4 avril 2016 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, en hommage à l'écrivain, biographe, personnalité de l'audiovisuel et académicien, Alain Decaux, à Paris le 4 avril 2016.


Nous sommes réunis une dernière fois autour d'Alain DECAUX, aux côtés de son épouse Micheline PELLETIER, de ses enfants, de sa famille, de ses proches, de ses amis académiciens, en présence des plus hautes autorités de l'Etat, des élus, des parlementaires mais aussi de celles et ceux qui ont connu Alain DECAUX.
Nous sommes rassemblés dans cette cour des Invalides, ce lieu de mémoire qui a accueilli tant d'événements majeurs et dont Alain DECAUX avait décrit les plus intenses, soit avec sa plume, soit avec sa voix.
Alain DECAUX aimait l'Histoire parce qu'il aimait passionnément la France.
Il aimait la langue française. Il la savourait quand il parlait. Ministre, il l'a défendue partout dans le monde. Académicien, il s'est mis à son service jusqu'à son dernier souffle.
Alain DECAUX aimait la culture française. Il avait le goût des grands textes qu'il dévorait avec l'appétit d'un lecteur jamais rassasié.
De la France, il connaissait bien plus que l'Histoire. Il avait saisi sa vérité, sa richesse, sa grandeur mais aussi ses tumultes, ses tourments. Il faisait revivre les héros, les grands, les fameux mais aussi les simples, les anonymes, aussi bien les rois que les révoltés, les soldats que les artistes, les savants que les paysans, toutes ces femmes, tous ces hommes qui ont fait que notre pays est là aujourd'hui. C'est cette épopée qu'il n'a cessé de raconter.
Alain DECAUX était né à Lille et était issu d'une lignée de gens simples, des artisans installés depuis des décennies, des siècles même dans le Nord. Enfant, il avait été ébloui par la lecture d'Alexandre DUMAS, celui qu'il désignait comme « le plus illustre des dispensateurs d'émerveillement ». Il demeurera son plus fidèle compagnon de lecture. Plus tard, comme président de la Société des amis d'Alexandre DUMAS, il convaincra mécènes et politiques beaucoup sont là de sauver le château de Monte Cristo et de l'inscrire aux Monuments historiques.
Le 30 novembre 2002, quand Alain DECAUX prononça le discours lors du transfert des cendres d'Alexandre DUMAS au Panthéon, il ne put retenir sa joie il avait obtenu cette décision du Président CHIRAC.
Ce qu'il admirait chez DUMAS, c'était son art du récit, ce talent de mettre l'Histoire dans le roman comme pour l'embellir. Le talent d'Alain DECAUX fut de faire l'Histoire avec plein d'histoires. Il nous laisse plus de 50 ouvrages, 64 volumes, auxquels s'ajoutent les textes de ses spectacles.
Mais la plus grande uvre d'Alain DECAUX fut de faire entrer sa discipline dans l'univers audiovisuel.
A la radio, c'est lui qui pendant plus de 40 ans anima la Tribune de l'Histoire. A la télévision, c'est lui qui pendant près de dix ans avec CASTELOT et LORENZI explora le temps, pour exhumer l'affaire Calas, la malédiction des Templiers ou les derniers jours du Comité de Salut public, comme si nous y étions. Puis, dans un format d'une simplicité et d'une audace incroyable, il devint notre narrateur national. En direct, seul face à la caméra, sans aucune note pendant 45 minutes, il regardait dans les yeux des millions de téléspectateurs et les tenait en haleine mois après mois. Alain DECAUX nous a ainsi relaté avec éloquence, avec flamboyance, 171 aventures parmi les plus glorieuses ou les plus sombres de notre Histoire.
Alain DECAUX était un conteur, un pédagogue, un médiateur, un écrivain infatigable. Il consacra près de 2 000 pages à une inédite Histoire des Françaises qui fut saluée. Il fut également un chercheur obstiné. Il passa ainsi plusieurs années de sa vie à déchiffrer les manuscrits jamais publiés d'Adèle FOUCHER et les 18 000 lettres non dépouillées de Juliette DROUET pour donner à Victor HUGO une biographie à la mesure de ce géant.
Alain DECAUX, homme d'audiovisuel, faisait avec les images et les formules notre bonheur. Il faisait impression avec son regard enflammé à peine masqué par d'épaisses lunettes. Il faisait aussi impression par sa voix £ une voix rythmée, alternant le dramatique et le cocasse, l'intense et l'anecdotique, mêlant la véhémence à la confidence.
C'était aussi un historien rigoureux respectant les faits, analysant les causes, jaugeant le rôle des individus, l'influence des idées, le poids des intérêts pour finalement révéler l'empreinte du passé dans le présent.
Car si l'Histoire est une science, elle donne aussi du sens. C'est la raison pour laquelle l'Histoire et la Nation française sont indissolublement liées. « Toutes les grandes histoires de France », a écrit un jour Pierre NORA, « d'Etienne PASQUIER au XVIe siècle à MICHELET, et de MICHELET à LAVISSE et BRAUDEL, commencent ou s'achèvent sur une déclaration d'amour à la France. » Elle fut à plusieurs reprises adressée par Alain DECAUX.
