20 février 2017 - Seul le prononcé fait foi

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Conférence de presse commune de MM. François Hollande, Président de la République, et Mariano Rajoy, Président du gouvernement espagnol, sur les relations entre la France et l'Espagne et sur la construction européenne, à Malaga le 20 février 2017.


LE PRESIDENT : Je remercie d'abord le Président du gouvernement espagnol, Mariano RAJOY, pour l'organisation de ce 25ème Sommet franco-espagnol. Il avait souhaité que ce soit dans une vile qui puisse être un symbole de notre amitié, de notre relation. C'est vrai que Malaga - je salue ici son maire - était la ville qui pouvait le mieux incarner ce que nous avons en commun, c'est-à-dire la culture. Nous nous trouvons ici dans la ville natale de PICASSO avec un musée qui porte son nom, PICASSO aurait pu être Français si un gouvernement à une certaine époque lui avait accordé la nationalité française. Il est resté Espagnol mais il voulait être Espagnol et Français. Il a vécu très longtemps tout en ayant toujours pour l'Espagne un amour irrépressible. Puis nous sommes ici au Centre Pompidou, et c'est pour nous une fierté que de voir le nom de POMPIDOU et ce que représente Beaubourg représenté ici à Malaga.
Nous avons une relation bilatérale particulièrement forte avec l'Espagne, parce que comme l'a dit Mariano RAJOY, nous sommes son premier client, nous avons des échanges importants sur le plan économique, des entreprises françaises y sont présentes et beaucoup de touristes se rendent en Espagne et notamment à Malaga. Mais nous avons surtout sur le plan politique une grande convergence de vue et nous l'avons d'ailleurs démontrée sur l'ensemble des dossiers européens.
Le rôle d'un Sommet entre deux pays amis est de poursuivre la coopération dans tous les domaines. C'est ce que nous avons fait. Pas moins de neuf accords ont été signés aujourd'hui dans tous les domaines. D'abord dans le domaine de la sécurité parce que pour nous c'est un impératif absolu et notamment concernant la lutte contre le terrorisme. Nous avons une coopération très intense en matière de renseignement, nous démantelons ensemble des filières, nous avons la même approche sur la question des combattants étrangers, ceux qui reviennent dans nos pays respectifs. Nous avons aussi une lutte contre les trafics - tous les trafics - de drogue et le blanchiment.
Il y a eu une décision - Mariano RAJOY l'a rappelée - qui illustre cette confiance mutuelle : la remise des scellés par les ministres compétents et la justice française pour qu'il puisse y avoir une mémoire qui puisse être transmise et un certain nombre d'actes qui puissent être posés.
Nous avons aussi une autre priorité qui est de faciliter les échanges par des infrastructures. Nous avions déjà pris une décision à Madrid, en 2015, de développer les interconnexions énergétiques. L'Espagne et le Portugal sont très attachés aux interconnexions et nous aussi parce que c'est une façon de pouvoir diversifier nos approvisionnements, d'assurer au niveau européen notre autonomie. Nous avons donc voulu définir une méthode, un calendrier, des objectifs pour assurer ces financements des grandes infrastructures énergétiques. Comme il a été dit, nous travaillons maintenant à une ligne dans le golfe de Gascogne. La ministre française de l'Environnement a voulu que nous puissions procéder à cette annonce aujourd'hui et nous solliciterons des financements européens pour assurer la couverture de cet investissement. Nous avons également des projets - nous en avons réalisés beaucoup - d'autoroutes de la mer à l'image de ce qu'a été Nantes-Vigo mais également de transports ferroviaires - je ne vais pas rappeler toutes les lignes que nous pouvons là encore financer avec nos budgets respectifs mais aussi avec le concours de l'Europe.
Nous avons également une grande coopération en matière culturelle et en matière éducative puisque le français est la deuxième langue la plus apprise en Espagne et réciproquement l'espagnol est la deuxième langue enseignée en France le plus couramment. De la même manière la France est un pays de destination des étudiants espagnols et l'Espagne deuxième pays d'accueil des étudiants français en Erasmus. Nous sommes très attachés au programme Erasmus. Nous avons fêté son anniversaire et nous avons voulu élargir encore ce programme notamment à tous les jeunes apprentis et autres des lycées et des filières professionnelles de façon à ce que nous puissions encore développer ces programmes et ces échanges. Il y a eu des accords importants qui ont été signés entre les universités françaises et espagnoles depuis longtemps et qui peuvent aujourd'hui se concrétiser dans une université franco-espagnole : nous en avons décidé là encore le lancement.
