21 juillet 2016 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Conférence de presse de M. François Hollande, Président de la République, sur les relations franco-irlandaises, l'attentat terroriste à Nice, le Brexit et sur la situation en Syrie, à Dublin le 21 juillet 2016.


LE PRESIDENT : Monsieur le Premier ministre, cher Enda, merci pour l'accueil d'abord. Il y avait bien longtemps qu'un Président de la République n'était pas venu ici en Irlande.
Merci pour les mots que vous avez utilisés en français pour dire votre peine, votre chagrin votre solidarité à l'égard d'une tragédie, d'une tragédie qui s'est produite en France, à Nice et qui a touché de nombreuses nationalités. Pas moins de 25 sont concernées parmi les victimes, les morts et les blessés. C'est dire que si le terrorisme voulait frapper la France parce que la France est un pays de liberté, il a aussi frappé le monde car le terrorisme ne fait pas de distinction entre les confessions, les convictions et les nationalités. C'est la raison pour laquelle nous devons être tous unis contre le terrorisme. Et quand la France avait été frappée au mois de novembre déjà, comme elle l'avait été au mois de janvier 2015, je m'étais tourné vers les partenaires européens. Je leur avais demandé d'accompagner la France dans un certain nombre d'opérations pour nous soulager et nous permettre d'avoir une protection encore plus forte de notre territoire.
L'Irlande avait répondu positivement malgré son statut de pays neutre, malgré le fait que l'Irlande n'est pas membre de l'OTAN, l'Irlande avait voulu comme membre à part entière de l'Union européenne être solidaire de la France et je ne l'oublierai jamais £ de même que vous n'avez oublié ce qu'avait pu faire un général français en son temps et vous me le rappelez souvent.
Nous sommes liés en effet, l'Irlande et la France, par la culture, par l'histoire et même par la langue puisque beaucoup de jeunes Irlandais apprennent le français aujourd'hui et que nous accueillons nous en France beaucoup d'étudiants dans le cadre du programme ERASMUS venant d'Irlande. L'Irlande veut également être maintenant membre observateur de l'Organisation internationale de la Francophonie et nous serons très heureux de l'accueillir.
Ce qui vient de se produire oblige encore à ce que nous puissions nous rapprocher en matière de coopération et de défense, nous en avons parlé avec le Premier ministre irlandais. Ca sera un des éléments de l'impulsion que je veux donner à l'Union européenne notamment après le Brexit. Nous devons nous donner des objectifs clairs, compréhensibles pour les peuples. La défense, la protection, la sécurité, y compris celles de nos frontières, c'est ce qu'attendent les peuples européens non pas pour s'enfermer mais pour être précisément capables de s'ouvrir dans des conditions de sécurité.
L'autre impulsion que nous voulons donner, c'est mettre l'investissement, la croissance et l'emploi au cur de nos politiques. L'Irlande a beaucoup souffert pendant toute une période, il a fallu des décisions très courageuses qui ont été prises par le gouvernement irlandais pour sortir de ce qu'on appelait le Programme - plus rapidement qu'il n'était d'ailleurs prévu- et pour faire revenir l'Irlande vers le chemin de croissance qui est aujourd'hui presque une autoroute. Et donc il y a là tout ce que nous devons faire ensemble pour accentuer, amplifier les efforts d'investissement et notamment vis-à-vis de la jeunesse. Beaucoup de jeunes Irlandais partent partout dans le monde, beaucoup de jeunes Français viennent aussi ici investir ou créer en Irlande et c'est cette jeunesse-là que nous devons accompagner, nous devons lui donner un espoir et cet espoir est en Europe.
Enfin, puisque nous sommes membres de la zone euro, nous avons à assurer cette gouvernance de la zone euro, lui donner un caractère plus démocratique, voilà ce dont nous parlerons à Bratislava.
Je viens en Irlande après le Brexit mais il y a plus des questions à se poser, mais des réponses à donner. La réponse, c'est que nous devons engager le plus tôt possible la négociation avec le Royaume-Uni pour fixer le cadre de ce que sera à l'avenir la relation entre le Royaume-Uni et l'Europe. Cela ne sera plus dans l'Union européenne mais cela sera toujours en Europe.
