28 juin 2016 - Seul le prononcé fait foi

Télécharger le .pdf

Conférence de presse de M. François Hollande, Président de la République, sur le choix des Britanniques de quitter l'Union européenne et sur la construction européenne, à Bruxelles le 28 juin 2016.


LE PRESIDENT : Mesdames, Messieurs,
Le Conseil européen a commencé avec les questions qui étaient à l'ordre du jour dans l'après-midi et j'y reviendrai, notamment sur les sanctions liées au processus de Minsk, des questions relatives aux migrations, un certain nombre de points qui devaient être également à l'ordre du jour. Mais l'essentiel, vous l'avez compris, était sur la question du rapport avec le Royaume-Uni après la décision que le peuple britannique a prise avec le référendum.
Avant de traiter ces questions, nous avons appris qu'il y avait eu un attentat très grave à Istanbul avec au moins 28 morts au moment où je m'exprime, sans qu'il soit possible encore de savoir l'identité des victimes et, bien sûr, celle des terroristes qui ont pu commettre cet acte abominable. Je veux, comme je l'ai fait hélas dans d'autres circonstances concernant aussi la Turquie, condamner fermement cette attaque et faire en sorte que nous puissions connaître exactement les auteurs pour qu'ensemble nous puissions faire tout ce qu'il est possible d'engager contre le terrorisme, notamment dans cette région.
Il est à craindre que ces actes terroristes qui viennent après d'autres n'aient comme conséquence que de rendre encore plus difficile la situation en Turquie. Mais nous devons agir - c'est ce que nous faisons aussi pour ce qui concerne l'Europe et la France - et coordonner encore davantage nos services et mener autant qu'il est possible les actions nécessaires contre le terrorisme et les trafics.
Je reviens à la réunion de ce soir, après donc la décision du peuple britannique de sortir de l'Union européenne. C'est essentiellement au cours du dîner qu'il y a eu à la fois de la part de David CAMERON les analyses qu'il faisait sur la consultation qui venait d'avoir lieu en Grande-Bretagne et les conséquences qu'il fallait en tirer devaient être partagées entre les 28. Demain, il y aura une réunion à 27 pour aller plus loin par rapport à la discussion d'aujourd'hui et pour donner une nouvelle impulsion à l'Union européenne et déterminer la méthode qu'il faut choisir pour mener à bien ces réflexions et surtout prendre des décisions. J'y reviendrai donc demain au cours du point de presse que je ferai à l'issue de ces travaux.
David CAMERON, avec beaucoup d'émotion, a rendu compte de ce qui s'était produit dans son pays avec le référendum, les sujets qui avaient pu être abordés, les mensonges parfois qui avaient pu être proférés, les approximations. Il n'empêche que c'est la sortie qui a été décidée et c'est donc par rapport à ce résultat que nous devons nous déterminer. David CAMERON lui-même en a tiré les conclusions personnelles puisqu'il a remis sa démission et qu'il s'est donné le temps nécessaire pour assurer la tâche de Premier ministre le temps que son successeur puisse être désigné par le parti conservateur. Il a confirmé d'ailleurs que la date qui serait celle de sa succession serait au plus tard le 9 septembre.
Il a insisté sur ce qu'il avait voulu tenter à travers ce référendum : convaincre qu'il avait pu obtenir de ses partenaires des adaptations permettant d'assurer la libre circulation, ce qui est le principe fondateur de l'Union européenne tout en tenant compte de la situation spécifique du Royaume-Uni. Mais c'est précisément cet argument qui n'a pas pu convaincre et que les Britanniques ont rejeté à une majorité.
Alors nous, quelles sont les conséquences que nous devons tirer ? La première, c'est que nous comprenons que David CAMERON ne puisse pas lui-même engager la procédure, c'est-à-dire l'article 50 du Traité pour engager immédiatement la négociation, puisqu'il est démissionnaire et que c'est à son successeur que reviendra cette responsabilité. En même temps, il ne peut pas y avoir dans cette période de pré-discussion, de pré-négociation parce que c'est avec l'article 50 et l'ouverture de la procédure de séparation qu'il peut y avoir la négociation, pas avant. Là-dessus, tout le monde a été clair parce que c'est de clarté dont on a besoin. Clarté pour écarter cette idée qu'il pourrait y avoir une pré-discussion ou une pré-négociation £ clarté dans la nécessité d'aller vite pour appeler l'application de l'article 50 £ clarté pour qu'une fois que l'article 50 aura été ainsi utilisé par une notification. Le Conseil européen et la Commission pourront fixer le cadre permettant d'ouvrir la négociation qui ne devra pas durer plus de deux ans.