Voilà ce que nous devions faire entre deux pays amis, entre deux pays voisins. L'Espagne et la France ont également une responsabilité pour définir ce que doit être l'avenir de l'Europe. Il y a cinq ans, nous étions - presque à la même époque - le Président RAJOY et moi-même dans un Conseil européen au mois de juin 2012. C'est là que se sont décidés sans doute les choix les plus importants pour surmonter la crise de la zone euro. Nous sommes intervenus dans le même sens et nous étions également appuyés par le Président du gouvernement italien. Nous avons convaincu notamment la chancelière MERKEL et nos partenaires qu'il fallait donner un autre sens à la construction de l'Europe si nous voulions régler la crise de la zone euro. C'est à ce moment-là qu'a été décidée l'Union bancaire qui a permis de régler un certain nombre de situations en Espagne, en Italie, au Portugal, à Chypre et dans beaucoup d'autres pays. C'est là qu'il a été décidé de renforcer l'Union économique et monétaire. C'est là que le Président de la Banque centrale européenne, Mario DRAGHI, a pu définir une politique monétaire qui a été pour beaucoup dans la capacité qu'a eu la zone euro de surmonter une crise, qui aurait pu être destructrice et qui aurait pu écarter encore des pays.
Il se trouve qu'aujourd'hui nous nous retrouvons au moment où il y a une réunion de l'Eurogroupe au sujet de la Grèce. Il semble que la raison, là encore, l'emporte et qu'une solution puisse être trouvée, comme lors d'un Sommet à l'été 2015 qui était essentiel pour que la Grèce puisse rester dans la zone euro. Beaucoup d'efforts ont été faits et notamment en Espagne. Beaucoup de sacrifices ont été demandés aux peuples pour qu'il y ait une compétitivité retrouvée de l'économie européenne, pour qu'il y ait la cohésion de la zone euro, pour qu'il y ait la fin de la crise des subprimes qui était venue, je le rappelle, des Etats-Unis d'Amérique. Il faut toujours le rappeler parce que les crises ne viennent pas de nulle part. Elles viennent d'un certain nombre de comportements, de laxisme, de dérégulation, celle-là même que l'on voudrait de nouveau introduire aux Etats-Unis.
Donc nous avons fait beaucoup d'efforts et aujourd'hui les résultats sont là : la croissance a repris en Espagne, en France £ les déficits se sont réduits £ les compétitivités se sont largement améliorées. Les situations étaient différentes entre l'Espagne et la France mais nous sommes aujourd'hui dans une autre phase, ce qui appelle nécessairement une autre étape de la construction européenne. Nous ne sommes plus dans la crise £ nous sommes dans la préparation de l'avenir de ce que doit être l'économie européenne et notamment de ce que nous devons faire pour la transition énergétique, pour l'application de l'accord sur le climat, pour la révolution numérique et pour soutenir la croissance et l'emploi en Europe. C'est ce que nous avons à faire. C'est la raison pour laquelle le 60ème anniversaire du traité de Rome arrive à point nommé. Que voulons-nous faire de l'Europe surtout après la décision qu'a prise le peuple britannique de quitter l'Union ? Que devons-nous faire ensemble pendant les 10 prochaines années ? Quels sont nos objectifs ? Qu'est-ce qui nous réunit ? Qu'est-ce qui est essentiel ? Pour nous l'essentiel c'est trois priorités. D'abord la défense : faire que l'Europe puisse dans le cadre de l'Alliance atlantique se protéger elle-même et être capable de porter une responsabilité à l'extérieur de nos frontières pour agir sur le règlement des crises, en Afrique, au Moyen-Orient, à l'est de l'Ukraine. Deuxième priorité c'est la sécurité de nos frontières : c'est de faire ce que nous avons comme devoir par rapport à l'asile mais c'est aussi de contrôler l'immigration et l'Espagne et la France sont parfaitement conscientes de l'importance de cet enjeu.
Nous avons aussi à faire que l'Europe puisse être un continent prospère avec des progrès qui puissent être présentés au peuple et pas des sacrifices ou des efforts supplémentaires. Dès lors, nous devons décider d'aller plus loin dans la construction européenne. D'abord de le faire dans l'Europe à 27 puisque ce sera maintenant le cadre dans lequel nous aurons à travailler. Mais dans l'Europe à 27, il sera nécessaire que les pays qui veulent aller plus loin, qui veulent aller plus vite, qui veulent s'intégrer davantage, qui veulent renforcer l'Union économique et monétaire, l'Union bancaire, peut-être même des politiques fiscales, des politiques sociales puissent le faire. Il y a des noms qui ont été trouvés pour définir ce que pourrait être cette Europe à plusieurs vitesses, « coopération différenciée », « noyau dur ». Je ne veux pas mettre de nom sur cette chose puisque c'est finalement la coopération «différenciée» ou «renforcée» que nous avons à mener, c'est-à-dire aller plus loin avec les pays qui le voudront. Je suis convaincu qu'avec l'Espagne, avec d'autres nous pouvons trouver cette bonne vitesse et ces bons objectifs. L'Allemagne a également par la voix de la chancelière MERKEL dit qu'elle était prête à aller dans cette direction. Il ne s'agit pas d'écarter les autres, il ne s'agit pas de les repousser, il s'agit de dire que nous restons à 27 mais nous avançons à notre rythme et avec notre volonté de pouvoir donner à nos concitoyens davantage de protection, davantage de progrès, davantage de bien-être.