Je recevrai ce soir Madame Theresa MAY, la Première ministre britannique, finalement désignée plus tôt qu'il n'était prévu initialement, lorsque nous avons discuté après le référendum britannique, et je lui redirai ce que j'ai déjà affirmé que je rappelle ici, c'est qu'il faut que les négociations démarrent vite, c'est-à-dire permettent qu'il y ait une bonne négociation et qu'il ne peut pas y avoir de discussion qui précéderait la négociation. Avec Madame MERKEL de ce point de vue, nous partageons la même approche, il faut ouvrir la négociation, le plus tôt sera le mieux dans des conditions qui doivent être établies pour ensuite permettre qu'il y ait des choix qui seront faits dans l'intérêt de tous.
Je suis également conscient de ce que le Brexit peut avoir aussi comme conséquence pour l'Irlande. Nous en avons parlé parce que l'Irlande est un pays voisin comme la France du Royaume-Uni mais encore un peu plus voisin que la France. Nous, nous avons la Manche même si nous avons un train. Mais vous, vous avez bien sûr une terre avec une frontière et c'est pourquoi vous êtes si attachés à ce que l'accord de « Good Friday » puisse être préservé. Et la France comprend cette position, la partage parce qu'elle est très importante pour la paix.
Nous avons aussi à faire en sorte que les principes de libre circulation puissent être préservés. Il ne pourra pas d'ailleurs y avoir pour le Royaume-Uni d'accès au marché intérieur si les principes de libre circulation ne sont pas garantis et respectés.
Entre l'Irlande et la France, nous voulons aussi nous rapprocher, ce qui a été aussi l'objet de l'accord que nous avons passé entre nos deux entreprises, RTE et son homologue irlandaise EirGrid. Pourquoi ? Parce que nous voulons qu'il y ait des grands réseaux d'infrastructures, que nous pussions faire circuler autant qu'il est possible en l'occurrence l'électricité mais aussi toutes les voies de transport doivent être pleinement utilisées pour rapprocher encore nos deux pays.
Je veux terminer sur ce qu'est aussi notre ambition entre l'Irlande et la France. Nous avons une histoire, chacune et cette histoire, c'est celle de la liberté, de l'indépendance, de la souveraineté. Ce sont des mots ici qui ont un sens, une signification, liberté, indépendance, souveraineté.
Mais nous ne concevons pas ces valeurs, ces principes, si chers à nos deux peuples, comme une fermeture, comme un enfermement, mais au contraire comme une capacité à pouvoir rayonner dans le monde.
L'Irlande rayonne à travers toutes ses générations qui sont allées par le monde, justement porter ce message de liberté. La France aussi, c'est la raison pour laquelle il y a toujours eu ce lien très particulier entre la France et l'Irlande et je veux ici l'intensifier encore par cette visite.
Je reviendrai encore en Irlande parce que je n'ai pas pu faire tout le voyage qui était prévu, à cause du drame de la Promenade des Anglais à Nice. Mais je voulais entendre les mots du Premier ministre, les mots des Irlandais et je les transmettrai au peuple français. Merci.
Journaliste : Bonjour Monsieur le Président. Avez-vous une idée sur la manière de ce qui permettrait à ce pays d'avoir une frontière entre l'Union européenne et l'Irlande dans sa partie Nord-Est et comment éviter qu'il y ait des entraves à la liberté de circulation des personnes ? Etes-vous en faveur d'une vraie frontière entre l'Irlande du Nord et l'Irlande compte tenu du risque terroriste et quelles autres mesures antiterroristes êtes-vous prêt à envisager sur une base de coopération avec l'Irlande ? Et est-ce que vous êtes prêt à envisager d'autres mesures au niveau de la Défense proprement dite ?
LE PRESIDENT : Sur le terrorisme je n'ai pas grand chose à ajouter, nous avons une coopération, nous la renforcerons encore et nous devons échanger, autant qu'il est possible, les informations, suivre un certain nombre d'individus et éviter que les troubles ou les incertitudes puissent leur fournir l'occasion de passer d'un pays à un autre. De ce point de vue le PNR est un apport très important à la lutte contre le terrorisme.
