3 décembre 2016 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur les relations entre la France et les Emirats Arabes Unis, à Abou Dabi le 3 décembre 2016.


Mes chers compatriotes, je vous retrouve ici à Abou Dabi, en présence d'une importante délégation de ministres, de parlementaires, de chefs d'entreprises et, bien sûr, les plus grands établissements culturels qui sont représentés par leurs présidents.
J'ai plusieurs raisons de venir ici aujourd'hui.
La première était de venir visiter le musée, ce musée universel qui unit la France et les Émirats, qui va être une grande uvre du siècle qui s'ouvre, qui porte un symbole : celui de l'universel, celui de la paix, celui du respect de toutes les civilisations, celui aussi du rassemblement d'uvres venues du monde entier, notamment du Louvre et d'autres établissements culturels, et je veux en remercier tout particulièrement les responsables.
Il y a eu aussi des achats, des acquisitions, qui ont été faites par les Emirats eux-mêmes, et la France qui a apporté tout son concours à travers l'agence France-Muséums.
Je viens donc de voir le chantier, ce n'est pas le chantier, c'est déjà un musée. Ce dôme est très impressionnant. Je me suis posé d'ailleurs même la question de savoir comment il était posé, s'il ne flottait pas. On m'a rassuré. Il est l'uvre de Jean NOUVEL, et je crois que là aussi c'est une fierté française que de savoir que nous avons dans notre pays des talents qui non seulement réalisent des équipements, des bâtiments dans notre propre pays, mais exportent leur savoir, leur connaissance et leur science partout dans le monde, et sont reconnus.
J'avais une seconde raison de venir aux Emirats, c'était de présider, avec le prince héritier, la conférence qui a été préparée par Jack LANG et par son homologue Monsieur Al MOUBARAK. Elle va aboutir à ce que nous puissions, dans les heures qui viennent, lancer un fonds qui va recueillir des dons importants des Etats, des gouvernements, mais aussi de partenaires privés, pour préserver le patrimoine, le protéger, le mettre à l'abri, lui assurer des lieux de refuge, le réhabiliter quand c'est nécessaire, le reconstruire après la guerre.
Vous êtes bien placés pour savoir ce qu'ont été les destructions menées par les fanatiques, les terroristes, en Syrie, en Irak et s'il n'y avait que là £ on le sait, aussi en Afghanistan, mais également en Afrique. J'étais avec la directrice générale de l'UNESCO, il y a trois ans à Tombouctou, et nous avions sous nos yeux les parchemins brûlés, ceux qui remontaient à la nuit des temps, aux premiers temps de l'écriture. Nous nous sommes dit que nous avions un devoir supérieur à tous les autres, qui était non seulement de protéger les populations, et en ce moment même nous devons le faire - je sais que Jean-Marc AYRAULT déploie ici toute son activité de ministre des Affaires étrangères pour qu'il soit mis un terme aux bombardements sur Alep, pour que nous puissions faire accéder l'aide humanitaire aux villes assiégées, sauver des vies - mais en même temps que nous devons assurer ce devoir humanitaire, nous devons aussi assurer un devoir patrimonial, faire en sorte que nous puissions lutter contre tous les trafics.
Il y a des trafics d'êtres humains, nous les connaissons bien : les passeurs, qui essayent d'utiliser la misère humaine pour la conduire vers l'Europe, au risque même des vies entières qui connaissent le pire cauchemar sur la Méditerranée. Il y aussi des trafics de biens culturels, qui d'ailleurs alimentent le terrorisme lui-même.
Nous nous sommes là encore mis un devoir, donné une responsabilité : c'est de pouvoir, à travers cette conférence, qui est une conférence mondiale, qui va réunir de nombreux chefs d'Etats et de gouvernements - j'en avais lancé l'idée au G7 au Japon, et les pays les plus développés y avaient adhéré, mais d'autres nous ont rejoints, pour que nous puissions constituer ce fonds - assurer des lieux de refuge, permettre qu'il y ait au niveau de la communauté internationale une prise de responsabilités.
J'avais également à venir ici à Abou Dabi parce que c'est le 45e anniversaire de la fondation de cet Etat, les Émirats. C'est une réussite exceptionnelle, qu'en 45 ans ce pays ait pu se transformer à ce point, ait pu faire émerger non seulement le pétrole, qui ne demandait qu'à être exploité et valorisé, les ressources que contenait ici cette terre, mais de les mettre au service d'un développement très original, et d'une capacité économique et financière qui compte non seulement dans la région, mais partout dans le monde.
Il est aussi important de souligner l'amitié qui existe depuis 1971, quels qu'aient été les présidents de la République qui se sont succédé en France, oui, l'amitié qui a pu être confortée, renforcée, amplifiée à travers le temps, depuis 45 ans, et qui aujourd'hui trouve une forme de consécration.
