2 octobre 2016 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, en hommage à l'écrivain français Emile Zola, à Médan le 2 octobre 2016.


Nous sommes réunis ici pour une inauguration et un pèlerinage. L'inauguration, c'est celle de la rénovation de la Maison d'Emile ZOLA. Voilà plus de vingt ans, cher Pierre BERGE, que vous vous consacrez, que vous vous dévouez à ce lieu et à son esprit. Vous êtes fidèle à une promesse que vous aviez faite à François MITTERRAND un 31 décembre 1995 et ses dernières paroles à vous, celles qu'il avait prononcées avant de prendre congé, étaient : « tenez-moi au courant pour ZOLA». Aujourd'hui, nous le tenons informé grâce à vous. Il croyait aux forces de l'esprit, j'imagine qu'il sait aujourd'hui que la maison Zola est rénovée et que grâce à vous, à vous tous, il en a été ainsi.
Cette restauration restitue l'éclectisme voulu par ZOLA puisque vous avez poussé la méticulosité jusqu'à retrouver des objets et ceux que vous n'avez pas pu identifier comme venant de ZOLA, vous les avez, si je puis dire, recopiés. Vous avez voulu que soient retrouvées la table, la chaise qui étaient les siennes quand il écrivait mais aussi tout ce qui pouvait lui être familier, jusqu'à ces vitraux que vous avez reconstitués, pour faire comme si nous étions à sa table, à partager les mêmes émotions que celles qu'il pouvait transcrire sur le papier.
C'est ici, en effet, dans son cabinet de travail que ZOLA a noirci des milliers de pages. Martine LEBLOND-ZOLA me disait quatre pages par jour. Cela me paraissait peu mais chaque jour, des lignes et cette capacité à pouvoir utiliser une documentation patiemment constituée pour faire des romans qui contribuaient à la connaissance d'un monde, d'une société, avec plus de mille personnages.
C'est ici aussi que ZOLA a constitué une uvre majeure où souffle la vérité des êtres, la dureté du monde et l'espérance du progrès.
C'est dans cette maison qu'il y a eu les fameuses soirées de Médan réunissant CEZANNE, MONET, PISSARRO, les GONCOURT, DAUDET, HUYSMANS et tant d'autres autour d'une table de billard où les parties devaient être relevées.
C'est dans ce lieu que, depuis 1903, au lendemain de la disparition du grand écrivain, se retrouvent chaque année pour un pèlerinage littéraire tous les premiers dimanche d'octobre les amis d'Emile ZOLA, cette grande conscience française.
Il y a bien longtemps que les témoins invités alors par sa fille Denise et Maurice LEBLOND ont disparu, mais jamais les pèlerins. Il s'en est trouvé année après année et vous en êtes la preuve, à venir ici à Médan pour partager l'esprit et entendre des orateurs. Et quels orateurs se sont succédé ici depuis près d'un siècle, hors des périodes de la guerre, des deux guerres. Des écrivains, des historiens, des académiciens, des journalistes, des ministres et même deux présidents de la République, enfin un qui ne l'était pas encore, François MITTERRAND en 1976 et un autre qui l'était, qui avait tenu à être présent, Jacques CHIRAC. Je suis là aujourd'hui et vous êtes présents aussi.
A travers eux, à travers vous, ZOLA n'a jamais cessé de nous parler avec toujours cette même leçon. Quelle est-elle ? Face aux plus grandes adversités, il y a toujours un choix, même dans la nuit la plus sombre, luit toujours une espérance. Même dans l'engrenage d'une machinerie infernale, il suffit d'une voix, une seule pour changer le cours des choses et le destin des hommes. Voilà la leçon de ZOLA.
Il avait montré l'exemple pour DREYFUS. ZOLA, DREYFUS, leurs noms sont indissociablement liés, non seulement pour la cause qu'ils partageaient, la Justice, mais aussi par les condamnations qui les unirent, par la haine qu'ils déchainèrent. Voilà pourquoi il est si légitime, si important d'aménager ici, avec l'appui des familles ZOLA et DREYFUS et le soutien de l'Etat, de la région, et des collectivités locales concernées, le premier musée consacré à DREYFUS et à l'Affaire. Il ouvrira ses portes en 2018.
La question immédiatement a surgi, comment est-ce possible qu'il n'y ait pas eu de musée DREYFUS jusqu'à aujourd'hui ? Il était temps, plus que temps, que s'ouvre en France un lieu dédié à l'Affaire et à Alfred DREYFUS, à ce militaire patriote victime de la pure injustice, celle de la raison d'Etat, de la pire abjection, celle de l'antisémitisme, de la pire humiliation, celle d'être dégradé par une République qu'il avait juré de servir et qui mit tant de temps à le réhabiliter. Voilà pourquoi il est encore si important d'avoir sur l'Affaire, sur ce qu'elle a déchainé, sur ce qu'elle a porté, en France et dans le monde, un musée digne de ce nom.