Aujourd'hui ce qui menace l'Europe c'est moins la dislocation même si on en voit les signes avec le Brexit que la dilution, que la perte de sens. Il y a des puissances qui ne veulent pas de l'Union européenne, des puissances extérieures à l'Europe, qui veulent que l'Union finalement n'ait pas de consistance, n'ait pas de contenu, n'ait pas d'ambition. Parce que l'Europe porte des valeurs, l'Europe a défini un modèle qui est unique au monde, c'est ce que disait Mariano RAJOY. Ca ne plait pas à tous, il y en a qui voudraient que le monde soit simplement le fruit des rapports de force des puissances, alors nous voulons que l'Europe soit une puissance qui se réclame comme tel mais pas une puissance pour dominer, pas une puissance pour soumettre, pas une puissance pour porter le conflit, non, une puissance de paix, une puissance de progrès, une puissance au service de la planète, tel est le sens de ce que nous avons à faire.
Dans quelques jours, ce sera le 6 mars, je recevrai le Président du gouvernement espagnol, le Président du gouvernement italien et la chancelière d'Allemagne à Versailles pour que nous puissions préparer ce 60ème anniversaire qui se tiendra donc à Rome, anniversaire du traité. Il ne s'agit pas là encore de définir à quatre ce que doit être l'Europe, ce n'est pas notre conception, mais nous sommes les quatre pays les plus importants et il nous revient de dire ce que nous voulons faire avec d'autres, ensemble. C'est la raison pour laquelle j'ai attaché beaucoup de prix à venir à ce 25ème Sommet entre la France et l'Espagne parce que la France est un pays fondateur de l'Union européenne, la France avait signé le traité de Rome, c'était sous la IVème République, en 1957, Maurice FAURE en était le signataire au nom de la France. L'Espagne a rejoint l'Europe bien plus tard, mais chacun en sait les raisons, au nom de la démocratie, pour la démocratie, et la première décision qu'avait prise François MITTERRAND, c'était au lendemain de 1981, était de dire « l'Espagne, le Portugal doivent venir dans l'Union européenne, c'est leur place ». C'est pourquoi pour le pays fondateur, pays qui sait pourquoi l'Espagne est dans l'Union européenne, c'était très important que nous soyons ensemble pour dire la confiance que nous avons dans cette belle aventure qu'est l'Europe et la force que nous devons y mettre si nous voulons la préserver. Merci.
Journaliste : L'hypothèse que Marine LE PEN vous succède à l'Elysée en mai prochain et par ailleurs pourquoi pas une sortie de l'Europe n'a jamais été aussi forte, d'ailleurs la presse étrangère et espagnole en particulier dans son ensemble s'en inquiète sérieusement. Les Français n'ont jamais été plus aussi indécis pour un scrutin Présidentiel. Un appel de votre part pour l'union de la gauche n'est-il pas aujourd'hui indispensable et nécessaire ?
LE PRESIDENT : Si j'ai un appel à faire, je ne le ferai pas de Malaga. Non pas parce que je ne serais pas bien à Malaga mais parce que ce n'est pas ici le lieu. En revanche, nous avons ensemble à dénoncer l'extrémisme, à en voir les dangers pas simplement pour l'Europe mais pour les pays où l'extrémisme peut prétendre dans une élection et il n'y a pas qu'en France. Pourquoi ? Parce que ce que proposent les mouvements nationalistes et extrémistes, c'est quoi ? Pas simplement la sortie de la zone euro, c'est la sortie de l'Europe, c'est le repli, c'est la fin des échanges, c'est une fausse souveraineté qui se traduirait par moins d'emplois, moins de croissance, et moins de liberté. Ce serait l'enfermement, donc rien que pour cette raison au nom de l'Europe, l'Europe que nous avons bâtie depuis soixante ans, au nom de la France, de ses intérêts, nous devons refuser ces solutions qui affaibliraient le rayonnement de notre pays mais surtout abaisseraient les droits, les protections, les libertés et les possibilités d'emploi et d'activités économiques de mes compatriotes, les Français. Donc chacun a dans ce moment à prendre ses responsabilités. Je les prendrai.
