10 mai 2016 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Hollande, Président de la République, avec Public Sénat le 10 mai 2016, sur la mémoire de l'esclavage et sur la lutte contre les discriminations.


LE PRESIDENT : Le Comité national a fait un très bon travail depuis plusieurs années, et justement, il faut lui donner une nouvelle ampleur. J'ai proposé qu'une Fondation puisse regrouper tous les acteurs et faire en sorte qu'une nouvelle institution puisse porter la mémoire de l'esclavage, de la traite, des abolitions, et puisse avoir, avec les collectivités locales, avec aussi l'Outre-mer, d'autres pays, une action qui puisse se déployer dans le temps, toute l'année, et qui puisse aussi permettre, grâce à ce que nous avons commencé à faire sur le plan scolaire, qu'il y ait une mobilisation des jeunes.
Cette Fondation aura donc des moyens supplémentaires, et elle pourra aussi réfléchir à des lieux de mémoire : un mémorial, peut-être ici, à Paris, mais cela, c'est la Mairie de Paris qui en décidera, et aussi, et cela, c'est une demande qui est répétée, de musée qui pourrait également se fédérer autour de la Fondation. La Fondation, c'est plus de ressources, plus de moyens, plus aussi de fédération de toutes les initiatives qui existent aujourd'hui pour qu'elle puisse être au service de la seule cause qui vaille, qui est l'égalité humaine.
Question : Ce serait le bras armé, si on peut dire, du Mémorial ACTe de la Guadeloupe ?
LE PRESIDENT : Oui, le Mémorial ACTe, cela a été une très grande réalisation, et c'est maintenant un centre qui, sur le plan de la mémoire, vaut pour l'Outre-mer, vaut pour la France, mais vaut pour le monde entier. Mais ce que je voudrais, c'est que ce ne soit pas un lieu, la Fondation seulement, que ce soit un regroupement de toutes les initiatives autour de la mémoire, de l'esclavage, de la traite et des abolitions.
Question : Vous avez conclu votre allocution par ces mots : « faisons le rêve que l'égalité soit notre destin commun. » C'est la présence de Jesse JACKSON qui vous a inspiré ?
LE PRESIDENT : Oui, parce qu'un pays qui ne rêve plus est un pays qui s'abandonne, est un pays qui regarde son passé et non pas son avenir. Il y a eu ce grand rêve, celui que Martin Luther KING avait conçu d'ailleurs, pourquoi la phrase est restée ? Parce que dire, nous allons pouvoir vaincre tout ce qui nous a empêchés d'être à l'égal des autres, c'est cela le rêve de Martin Luther KING. Penser qu'il serait possible que les descendants d'esclaves et les descendants des maîtres puissent être ensemble à la même table. Ce rêve-là a été accompli. Mais il faut aller beaucoup plus loin. Le rêve de l'égalité, lui, il est encore à faire.
Je le fais régulièrement quand je vois encore les discriminations, quand je vois les difficultés pour un certain nombre de jeunes de nos quartiers, de nos Outre-mer, pour accéder aux meilleures filières d'éducation, quand je vois encore le chômage qui empêche un certain nombre de familles de vivre décemment, et souvent les mêmes. Donc ce rêve-là, ce rêve de l'égalité, ce rêve de l'accomplissement, ce rêve de la France, parce que c'est le rêve que la France doit former pour elle-même. Oui, nous devons encore le faire, et le faire ensemble.
Question : Est-ce que la possibilité de mener des actions de groupe peut faciliter la réalisation de ce rêve ?
LE PRESIDENT : Oui, c'est un instrument pour justement lutter contre les discriminations. Qu'est-ce que l'action de groupe ? C'est le fait que des individus, plutôt que d'agir seuls, puissent se regrouper, et lorsqu'une discrimination est faite, qui concerne une personne, il puisse y avoir une action contre des entreprises qui se seraient livrées à de tels manquements à l'égalité ou contre l'administration, contre l'Etat, c'est également possible, ou contre toute institution qui a mis de côté, un moment, un citoyen parce qu'il n'est pas de la bonne couleur, du bon quartier ou du bon parcours. Donc voilà pourquoi l'action de groupe, qui existe pour les consommateurs, cela existe déjà quand il y a un consommateur
Question : Oui, on pourra l'élargir ?
LE PRESIDENT : On va l'élargir, justement à toutes les discriminations qui humilient et qui soumettent un certain nombre de nos concitoyens à des situations qui sont insupportables.
Question : Cela va se faire dans le projet de loi Egalité ?
LE PRESIDENT : Cela va se faire dans le projet de loi Egalité et Citoyenneté, qui va être débattu dans les prochaines semaines, et ce sera un moyen qui sera, dès l'automne, je l'espère, offert à tous ceux qui justement travaillent depuis très longtemps, les associations, pour que leurs droits soient reconnus.
Question : C'est le dernier 10 mai de ce quinquennat. Est-ce que vous avez vu une chose évoluer de façon positive ?
LE PRESIDENT : Oui, sur la question qui nous réunit aujourd'hui, il y a eu justement l'enseignement, qui a pu intégrer la mémoire de l'esclavage. Oui, il a pu y avoir un certain nombre d'actes mémoriels, on a parlé du Mémorial ACTe, qui a été financé par la Région Guadeloupe, mais aussi par l'Etat. Oui, il y a eu un certain nombre d'actions qui ont été lancées grâce au Comité national. Oui, la loi qui il faut bien le dire a été votée, c'est vrai, à l'unanimité, mais qui a été une tâche extrêmement difficile, celle que Christiane TAUBIRA a menée. Aujourd'hui, cette loi fait l'unanimité partout. On voit bien qu'il faut que l'Outre-mer se sente pleinement investie, parce que c'est l'Outre-mer qui nous rappelle cette mémoire-là.
Question : Vous avez multiplié les hommages à Christiane TAUBIRA, est-ce qu'elle vous manque au Conseil des ministres ?
LE PRESIDENT : Oui, elle me manque, mais je sais que là où elle est, elle est toujours utile, elle est toujours la même. Elle avait la même exigence au gouvernement, celle qu'elle a encore aujourd'hui, et là où elle sera, elle sera précieuse.Merci à vous.