23 janvier 2017 - Seul le prononcé fait foi
Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur l'accord de paix entre le gouvernement colombien et les Farc et sur les relations franco-colombiennes, à Bogota le 23 janvier 2017.
Mes Chers Compatriotes,
Je sais que les règles en matière de sécurité auront été transgressées pour vous permettre d'être là avec moi ce soir. Je veux saluer, au-delà de vous, tous les amis de la France en Colombie et d'abord le ministre de la Défense colombien qui nous fait l'honneur de sa présence ainsi que de nombreux représentants de l'Etat en Colombie.
Cela fait 25 ans que vous attendez, c'est long 25 ans. 25 ans qu'il n'y avait pas eu de Président de la République française ici en Colombie. Les plus anciens, et il y en a sans doute, se rappelaient du voyage du Général de GAULLE, je viendrai leur remettre une médaille tout à l'heure, d'autres se souvenaient du déplacement de François MITTERRAND mais depuis trop longtemps il n'y avait pas eu de chef d'Etat qui vienne ici en Colombie.
J'ai voulu répondre à l'invitation du Président SANTOS, d'abord parce que lui-même était venu en France trois fois au cours de son mandat dont une fois pour l'accord sur le climat à Paris et les deux autres fois pour nous présenter ce qu'il pensait être l'essentiel, c'est-à-dire le processus de paix. Donc, si je viens ici aujourd'hui en Colombie, c'est d'abord pour saluer le courage et la détermination du Président SANTOS qui a voulu qu'il y ait la paix, qui a pris tous les risques car il en faut du courage pour vaincre les peurs, les appréhensions dans un processus comme celui-là. Je veux aussi saluer les deux négociateurs que j'ai rencontrés ce matin, Humberto de la CALLE et Sergio JARAMILLO, qui ont passé quatre ans à discuter, quatre ans à faire le voyage entre La Havane et Bogota pour rappeler ce qu'étaient les règles fondamentales d'une négociation, voir ses progrès et puis ensuite aller vers l'accord.
Ce qui se produit ici en Colombie est considérable parce que c'est l'un des plus vieux conflits du monde qui trouve sa solution, en tout cas un des plus vieux conflits ici en Amérique latine, qui avait fait des dizaines de milliers de morts, des millions de déplacés. Alors, c'est une victoire pour la Colombie que d'avoir réussi à aller jusqu'au bout, c'est-à-dire jusqu'à l'accord même s'il reste encore à faire et c'est justement la responsabilité de la France que de faire ce qu'elle peut engager comme membre permanent du Conseil de sécurité ou comme membre de l'Union européenne et bien sûr comme amie de la Colombie puisse se transformer en mise en uvre de l'accord mais c'est une victoire considérable pour la Colombie.
C'est aussi un exemple, une référence pour le monde entier, si cela a été possible ici par la négociation sur un conflit aussi dur qui a blessé à ce point la population, qui a mis en confrontation une partie de la population contre une autre, avec des exactions considérables, si cela été possible ici en Colombie, cela doit être possible ailleurs s'il y a cette même volonté. Je voulais donc dire aux Colombiens et je l'ai fait ce matin avec le Président SANTOS que la France serait là. Là pour accompagner, aider, soutenir pas simplement verbalement, politiquement et comme pays capable, par sa parole, de mettre en uvre les résolutions du Conseil de sécurité et aussi par ses moyens, ses ressources mais aussi ces hommes et ces femmes qui contribuent à la mise en uvre de l'accord de paix pour que le processus puisse aller jusqu'à son terme.
Je veux saluer Jean ARNAULT qui est le représentant de la mission des Nations Unies qui sur place, un compatriote, fait en sorte qu'il puisse y avoir toutes les étapes qui puissent être franchies et ce n'est pas facile. Ce n'est pas facile d'aller vers la réconciliation, ce n'est pas facile d'engager une justice que l'on appelle transitionnelle. Je me suis posé la question, qu'est-ce que la justice transitionnelle ? On m'a répondu « c'est la justice qui permet la transition », très bien. C'est la justice et en même temps c'est la justice qui doit passer parce qu'il ne doit pas y avoir d'impunité mais qui doit aussi permettre qu'il y ait l'intégration de tous sans l'oubli et c'est pourquoi la mémoire devra aussi rassembler le peuple colombien. Nous pouvons aussi contribuer parce que nous avons également en partage des expériences sur des mémoires blessées, des mémoires qui peuvent être controversées.