Cette amitié entre la France et les Émirats - vous en êtes pour beaucoup les représentants - ce sont les développements économiques, les échanges. La France est un des principaux investisseurs ici aux Emirats, et les Emirats le 2e investisseur en France, en termes notamment d'actifs immobiliers, mais surtout d'actifs industriels.
La relation économique s'est considérablement élargie, et n'est plus simplement liée à l'utilisation des matières premières. Vous êtes ici les représentants de tous les domaines, qui vont de la gastronomie jusque la technologie la plus élevée, au spatial.
Et puis il y a un lien qui s'est également renforcé sur le plan de la sécurité. Ici je vois des militaires, ils sont nombreux à être présents, je veux ici leur exprimer toute notre reconnaissance. Parce que nous avons avec les Émirats une base commune, à partir de laquelle d'ailleurs nous menons des actions. Dans le cadre de la coalition, nous luttons contre Daesh, contre l'Etat islamique, qui a frappé notre propre sol, a ensanglanté nos villes. Nous frappons les bases de ce groupe terroriste, et le faisons reculer, aussi bien à Mossoul qu'en Syrie.
Ces militaires français travaillent en étroite liaison avec leurs homologues des Emirats. C'est ce que nous avons aussi été capables de construire, à travers une coopération très originale, qui ne passe pas simplement par les matériels, j'y reviendrai, mais par les hommes et les femmes qui servent ces matériels.
Jean-Yves LE DRIAN, je crois, en est à sa 15e visite officielle. C'est dire pourquoi il est aussi présent, à la fois pour soutenir les militaires qui assument de lourdes responsabilités, mais également pour mener des exercices communs avec les Émirats. Il y a encore quelques jours, il y a eu un exercice très important, qui s'appelle « Gulf » ça ne s'invente pas , pour faire que nos militaires, avec les Émirats, puissent montrer toutes leurs capacités.
Nous avons aussi lié une relation diplomatique qui fait que nous défendons les mêmes positions dans la région, les Emirats et la France. Nous ne sommes pas dans la même situation, nous qavons une histoire qui n'est pas la même, une taille, une population. Mais il se trouve que sur les grands principes, les Émirats et la France sont en convergence. Sur les grandes questions : comment trouver une solution politique en Syrie, comment faire en sorte qu'il puisse y avoir en Libye un vrai gouvernement qui puisse assurer la sécurité et avoir une autorité, et éviter ce que l'on voit aujourd'hui, le chaos, le terrorisme, et puis aussi ces flux de migrants.
Nous avons la même position aussi sur ce que nous devons faire par rapport à la région, à la lutte contre le fanatisme, contre le terrorisme. Nous avons aussi la même volonté de donner à notre relation un caractère qui dépasse même la région. C'est pour ça que les Émirats ont été les premiers à nous rejoindre dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ça n'allait pas de soi ! Un pays qui produit du pétrole, du gaz, mais qui s'engage déjà pour l'après-pétrole.
Nous avons eu aussi, on l'a encore constaté, sur la question des réfugiés, la même position. Nous avons sur la protection du patrimoine pris des initiatives. Nous sommes véritablement ensemble et c'est parce que nous avons construit cette relation dans la durée que nous sommes capables de la porter à un niveau aussi élevé.
Moi je me plains toujours des caricatures qui peuvent parfois, dans notre propre pays, considérer que la relation que nous avons avec les pays arabes, ou les pays du Golfe, serait une forme de parti pris, uniquement fondé sur des conceptions d'intérêt économique. Rien n'est plus faux.
Bien sûr que nous avons à commercer, mais nous commerçons partout, avec tous les pays du monde. Bien sûr que nous sommes attentifs à la situation des pays émergents. Et bien sûr que nous ne sommes pas indifférents à l'égard de ceux qui peuvent acheter du matériel français ou qui peuvent investir en France. Mais ce n'est pas ça qui motive la relation entre la France et les Emirats, et d'ailleurs avec les pays arabes.
C'est parce que nous avons conscience que l'équilibre doit être préservé, que nous devons faire en sorte que la parole de la France puisse être utile, et qu'elle puisse être entendue, notamment par celles et ceux qui sont confrontés à l'extrémisme, au fanatisme, à l'islamisme. Et que nous dirait-on si nous étions ailleurs, si nous n'étions pas engagés comme nous le sommes ? Qu'est-ce que serait la France si elle n'était pas capable, dans la coalition, de jouer le premier rôle, face à Daesh ?
