part de la mémoire de l'Histoire de France. Vous êtes l'Histoire de France.
Le 11 janvier 2013, je m'en souviens, c'était dans cette salle, j'ai pris la décision d'engager les forces françaises au Mali. J'avais en tête cette dette de sang que la France avait contractée auprès de vous, les tirailleurs.
Aujourd'hui, je pose un nouveau principe, ceux qui se sont battus pour la France et qui font le choix d'y vivre doivent pouvoir devenir français. Une Nation, c'est une solidarité constituée par le sentiment des sacrifices qu'on fait et de ceux qu'on est disposé encore à faire pour la patrie.
Je n'ignore rien de la difficulté de votre parcours, ce combat pour faire reconnaître votre dignité, pour gagner votre place dans la société française. Senghor lui-même mobilisé dans le 31ème régiment d'infanterie coloniale s'écriait en 1940 : « je déchirerai les rires Banania sur tous les murs de France ». L'année dernière, c'est encore avec ce cri qu'un auteur, Alain Mabanckou, a ouvert sa leçon inaugurale au Collège de France.
Alors comment tolérer, comment accepter encore les difficultés que rencontrent tant d'anciens combattants africains à faire valoir leur droit à une retraite décente, alors qu'ils ont servi comme les autres, qu'ils ont risqué leur vie comme les autres et qu'ils ont parfois été blessés comme d'autres.
Il a fallu mener un long combat pour que la France consente enfin à réparer cette injustice. Ce combat a été mené par les tirailleurs eux-mêmes, par les associations d'anciens combattants que je salue, par tous ceux qui portent la mémoire de ces hommes envers lesquels la France avait oublié certains de ses devoirs.
Mais pour les jeunes générations aujourd'hui, notamment celles issues de l'immigration, vous représentez l'histoire, notre histoire, leur histoire avec vos uniformes, vos médailles. Les jeunes générations sont fières de vous voir lors des cérémonies patriotiques chaque 8 mai, chaque 11 novembre, par tous les temps.
Mais les jeunes générations ne comprennent pas que vous ayez pu rester des étrangers dans le pays qui est le leur et celui pour lequel vous avez servi. Certes, Français, vous l'étiez toujours restés de cur, mais vous ne disposiez plus des papiers pour l'attester, vous aviez perdu cette nationalité en 1960 pour la plupart en prenant celle de votre pays d'origine au moment de l'accession à l'indépendance.
Alors il fallait que l'on puisse rattraper le temps perdu, il était d'ailleurs plus que temps. C'est la raison pour laquelle, je remercie Aïssata Seck d'avoir pris le 9 novembre dernier l'initiative de cette démarche, de cette pétition afin que la nationalité française soit rendue aux tirailleurs sénégalais qui vivent ici, en France.
Le 20 décembre, je recevais le Président sénégalais Macky Sall, je lui remettais les documents précieux évoquant la mémoire des tirailleurs. J'avais annoncé alors mon intention de permettre aux tirailleurs sénégalais résidant en France de réintégrer la nationalité française. Voilà, le processus s'est engagé et nous en sommes là.
Je remercie les services de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre qui vous ont retrouvés, mais cela n'a pas été si difficile car vous vous êtes aussi manifestés. Je remercie les services des ministères des Affaires étrangères et de l'Intérieur qui vous ont accompagnés, avec compréhension et rigueur et aujourd'hui, vous êtes 28 à être ici.
Certains n'ont pas pu déposer leur demande dans les délais, ils ne peuvent donc pas être dans la cérémonie d'aujourd'hui. Je tiens à les rassurer, tous les anciens tirailleurs qui résident en France et qui en font ou en feront la demande bénéficieront de la même réponse et entreront dans la nationalité française.
Alors aujourd'hui, j'accueille 28 hommes dans la nationalité française, 28 hommes qui n'ont rien oublié de leurs combats, de leurs épreuves, rien oublié non plus de leurs pays d'origine et qui leur restent attachés parce que là sont leurs racines et là parfois sont leurs familles. Mais la France vous reconnaît comme Français, parce que vous avez servi la France, parce que vous avez aimé la France et parce que vous avez décidé de vivre en France.
Alors je vous l'affirme ici, la France est fière de vous accueillir comme vous avez été fiers de porter son drapeau, celui de la liberté.
Vive la République et vive la France.