Pendant cette période, la clarté doit également s'imposer, c'est-à-dire que le Royaume-Uni aura toujours les mêmes droits et les mêmes obligations tant qu'il reste membre. A la fin de cette période, une fois qu'aura été clarifiée la relation entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, il pourra y avoir un autre statut et ce sera au terme de la négociation que l'on saura si le Royaume-Uni peut encore accéder au marché intérieur. Pour accéder au marché intérieur, il faut respecter les quatre libertés : liberté de circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes. Il ne sera pas possible pour le Royaume-Uni, quelles que soient les options qu'il choisira, de pouvoir accéder au marché intérieur sans l'application de cette règle, de ces libertés. De la même manière, pour accéder au marché intérieur, il faut contribuer au budget européen. C'est ce que fait un pays comme la Norvège, qui n'est pas membre de l'Union mais accède au marché intérieur et en paye le prix, si je puis dire, à travers une contribution. Il est trop tôt encore pour savoir ce que sera exactement la relation - cela fait partie de la négociation - mais chacun doit en connaître d'ores et déjà les principes et les règles.
Enfin - et je me suis exprimé aussi dans ce sens - nous aurons toujours au niveau de l'Union comme au niveau de chacun de nos pays, des relations qui devront être cordiales et amicales avec le Royaume-Uni. Parce que le Royaume-Uni sera toujours géographiquement, historiquement, j'allais dire aussi politiquement en Europe. Nous savons les liens qui nous unissent, la France avec le Royaume-Uni. J'aurai l'occasion de rappeler l'Histoire puisqu'avec David CAMERON nous serons ensemble pour la commémoration du Centenaire de la bataille de la Somme, une bataille qui avait fait 1,2 million de victimes, où les Britanniques venant d'ailleurs de nombreux pays de ce qu'était à l'époque l'empire britannique où les soldats qui portaient l'uniforme britannique - ont donné leur vie pour que la France puisse être libre.
Nous n'oublions pas ces liens-là, ces sacrifices-là et nous nous rappelons aussi de ce qu'a été l'accueil par le Royaume-Uni à la France libre, ce qu'a été aussi le rôle du Royaume-Uni durant la Seconde Guerre mondiale et puis ensuite les liens que nous avons aujourd'hui en matière de défense, vous connaissez les accords de Lancaster. Vous savez aussi ce que nous avons en termes économiques, en termes commerciaux, en termes humains, en termes culturels ensemble. Tout cela demeurera mais dans une configuration différente d'aujourd'hui puisque le Royaume-Uni a décidé de sortir de l'Union européenne.
J'aurai là encore à faire que nous puissions travailler avec le Royaume-Uni, y compris dans des coopérations en matière de défense. Nous ferons bientôt une réunion à Varsovie pour l'OTAN et là encore, nous avons avec le Royaume-Uni des liens qui nous permettent d'assurer la sécurité, la défense de notre continent, de notre espace. Nous sommes aussi liés par des interventions que nous pouvons faire à l'extérieur. Mais les règles sont les règles, la démocratie est la démocratie, les Traités sont les Traités et il faut appliquer les règles, faire que la démocratie puisse trouver sa conclusion et permettre que les Traités puissent trouver leur application. Il ne s'agit pas de punir le Royaume-Uni et encore moins le peuple britannique qui a fait son choix souverainement, librement et qui ne doit pas en avoir des conséquences fâcheuses. Mais en même temps, il a pris son risque et le peuple britannique doit savoir que pendant un temps sans doute, il va en subir les conséquences.
Pour l'Europe, nous devons en sorte que ces conséquences soient les plus réduites possible, d'où la nécessité de lever toutes les incertitudes. S'il peut y avoir des risques économiques liés à cette décision britannique, ils doivent concerner le Royaume-Uni et éviter que l'Europe en soit affectée. Pour que le Royaume-Uni et l'Europe soient prémunis de ces risques, il faut que nous puissions être clairs sur les étapes qui nous attendent, clairs sur les procédures qui doivent être utilisées, clairs pour les agendas qui seront les nôtres, les négociations qui seront ouvertes et leurs conclusions.