Si nous avons fait en sorte aussi de signer un accord avec l'Iran sur le nucléaire, c'est parce que nous étions conscients que nous devions être fermes, et en même temps vigilants, sans rien perdre de la relation que nous avions avec les pays arabes et les pays du Golfe. C'est cela, la force de la France : être capable de parler à tous et d'avoir la confiance de tous.
Ici aux Emirats, je l'ai constaté, cette confiance est là, à l'égard de la France. La France sera toujours là, ici, présente. Comment peut-elle ne pas mieux manifester cet engagement qu'avec ses forces armées, que je salue une nouvelle fois.
Une nouvelle fois, parce que dans la période que nous avons traversée, j'en ai demandé beaucoup aux militaires. J'ai engagé des opérations au Mali, en Centrafrique, en Syrie, en Irak, fait venir plusieurs fois notre porte-avions, sollicité également nos pilotes, nos forces de la Marine, de l'Armée de Terre, beaucoup d'entraînements. J'en ai d'ailleurs tiré les conséquences, en révisant la loi de programmation militaire. Jamais une loi de programmation militaire n'avait été respectée dans son intégralité. Et chaque fois qu'une loi de programmation militaire avait été révisée dans le passé, c'était toujours à la baisse.
Ce n'était pas dans mon programme en 2012, que d'augmenter les crédits de nos forces armées £ et pourtant je l'ai fait. Je l'ai fait parce que la situation l'exigeait. Je l'ai fait parce que j'en demandais beaucoup à nos armées, y compris même d'utiliser nos militaires, nos soldats, pour assurer la sécurité de notre propre territoire, ce qu'on appelle l'opération Sentinelle, parce que nous avions été frappés, et parce que nous pouvons encore l'être, par le terrorisme.
Voilà pourquoi j'ai exprimé, et je le ferai encore, sur la base, ma gratitude, ma reconnaissance à l'égard des militaires français. Je pourrais dire aussi les mêmes mots pour nos gendarmes et pour nos policiers, qui assurent un travail exceptionnel au service de tous nos compatriotes.
La France et les Emirats ont construit aussi une relation qui allait au-delà de l'économie, au-delà même de la diplomatie et de la défense : une relation culturelle, et une relation intense, qui trouve sa place, je l'ai dit, dans ce musée du Louvre Abou Dabi, mais qui également est symbolisée par la Sorbonne à Abou Dabi qui accueille plusieurs centaines d'étudiants, et les Emiriens voudraient qu'on en fasse davantage encore, parce qu'ils veulent de la France.
Oui, de la France : ce que nous sommes. Non pas pour se fondre avec la France, il ne s'agit pas de ça, mais prendre de la France ce qu'elle a de plus fort, de meilleur : sa culture, sa langue, son histoire, sa philosophie, mais aussi ses sciences exactes, parce que les technologies que nous déployons ici sont le produit justement de notre éducation nationale, de notre enseignement supérieur, de nos instituts de recherche.
Là aussi, c'est la première priorité d'une Nation. Quand elle néglige son éducation, sa culture, sa langue, ses recherches, ses talents, elle se perd elle-même, et elle perd des places dans ce qui est la compétition à l'échelle du monde. Et là encore, les Emirats Arabes Unis ont parfaitement compris ce que pouvait être la France.
Je vous remercie, tous ceux qui contribuent à l'enseignement dans nos établissements, ceux qui sont présents, d'abord pour que la communauté française puisse être satisfaite par les conditions d'enseignement, mais je sais qu'il y a encore beaucoup de soucis de ce point de vue-là, tellement les besoins sont importants et les coûts sont élevés. Il était très important que les établissements scolaires, lycées, parallèlement les Alliances françaises, puissent développer tout ce qui pouvait être enseignement en français.
Et je veux remercier les personnels, les fonctionnaires, parce que ceux qui sont souvent dans ces postes-là sont des fonctionnaires, comme d'ailleurs ceux qui sont dans les postes diplomatiques et consulaires. Quand il n'y a plus de fonctionnaires, il n'y a plus d'Etat. Quand il n'y a plus d'Etat, il n'y a plus de France. Il faut aussi en prendre conscience, si l'on veut savoir vers quoi nous voulons aller ensemble.
Et il y a cette coopération sur les technologies, sur ce qu'il y a de plus élevé dans la science : le spatial, mais également tout ce qui peut compter comme industries du futur, et je sais qu'il y a ici beaucoup de start-up qui travaillent aux Émirats.
Voilà, j'en ai déjà beaucoup dit, mais ce n'est pas tous les jours que je viens à Abou Dabi, ou à Dubaï. La première fois c'était en 2013, donc c'est la seconde. Je ne sais pas s'il y aura une troisième fois, donc c'est pour ça que je prends tout mon temps pour vous parler !