Journaliste : Vous parliez de l'avenir de l'Europe, j'aimerais savoir si l'essor des populismes et de l'extrême droite en Europe et à l'extérieur de l'Europe peuvent mettre en péril l'existence de l'Union européenne et quant aux migrations, un des sujets que vous avez abordés, est-ce que vous croyez que le Maroc est devenu un problème pour l'Union européenne après le franchissement des barrières à Ceuta ? J'aimerais également savoir concernant la Catalogne si vous avez abordé ce sujet pendant la réunion aujourd'hui, est-ce que la question de la Catalogne inquiète la France ?
Question sur la situation de la Catalogne et réponse de Mariano RAJOY
LE PRESIDENT : Vous m'avez interrogé d'abord sur la Catalogne, nous n'en avons pas parlé avec le Président RAJOY parce que nous n'avions pas à en parler.
Sur la question des migrations, je vais une fois encore montrer combien l'Europe est utile pour contrôler la migration. Quand il se passe un événement comme celui que vous avez évoqué, à Ceuta où des migrants rentrent et aspirent à venir en Europe, c'est l'Europe qui permet d'avoir le contrôle £ c'est l'Europe qui permet d'avoir des règles. Quelle serait la situation s'il n'y avait pas l'Europe , s'il n'y avait pas l'Europe pour définir ce que nous avons à faire pour protéger nos frontières extérieures, et s'il n'y avait pas l'Europe avec les pays qui la composent pour avoir une politique de coopération avec les pays tiers, le Maroc, la Turquie pour d'autres formes de migrations ? Donc c'est l'Europe qui nous permet sur cette question qui effectivement est aussi cruciale, celle de la protection de nos frontières, de la sécurité, du contrôle de l'immigration, mais aussi du devoir qui est le nôtre par rapport à l'asile, c'est l'Europe qui permet d'avoir une politique et si chaque pays était confronté à cette situation, qu'est-ce qui se passerait ? On ferait des murs comme dans d'autres pays sur un autre continent et on demanderait à des voisins de payer le mur ? Et on aurait l'air de quoi ? On ressemblerait à quoi si l'Europe érigeait des murs et demandait aux pays africains de les payer ? Ce n'est pas le modèle que nous voulons avoir parce que ce n'est pas le bon ni sur le plan moral ni sur le plan politique.
Ensuite, prenons un autre exemple pour l'Europe, le commerce. Aujourd'hui, l'Espagne, la France, nous sommes dans la même union douanière. Nos produits circulent, nous pouvons échanger autant que nous voulons, produire ici, consommer ailleurs, comme nous l'avons décidé. Quand un pays n'est plus dans l'Union européenne, il n'est plus dans l'union douanière. Le Royaume-Uni a fait ce choix, il ne va plus être dans l'union douanière. Il va falloir signer un accord commercial. Un accord commercial, cela veut dire qu'à ce moment-là, les règles ne sont plus l'échange sans contrainte. Il y a des barrières, il y a des normes. Donc tout pays qui sort de l'Union européenne puisque certains des extrémistes populistes, je ne sais pas, nationalistes, appelons les comme cela, proposent cette solution, cela veut dire une plus grande fragilité, pour le contrôle de l'immigration, ou à moins d'ériger des murs, mais dont on sait qu'ils ne sont pas efficaces, et puis au plan du commerce, moins d'exportations, moins d'investissements, et donc moins d'emplois. Voilà à quoi sert l'Europe et il faut en parler concrètement. Donc les nationalismes ne menacent pas simplement l'Europe, ils menacent aussi les intérêts des nations qu'ils prétendent représenter et quel est leur référence ? Quel est leur modèle ? Le Président des Etats-Unis, le nouveau ? Le Président de la Russie ? Ce ne sont même pas des modèles européens. Et quel est leur souhait pour régler la crise de la Syrie par exemple ? De conforter monsieur Bachar EL-ASSAD ? Chacun a ses références, chacun a ses modèles ! Moi, je pense qu'il y en a de meilleurs que d'autres et ces modèles s'appellent la démocratie, la liberté et la dignité humaine.
Journaliste : J'ai une question pour tous les deux. Il a été question ce week-end d'un attentat en Suède qui en fait n'a jamais eu lieu. Qu'est-ce que vous pensez d'un Président qui s'informe par la télévision plutôt que par sa diplomatie et ses services de renseignement ? Merci.
LE PRESIDENT : Je vais juste laisser commencer le Président RAJOY, commencez !
Mariano RAJOY : Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ?
LE PRESIDENT : Mais la télévision, c'est encore le meilleur des cas ! Quelquefois, c'est par tweet ! Il vaut mieux faire confiance en l'AFP !
Question sur la Catalogne
Mariano RAJOY : Nous n'avons absolument pas abordé ces questions lors de notre réunion à moins que monsieur HOLLANDE ne me corrige !
LE PRESIDENT : Je confirme ! Pas celle-là et pas d'autres non plus !