Sur le plan économique, des réponses peuvent être d'ores et déjà apportées par l'Union européenne. La Banque Centrale fait son devoir, nous sommes nous-mêmes attentifs à ce que nous puissions soutenir l'investissement, garder justement la confiance des opérateurs, des marchés et surtout de nos populations respectives qui doivent se dire que l'Europe leur apporte la protection car l'Europe apporte la protection et la zone euro encore davantage. C'est quand on sort de l'Europe que l'on peut se retrouver justement démuni ou exposé. L'Europe, ce doit être une protection : protection des frontières, protection de nos valeurs, protection aussi de nos économies, de notre épargne, de notre capacité à décider ensemble.
L'Europe, si elle est une protection, sera à ce moment-là susceptible de retrouver la confiance des peuples. Elle ne peut pas être qu'une protection, elle doit être aussi un espace de solidarité. Elle doit être un espoir pour la jeunesse. C'est de tout cela que la France avec ses partenaires voudra parler au cours du Conseil européen de demain et au cours des prochaines semaines pour que nous puissions donner une nouvelle impulsion à l'Europe autour de ces trois idées majeures.
La protection qui comprend également un engagement en matière de défense, au-delà de la protection de nos frontières et de la lutte contre le terrorisme, celui-là même qui vient encore de frapper la Turquie.
La deuxième priorité est de pouvoir soutenir davantage par l'investissement, la croissance et l'emploi et de donner à la jeunesse la place qu'elle doit avoir, parce que c'est pour elle que l'Europe s'est faite, génération après génération. C'est la jeunesse qui a encore la conviction que l'Europe peut être pour elle une chance supplémentaire, à condition qu'on la lui donne. D'où l'importance que j'attache notamment à tous les programmes pour la mobilité des jeunes, pour l'insertion des jeunes, pour la formation des jeunes que l'Europe doit ouvrir comme perspectives.
Enfin, la dernière priorité est le renforcement de la zone euro à travers l'harmonisation fiscale et sociale, à travers les dispositions qui devront être prises pour conforter encore la gouvernance de la zone euro et son contrôle démocratique, dans un contexte où chaque institution doit être à sa place et où les citoyens doivent être davantage associés, notamment les Parlements, que ce soit le Parlement européen ou les Parlements nationaux.
Voilà pour l'essentiel ce que je voulais dire. C'était une réunion où il y avait de l'émotion. Elle était légitime. Il y avait de la tristesse aussi et elle était compréhensible. Mais il y avait aussi de la clarté, de la confiance et de la cohérence. Parce que lorsqu'il y a une épreuve - c'est une épreuve, car c'est la première fois dans l'Histoire de l'Union européenne qu'un pays membre se sépare, sort. Jusqu'à présent, l'Union européenne était une addition, un élargissement successif qui faisait que l'Europe était partie à 6 et qu'elle s'était retrouvée à 28 en attendant encore d'autres adhésions, puisqu'elles avaient été ouvertes comme perspectives.
Aujourd'hui c'est la première fois qu'un pays décide de sortir de l'Union européenne, donc c'est en ce sens un acte historique, surtout quand ce pays est le Royaume-Uni. En même temps, ce qui fait la force d'une union, c'est d'être capable de résister à ce type d'épreuve et de montrer qu'il y a plus de sens à être dans l'Union qu'en être séparé et que ceux qui - notamment les populistes et les extrémistes - appellent à sortir de l'Union européenne, leur pays doivent maintenant savoir quelles en sont les conséquences pour que les peuples eux-mêmes puissent en être éclairés. Pas après, avant. Avant qu'ils n'aient à faire des choix, que ce soit pour des élections nationales ou des élections européennes ou d'autres consultations si elles avaient lieu.
Voilà le message qu'il était nécessaire d'envoyer. L'Europe a suffisamment de force, suffisamment de capacités, pour non seulement surmonter cette épreuve, mais pour avoir le sursaut pour s'organiser et pour se concentrer sur ses priorités essentielles. Avez-vous des questions ?
JOURNALISTE : Monsieur le Président, on dit souvent que les référendums sont des pièges parce que les électeurs ne répondent pas à la question qui est posée mais répondent à côté. Or en Grande-Bretagne, les électeurs ont vraiment répondu à la question. Ils ont dit : « Nous ne voulons plus de cette immigration européenne. La libre circulation, ce n'est pas notre affaire et nous voulons récupérer notre souveraineté ». Je voudrais savoir comment vous interprétez cette réponse ? Est-ce que c'est vraiment la construction même, le cur de la construction européenne qui est en cause ? Ou bien, selon vous, est-ce que ce sont les Gouvernements -britannique en l'occurrence - qui n'ont pas su assez en corriger les effets ? Cette question est valable d'ailleurs pour tous les Gouvernements en Europe. Je voudrais également savoir quelle leçon vous en tirez pour la prochaine présidentielle ? Sur quels thèmes et quelles réponses il faudra apporter aux électeurs ? Vous en avez déjà un peu parlé mais peut-être que vous avez d'autres idées encore plus précises. Merci.