Vous avez voulu une fois encore et sans qu'aucune promesse n'ait été faite à un président de la République, qu'il y ait un musée Alfred DREYFUS. Vous avez voulu qu'il soit ici, à Médan, parce que c'est ici que ZOLA a adressé à un président de la République, Félix FAURE, mettre fin à une injustice. Par cette lettre, et quelle lettre, Emile ZOLA a mis sa réputation et sa gloire pour défendre un homme qu'il n'avait jamais vu, mais dont il connaissait tout du dossier qui était supposé l'accabler.
Il en fallait de l'audace, du courage et du talent pour porter une accusation contre des accusateurs qui trahissaient l'idéal de la Nation au nom d'un nationalisme sectaire !
Il en fallait des convictions dans la République et une foi inébranlable dans la patrie pour défier les autorités qui décidèrent en leur nom !
Il en fallait de la force d'âme pour interpeller le président de la République en « volontaire de la vérité », prêt à tout perdre pour que la question fut posée !
En effet, ZOLA perdit tout. Son honneur puisqu'il fut condamné à une peine de prison ferme, ses décorations qui ne lui ont été jamais restituées, sa fortune puisque ses meubles furent vendus pour indemniser les falsificateurs qui l'avaient attaqué. Il aurait pu perdre sa liberté s'il n'avait trouvé refuge en Grande-Bretagne, et peut-être a-t-il perdu sa vie pour la cause qu'il a un moment défendue.
Cette lettre fut écrite dans la fièvre, en quelques heures, un jour et une nuit, au lendemain du 11 janvier 1898, date du jugement du Conseil de guerre qui acquittait le traître ESTERHAZY pour accabler l'innocent DREYFUS. Cette lettre fut publiée le 13 janvier 1898 dans L'Aurore, l'un des rares quotidiens à cette époque à maintenir l'exigence de droit et de vérité. Le titre fut trouvé par Georges CLEMENCEAU.
Une lettre vaut par son contenu, par sa force, par le torrent de mots mais vaut également par son titre quand il s'agit de la publier dans un journal. CLEMENCEAU qui avait le sens de la formule voulait que le cri de la vérité puisse être exprimé en français partout dans le monde.
« J'accuse »
Ces deux mots explosèrent comme un coup de tonnerre, deux mots qui bouleversèrent l'histoire, deux mots qui renversèrent le cours de l'infamie, deux mots, « j'accuse », qui provoquèrent une insurrection de la conscience.
Zola réveilla la France. Il faut parfois avoir cette capacité de la faire sortir plus que de sa léthargie, de sa tentation ! Oui il réveilla la France parce qu'il voulait que l'Etat ne puisse pas couvrir le mensonge, il voulait que la droiture soit une vertu et la forfaiture un crime. Face à l'affreuse torture d'un homme condamné pour un crime qu'il n'avait pas commis, ZOLA ne voulait pas accepter ce qu'il considérait comme une souillure.
La formule est connue : « je ne veux pas être complice, mes nuits seraient hantées. » A cet instant ZOLA n'est plus un célèbre écrivain auréolé du succès qui était le sien, il adresse non pas une supplique mais une exigence à Félix FAURE. Il est l'esprit de la France universelle, il est la voix de la République qui rappelle à celui qui la préside ses devoirs d'homme, je dis bien « ses devoirs d'homme ».
PÉGUY, admiratif, écrira à propos de « J'accuse » : « c'était de la belle prophétie puisque la prophétie humaine ne consiste pas à imaginer le futur mais à se représenter le futur comme s'il était déjà le présent. »
ZOLA s'éteint à l'automne 1902. Il ne connaîtra pas le bonheur de vivre la réhabilitation de DREYFUS, qui ne viendra que quatre ans plus tard en 1906. Mais ZOLA n'avait pas besoin de prévoir l'issue de son combat pour le mener. Ce qui lui importait avant tout, c'était de l'engager au prix d'un sacrifice qui n'était rien à l'aune de celui qui souffrait d'une décision inique, DREYFUS, parce qu'il était juif, parce qu'il fallait bien donner à la haine ce qu'elle réclamait. ZOLA agissait en intellectuel sans doute, dont le prestige lui permettait d'être entendu, mais d'abord en citoyen qui prend la liberté au mot pour la traduire en actes, et qui fait de la presse l'arme de la démocratie.