La France doit aussi apporter ses moyens financiers et surtout ses expériences aussi dans le domaine du développement, d'où le rôle de l'Agence française de développement. Je veux saluer ici ses responsables. Nous y avons mis deux milliards pour faire en sorte que cette agence puisse agir partout dans le monde et ici puisse mettre des moyens pour favoriser le développement rural, pour favoriser également la maîtrise du foncier, puisse développer la formation notamment pour les populations qui ont été déplacées, qui reviendront ou pour celles qui ont été marquées par la guerre. Nous devons donc montrer que nous pouvons avec nos instruments de développement agir pour la Colombie.
Je veux également souligner le rôle des associations et je sais que plusieurs d'entre elles sont ici représentées. D'abord, une association « Projeter sans frontières » avec des jeunes du service civique qui viennent le faire là pour monter des projets de développement rural, pour aller vers les populations vulnérables, pour les former, les éduquer, pour agir aussi dans la mesure du possible pour la réinsertion de tous.
Il y a une autre association « Handicap International » qui intervient sur la question du déminage et là-aussi, nous apportons notre savoir-faire. Je pense aussi à l'organisation non gouvernementale « Bibliothèques sans frontières » qui vient apporter là-aussi tout ce qui peut être la lecture, la culture et notamment dans les lieux où elle avait été chassée en même temps que les populations étaient elles-mêmes déplacées.
La culture est ce qui unit aussi la Colombie et la France parce qu'il y a de grands créateurs de grands auteurs colombiens connus dans le monde entier, Garcia MARQUEZ, Alvaro MUTIS et puis il y a aussi des artistes qui ont même laissé des traces en France. Je pense à BOTERO pour les Tuileries. Puis, il y a cette culture colombienne qui est vivante avec ses auteurs, ses artistes, ses chanteurs et on aura l'occasion ce soir au théâtre de pouvoir une fois encore le constater !
Il y a cette saison, qui a été ouverte, de la France en Colombie. Grand succès, des centaines de milliers de Colombiens sont venus et notamment pour les fêtes de Noël, je veux remercier ici tous ceux qui y ont contribué : l'ambassade de France, les services culturels, l'institut français mais aussi de tous ceux qui ont parrainé, les collectivités locales ici, il y a avec moi, des parlementaires qui représentent des groupes d'amitié il y a donc aussi toutes les communes de France qui sont liées aux communes ici en Colombie et cela a fait le succès de cette saison. Il y a 400 événements qui sont prévus entre la Colombie et la France pour que nous puissions nous connaître davantage et partager les mêmes émotions. Au mois de juin, il y aura la saison de la Colombie en France et le Président colombien viendra. Je ne sais pas s'il restera pour le Tour de France parce que je sais qu'ici, c'est aussi un grand sujet et qu'il y a un prétendant, il y a toujours des prétendants et nous n'avons fait aucune promesse de ce côté-là, nous avons dit que les règles seraient respectées !
Je veux insister sur la culture parce que c'est souvent ce que les peuples retiennent dans les relations. Bien sûr qu'il y a l'économie j'y reviendrai qu'il y a la science, l'éducation c'est essentiel, mais la culture c'est ce que l'on peut avoir en commun, ce qui nous permet d'être dans le même univers et sur la même planète en train de penser que nous sommes portés par le même destin !
Il y a ici une culture de la francophonie mais je voudrais saluer tous ceux qui contribuent à la diffusion de la langue française : il y a 12 Alliances françaises £ il y a des établissements aussi d'enseignement, je salue les personnels de ces établissements, les enseignants et tous ceux qui contribuent donc à la langue française £ il y a 300 000 locuteurs en français et c'est pour beaucoup dans la population qui enrichit justement l'économie et le patrimoine. Mais ce qu'il faut c'est aller vers l'ensemble des Colombiens pour défendre la langue française et il y a beaucoup à faire.
J'évoquais l'économie. Il y a une progression considérable de la Colombie ces dernières années grâce à vous, les représentants des entreprises. Nous avons doublé nos échanges avec la Colombie en dix ans et dans de nombreux domaines, les ports, les aéroports, les transports, le métro et également tous les domaines de l'environnement, de l'agriculture et même de la Défense. Nous sommes donc partout présents et nous avons aussi vocation à mettre en uvre l'accord sur le climat.