LE PRESIDENT : Les Britanniques ont répondu à la question et leur réponse engage maintenant leur pays. Un référendum, quand il est organisé et à ce point annoncé et préparé, a lorsque le résultat est connu, des conséquences. Sans doute et vous avez raison, l'argument de ceux qui voulaient faire sortir le Royaume-Uni de l'Union européenne était non pas la migration extérieure à l'Union européenne mais la migration si je puis dire intérieure, c'est-à-dire la libre circulation. Qu'il y aient des ressortissants de pays membres de l'Union -je ne vais pas ici les citer- y compris les Français, qui puissent venir s'installer au Royaume-Uni comme le droit européen le prévoit. Ils ont donc fait leur choix à partir de cet argument et on en voit maintenant les conséquences.
Pour ne pas vouloir la libre circulation, ils n'auront plus l'accès au marché intérieur. La City, qui grâce à la présence du Royaume-Uni dans l'Union européenne, pouvait faire des opérations de compensation en euro alors même que le Royaume-Uni n'est pas membre de la zone euro, ne pourra plus les faire. Quand on veut remettre en cause un des principes fondateurs de l'Union, on se met en dehors de l'Union en en perdant les avantages et un certain nombre d'atouts que l'Union procure et apportait jusqu'à présent, encore pour quelques mois, à ce pays très ouvert qu'est le Royaume-Uni.
Ensuite, quelles leçons devons-nous en tirer pour nous-mêmes, en l'occurrence la France ? D'abord l'Europe peut être critiquée et ça m'est arrivé de le faire, quand elle ne répond pas suffisamment vite aux questions qui lui sont posées. On l'a vu par rapport à la Grèce, par rapport à la zone euro. On l'a vu aussi pour les réfugiés.
Mais quand on ne dit jamais ce que fait l'Europe, ce qu'elle parvient à préserver - pas simplement la paix, pas simplement un marché ou une monnaie mais une solidarité, une conception commune, des valeurs partagées et également un espace économique sur lequel nous pouvons pour beaucoup de nos entreprises nous développer et investir - alors à ce moment-là l'idée européenne se dissout. Il est assez facile à ce moment-là pour des extrémistes, des populistes, de mettre en cause l'idée même de l'Europe.
De ce point de vue, une étape a été franchie avec le référendum britannique. Jusqu'à présent, il y avait en France notamment, un parti qui ne faisait pas de la sortie de l'Union européenne sa position, mais seulement de la zone euro et qui aujourd'hui réclame un référendum, et dit que s'il y avait un référendum ce serait la position de sortir de l'Union européenne que ce parti proposerait. Nous voyons bien que l'élection présidentielle va se jouer aussi sur la question européenne et pas simplement sur l'orientation - cela est tout à fait légitime, c'était jusqu'à présent le cas l'orientation de la construction européenne - mais sur même la présence, la participation de la France à l'Union européenne.
De la même manière, s'agit-il aujourd'hui de tout rebâtir, de tout reconstruire comme si rien n'existait ? Ceux qui font cette proposition sont d'ailleurs ceux-là même qui ont généralement fait les Traités. Peut-être sont-ils pris par un remords, cela peut leur arriver, une sorte de regret qui les saisit. Les mêmes qui avaient d'ailleurs refusé un référendum sont maintenant pour le proposer. Les mêmes qui avaient fait un Traité sont maintenant pour le refonder. Allez comprendre ! Enfin, ce n'est pas la question de ce soir. Ce qu'il faut donc, ce n'est pas essayer de tout refaire, c'est de mieux faire, c'est de bien faire et c'est de chercher dans les Traités existants - s'il faut en modifier, nous les modifierons - mais de faire que nous puissions répondre aux attentes des Européens sur les priorités que j'ai fixées encore devant vous : protection, sécurité, défense, croissance, investissement, emploi, jeunesse, renforcement de ce qui fait notre cur - la zone euro - autour d'une monnaie que nous avons décidé de partager et qui justifie que nous ayons davantage de contrôle démocratique et de puissance pour intervenir.