L'engagement de ZOLA pour des valeurs dont la défense lui fit connaître l'exil alla toujours de pair avec un soutien constant à la personne de DREYFUS. Il ne dissociait pas l'admiration qu'il avait pour l'homme, DREYFUS, du combat qu'il voulait engager. L'homme, qui était pour lui un héros civique. Cette attitude est aussi une leçon, elle dit que l'abstraction des droits qui définit la République n'éloigne pas cette dernière des gens avec leur histoire et leur culture. Elle dit aussi en ce moment même que chacune et chacun, sur le sol national ou abandonné au loin, mérite sa protection.
Si ZOLA a pu tenir bon, c'est qu'il pouvait s'appuyer aussi sur une solidarité, sur une fraternité, celle de ses amis ici à Médan, mais aussi d'une solidarité au-delà des frontières. C'est en ce sens que la dimension internationale de l'affaire DREYFUS a étendu la lutte pour les droits humains et le refus partagé de la persécution des parias. ZOLA est un auteur mondial comme HUGO £ il est celui qui parle au nom de la France universelle, qui s'adresse au monde en parlant de la France.
ZOLA était la France dans son combat, cette France qu'il connaissait bien pour en avoir dressé le portrait. Dans les ROUGON-MACQUART, sublime fresque familiale qui traverse les milieux sociaux, les régimes politiques et des époques, ZOLA cherche la vérité comme un journaliste, comme un sociologue, comme un ethnologue, comme un scientifique inspiré de Claude BERNARD, ce qui lui valut quelques reproches dans le milieu littéraire de l'époque mais il le fait avec une précision, une connaissance qui pour lui est la recherche ultime de la vérité. C'est ainsi qu'il est un écrivain de génie.
Il alla à la rencontre des mineurs du Nord, des paysans de la Beauce, des courtiers de la Bourse, des vendeuses dans les grands magasins parisiens, et il revint avec des centaines, des milliers même de pages manuscrites qui restent encore aujourd'hui des trésors d'observation. Il ne masquait rien de ce qu'il avait vu, les passions, même les plus viles, la misère même la plus noire, les violences, même les plus rudes. Pour lui, la vraie décence, c'était l'honnêteté de montrer le monde tel qu'il était, de ne rien dissimuler. Il mobilisa tous les moyens de son temps pour approcher cette vérité.
Tout comme ses amis impressionnistes furent les peintres de la réalité à l'âge de la photographie, ZOLA fut l'écrivain de la modernité de la France de la seconde moitié du XIXe siècle. C'est ainsi qu'il inventa un genre mais il a surtout invité des gens, des gens dont on ne parlait jamais dans les romans, des gens qui pouvaient enfin s'asseoir à la grande table de la culture et de la démocratie, qui étaient reconnus pour ce qu'ils étaient, identifiés pour ce qu'ils vivaient, décrits pour ce qu'ils enduraient et c'est là, la plus grande force de son uvre qui fait qu'elle a dépassé les frontières, qu'elle a résisté aux années et qu'elle continue encore à nous atteindre alors même que les conditions de vie d'aujourd'hui n'ont plus rien à voir avec celles de ZOLA
A ceux qui insultaient encore ZOLA lors de l'entrée de sa dépouille au Panthéon le 4 juin 1908, ce qu'il y a de terrible avec la haine, c'est qu'elle n'est jamais oublieuse et que même après votre mort, elle vous retrouve, elle vous recherche, elle vous interpelle, même pour la cérémonie au Panthéon les intolérants et les haineux étaient venus pour crier leur désapprobation à l'égard de cette cérémonie. La réponse la plus vive, la réponse la plus forte, la plus vraie ne fut pas celle des orateurs pourtant estimables qui parlèrent ce jour-là £ ce fut ce simple mot que répétaient les mineurs d'Anzin venus tout spécialement pour rendre hommage à ZOLA qui leur avait donné sa voix et ils criaient « Germinal ! Germinal ! Germinal !» En peignant la dure vie des ouvriers, en montrant leur labeur, en racontant leur lutte, ZOLA leur a donné reconnaissance et fierté et quand dans son dernier roman publié de son vivant, intitulé Travail, il imaginait une société ouvrière inspirée des utopies que l'on disait socialistes, il leur a donné aussi l'espoir, un espoir qui a couru tout au long du siècle, la question de la réorganisation du travail, la société future, la distribution des richesses.
ZOLA était un optimiste, il pensait que l'évolution des techniques allait changer la condition humaine. Les expositions universelles l'enthousiasmaient. La généralisation de l'électricité fut le dernier émerveillement de sa vie. Il croyait en la science, au progrès, il en avait fait le thème de son dernier roman, celui qu'il n'a jamais pu finir, le quatrième tome de ses quatre évangiles.
ZOLA cherchait à comprendre les ressorts de la société dans les familles comme dans les industries. Ce qui l'intéressait, c'était de plonger dans la nuit des hommes et en même temps de regarder vers les lumières de la science pour qu'à un moment la lumière puisse sortir de l'ombre ceux qui étaient exploités, ceux qui travaillaient en silence.