Ici comme ailleurs, et il y a une dégradation des conditions de vie à travers des pollutions de plus en plus fréquentes, avec un réchauffement que chacun ici peut constater comme ailleurs, je reviens du Chili où il y a des centaines d'hectares, des milliers d'hectares qui sont en ce moment en train de partir en flammes parce qu'il y a une sécheresse. Nous sommes donc conscients de l'enjeu et nous devons ensemble non seulement faire que l'accord sur le climat puisse être respecté -il y a des menaces- mais faire que nous puissions avoir des technologies, avoir des entreprises qui travaillent dans ce domaine et que nous puissions accompagner là-encore la Colombie qui est le pays de la biodiversité. Le Président SANTOS en était très fier en disant que c'est ici qu'il y a l'essentiel des réserves en matière de biodiversité. Il a dit même qu'ils avaient trouvé de nouvelles espèces, de nouveaux animaux que personne ne connaissait, j'ai cru comprendre que c'étaient des reptiles, je ne sais pas s'il faut tous les connaître, mais cela fait partie de ce qu'est notre vie et ici, il y a ce qui se joue pour l'ensemble de la planète !
L'Amérique latine est incontestablement le réservoir de la biodiversité. Donc agir en Amérique latine, c'est agir pour notre propre avenir planétaire.
Je voulais aussi insister sur l'ampleur des investissements qui ont été réalisés ces derniers mois, ces dernières années grâce donc aux entreprises et nous sommes l'un des principaux investisseurs étrangers en Colombie. Et la paix étant maintenant dans un processus irréversible, il y aura encore davantage d'investissements surtout que le gouvernement colombien a pris des décisions sur les investissements, leur protection, des règles qui en ont font un environnement particulièrement apprécié des entreprises. Et tout à l'heure encore, une signature venait confirmer les liens qu'il y a entre les entreprises françaises et les entreprises colombiennes.
Ensuite, il y a le domaine universitaire, scientifique, éducatif et là-aussi, à l'occasion de la visite du Président SANTOS à Paris, nous avions signé un accord sur la reconnaissance mutuelle des diplômes. Beaucoup d'universitaires m'accompagnent. Il y a une centaine d'accords entre les universités colombiennes et les universités françaises. On accueille près de 4.000 étudiants colombiens, on va développer des bourses et notamment pour les étudiants les plus modestes et là-aussi, c'est pour la France une chance. C'est une chance d'accueillir des étudiants, c'est une chance d'avoir des jeunes qui veulent venir en France pour ensuite retourner dans leur pays mais pour être des ambassadeurs. Quand je pense que l'on voulait réduire le nombre de visas pour les étudiants étrangers ! Que l'on avait même peur qu'ils puissent rester en France créer des entreprises, fonder des start-up, créer des emplois mon Dieu, ils étaient étrangers Donc on a fait en sorte dès 2012 de favoriser cette venue des étudiants étrangers en France et de permettre qu'ils puissent rester.
Je veux enfin revenir vers vous, la communauté française. Vous êtes quasiment tous réunis parce que vous êtes 5.500 inscrits, beaucoup n'ont pas pu rentrer. Je veux vous remercier pour votre présence ici. Il y a ici des doubles nationaux, c'est une chance pour la France d'avoir des doubles nationaux qui aiment la France et une autre patrie et qui font en sorte de multiplier les échanges entre nous. Il y a ici donc des représentants d'entreprises, des fonctionnaires - des fonctionnaires ? Oui, il en existe partout, des fonctionnaires et on en a besoin partout, réseaux consulaires, enseignants et qui font en sorte de pouvoir permettre aux Français qui vivent à l'étranger d'être accompagnés, d'être suivis et d'avoir des interlocuteurs. Nous avons ici des enseignants, des chercheurs, des entrepreneurs. J'ai évoqué les lycées, lycées qui sont très fréquentés et on en ouvre même là où il n'y a pas de communauté française, tout simplement parce qu'il y a ce besoin de France, cette envie de France de la part des Colombiens.
Je n'ignore pas qu'il y a des conditions de vie qui peuvent être difficiles, combien vous avez subi l'insécurité et combien pendant toutes ces années pour les plus anciens, cela a été des épreuves que de savoir qu'il pouvait y avoir des enlèvements et on en a eu- qu'il pouvait y avoir des menaces sur la vie de vos proches et vous avez tenu bon £ vous avez fait confiance dans la Colombie, vous avez espéré qu'il y ait un processus et qu'il puisse y avoir une vie qui puisse être libre pour tous et c'est ce qu'ils ont réussi.
