25 août 2016 - Seul le prononcé fait foi
Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur les défis et priorités de la construction européenne, à La Celle Saint-Cloud le 25 août 2016.
Mesdames, Messieurs, j'avais voulu inviter l'ensemble des chefs de gouvernement progressistes et chefs de grande formation politique participant à des coalitions en Europe, à la veille du Sommet de Bratislava.
Matteo RENZI devait être parmi nous, mais ce qui s'est produit, cette très grave catastrophe en Italie, l'a forcément conduit à annuler sa participation. J'ai donc voulu que nous puissions adresser un message au peuple italien et aux autorités de ce pays ami, d'abord à Matteo RENZI pour lui dire tout le soutien, toute la solidarité des Européens, des Français et dire que tous les moyens peuvent être mis à la disposition de l'Italie, si elle en fait la demande, pour que nous puissions encore sauver des vies.
Au moment où je m'exprime - j'avais eu Matteo RENZI hier soir au téléphone - il y aurait plus de 240 morts et de nombreux blessés, et sans doute encore des personnes qui n'ont pas encore été retrouvées. Ces catastrophes montrent une fois encore la vulnérabilité mais aussi ce que peut être la solidarité.
C'est finalement aussi un message, au-delà de la catastrophe, que nous devons tous avoir. Ce que nous pensons être une réalité d'évidence, l'Europe, la démocratie, est aussi vulnérable. Il peut y avoir des événements qui, parfois, ont des conséquences qui finissent par saper les fondements de ce que nous croyons être une réalité pour toujours. L'Europe n'échappe pas à cette loi humaine : ce que nous avons été capables de faire, nous pouvons beaucoup plus rapidement être capables de le défaire.
Si j'ai voulu qu'il y ait cette réunion de progressistes européens, qui vont jusqu'à Alexis TSIPRAS, c'est parce que l'ensemble de la gauche doit être consciente de ce qu'est sa responsabilité. Nous avons voulu l'Europe. Nos prédécesseurs l'ont bâtie, bien après, même, la guerre et ont fait en sorte que nous puissions avoir une capacité pour agir au-delà de nos États nations. Donc si j'ai voulu qu'il y ait cette réunion, c'est pour qu'après le Brexit, et face à la montée des populismes, - dont nous voyons chaque jour les conséquences et les traces, à travers l'intolérance, la stigmatisation, la démagogie et surtout leur volonté de mettre en cause l'Union européenne, mettre en cause même les valeurs européennes, - nous devons avoir une initiative à la hauteur de la situation.
Il y a dans quelques jours, le Sommet de Bratislava et les progressistes doivent venir à ce Sommet avec une vision de l'Europe et des mesures concrètes à mettre en uvre. Mais ils doivent surtout convaincre, non seulement les autres chefs d'État et de gouvernement, mais aussi nos propres concitoyens que l'Europe est une force, - à condition qu'elle soit utilisée à cette fin et sans doute réorientée, - qui nous permet de maîtriser notre destin. Mieux que nous ne pourrions le faire isolément.
Cela ne veut pas dire que l'État n'a pas cette capacité et cette légitimité. Ici en France, nous devons prendre toutes nos décisions pour que notre économie, notre solidarité, notre défense, notre diplomatie puissent être renforcées. Nous sommes ici dans un site qui relève du ministère des Affaires étrangères et c'était une volonté d'avoir cette réunion ici, parce qu'à la Celle Saint-Cloud, de nombreuses réunions se sont passées, pour justement prendre en compte des situations et atteindre la paix.
Donc nous voulions et nous allons le démontrer faire que les citoyens puissent avoir, avec l'Europe, une capacité supplémentaire au-delà de l'État, pour maîtriser notre destin.
Des propositions que nous allons faire vont dans trois directions.
D'abord la protection. Il n'y a pas d'espace politique s'il n'est lui-même capable de se protéger. Protéger au sens d'avoir des frontières et de pouvoir les faire respecter. Pour accueillir ceux qui doivent l'être, au titre par exemple de l'asile et pour éviter que d'autres viennent alors qu'ils n'ont pas la possibilité de vivre dignement ici en Europe. Les frontières doivent être respectées, donc protégées.
Nous devons également assurer notre protection par rapport à des fléaux, des menaces, nous les connaissons : le terrorisme. Il est très important que l'Europe et nos ministres de l'Intérieur allemand et français notamment ont pu agir dans cette perspective puisse encore renforcer un certain nombre de mécanismes, notamment sur l'échange de fichiers, ou sur le chiffrement d'un certain nombre de communications ou d'échanges, de manière à ce que nous puissions lutter efficacement contre cette menace qui peut frapper tous les pays et notamment les pays d'Europe.
C'est la première priorité, sécurité, protection, défense -, je n'oublie pas la défense parce qu'il y a nécessairement une étape supplémentaire à franchir en matière d'Europe de la défense. La France soutiendra toutes les propositions qui iront dans ce sens y compris pour que chacun des pays prenne sa part du fardeau.