Ensuite, sur les rapports qui existeront entre l'Irlande, l'Irlande du Nord, le Royaume-Uni, puisque tout cela devra être négocié dans le cadre des discussions qui vont s'engager une fois que la notification sera faite. Ce qui d'ailleurs renforce notre point de vue : plus tôt sera engagé le processus de négociation, plus claire sera la situation ou les perspectives. Ce qui est évident c'est que les règles de la libre circulation dépendront de ce que le Royaume-Uni voudra faire lui-même, dans le cadre d'un accès éventuel au marché intérieur. Je reconnais qu'il y a une situation particulière de l'Irlande et cette situation particulière de l'Irlande devra forcément trouver sa place dans la négociation.
Alain SALLES LE MONDE : Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, Madame MERKEL a dit hier qu'elle était prête à donner du temps au gouvernement britannique pour déclencher plutôt seulement en 2017 l'article 50 sur la sortie du Royaume-Uni de l'UE. Vous, vous voulez aller plus vite, ça ne ressemble pas vraiment à une même approche, plutôt à une nouvelle divergence franco-allemande, qu'est-ce qui motive cette appréciation différente, est-ce que c'est des raisons économiques, politiques, institutionnelles, sur les dangers de cette période d'incertitudes et de transition ?
Et j'ajoute une question sur la Syrie. La coalition anti-Daech est accusée d'avoir causé la mort de plus de 50 civils, le gouvernement syrien met même en cause la responsabilité de la France dans l'une des frappes, que répondez-vous à ce qui ressemble à une bavure de la coalition ?
LE PRESIDENT : D'abord, je rencontrerai Theresa MAY ce soir, c'est là que j'aurai l'occasion d'entendre ses arguments. Quel intérêt aurait un report ? On avait parlé du mois de septembre, puis du mois d'octobre, maintenant du mois de décembre. Il faudra qu'il y ait des justifications. Si c'est pour retarder la négociation qui elle-même pourrait prendre du temps, je pense que ce serait créer une incertitude dommageable. Si c'est pour avoir un peu plus de temps avant la négociation pour que la négociation elle-même soit plus courte, cela se discute. Car le plus important c'est que nous ne laissions pas traîner les choses.
Avec Madame MERKEL nous veillons à avoir sur ces sujets-là les informations et les communications qui nous permettent de traiter de la même manière des sujets de cette importance. Donc, après avoir reçu Theresa MAY, j'échangerai avec Mme MERKEL pour savoir exactement la réponse à donner. Mais enfin, il n'y a pas que la France et l'Allemagne qui décident, - on nous le dit souvent, - il faut aussi que l'ensemble des pays puissent s'accorder sur une démarche. Mais si vous voulez la position de la France, c'est que plus tôt cette négociation s'ouvrira, ce sera le mieux, et plus brève elle sera, ce sera encore meilleur.
Sur les actions de la coalition, je n'ai pas d'information précise sur ce qu'auraient pu faire les avions français et nous agissons dans le cadre d'une coalition. Nous faisons très attention à nos frappes. Et je n'ai pas aujourd'hui, de retour sur la responsabilité qu'auraient des avions français dans d'éventuels drames en Syrie.
Mais dois-je rappeler que les drames sont quotidiens en Syrie ? Dois-je dire que ce que fait quotidiennement le régime syrien va au-delà de l'ignoble ? Dois-je dire qu'il y a des enfants qui sont massacrés, qu'Alep est dans une situation désespérée, qu'il y a des hommes et des femmes qui souffrent de faim et peuvent mourir à chaque instant ? Voilà pourquoi il faut traiter politiquement la situation de la Syrie, même si nous devons agir contre Daech et je vous l'affirme ici, la France va continuer à agir contre Daech.
Journaliste irlandaise : [question en gaélique irlandais]
LE PRESIDENT : Rapidement, sur la coopération en matière de défense, je souhaite qu'elle puisse être renforcée dans les années qui viennent. L'Irlande a ses règles, ses principes, sa neutralité, n'est pas membre de l'OTAN, mais l'Irlande est consciente des risques que le monde court et que l'Europe doit conjurer. La menace, elle vaut pour tout le monde et ceux qui veulent atteindre nos libertés ne font pas de distinction entre les pays et ne regardent pas les pays neutres différemment des autres. Ils attaquent partout où ils pensent que la liberté est pour nous la règle essentielle.