Il attendait de la science qu'elle nous aide à réduire les désordres et les instabilités £ il attendait du progrès un nouvel ordre social il est venu. Mais il n'est pas achevé. Il voulait conjurer les excès les plus criants du capitalisme mais aussi le recours à la violence pour échapper non plus seulement aux servitudes du travail mais encore aujourd'hui à une servitude pire qui est la privation du travail.
ZOLA savait que la cause de la vérité, de la liberté exigeait qu'on se levât pour la défendre £ il ne croyait pas à l'inéluctabilité de la justice £ il pensait que le silence était pire que le bavardage £ il pensait que des mots, des lettres, des manifestes pouvaient éveiller, brûler, emporter l'adhésion £ il croyait surtout à la force de la transmission, à l'éducation, à la connaissance, au savoir, à ce qu'il appelait l'éducation civique et morale du peuple.
Il savait que tout dépendrait des générations nouvelles, c'est-à-dire les nôtres. Il les appelait à s'inspirer de ce qu'il avait pu lui-même et d'autres avant lui, faire pour la conquête des libertés. C'est ainsi qu'à la fin de 1897, ZOLA avait également envoyé une lettre, celle-là à la jeunesse de France. Cette lettre vaut encore aujourd'hui £ il lui recommandait de « ne pas commettre le crime d'accabler le mensonge, de faire campagne avec la force brutale, avec l'intolérance des fanatiques, avec la voracité des ambitieux » car, disait-il, « la dictature est au bout ». Il exhortait la jeunesse à tenter la sublime aventure, à se lancer dans une cause dangereuse et superbe, à tenir tête à un peuple au nom de l'idéale justice. Ce qu'il entendait par peuple n'était pas le peuple de France, c'était le peuple quand il était égaré.
Aujourd'hui comme à la fin du 19e siècle, le succès de cette mobilisation suppose que la République soit digne aux yeux de la jeunesse d'être défendue pour ce qu'elle est. Voulons-nous encore une République de justice qui ouvre des chances égales pour tous ou sommes-nous prêts pour les régressions, les reniements au nom d'une restauration d'un ordre ancien ? Voulons-nous une société dont la sécurité serait fondée sur l'extension sans fin d'un régime d'exception plutôt que sur l'adhésion consentie à nos institutions et à nos règles ?
Voilà notre responsabilité face à l'histoire : ne pas s'abandonner à la fatalité, à la facilité, avoir le courage de faire le choix juste qui n'est pas toujours le plus populaire ou le plus gratifiant et ensuite, assumer, tenir, aller jusqu'au bout de sa lutte même si comme pour ZOLA nous n'en verrons pas le bout
Mesdames et Messieurs, cher Pierre BERGE, le 22 décembre 1900, Emile ZOLA a conclu sa défense du capitaine DREYFUS par une autre lettre, à un président de la République ZOLA écrivait beaucoup et il y avait à ce moment-là des présidents de la République qui se succédaient - donc après Félix FAURE, ce fut Emile LOUBET qui reçut lui aussi sa missive :
« Moi, je ne suis qu'un poète, qu'un conteur solitaire qui fait dans son coin sa besogne en s'y mettant tout entier £ j'ai rempli tout mon rôle, le plus honnêtement que j'ai pu et je rentre - disait ZOLA - définitivement dans le silence. Seulement, j'ai la tenace espérance de voir bientôt beaucoup de vérités, beaucoup de justice nous arriver des champs lointains où pousse l'avenir ».
Il est mort deux ans plus tard avec cette tenace espérance. Dans le silence.
Dans une époque, la nôtre, où le terrorisme alimente les peurs, où le fanatisme provoque l'intolérance, où les risques stimulent les tentations de repli laissant le champ libre aux démagogues, l'engagement retrouve tout son sens. Pas seulement l'engagement des intellectuels, des femmes et des hommes de culture, des artistes, des scientifiques, des écrivains, non, l'engagement des citoyens qui n'acceptent et n'accepteront jamais le mensonge, la falsification, la manipulation, le racisme, l'antisémitisme car céder sur la vérité, c'est commencer le long détricotage des habits de la République : on tire un fil et ensuite c'est toute la redingote qui y passe.
Émile ZOLA reste, comme l'a dit Anatole FRANCE, un moment de la conscience humaine, celle d'une France qui ne distingue pas entre ses enfants selon leur religion ou leurs origines, celle d'une France qui ne laisse personne de côté, qui refuse la stigmatisation des faibles pour le confort des puissants, d'une France qui est toujours une conquête car l'histoire est celle qui s'écrit autant que celle qui s'apprend. Voilà pourquoi je voulais venir ici dans la Maison de ZOLA, pour en retrouver l'esprit et pour recevoir à travers vous une leçon d'avenir.
Merci.