9 mars 2016 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, en hommage à Mme Sophie Dessus, une députée de Corrèze, à Uzerche le 9 mars 2016.


Nous sommes rassemblés, la famille, les proches, les amis, les élus, les parlementaires, les plus hauts représentants de l'État, autour de Sophie, Sophie DESSUS.
Des réunions, nous en avons obtenu avec Sophie, de nombreuses, de multiples ici, à Uzerche, à Tulle, à Limoges, à Paris. Mais aujourd'hui, c'est la dernière réunion avec Sophie et c'est un immense chagrin que nous partageons, une peine que nous exprimons.
Sophie est morte comme elle avait vécu, en combattant, en femme battante et jamais battue. Aucun mal ne lui faisait peur puisqu'elle n'était attirée que par le bien, le bien qu'elle désirait faire, le bien qu'elle pouvait donner, le bien qu'elle voulait transmettre.
Cette Papeterie, qui lui tenait tellement à cur, elle voulait la transformer comme un symbole pour dire que ce qui avait été pouvait être, que ce qui avait disparu pouvait renaître, que ce qui avait été une usine de labeur pouvait être une espérance de culture. C'est un symbole que de se retrouver ici pour cette dernière réunion avec Sophie DESSUS, dans cette Papeterie.
Cette Papeterie qui restera son uvre parce qu'elle en connaissait tous les tours, tous les détours. Combien de fois nous sommes venus dans cette Papeterie ? Combien de fois elle nous a demandé d'y aller avec la promesse de retour ? Je ne connais pas une personnalité en France qui n'ait échappé au chemin vers la Papeterie, comme si tous les chemins menaient à la Papeterie. Demain, lorsque l'uvre sera achevée, nous penserons toujours à Sophie DESSUS qui a permis que ce rêve puisse devenir réalité.
Sophie DESSUS était une femme qui avait décidé de vivre pleinement sa vie. Sophie, c'était la liberté. Née d'Aurillac, issue d'une famille parisienne, liée à des personnalités prestigieuses, les MAZEAUD je salue ici Pierre MAZEAUD , apparentée à Simone de BEAUVOIR, elle a fait le parcours des filles de son époque et de son milieu. Aînée d'une fratrie de six enfants, elle avait suivi, après son baccalauréat, des études d'histoire de l'art à Limoges. Elle aurait pu donc devenir conservatrice de musée, universitaire, mais elle avait choisi un autre destin, la liberté parce que c'était sa passion.
Alors, elle est venue s'établir ici, en Corrèze, avec Jean-Jacques, comme agricultrice, elle avait 20 ans. Elle a mené une existence de mère, d'exploitante, attentive à l'éducation de ses quatre fils : Mathieu, Joachim, Clément et Félix. Et puis, un jour, elle a pris sa liberté et a décidé de s'engager, non pas dans un parti politique mais pour sa commune, pour Uzerche, non pas dans la vie publique, mais dans la vie culturelle, avec le peintre Henri CUECO et son épouse.
Au départ, il s'agissait de créer un centre de livres d'artistes qui, finalement, ne vit jamais le jour. À l'arrivée, ce fut, après ce bouillonnement culturel pour bâtir un projet pour le renouveau de sa commune, Uzerche, la perle du Limousin.
Sophie, c'était une volonté à laquelle il faut bien l'avouer aujourd'hui il n'était pas possible de s'opposer. Ni le conformisme ni le fatalisme et pas davantage le sexisme ne pouvait être une résistance suffisante face à l'énergie de Sophie.
Sophie DESSUS se moquait de tout ce qui était mesquin, misérable, dérisoire, désuet. Seul comptait l'obstination, obstination de faire, de réaliser, de bâtir. Alors, elle imaginait, elle projetait, elle concevait et ensuite, elle mobilisait, elle travaillait, elle insistait jusqu'à ce que tous les obstacles soient enfin écrasés sur sa route. Il y avait parfois des forces qui s'y opposaient. Les malheureuses, elles ne savaient pas ce qui les attendait. Avec Sophie DESSUS, il y avait cet acharnement à penser, non pas qu'elle avait raison, mais qu'elle irait jusqu'au bout.