Enfin, l'Europe doit se protéger, doit se redresser sur le plan économique même si elle reste la première puissance économique du monde. Elle doit porter des valeurs, mais doit aussi être capable de peser dans le destin du monde, surtout quand il va se produire des élections aussi dans d'autres grands pays - je pense aux Etats-Unis - et où il faut que nous prenions conscience que c'est d'abord aux Européens de décider pour eux-mêmes. C'est ce que la France va à chaque fois rappeler. Si nous voulons peser sur les règles qui sont celles de la mondialisation, il faut que l'Europe soit forte et qu'elle parle avec la conviction qu'elle est une puissance.
JOURNALISTE : Monsieur le Président, vous avez dit qu'il fallait effectivement une clarification assez rapide du processus de divorce qui va être enclenché et on sent bien en effet que la France la désire. Mais est-ce que l'Allemagne est au même tempo ? Est-ce que vous sentez qu'Angela MERKEL veut que cela se solutionne aussi rapidement et puis surtout, pourquoi est-ce qu'il n'y a pas, lorsque vous parlez de nouvelle impulsion européenne, pour l'instant sur la table véritablement un plan franco-allemand ficelé ?
LE PRESIDENT : Alors, sommes-nous tous d'accord à 27 ? Nous le verrons demain, mais à 28, sur les conclusions qu'il fallait tirer du référendum britannique, sur la clarté qu'il fallait avoir par rapport aux procédures, au calendrier, nous le sommes déjà.
France, Allemagne et Italie, nous sommes réunis hier et nous avons prononcé les mêmes mots, pour dire la même chose, c'est-à-dire que nous devons aller vite, nous devons respecter les Traités, engager les procédures et faire que le divorce puisse être préparé dans les meilleures décisions et avec le temps nécessaire, mais une fois qu'il y a eu le déclenchement par le Royaume-Uni lui-même, de la procédure, c'est-à-dire ce que l'on appelle la notification. Après, ce sera au Royaume-Uni, avec l'Union européenne, de définir quelle option il est préférable de choisir, je vous l'ai expliqué. Présence dans le marché, ou au contraire une position plus extérieure, acceptation de la libre circulation. Il n'est cependant pas question de donner au Royaume-Uni pour l'avenir, ce qu'il n'a pas eu pour la préparation de ce référendum, ce serait même totalement paradoxal puisqu'il n'aura pas à l'extérieur de l'Union, ce qu'il voulait avoir à l'intérieur de l'Union. Cela ne serait pas compréhensible.
Ensuite, sur un plan franco-allemand pour l'avenir, nous avons commencé à y réfléchir - pas simplement la France et l'Allemagne, même si cela compte la France et l'Allemagne - parce que nous avons toujours veillé, Angela MERKEL et moi-même à pouvoir éclairer autant qu'il est possible un certain nombre de décisions. Mais là, ce n'est pas un contexte banal, c'est un nouveau départ de l'Union européenne par rapport à un enjeu, la sortie du Royaume-Uni. Nous allons donc avoir un calendrier - nous allons en parler demain avec nos partenaires - pour avoir justement cette nouvelle impulsion, avec des mesures qui peuvent être prises rapidement, parce qu'il ne s'agit pas de renvoyer à l'année prochaine, même s'il y a des élections l'année prochaine, un certain nombre de décisions qui peuvent être d'ores et déjà prises.
Tout ce que nous pourrons engager, pour répondre aux priorités que je viens de fixer et qui sont également celles de la Chancelière ou du Président du Conseil italien, nous devrons le faire. Il y aura vraisemblablement un Sommet européen - mais je ne veux pas anticiper sur ce qui sera la discussion de demain - au mois de septembre, pour voir ce que nous pouvons tirer comme premières conclusions et nous allons y travailler tout l'été.
JOURNALISTE : Monsieur le Président, vous dites qu'il ne s'agit pas de punir le Royaume-Uni et encore moins le peuple britannique, mais est-ce qu'il n'y a pas une tentation, finalement, pour éviter la contagion de faire payer aux Britanniques, les conséquences de leur vote pour éviter que d'autres pays prennent le même chemin ?
LE PRESIDENT : Punir ce serait par exemple - ce qui serait d'ailleurs totalement illégal au sens des Traités - suspendre le Royaume-Uni de ses droits et donc de ses obligations dans l'Union européenne. Cela est inenvisageable. D'abord parce que ce serait, comme je l'ai dit, incompatible avec les Traités, mais ce serait en plus inadmissible sur le plan moral.