Il voulait que l'Histoire soit apprise et donc enseignée et il avait à plusieurs reprises pris la défense de la place de l'Histoire dans les programmes, de l'école primaire jusqu'au lycée.
Il se méfiait aussi, et il avait à son tour signé quelques pétitions pour dire que des commémorations ne devaient pas être utilisées simplement pour satisfaire une soif de présent sans référence à ce que l'Histoire peut justement nous laisser comme leçons pour l'avenir. Il ne voulait pas d'une histoire détournée, instrumentalisée, fabriquée, ce qui n'empêchait pas Alain DECAUX d'être aussi un homme de conviction.
Cet historien qui a tant admiré NAPOLEON, jusqu'à ne rater aucune cérémonie en toutes occasions, souhaitait d'abord faire découvrir celles et ceux qui se sont battus parfois anonymement, jusqu'à l'oubli de l'Histoire, pour l'émancipation de l'Humanité et qui n'ont laissé apparemment aucune trace, sauf de faire ce que nous sommes.
Alain DECAUX ne supportait pas les injustices. C'était là le ressort de son intérêt pour les mystères : derrière chaque énigme, il cherchait l'innocent à réhabiliter, la réputation à restaurer, la vérité à prononcer.
Il s'était mobilisé pour les ROSENBERG qui ne devaient pas mourir. Au cinéma, il avait contribué à l'adaptation des Misérables, un livre qu'Alain DECAUX considérait comme le plus grand roman de la langue française, mais aussi la source de son engagement.
Il était patriote, républicain, humaniste et c'est sous la bannière de Victor HUGO qu'il se rangeait. Il était, si je puis dire, de la gauche hugolienne ce qui, il faut le dire, lui laissait une grande liberté de choix.
Aussi quand en 1988, Michel ROCARD lui a proposé d'entrer au Gouvernement où siégeait Lionel JOSPIN comme ministre de l'Education nationale, il a pensé que c'était son devoir de servir son pays, surtout pour la seule cause qui justifiait qu'il abandonnât pour un temps ses travaux d'écriture.
Cette cause a un nom, le plus beau nom qui soit : la francophonie. Il a fait rayonner la langue française partout en Asie, en Afrique et même en France où, ministre et académicien, il mit toute sa volonté pour défendre et expliquer la réforme de l'orthographe vaste chantier jamais interrompu.
Son héritage le plus marquant, c'est d'avoir doté la France d'une véritable politique en matière d'audiovisuel extérieur à travers notamment la chaîne TV5. Il avait su trouver les mots pour convaincre non seulement dans notre propre pays, mais aussi chez tous nos partenaires et il a donné une audience sans précédent aux programmes en français dans le monde.
Au bout de trois années au Gouvernement de la France, Alain DECAUX finit cependant par s'ennuyer. Il voulait retourner à ses livres, à l'écriture de spectacles grandioses mis en scène par Robert HOSSEIN, car Alain DECAUX avait noué depuis très longtemps une relation intime avec le théâtre, depuis sa rencontre à la Libération, dans des circonstances assez exceptionnelles, avec Sacha GUITRY, dont il entretint le souvenir jusqu'à la poignée de son épée d'académicien.
Cinéma, spectacle, théâtre, radio, livre, tout devait concourir pour Alain DECAUX à la transmission mais aussi à l'émotion, comme pour fabriquer une appropriation commune de notre passé par les générations futures.
Biographe éclectique, il s'intéressait aux personnages les plus différents pour le seul bonheur de satisfaire sa curiosité. De BLANQUI à la CASTIGLIONE, d'OFFENBACH à DE GAULLE, ce qui lui importait c'était moins l'unité d'une uvre que sa diversité. Ce qui comptait à ses yeux, c'était de distraire en apprenant, c'était de considérer l'Histoire non pas comme une nostalgie, mais comme un mouvement.
Il avait la foi. Celle d'abord de la République et il n'oubliait jamais de rappeler d'où sa famille venait. Il avait été fier d'apprendre qu'à Vendeville près de Lille, une école primaire portait son nom.
Il y ajoutait sa foi personnelle qui l'a conduit à raconter à sa façon la Bible et la vie de Jésus pour mieux en faire comprendre le message.
Mesdames et Messieurs,
Alain DECAUX citait souvent de Jean GUEHENNO à qui il avait succédé en 1979 à l'Académie française cette phrase selon laquelle « les peuples comme les hommes se mesurent à leurs rêves ». Il avait gardé les rêves de son enfance. Il en avait réalisé beaucoup, sans doute suffisamment pour partir paisiblement un dimanche de Pâques comme le dernier symbole d'un homme qui avait le sens des références et des inspirations.
Alain DECAUX s'est tu mais nous entendons encore sa voix. Elle ne nous quittera pas. Son timbre, son intensité, son rythme, sa force de conviction, cette voix qui nous appelle à continuer chacun à notre place à faire l'Histoire pour mieux que d'autres puissent, comme Alain DECAUX, la raconter.