3 décembre 2016 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur la protection du patrimoine culturel face au terrorisme, à Abou Dabi le 3 décembre 2016.


Altesse,
Mesdames Messieurs les chefs d'Etat de gouvernement,
Mesdames Messieurs les Ministres,
Madame la directrice générale de l'UNESCO,
Je tiens d'abord à remercier chaleureusement le prince héritier, son altesse cheikh Mohammed BIN ZAYED, pour l'organisation de cette conférence, dans ce cadre exceptionnel. C'est un rendez-vous qui marquera l'histoire parce que c'est la première fois que des pays mais aussi des organisations, des experts, des donateurs se rassemblent pour protéger les biens communs de l'humanité et pour se donner les moyens d'y parvenir. Je veux donc exprimer ma reconnaissance à tous les pays qui sont représentés ici, à l'appel conjoint de la France et des Emirats arabes unis.
Madame BOKOVA, la directrice générale de l'UNESCO, a rappelé un événement auquel nous avions participé au Mali - je salue son président - c'était le 2 février 2013. Le Nord Mali et Tombouctou venaient d'être libérés des terroristes qui occupaient ce territoire et soumettaient sa population à des lois insupportables, inadmissibles pour la dignité humaine et au traumatisme des survivants. Je voyais leur regard qui était comme un soulagement mais aussi comme le souvenir des horreurs qu'ils avaient pu connaître par les persécutions et les humiliations. Devant ces survivants j'avais également le spectacle désolant de la destruction des trésors, des mausolées, des manuscrits du Coran.
Sous nos yeux dans ce lieu saint de l'islam, le fanatisme avait été jusqu'à détruire des manuscrits, à les brûler pour les réduire en cendres comme pour faire qu'ils n'avaient jamais existé. Les terroristes au nom d'une religion qu'ils trahissent veulent tout détruire : les êtres humains, ceux qui leur résistent, les minorités religieuses mais également toute trace d'humanité, au sens des personnes mais au sens aussi des biens que les générations précédentes depuis des millénaires ont pu bâtir par leurs mains ou par leur esprit.
L'obscurantisme a également fait du trafic, du pillage, de la destruction de l'héritage culturel non seulement un commerce qui d'ailleurs finance leurs propres activités, mais également une façon de prolonger les persécutions, de pouvoir menacer toutes celles et tous ceux qui ne pensent pas comme eux.
En prétendant détruire un patrimoine, ce fanatisme s'en prend à la diversité des civilisations et donc à l'unité du genre humain parce que nous sommes riches de tout ce que nous avons de différents et que nous portons comme le même héritage. Voilà pourquoi la France et les Emirats arabes unis ont voulu agir avec détermination et sans retard. C'est le sens de cette conférence parce que ce que nous avons ici à faire et que nous allons réussir à faire, c'est de bâtir une protection pour assurer aux biens les plus précieux de l'humanité. Un avenir parce qu'il est déjà tard en Afghanistan, je pense à la destruction des bouddhas de Bamiyan, au pillage du musée de Kaboul, en Irak à la mise à sac du musée national de Bagdad et de Mossoul mais aussi aux destructions infligées au site antique de Nimroud et de Hatra. En Syrie, je pense à Palmyre, le temple de Bêl a été mis à terre par les terroristes de Daech l'ancien conservateur du site archéologique, je veux citer son nom Khaled ASSAAD a payé de sa vie, la défense de l'âme de son pays.
Voilà ce qui a déjà été détruit et qui continue à être détruit. A Alep, ceux qui ont choisi le déchaînement de la violence tuent deux fois le peuple syrien dans sa chair, avec les bombardements et les massacres qui s'y produisent et dans sa mémoire à travers des biens les plus prestigieux de l'Humanité !
Voilà agir, nous devons agir !