En même temps que nous devons maintenir la présence du Royaume-Uni tout le temps de la négociation, nous devons néanmoins faire que la négociation s'engage, ce qui suppose la notification. Les Britanniques ont voulu sortir, ils sortent. Pour sortir, il faut négocier et c'est à la fin de la négociation qu'il y a la sortie.
Cela peut-il avoir valeur d'exemple ? D'une certaine façon oui, mais je veux dire que c'est la vie qui en décide. Ceux qui sont des protagonistes de la fin de l'Europe verront si c'est un bienfait ou non pour le Royaume-Uni d'être sorti de l'Union européenne. Je rappelle que le Royaume-Uni n'était ni dans l'espace Schengen, ni dans la zone euro, uniquement dans le marché intérieur et bien sûr dans les règles de l'Union européenne qui ont été établies Traité après Traité, même si le Royaume-Uni avait quelquefois des dérogations.
Cela va donc être une expérience. Est-ce mieux d'être à l'extérieur ou d'être à l'intérieur ? Avant d'être à l'extérieur, est-ce bien pour un pays de se mettre dans cette situation ? Cela sera une expérience. Pour ceux qui sont Européens, mais qui ne le sont pas de manière théorique, on voit aussi les avantages d'être dans l'Europe par rapport aux inconvénients de ne pas en être. De ce point de vue, c'est la démocratie qui en a décidé, cela peut valoir expérience et leçon. Je crois, quand on entend un certain nombre de Britanniques - même si cela ne changera rien au résultat - exprimer leurs regrets, parfois même, comme d'autres, leurs remords, de faire qu'ils aient pu émettre un vote qui ne correspond pas à leur intérêt, on se dit qu'avant de voter il faut toujours réfléchir, ce qui est quand même un bon principe.
JOURNALISTE : Monsieur le Président, bonjour. Vous mentionniez tout à l'heure les conséquences économiques du Brexit, je voulais savoir si vous pouviez nous confirmer que Mario DRAGHI, devant vous et les autres chefs d'Etat et de Gouvernement, avait chiffré à 0,5 % les conséquences, sur le PIB, de la zone euro, du Brexit ? Est-ce que, du coup, vous estimez qu'il y a un vrai risque pour la reprise économique française naissante et compte tenu de cette situation, est-ce que vous jugez indispensable de garder, d'une manière ou d'une autre, le Royaume-Uni dans le marché unique pour éviter une contagion économique ?
LE PRESIDENT : Cela ne m'apparient pas de donner des propos de Mario DRAGHI, surtout qu'ils ne doivent pas être déformés. Qu'a dit le Président de la Banque Centrale européenne, que j'ai retenu en tout cas, comme ça je le mettrai avec ma propre interprétation, c'est que si nous ne faisions rien - j'entends les pays européens, par rapport au référendum britannique - il pouvait y avoir un risque que les investissements ne se fassent pas au rythme anticipé, qu'il y ait des problèmes de confiance, et que cela pouvait avoir à ce moment-là, des conséquences. Mais que si nous prenions les bonnes décisions, notamment par un soutien encore plus affirmé à l'investissement, par des mesures, qui sont déjà largement prises en France, d'amélioration de la compétitivité, de soutien, autant qu'il est possible, de la consommation sans remettre en cause les équilibres budgétaires, alors nous pouvions parfaitement conjurer ces risques.
Quel est le risque en fait ? C'est que le Royaume-Uni puisse connaître un affaiblissement très sérieux de sa croissance en 2017 et que cette faible croissance au Royaume-Uni puisse avoir des impacts sur les échanges et donc sur l'activité en Europe. Il est donc vraisemblable que le Royaume-Uni va supporter l'essentiel du coût de sa décision et que l'Europe, elle - grâce d'abord à des mesures qui peuvent être prises aussi par la Banque Centrale Européenne, grâce à des liquidités qui peuvent être apportées, mais aussi grâce à l'action, j'allais dire contracyclique des Etats - peut parfaitement surmonter cette difficulté et éviter qu'il y ait des conséquences sur la croissance. En tout cas, pour la France, nous prendrons ces dispositions.
Mario DRAGHI a confirmé que la Banque Centrale européenne était particulièrement attentive à la situation et qu'elle poursuivait sa politique monétaire que chacun connaît et qui a justement permis, depuis déjà plusieurs jours, à ce que s'il y a eu des décrochages sur les marchés, ils l'ont été notamment sur la Livre, il n'y a pas eu de mise en difficulté de l'euro et les taux d'intérêt sont restés tout à fait maîtrisés.
