22 août 2016 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration à la presse de M. François Hollande, Président de la République, sur les défis et priorités de la construction européenne, à Ventotene le 22 août 2016.


Je voudrais d'abord remercier Matteo RENZI pour l'invitation qu'il nous a lancée, à Angela et à moi-même, d'être ici dans ce cadre exceptionnel et dans un lieu doublement symbolique. D'abord nous sommes sur un porte-aéronef, dans le cadre de l'opération Sophia, qui à la fois assure le contrôle autant qu'il est possible de la frontière, mais aussi accomplit une uvre humanitaire, reçoit des gens perdus sur les mers, qui ont été généralement entraînés là par des trafiquants. C'est l'honneur de l'Europe à la fois de se protéger mais aussi d'accueillir celles et ceux qui sont poussés vers l'exil et parfois au péril de leur vie. Je voudrais saluer l'équipage qui joue ce rôle, au nom de l'Union européenne.
Symbolique aussi, parce que comme Matteo l'a dit : nous sommes à côté d'un lieu, une prison, où des responsables politiques, notamment SPINELLI, avaient été enfermés pour leurs idées et qui, dans le dénuement le plus complet, dans la désespérance qui pouvait les atteindre, ont eu cette volonté qui paraissait démesurée à l'époque, de vouloir l'Europe au moment où elle se déchirait. C'est grâce à des hommes - à des femmes - comme Altiero SPINELLI, qu'il y a eu, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, cette idée européenne qui a donné l'Union que nous connaissons aujourd'hui, avec ses insuffisances - c'est vrai - mais aussi avec sa grandeur, c'est-à-dire cette capacité à assurer la paix et l'harmonie entre les peuples.
SPINELLI avait eu aussi une intuition très forte. Pour que l'Europe puisse être véritablement voulue par les peuples, il fallait qu'elle réponde à la fois à l'exigence de prospérité et en même temps de sécurité. Et il avait lancé l'idée d'une Europe de la défense qui n'avait pas connu, au moment où il l'avait exprimée, une très grande fortune (au sens d'un très grand succès) et qui aujourd'hui prend un caractère tout à fait essentiel face aux menaces, face aux guerres et face aussi au terrorisme. S'il y a une volonté que nous devons partager, c'est que l'Europe doit assurer davantage qu'aujourd'hui sa propre défense. La France y prend sa part.
Mais l'Europe doit être aussi concrète. Elle est un idéal mais elle doit être une traduction dans la vie quotidienne des Européens. C'est pourquoi nous avons voulu, Angela, Matteo et moi-même nous retrouver ici - nous l'avions déjà fait à Berlin - pour préparer le sommet de Bratislava, après la décision britannique de quitter l'Union européenne, pour que nous puissions donner une nouvelle impulsion. Cette impulsion doit prendre trois dimensions.
La première, c'est une dimension de sécurité £ l'Europe doit être un cadre de protection. Pour qu'il y ait de la sécurité, il faut qu'il y ait des frontières qui puissent être gardées. C'est la raison pour laquelle nous avons travaillé - et nous allons continuer à le faire - pour renforcer encore les gardes-frontières, garde-côtes pour l'Union européenne. Nous voulons également qu'il y ait davantage encore, même s'il y a eu des étapes importantes qui ont été franchies, des coordinations en matière de lutte contre le terrorisme et notamment pour le contrôle à l'intérieur-même de l'espace Schengen d'un certain nombre d'individus £ de faire en sorte que nos fichiers puissent être utilisés par tous et de contrôler davantage un certain nombre de communications qui concernent des opérateurs - c'est toute la question du chiffrement puisque nous voulons qu'il y ait un accès pour contrôler ceux qui utilisent un certain nombre d'opérateurs ou de sites pour se livrer à de la propagande djihadiste et à de la radicalisation.
J'ai insisté aussi sur la défense parce que nous voulons qu'il y ait davantage de coordination, là-aussi, de moyens supplémentaires et de forces de projection. Mais il n'y a pas que la défense pour assurer notre propre sécurité, il y a aussi le développement. Nous souhaitons nous voulons que vis-à-vis de l'Afrique, l'Europe puisse être davantage présente. Nos pays doivent eux-mêmes donner l'exemple à travers des mécanismes de financement et des politiques que nous pouvons mener, notamment par rapport aux pays du Sahel qui sont les plus touchés par l'émigration.