D'abord nous devons nous mobiliser. La conférence d'Abou Dabi va nous permettre de nouer une alliance, une grande alliance, une alliance internationale. Nos représentants respectifs, Jack LANG et Mohammed AL MUBARAK, ont uvré sans relâche pour qu'il en soit ainsi je veux les en remercier. Nous allons rassembler ici non seulement des représentants de 40 Etats, de 5 continents qui expriment la volonté commune des peuples de lutter contre la destruction systématique de notre patrimoine. Il y a aussi ici je vais les en remercier - des experts les plus qualifiés, les scientifiques, les universitaires, les institutions, les fondations publiques, privées les plus prestigieuses et des donateurs qui se sont spontanément présentés pour pouvoir participer pleinement à l'initiative que nous lançons aujourd'hui.
Ensuite, il nous faut nous doter d'instruments nouveaux parce que lorsque des trésors culturels sont menacés, il faut les mettre à l'abri. C'est une idée simple mais qui doit être organisée, financée et entourée des garanties juridiques les plus absolues. Cette conférence d'Abou Dabi a adopté les principes qui encadrent la création et le fonctionnement de ces refuges. Notre ambition, c'est qu'ils puissent être installés au plus près des lieux de conflit, si possible dans le pays concerné et, en dernier ressort, quand ce n'est plus possible à l'extérieur.
Ce dispositif de protection de refuges respectera trois règles fondamentales : le volontariat, le respect de la souveraineté de l'Etat ayant demandé la mise à l'abri du patrimoine et l'assurance d'une conservation respectant les normes les plus élevées. La France montrera l'exemple et proposera que les réserves du Louvre soient mises à la disposition de tous ceux qui en feront la demande. Son président, Jean-Luc MARTINEZ, a été l'inspirateur de cette conférence et j'espère que de nombreux musées viendront s'inscrire dans un tel réseau.
Mais au-delà de la décision de mettre à l'abri, nous avons aussi le devoir de créer un fonds financier pour la protection du patrimoine en péril. Notre objectif, c'est de collecter 100 millions de dollars, au moins 100 millions de dollars et nous pouvons y parvenir. La France prendra l'initiative d'abonder ce fonds de 30 millions de dollars. Je remercie tous les pays qui aujourd'hui ont fait l'annonce d'un soutien et si nous allons au-delà de 100 millions de dollars, nous ne nous en plaindrons pas et nous ne refuserons aucun geste supplémentaire, je vous l'assure !
Ce fonds aura son siège à Genève où se trouvent les grandes organisations internationales à vocation humanitaire. Sa gouvernance s'inspirera des règles de gestion qui ont fait le succès d'un autre fonds face à un autre péril : c'est le Fonds mondial de lutte contre le sida. Ce fonds associe étroitement les donateurs publics et privés et des personnalités internationales les plus qualifiées. Il financera des programmes de formation, développera des projets de numérisation, procédera à la constitution systématique d'inventaires et permettra de mettre à l'abri et aussi de financer la réhabilitation du patrimoine saccagé ou d'aider à la reconstruction de lieux de mémoire pour que rien ne puisse être oublié de ce qui aura été hélas détruit !
C'est aujourd'hui notre devoir le plus urgent, mais nous ne partons pas de rien. La communauté internationale a déjà montré aussi bien en Bosnie-Herzégovine qu'au Cambodge, à Angkor que nous sommes capables de réhabiliter des monuments qui ont été très gravement détruits par les guerres. C'est cette expérience-là que nous mettrons aussi à disposition.
Enfin, notre conférence doit décider de lutter avec encore plus d'intensité contre les trafics.
Au niveau européen, nous poursuivrons nos efforts d'harmonisation des législations et il y aura un projet de règlement européen sur le contrôle des importations de biens culturels qui sera adopté d'ici la fin de l'année. Parce que le trafic de biens culturels n'est pas simplement honteux, n'est pas simplement une privation des biens essentiels pour le pays qui en est victime, c'est aussi un moyen de financer le terrorisme. Celles et ceux qui bénéficient de ce trafic ou qui l'utilisent pour constituer des collections ou qui pensent pouvoir en faire une activité marchande dans des pays en paix doivent savoir qu'ils seront pourchassés et condamnés.