Je rappelle que pour la France nous sommes à un niveau de taux d'intérêts à 10 ans, qui sont historiquement les plus faibles, je crois qu'aujourd'hui cela doit être à 0,21, et qu'en Allemagne c'est un taux d'intérêt négatif à 10 ans, qui doit être de -0,15. La France peut donc aujourd'hui emprunter - quand je dis la France c'est l'Etat, mais c'est aussi les entreprises, sur le marché obligataire - à des taux qui n'ont jamais été aussi bas. Ce qui explique aussi que sur le marché immobilier nous ayons en ce moment une très grosse activité. Il est même possible, à cause de ce que vient de décider le Royaume-Uni, que nous ayons encore une plus grosse activité sur le marché immobilier en France, parce qu'un certain nombre d'investisseurs vont se reporter sur les biens immobiliers en France.
C'est le Royaume-Uni qui devra décider - enfin son Gouvernement lorsqu'il aura été constitué après le remplacement de Monsieur CAMERON - quelle est sa place dans le marché unique. S'il veut rester dans le marché unique, comme je vous l'ai dit, il faudra qu'il en paye le prix, dans tous les sens du terme, y compris avec la liberté de circulation. On ne peut pas transiger sur les quatre libertés. On ne peut pas avoir la liberté des capitaux, la liberté des marchandises, la liberté des services et dire pour les personnes : « restez chez vous ». Non, cela ne marche pas ainsi. Ce sont les quatre libertés ou aucune.
JOURNALISTE : Vous avez dit, depuis vendredi, que pour vous le Brexit était irrévocable, que la décision avait été prise. Est-ce que c'est un sentiment qui a été très largement partagé ce soir au dîner avec les autres membres, ceux restés dans l'Union européenne, parce qu'on voit bien que ceux qui, au Royaume-Uni, ont milité même activement pour le Brexit, sont maintenant tout à coup beaucoup moins allants ? Ne pensez-vous pas qu'avec l'agenda qui se prépare, avec peut-être de nouvelles élections législatives en Grande-Bretagne, il peut y avoir un retournement de situation ? Est-ce que parmi les autres, cet espoir ou cette hypothèse a été évoquée ?
Deuxième question : quel est le risque selon vous de paralysie, compte tenu justement de l'incertitude de cet agenda, puisque effectivement, le successeur de Monsieur CAMERON pourrait décider d'engager ce fameux article 50, mais là aussi il y a un doute sur le timing et donc est-ce qu'il y a là-dessus aussi, un front commun, ou il va falloir finalement faire appel aux pays fondateurs de l'Europe pour gérer la situation dans l'urgence ? Merci.
LE PRESIDENT : Non, il n'y a pas eu de doute sur ce qui devait être fait et ce qui devait être respecté. Ce qui devait être fait c'est la notification, par le Royaume-Uni, de sa sortie et donc de ce fameux article 50 et de la négociation qui doit suivre.
Il n'y avait pas non plus de doute sur le respect qu'il fallait avoir par rapport au vu du peuple britannique et David CAMERON n'a pas entretenu non plus de ce point de vue là, le flou, même si c'est au prochain Gouvernement, comme je l'ai dit, de décider de la notification.
Ensuite, est-ce que dans la négociation le prochain Gouvernement voudra, comme je l'ai dit, prendre des options qui se rapprochent de l'Union tout en n'étant pas dans l'Union, c'est possible, cela nous le verrons bien. Mais il ne doit pas y avoir d'incertitude, parce que vous avez parfaitement raison, le plus grand danger c'est l'incertitude. Pas d'incertitude sur la notification, pas d'incertitude sur le temps de la négociation, pas d'incertitude sur le statut du Royaume-Uni pendant la négociation, pas d'incertitude sur les conditions de sortie du Royaume-Uni. Alors ensuite, si un jour, dans 5 ans, dans 10 ans, le Royaume-Uni décidait de revenir, on ne sait jamais, il faudra y réfléchir à deux fois.
JOURNALISTE : Vous avez dit qu'il y avait de l'émotion, de la tristesse ce soir, est-ce que vous avez eu le sentiment que David CAMERON était humilié ce soir ?
