6 février 2017 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur Louise Beaudoin, une femme politique québécoise, à Paris le 6 février 2017.


Monsieur le Premier ministre,
Mesdames, Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs,
Nous sommes donc réunis autour de vous, Louise BEAUDOIN, une amie de la France et une militante qui n'a pas ménagé sa peine et son temps pour les causes qu'elle a décidé de suivre très tôt.
Je veux saisir cette occasion qui nous est donnée d'être ensemble pour vous redire l'affection et la solidarité de la France après les épreuves que le Québec vient de vivre. J'ai eu il y a quelques minutes le Premier ministre, Philippe COUILLARD, pour lui dire toute notre solidarité et notre soutien £ il y a eu des cérémonies très émouvantes après cet acte d'un extrémiste qui a voulu diviser une fois encore la société, en l'occurrence Québec, mais nous savons que ces forces-là sont à l'uvre partout. Vous avez voulu toujours, vous, défendre l'esprit de tolérance et de paix du Québec et c'est ce que les terroristes veulent frapper.
Il y a treize ans - treize ans déjà - Jean-Louis DEBRE vous avait remis les insignes de commandeur de la Légion d'honneur £ c'était à l'Assemblée nationale et vous aviez dans le discours en réponse, remercié la France pour avoir ouvert la porte au Québec sur la scène internationale à chacune des étapes de son affirmation. Et vous aviez ensuite salué vos nombreux amis - certains sont encore ici - pour leur fidélité à une certaine idée du Québec. Une certaine idée du Québec : c'est le sens même de votre engagement. Fidélité à une histoire, à une langue, à une culture qui depuis près de quatre siècles font vivre la francophonie sur le sol américain £ fidélité à la France car vous aimez la France au point d'avoir embrassé aussi sa nationalité.
Vous êtes née au Québec et à Québec, c'est là que vous avez commencé vos études à l'université Laval, avant de traverser l'Atlantique pour les poursuivre ici à Paris. Vous aviez choisi votre moment puisque vous étiez étudiante en sociologie à la Sorbonne en mai 1968 £ il fallait choisir à la fois le moment et l'université et j'allais dire même la matière. Et donc c'est avec l'esprit de contestation que vous êtes rentrée en 1969 - que faire pour être à la hauteur des mouvements que vous aviez vus à Paris - vous rejoignez le Parti québécois qui venait tout juste d'être fondé par René LEVESQUE. A compter de ce moment, votre combat, ce fut pour la souveraineté du Québec, la défense de l'amitié franco-québécoise et vous avez voulu être une militante mais aussi une femme d'action et vous êtes rentrée à la direction du cabinet du ministre des Affaires intergouvernementales, Claude MORIN, en 1976. Vous y êtes restée cinq ans et puis ensuite, vous avez entamé votre carrière dans la diplomatie comme directrice des affaires françaises au ministère des relations internationales - j'imagine que c'est le département le plus important.
En 1984, vous devenez la première femme à occuper le poste de déléguée générale du Québec à Paris. Et là, vous avez joué un rôle irremplaçable dans la construction et l'approfondissement de la relation franco-québécoise. Vous avez été suivie par d'autres. Vous avez su trouver ici dans presque tous les partis politiques je dis presque tous - les soutiens ou les relais de votre message et je pense à deux personnalités disparues, Michel ROCARD et Philippe SEGUIN. A Paris, vous avez surpris vos interlocuteurs français à l'époque en féminisant votre titre et en exigeant que l'on vous appelle « Madame la déléguée générale du Québec ». Il a fallu attendre Lionel JOSPIN et dix ans après cette proclamation, la vôtre, pour que la France décide à son tour de féminiser les titres.
En 1985, vous entrez au gouvernement du Québec, ministre des Relations internationales du Premier ministre Marc JOHNSON. Cette première expérience s'achève en moins d'un an mais vous partez à ce moment-là dans le privé, dans de nombreuses sociétés où vous avez fait valoir votre talent - je ne vais pas les citer ici - y compris une grande société comptable (je ne sais pas ce que vous alliez faire là-bas mais vous y avez travaillé).
En 1994, vous êtes élue députée au nom du Parti québécois et vous serez reconduite plusieurs fois. Vous avez été en charge des Relations internationales du Québec pour trois chefs de gouvernement : PARIZEAU, BOUCHARD et LANDRY. Ils ne pouvaient pas se passer de vous, j'imagine Et vous avez joué un rôle déterminant dans la négociation de la convention de l'UNESCO sur la diversité culturelle qui a été adoptée en 2005. Vous avez mobilisé le gouvernement québécois sur cette grande question de l'exception culturelle, puis vous avez su convaincre le gouvernement fédéral d'Ottawa de l'importance de ce combat et vous avez trouvé en la France une alliée. Et depuis 2005, vous continuez de vous mobiliser pour que les principes de cette convention ne soient pas remis en cause par les bouleversements nés de l'émergence d'Internet.