Mais la sécurité, la protection, la défense, c'est aussi être capable de donner à l'Europe un statut qui lui confère une capacité pour régler des conflits, pour agir sur le plan diplomatique. Dans quelques jours, les ministres des Affaires étrangères vont avoir à se réunir, au niveau européen Jean-Marc AYRAULT y animera cette réunion pour que nous puissions, notamment par rapport à ce qui se passe en Syrie, en Irak mais aussi en Afrique, mettre l'Europe en situation d'agir et pas simplement de subir.
La protection, la sécurité, c'est aussi sur le plan économique. Il n'est pas acceptable que de grands groupes multinationaux puissent faire en sorte de dégager des richesses et donc des bénéfices en Europe et ne pas être taxés en fonction justement de ces résultats.
Nous devons faire en sorte que les grandes sociétés puissent relever du droit français pour ce qui nous concerne et européen, notamment sur le plan fiscal. Nous devons lutter contre le dumping fiscal, contre le dumping social et sur la question du travail détaché. Nous avons tous convenu qu'il était nécessaire de renforcer encore les contrôles et de revoir les éléments de la directive qui, on le sait, a été l'objet de beaucoup d'abus.
Nous voulons également qu'il y ait sur le plan de l'économie une confiance dans le destin de l'Europe à travers des investissements nouveaux qui pourront être dégagés à travers le plan JUNCKER qui doit être doublé et donc prolongé notamment dans des domaines aussi essentiels, - je les ai évoqués,- que le numérique, que les nouvelles énergies ou les infrastructures de transport.
Enfin, nous devons faire en sorte que sur le plan de la finance nous puissions également avoir des mécanismes régulateurs, c'est tout l'objet de la taxe sur les transactions financières que nous continuons à porter.
La deuxième grande priorité, c'est donc l'investissement, c'est-à-dire tout ce qui peut contribuer à faire davantage que nous ne pourrions dans chacun de nos pays.
Enfin, nous nous sommes également donnés pour priorité la préparation de l'avenir, la recherche, l'éducation, la culture, les avoirs et la mobilité de la jeunesse. Le grand enjeu c'est de savoir si les générations nouvelles voudront être elles-mêmes au rendez-vous de l'Europe.
Elles veulent regarder l'Europe comme un espace de protection mais aussi de valeur et d'échange, pas simplement de circulation mais aussi de réussite. Mais la mobilité ce n'est pas simplement celle des travailleurs, c'est celle de tous les jeunes qui doivent accéder à une possibilité de visiter, d'apprendre, de connaître un pays autre que le leur en Europe.
Nous allons aussi faire la proposition que la Garantie jeunesse qui avait été déjà introduite, budgétée puisse être non seulement prolongée mais amplifiée pour que ce que nous faisons à l'échelle nationale nous puissions également le faire à l'échelle européenne, c'est-à-dire donner une chance de plus aux jeunes pour trouver une solution professionnelle et une élévation par rapport à une qualification qui doit être renforcée.
Je veux terminer sur les questions internationales, il se passe en ce moment en Syrie des choses très graves. J'avais moi-même lorsque je me trouvais en Italie avec Matteo RENZI et Angela MERKEL souligné combien la situation à Alep était catastrophique sur le plan humanitaire. Il y a aujourd'hui des forces qui ne veulent pas qu'il y ait une solution pacifique et qui ne veulent pas qu'il y ait une transition politique.
Nous avons maintenant la preuve, - elle a été apportée par les Nations Unies, - que le régime syrien a utilisé des armes chimiques. Nous le savions en 2013. Et vous savez la position que j'avais été amené à prendre. Nous nous en avons eu confirmation même après 2013, c'est ce que dit le rapport. Il est vrai également que Daech a utilisé aussi des armes chimique sans doute analogues à celles du régime, prises peut-être aussi sur le régime.
Donc nous sommes dans une situation extrêmement grave où il y a une catastrophe humanitaire, des preuves de crimes qui ont été apportées, d'où la nécessité de ne pas entretenir les belligérants. C'est une responsabilité qui pèse sur la Russie qui doit comprendre qu'il doit y avoir maintenant la reprise le plus rapidement possible des négociations.
La Turquie elle-même a voulu pénétrer sur le territoire syrien pour lutter contre Daech et nous pouvons comprendre cette attitude compte tenu de ce qu'a été le crime terroriste qui a été commis par Daech en Turquie. Et en même temps, nous devons faire en sorte qu'il y ait à travers cette action une volonté commune d'aller vers la négociation et vers une solution politique en Syrie, j'aurai l'occasion d'y revenir.
Enfin, je reviens donc à l'Europe, ce qui est en cause avec la montée des populistes c'est l'idée que nous nous faisons de la vie en commun. La vie en commun, c'est ce qui doit être l'enjeu principal d'abord de la construction européenne. Nous ne voulons pas simplement être des pays qui s'additionnent les uns, les autres, nous devons partager des valeurs, des politiques et des choix. Nous ne sommes pas simplement Européens parce qu'il y a un marché et une monnaie, mais parce que nous pensons qu'avec l'Europe nous sommes plus forts et nous maîtrisons notre destin, nous pouvons vivre en commun. En France aussi c'est le grand enjeu, la vie en commun, ce qui suppose des règles et le respect des règles. Ce qui suppose aussi que chacun se conforme aux règles et qu'il n'y ait ni provocation ni stigmatisation.
Merci.