Au niveau international, la France appelle à la ratification des grands instruments protégeant le patrimoine culturel et notamment de toutes les conventions de l'UNESCO. L'UNESCO qui est la grande institution pour les biens culturels et pour l'éducation dans le monde.
J'annonce que la France a engagé la procédure de signature du second protocole de La Haye qui prévoit un régime de protection renforcé contre les biens les plus précieux et une clause de compétence universelle pour les juridictions des Etats parties.
Altesse, Mesdames et Messieurs les chefs d'Etat et de gouvernement, Mesdames Messieurs les ministres, Madame la directrice, voilà ce que nous avons décidé de faire. Au départ une initiative, une idée qui devient aujourd'hui une conférence £ demain, un fonds financier, des règles juridiques, des lieux de refuge et une mobilisation collective. Telles sont les valeurs que nous portons. Voilà ce que la politique peut faire £ voilà ce que l'action internationale peut réussir £ voilà ce que nous pouvons au-delà de ce que nous avons à engager pour lutter contre le terrorisme, pour agir pour la paix, pour chercher des solutions, voilà ce que nous pouvons faire aussi pour assurer l'égale dignité des cultures et assurer le dialogue entre les civilisations et pour envoyer un message de paix, un message d'humanité.
C'est donc un programme d'action précis et exigeant qui est devant nous ici à Abou Dabi, au cur du Moyen-Orient où a éclos ce que la civilisation, l'être humain a porté de plus grand. C'est là que l'humanité a bâti les premières villes, là qu'a été inventée l'écriture, là qu'a été posée la loi comme principe de gouvernement, là où les Lumières islamiques ont fait rayonner jusqu'en Occident les mathématiques, la philosophie et les arts.
Aujourd'hui, le Moyen-Orient fait face à des épreuves. Il y en a qui veulent détruire cet héritage, qui veulent utiliser la religion pour séparer, pour diviser, pour soumettre et pour terrifier.
La France prend ses responsabilités en engageant ses forces dans le cadre de la coalition internationale pour éradiquer le terrorisme de Daech et pour lutter contre les fanatiques qui ont attaqué la France sur son propre sol. Mon pays engage des moyens importants pour la paix, fait en sorte que sa diplomatie, sa politique extérieure puissent être utiles au monde. La France est un pays indépendant qui décide par lui-même de ce qu'il est utile de faire, mais toujours avec une volonté universelle, toujours en pensant à ce qu'est la responsabilité d'un pays comme le mien pour la planète.
Il y a un an à Paris, quelques semaines après que la capitale de mon pays ait été frappée par des attaques terroristes, je réunissais les chefs d'Etat et de gouvernement pour un accord sur le climat.
Il s'agissait, et il s'agit encore de sauver les générations futures, de préparer le monde de demain, et de faire en sorte que nous décidions aujourd'hui pour faire que l'avenir soit meilleur, pour que la planète puisse être non seulement préservée, mais que le bien-être, le développement puissent être considérés comme des enjeux mondiaux, et que les pays les plus pauvres, les plus fragiles, puissent aussi avoir un avenir meilleur, tout en participant à cette même ambition de lutter contre le réchauffement climatique, et de donner aux technologies les moyens de nous faciliter la tâche.
Un an plus tard je suis là, ici à Abou Dabi, pour une autre conférence, où il s'agit de sauver ce que nous ont laissé les générations passées, comme si nous avions à faire cette continuité, d'assurer ce passage, de faire en sorte que l'histoire et l'avenir puissent se retrouver. C'est en protégeant les biens de l'humanité, le patrimoine qui nous a été laissé, que nous sommes encore plus engagés pour faire que l'avenir soit meilleur, que la planète soit plus sûre, parce qu'elle sera toujours aussi belle si nous savons la préserver et la garder.
Alors oui, ici à Abou Dabi, après Paris, et avant d'autres initiatives, parce que la France doit toujours aller de l'avant, nous sommes conscients que nous participons à la grande bataille, la seule qui vaille, celle pour l'humanité. Nous savons d'où nous venons, et nous saurons où nous irons.
Merci.