Mais ce que je voulais vous dire, c'est que la France c'est un pays singulier, je le répète souvent, parce que les Français n'en ont pas nécessairement conscience £ vous, sans doute plus que d'autres, parce que vous vivez loin de la France, et que vous savez ce qu'elle représente.
La France c'est une culture, une culture admirée, au point de vouloir qu'il y ait un Louvre ici à Abou Dabi, une Sorbonne. La France c'est aussi une langue, qui s'apprend, qui se parle, et les Emirats voudraient avoir un meilleur statut encore dans la Francophonie. Et quand je vois le nombre de pays qui veulent adhérer à l'Organisation internationale de la Francophonie et qui ne parlent pas le français, je me dis : mais que viennent-ils chercher ? A apprendre le français, sûrement, mais aussi à appartenir à cette communauté d'esprit qui est réunie à travers et autour de la langue française.
La France c'est une défense. Il y a peu de pays qui ont cette capacité de défense. Ce n'est pas parce que nous sommes membre permanent du Conseil de sécurité, ça c'est un statut, mais c'est parce que nous avons fait cet effort de défense, qui nous rend indépendants, indépendants de ce qui peut se produire, y compris dans la plus grande puissance démocratique, même si nous sommes vigilants, même si nous rappelons nos liens, même si nous sommes attachés à la coopération transatlantique. Mais nous sommes la France. Nous ne dépendons de personne pour faire nos choix. Lorsque j'engage les forces en Afrique et au Moyen-Orient, je le fais avec le Premier ministre, les ministres responsables de la Défense et des Affaires étrangères, je le fais souverainement, en votre nom. Je le fais parce que je sais que la France y est attendue et qu'elle a la capacité de le faire.
La France c'est aussi une économie, une économie qui a été redressée, et vous en êtes ici aussi des exemples. Une économie qui est compétitive, qui est sur les domaines de l'excellence. Une économie qui est constituée de grands groupes, ce qu'on appelle le CAC 40, qui sont aussi ces groupes qui nous permettent d'être présents partout dans le monde, et beaucoup sont ici aux Émirats. Mais c'est aussi des entreprises de taille moyenne, qui se sont massivement investies grâce à la diplomatie économique que nous avons portée vers les pays émergents. Et la lutte contre le réchauffement climatique, la transition énergétique, le numérique ont été des facteurs d'amplification encore de ce que pouvait apporter la France. La French Tech, par exemple, est une réussite saluée partout dans le monde. C'est parce que nous avons cette capacité d'innovation que nous pouvons avoir confiance dans notre économie.
La France c'est aussi des valeurs et des principes, que nous portons par une politique étrangère, que nous définissons par nous-mêmes, en coopération avec nos alliés, avec les Européens. L'Europe qui a besoin d'une politique étrangère, l'Europe qui ne peut pas être la première puissance économique du monde si elle n'est pas capable d'influer sur le destin du monde, qui ne peut pas être spectatrice, parfois accompagnatrice, mais trop peu actrice. C'est ce que nous aurons encore à faire durant les prochains mois.
La France c'est un pays qui est capable de porter des projets ahurissants, dont personne ne pense qu'ils sont réalisables, qu'ils sont possibles. Par exemple, lorsque nous avons accueilli la conférence sur le climat, et que personne ne voulait prendre ce risque, parce que la précédente avait été un fiasco et beaucoup en avaient gardé un souvenir cuisant. C'est la France qui a été capable, non seulement de réunir une conférence, ça ce n'était pas le plus dur, mais de réussir cet accord historique.
La France est capable de porter un grand projet, y compris lorsqu'elle est traversée par des épreuves. Notre pays qui a été attaqué sur son propre sol par des terroristes fanatiques, islamistes, qui voulaient nous diviser, nous séparer, qui espéraient qu'il y aurait de la surenchère il y en a eu, néanmoins , de la stigmatisation il faut y veiller, à ne pas la laisser produire ses effets de haine ou qu'il puisse y avoir du doute, de la suspicion au sein même de nos sociétés, qui sont justement multiples, tout en étant une.
Alors la France elle est capable aussi de porter de grands projets, comme celui que nous avons ici aujourd'hui, à la fois cette Conférence internationale pour la protection des biens, et ce musée du Louvre Abou Dabi.
C'est parce que cette France est un pays, une Nation à ce point unique, qu'être président de la République est à la fois une responsabilité éminente et une fierté. Une fierté à condition, et c'est la seule condition qui vaille, à condition de faire avancer la France dans le respect de ses idéaux et de ses valeurs. Telle est la tâche qui est la mienne jusqu'au mois de mai prochain.
Merci.
Vive la République, vive la France !