LE PRESIDENT : Non, je ne dirais pas du tout cela. Il était ému, d'abord parce que c'était sans doute son dernier Conseil européen. Il était ému parce qu'il avait plaidé pour une réponse du peuple britannique qui n'a pas été celle du scrutin lui-même, la majorité ne s'est pas prononcée pour la solution que David CAMERON avait préconisée. De l'émotion, parce qu'il sentait bien que c'était une décision historique et qu'il se sentait responsable puisqu'il avait lui-même voulu ce référendum et qu'il n'avait pas pu convaincre, mais que beaucoup et je vais dire même la totalité des membres du Conseil européen ont dit que David CAMERON s'était engagé, que c'était courageux de sa part d'avoir mené la campagne alors qu'il savait que c'était difficile. Il était un chef de Gouvernement qui était démissionnaire mais qui assumait ce qu'il avait fait, tout en en tirant les conclusions pour lui-même et pour son pays. Autour de la table il n'y avait pas de volonté d'humilier le chef du Gouvernement britannique parce que cela aurait été humilier le peuple britannique et le peuple britannique doit être respecté.
Respecté pour le choix qu'il a fait, respecté pour les intérêts qu'il aura à défendre dans la négociation et respecté par rapport à des liens que j'ai rappelés et qui sont très forts, notamment entre la France et le Royaume-Uni mais aussi entre beaucoup de pays qui constituent l'Europe et qui ont pour le Royaume-Uni une affection très particulière et des relations économiques très fortes. C'était donc je crois, respectueux, parce que nous étions justement clairs.
Ce qui aurait été à mon sens une faute, c'est de vouloir justement chercher une responsabilité et ne pas en tirer la conclusion. Dès lors qu'on tirait la conclusion, mieux valait éviter de nous mettre sur la recherche d'une responsabilité. Un peuple a décidé à une majorité de sortir de l'Union européenne et nous avons à faire en sorte qu'il puisse être pleinement respecté.
JOURNALISTE : J'aimerais bien vous rappeler que le Parti socialiste français a divisé il y a dix ans ses propres partisans concernant le référendum sur le Traité de Lisbonne
LE PRESIDENT : Non, ce n'était pas le traité de Lisbonne, Lisbonne c'était après.
JOURNALISTE : Gardez-vous l'espoir qu'en 2017 vous arriverez de convaincre vos propres citoyens Français, que Marine LE PEN n'arrivera pas au deuxième tour de la présidentielle au mois de mai ?
LE PRESIDENT : Vous avez rappelé un fait qui a été douloureux aussi, puisqu'il y a eu un référendum en 2005 sur le Traité - que l'on appelait constitutionnel, européen - qui était venu lui-même au terme d'une convention qui avait réuni des parlementaires et des personnalités autour de Valéry GISCARD D'ESTAING, qui en était le Président, qui avait établi ce texte. J'avais appelé à voter ce texte et j'avais obtenu une majorité de socialistes - j'étais à l'époque le premier secrétaire de ce parti - pour qu'ils approuvent ce texte. Le peuple français, ne l'a majoritairement pas admis et l'a repoussé. Ensuite il y a eu le Traité de Lisbonne.
Nous voyons bien qu'il y a un doute très sérieux à l'égard de la construction européenne, des critiques et une insatisfaction, qui demeure aujourd'hui.
Nous avons donc une responsabilité, qui est effectivement de convaincre que nous devons changer l'orientation de l'Europe, la concentrer sur ses priorités, mais en même temps la défendre, de manière à ce qu'elle nous protège. Eviter que des partis extrémistes puissent utiliser la colère - qui quelquefois est là dans le pays, à cause de peurs qui peuvent être exacerbées ou de problèmes qui ne sont pas réglés - éviter que les populistes puissent s'emparer de cette colère pour casser l'Europe.
Quand on casse l'Europe, on ne casse pas simplement un Traité, on ne casse pas simplement une institution, une Commission, on ne casse pas simplement un Gouvernement -cela finalement, on s'en remet- on casse une idée, une idée tellement forte, qu'elle a mobilisé des générations et des générations. On casse surtout une espérance, parce que c'est quand même à travers l'Europe que nos pays respectifs peuvent être plus forts ensemble. C'est donc pourquoi nous devons aussi tirer les enseignements de ce scrutin, comme de tous les scrutins. On voit qu'il y a encore beaucoup de travail à faire.
Mais, à la différence de 2005, il ne s'agit pas de contourner le vote des Britanniques en leur disant « vous allez revoter une fois encore », comme cela a été fait pour d'autres pays. Souvenez-vous les Irlandais, à qui on a dit « votez une seconde fois, parce que la première fois on n'avait pas compris ». Non, là il s'agit de respecter le vote pour que chacun comprenne bien les conséquences d'un vote. Merci.