La seconde dimension, c'est la dimension économique. C'est vrai que le Brexit crée une incertitude £ c'est vrai qu'il y a eu au second trimestre un ralentissement de la croissance et nous devons lever autant qu'il est possible toutes les incertitudes et donner une impulsion supplémentaire. C'est pourquoi les programmes d'investissement, le plan JUNCKER pour nous, est une bonne référence et doit être non seulement être prolongé, amplifié. Nous devons multiplier les investissements privés, et publics avec des financements appropriés pour le numérique, pour les nouvelles technologies parce que c'est essentiel, et je n'oublie pas bien sûr la transition énergétique.
Enfin la troisième dimension, c'est celle de la jeunesse. Tout à l'heure, Matteo a évoqué ce que pourrait être l'avenir de ce qu'a été ce site, une prison. L'avenir, c'est un centre européen pour la culture et pour la jeunesse. Ce que nous devons faire, là encore, c'est amplifier les programmes Erasmus, permettre davantage de mobilité, davantage de découverte. Il faut que les Européens se connaissent encore plus qu'aujourd'hui, et donner aussi une part plus importante à nos investissements culturels. C'est la raison pour laquelle nous voulons que la jeunesse qui a encore des attentes très fortes à l'égard de l'Europe, puisse avoir des réponses y compris après le sommet de Bratislava - je pense également à la garantie jeunes, à tout ce qui contribue à l'insertion et à l'emploi.
Voilà le sens de cette réunion. Elle ne vise pas à décider pour les autres mais à nous faire prendre les responsabilités qui sont les nôtres. Nous sommes les grands pays de l'Union européenne. Nous n'avons pas à décider pour les autres, mais nous avons nous-mêmes à nous engager et c'est en nous engageant davantage que nous pourrons emmener l'Europe vers un avenir qui puisse être celui de son unité et de sa cohésion. Le risque majeur - cela vaut pour l'Europe comme pour d'ailleurs les nations - c'est la dislocation, la fragmentation, l'égoïsme, le repli, le retour. Alors nous avons cette responsabilité et nous la prenons aujourd'hui grâce à l'invitation de Matteo.
Jean-Jérôme BERTOLUS I TELE C+ : Madame la Chancelière, bonsoir, Monsieur le Président du Conseil, monsieur le Président de la République, cette question s'adresse quand même plus particulièrement à vous : vous écrivez tous les trois une partie de l'avenir de l'Europe mais en France, la campagne suit son chemin. Votre prédécesseur, Nicolas SARKOZY, a officialisé aujourd'hui sa candidature avec un slogan « Tout pour la France » £ hier, c'était Arnaud MONTEBOURG qui vantait le « made in France ». Je voudrais avoir votre commentaire. Mais au-delà, vous avez évoqué le risque de dislocation de l'Europe, la montée des égoïsmes, alors qu'est-ce que vous pouvez dire également ce soir aux Français pour leur faire comprendre la nécessité de l'Europe et surpasser leur scepticisme ?
LE PRESIDENT : Je crois donc comprendre que la question s'adresse davantage à moi que Matteo RENZI et Angela MERKEL et pourtant c'est une question essentielle de savoir ce que l'on veut faire dans l'Europe et de l'Europe. Je ne commenterai nullement les candidatures, ici surtout. Mais sur le sens qui doit être donné à la construction européenne, je crois que nous vivons une période - on le dit souvent, les mots sont galvaudés historique. Est ce qu'on veut faire encore avec l'Europe ou est-ce qu'on peut faire sans ? La réponse est claire : il faut faire avec l'Europe, dans l'Europe mais avec une Europe qui protège et qui donne de la force aux économies nationales, tout en assurant les échanges indispensables. Il faut faire de l'Europe une puissance également à l'extérieur £ nous sommes devant des menaces, on les connaît : guerres à nos frontières, terrorisme, nous savons qu'il y a des conflits qui ne sont pas réglés - je pense à ce qui se produit en Syrie avec ce drame à Alep, cette catastrophe humanitaire qui un jour fera honte à la communauté internationale si nous ne faisons rien - et il y a aussi, nous sommes attelés à cette tâche avec Angela, ce qui se produit en Ukraine.
Alors l'Europe doit se constituer au-delà du marché, au-delà de la monnaie. Elle doit se constituer en puissance politique au service de la paix. Et si l'Europe telle que je viens de la définir permet à la fois de donner davantage de force à nos économies, plus de compétitivité, plus de modernisation mais aussi plus de solidarité et de donner une dimension politique avec également sa défense, alors je pense que l'Europe reste un idéal. Et ceux ou celles qui voudraient s'en détourner - nous en connaissons dans tous nos pays y compris dans le mien - ceux qui voudraient ou celles qui voudraient s'en détourner ne rendraient pas service à la France et détruiraient non pas le rêve européen mais la capacité pour la France, dans l'Europe, d'assurer sa responsabilité.