C'est pour cela que l'Irlande sera comme elle l'a montré d'ailleurs, associée à un certain nombre de décisions que nous avons pu prendre notamment pour l'Afrique. Je soulignais à cet égard ce qu'avait été la réponse irlandaise quand moi-même je m'étais adressé au Premier ministre pour être, - si je puis dire, - soulagé de l'effort que nous faisions au Mali.
Le second sujet, je l'ai déjà abordé, l'Irlande a sa situation particulière puisqu'il y a l'Histoire, l'Irlande du Nord, avec l'accord du « Vendredi Saint » et j'ai dit combien cet accord nous engageait tous, Européens. Enfin sur la fiscalité, c'est un sujet qui n'a rien à voir avec le Brexit et qui mérite d'être traité en tant que tel si on doit chercher des harmonisations et des règles communes. Cela n'a rien à voir avec le Brexit.
Isabelle TORRE - TF1 : Ma question s'adresse à vous François HOLLANDE, depuis plusieurs jours il y a une polémique en France sur la fiabilité du système de sécurité à Nice le soir du 14 juillet. Certaines autorités locales du sud-est de la France accusent Bernard CAZENEUVE d'avoir menti sur ce dispositif. Le ministre de l'Intérieur a saisi aujourd'hui l'inspection générale de la Police pour demander une enquête, si cette enquête interne à la Police aboutissait à la constatation de failles importantes. Iriez-vous, vous Président de la République jusqu'à en tirer des conséquences politiques concernant Bernard CAZENEUVE lui-même, comme certains demandent déjà sa démission ?
LE PRESIDENT : Quand il y a un drame, une tragédie, en l'occurrence une attaque avec des morts nombreux, des victimes, des blessés, une douleur, un chagrin partagé, il y a des interrogations nécessairement. Pourquoi un feu d'artifice le 14 juillet après l'Euro ? Est-ce que les dispositifs policiers, police nationale, police municipale étaient suffisants ?
Il n'y a pas de place pour la polémique, il n'y a de place que pour la vérité et la transparence et c'est ce que Bernard CAZENEUVE a décidé, à juste raison, en demandant à l'inspection générale de la Police de tout connaître, et de la préparation d'un évènement - un feu d'artifice - et du dispositif qui avait été prévu et mis en place et enfin des forces de police nationales et municipales qui étaient présentes au moment où ce camion a pu pénétrer sur la promenade des Anglais. Cette inspection va donc rendre son travail très vite la semaine prochaine et nous aurons là la preuve qu'il y a eu toujours dans ces préparations le sérieux nécessaire. S'il y a pu y avoir des insuffisances, elles seront connues.
Mais Bernard CAZENEUVE est un ministre de l'Intérieur qui, pendant toute cette période, période où nous avons vécu l'Euro, où nous avons eu un certain nombre de manifestations, où il y a eu des menaces très sérieuses sur notre pays et plusieurs attentats déjoués, Bernard CAZENEUVE a fait preuve de sang-froid, a fait preuve de rigueur, a fait preuve de compétences qui à mon sens de devraient pas laisser place à quelques polémiques, mais simplement à la demande de vérité et de transparence.
La concorde nationale dans cette période qui n'est pas l'effacement de ce qui a pu se produire et qui n'est pas non plus l'occultation des responsabilités s'il y en a, la concorde nationale est un principe essentiel. Face à cette attaque, les Français doivent faire preuve d'une cohésion et rien ne doit l'atteindre et c'est pour cela que c'était une très bonne initiative de prendre cette décision d'une inspection générale, dont tout le rapport sera livré à la France qui l'attend. Merci
Journaliste irlandaise : [question en gaélique irlandais]
LE PRESIDENT : Oui, je comprends très bien cette langue-là, votre langue aussi ! Je lui parlerai en français, elle me répondra en anglais, pas en gaélique je crois. C'est vrai que c'est une question très importante pour nous tous parce que c'est une décision qu'a prise le peuple britannique mais c'est d'abord les Britanniques qui doivent en supporter les conséquences. L'Europe, elle fera en sorte de pouvoir définir sa meilleure relation avec le Royaume-Uni, mais il y a un moment, quand des responsables politiques appellent à un vote et que ce vote correspond justement à leurs recommandations, ils doivent en assurer et en assumer les conséquences.