Au nom de l'Organisation internationale de la francophonie, vous avez présenté des propositions sur ce sujet - c'était lors du Forum international de Chaillot que la France avait organisé à Paris en 2014. Alors aujourd'hui, vous êtes si on peut dire retirée de la vie politique, c'est-à-dire en fait très présente, puisque vous intervenez dans de nombreux journaux, vous enseignez à l'université Jean-Moulin de Lyon, à l'université de Montréal et chaque fois qu'il y a un sujet, on vous entend. On vous entend au Québec et on vous entend ici en France. Et vous avez des convictions qui vous tiennent à cur : vous croyez à l'échange, à la liberté, à la jeunesse. Vous êtes très attachée à l'Office franco-québécois pour la jeunesse et vous faites en sorte qu'on n'oublie pas les principes fondamentaux de notre droit international et notamment la circulation des personnes. Je l'évoque aujourd'hui parce que les murs ou les interdictions brutales de voyager ne font qu'attiser les peurs et les ressentiments et nous, nous avons compris très tôt que nous avions la nécessité de préserver ces libertés pour protéger en fait nos concitoyens, parfois d'eux-mêmes.
Depuis des années, le champ de la coopération entre la France et le Québec s'est étendu à des domaines majeurs, au-delà même de la francophonie, je pense à la recherche scientifique, à la mer, à l'innovation ou encore au combat pour la préservation de notre planète. Et je dois ici de dire avec force. Sans l'engagement résolu du Québec contre le réchauffement climatique, montrant la voie d'acteurs non étatiques, la COP 21 si chère à la France, n'aurait pas été à ce point réussie. Vous avez d'ailleurs à Québec réussi à mettre en place un marché du carbone, donc là aussi à montrer l'exemple à d'autres, j'imagine même au gouvernement fédéral. Et alors que certains envisagent de remettre en cause les promesses qui ont été acquises de haute lutte à Paris, nous devons, nous, poursuivre notre combat en faveur de la transition énergétique.
Voilà ce que j'ai voulu rappeler ici devant vos amis et ça n'a été qu'une confirmation parce qu'ils vous connaissent bien £ ils savent votre franc-parler, ils vont encore avoir l'occasion de l'entendre, votre liberté de ton. Vous prenez toujours régulièrement part, je le disais, au débat notamment sur la francophonie. Vous ne supportez pas qu'un francophone puisse parfois oublier qu'il est francophone et dans des conférences, vous êtes toujours en colère quand il peut arriver à des Français de parler en anglais. Alors c'est sans doute pour faire étalage de leur virtuosité, ce n'est pas toujours d'ailleurs à leur bénéfice car il y a toujours un lourd accent qui généralement suit cette liberté de s'exprimer en anglais. Mais vous considérez qu'on ne peut pas défendre la francophonie si on ne commence pas à parler français, là où d'ailleurs le français est une langue qui est reconnue. Cela commence dans les grandes organisations internationales, c'est d'ailleurs vrai aussi dans le mouvement olympique - et il est important que dans le mouvement olympique on rappelle que le français est la langue qui est celle de Pierre de COUBERTIN, même si c'est vrai qu'il faut se faire accepter par les autres et il faut se faire élire, ce qui est quand même le principe pour toute candidature.
Vous êtes également attachée à la laïcité. C'est un concept qui n'est pas forcément si facile à exporter mais qui pourtant est un principe qui doit unir les sociétés et il y a beaucoup plus de sociétés laïques qu'il n'en est proclamé. Donc je sais que ce débat a été également intense au Québec. Vous êtes également fondamentalement présente lorsque la place des femmes est contestée ou lorsque la place des femmes n'est pas reconnue et là aussi, vous avez fait en sorte, vous, d'être une précurseur et aussi de ne jamais oublier que ce mouvement ne doit pas concerner que les seuls pays développés. C'est une force pour les pays en développement que d'avoir des femmes qui prennent toute leur place dans les décisions.
Voilà pourquoi aujourd'hui nous vous distinguons, parce que vous avez défendu la francophonie, vous savez défendu des valeurs qui nous sont proches. J'évoquais la dignité, l'égalité et également la liberté. Mais surtout parce que vous avez été profondément attachée à la relation entre la France et le Québec et c'est grâce à vous qu'elle est à ce niveau d'intensité et que nous pensons qu'elle continuera, quoiqu'il arrive, d'évoluer et d'être présente dans les relations politiques. Nous sommes conscients qu'il y a aujourd'hui en Amérique un débat qui concerne l'avenir même de notre planète et que vous êtes le voisin - quelquefois on ne choisit pas ses voisins et c'est le cas de votre situation - mais vous avez un rôle à jouer en Amérique, vous, parce que vous êtes les représentants justement de la francophonie sur l'ensemble du continent américain. Et c'est la raison pour laquelle nous sommes très heureux de pouvoir vous élever à la dignité dans cet ordre de la Légion d'honneur qui vous a déjà reconnue. Merci.