Je veux terminer sur l'enjeu de l'Amérique latine pour la France. L'Amérique latine est un continent qui a connu bien des épreuves, de ce point de vue-là, GARCIA MARQUEZ avait parlé de « 100 ans de solitude » c'est vrai que cela a été autant d'épreuves, de défis, que l'Amérique latine a relevés. Mais l'Amérique latine est très liée à la France parce qu'elle voit dans la France -et c'est quelquefois bien satisfaisant et on se demande si on le mérite toujours- le pays du droit, le pays des droits de l'Homme. Le palais présidentiel porte le nom de celui qui avait traduit en espagnol la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen. C'est le pays de la liberté, de la liberté des individus et on regarde toujours ce que la France fait pensant être en avant-garde alors que quelquefois des pays d'Amérique latine ont été plus rapides que nous pour un certain nombre de droits, y compris pour le mariage homosexuel
La France est toujours regardée comme le pays de la culture, comme le pays de la démocratie. Faut-il que l'on tienne notre propre rang ? Faut-il que l'on soit nous-mêmes au rendez-vous, au rendez-vous de notre Histoire, au rendez-vous de nos valeurs, au rendez-vous de nos principes, au rendez-vous de l'avenir ? Parce qu'ici, l'Amérique latine, c'est un continent d'avenir. Alors la France ne doit pas se laisser emporter par les peurs qui sont là, toujours là, surtout quand il y a des épreuves terribles qui peuvent s'abattre sur nous, les attentats terroristes. La France ne doit pas se laisser chavirer par les tentations du repli - on voit ce que cela peut donner ailleurs où l'idée de se fermer, de s'enfermer peut à un moment saisir des peuples qui doutent y compris parfois les plus puissants qui s'interrogent sur leur place dans le monde. La France ne doit pas non plus penser que l'ouverture serait un risque. Non, l'ouverture est une chance. Un pays comme la France ne peut concevoir son destin que dans l'ouverture au monde puisqu'elle est attendue partout dans le monde.
La France doit prendre ses responsabilités. C'est vrai que nous ne sommes pas n'importe quelle Nation j'ai évoqué notre place au sein du Conseil de sécurité, j'évoquais ce qu'était la politique de la France dans le monde, c'est-à-dire d'aller là où d'autres ne vont pas, en Afrique, là où il y a des menaces terroristes qui frappent des peuples, qui essaient de les soumettre, d'aller combattre avec nos forces armées là où il y a une organisation qui prépare des attentats en Syrie, en Irak- la France, doit être aussi au rendez-vous de la paix et du développement partout dans le monde et c'est pour cela qu'elle est ici, en Colombie, pour agir pour la paix. Certains nous diraient : mais qu'allez-vous faire là ? Pourquoi vous occupez-vous des autres ? Est-ce que vous n'auriez pas des intérêts, une volonté de puissance ? Pourquoi venir vous ingérer ? On ne vient pas s'ingérer dans la vie des peuples libres comme ici en Colombie, on vient se mettre à leurs côtés, c'est différent. Nous n'avons pas de volonté de puissance, de domination. Nous avons mieux que cela : nous avons une volonté de porter des valeurs universelles. C'est ce qui fait que nous sommes la France et être Française, Français, c'est finalement être dans une responsabilité particulière parce que l'on nous regarde différemment, on vous regarde différemment, on attend beaucoup de vous, on espère beaucoup en vous et c'est la raison pour laquelle les Français de l'étranger ont un rôle qui dépasse même leur activité professionnelle. Ils sont Français, voilà. Ils ne l'ont pas voulu forcément mais ils sont Français et à un moment, ils se disent : mais c'est vrai, être Français suppose que l'on soit en mesure de nous dépasser nous-mêmes parce que nous avons une Histoire et parce que nous avons un avenir. Lorsque j'entends certains dire : il faut d'abord se préoccuper de nous-mêmes Bien sûr qu'il faut se préoccuper de nous-mêmes, de la France qui a besoin de nous -vous servez la France- la France a besoin d'être forte et d'être également solidaire. La France a besoin d'être capable de porter son destin, de se défendre aussi mais la France pour se défendre, pour se promouvoir, elle a une autre conception. Elle dit : d'abord la planète parce que la planète, c'est ce que nous partageons tous. Elle dit : d'abord la paix parce que s'il n'y a pas la paix, nous risquons pour notre propre sécurité. La France dit : d'abord la solidarité parce que nous appartenons finalement à la même espèce humaine. La France dit : la liberté d'abord parce que c'est ce qui a toujours fondé notre action.
Voilà pourquoi je voulais ici en Colombie saluer le processus de paix et saluer tous ceux qui y ont contribué et vous dire combien votre présence ici en Colombie est une chance pour la France et je crois aussi une chance pour la Colombie. Vive la République et vive la France.