Elle avait aussi compris que pour être capable de réussir, il fallait être crédible et non pas crédule. Elle croyait en ce qu'elle faisait et faisait en sorte que ce qu'elle pensait puisse se transformer. Alors elle chiffrait, évaluait et ensuite, sollicitait tout ceux qui pouvaient lui apporter, ainsi qu'à sa commune, la moindre subvention. Aucune n'était négligeable et aucune ne fut négligée. Quand les fonds publics venaient à manquer, les entreprises privées étaient également démarchées et là aussi, convenons-en, avec quelques succès.
Sophie savait ce qu'elle voulait et ce qu'elle voulait, avec son équipe municipale, c'était donner à Uzerche l'éclat qui, peu à peu, s'était sans doute perdu, mais qu'elle contribuait à faire renaître. Sophie DESSUS, c'était une énergie, une force qui savait où elle allait, une force qui paraissait inépuisable dans ce petit corps de femme, un sourire qui charmait autant qu'il mordait. Heureux étaient ses amis. Alors sa fidélité était inaltérable, malchanceux étaient ses opposants ou ses adversaires. Ils n'avaient alors le choix qu'entre être soumis ou être séduits et je leur conseillais plutôt la seconde voie pour résister.
Sophie DESSUS, c'était une énergie, pas simplement au service de sa commune, de son département ou de son pays, c'était une énergie au service des autres parce que ce qu'elle aimait, c'était les autres. Chaque fois qu'elle pouvait être aux côtés des plus fragiles, des plus humbles, des plus vulnérables, de ceux qu'il fallait protéger, elle était présente, sans doute aux dépens de ses proches, de sa famille, de son mari, mais elle considérait que c'était son devoir.
J'ai tant de souvenirs qui m'attachent à Sophie DESSUS. Un me revient : une visite que nous avions faite à la maison de retraite. Je ne parle pas de la nouvelle, de l'ancienne. Elle connaissait toutes les personnes. Si d'ailleurs elle ne les connaissait pas, elle faisait comme si les avait toujours connues. Elle était attentive, soucieuse de ce qu'ils pouvaient, de ce qu'elles pouvaient, encore dire à l'élue qu'elle était.
Et puis elle avait toujours cette parole d'espoir. S'adressant aux personnes qui, parfois, ne l'avaient plus, elle leur disait qu'il fallait toujours y croire, qu'il y avait toujours une place, un chemin, une voie. Elle était la plus convaincante quand elle parlait de culture, cette culture qui, à un moment, avait été son choix professionnel, qu'elle avait voulu être la cause de son engagement, y compris politique. La culture qu'elle avait servie aussi bien pour sa ville d'Uzerche, ville de patrimoine, que pour la création dont cette Papeterie est aujourd'hui la traduction.
La culture, c'était la responsabilité que je lui avais confiée lorsque j'exerçais les fonctions de président du Conseil général de la Corrèze. Cette culture qu'elle a servie, ces créateurs, ces musiciens, ces peintres à qui elle voulait à chaque fois offrir ce que la Corrèze pouvait offrir de mieux, c'est-à-dire un lieu, un cadre et parfois un financement.
Sophie, c'était une élue, une élue d'Uzerche, une élue de son canton d'Uzerche dont la disparition lui fit beaucoup de peine. Une élue du département de la Corrèze, une élue de la Nation. Elle était fière des mandats qu'elle avait brigués et gagnés par elle-même parce qu'elle n'était soutenue que par elle-même, que par ce qu'elle ressentait comme cette voix intérieure qui lui commandait d'aller toujours plus loin.
Sophie DESSUS était une femme engagée qui ne dissimulait rien de ses convictions mais qui savait travailler avec tous et, comme il a été rappelé, avec Bernadette CHIRAC pour le rayonnement culturel du département de la Corrèze. C'est pourquoi elle pouvait être socialiste, écologiste, féministe. Elle allait jusqu'au bout de ses choix mais savait aussi conjuguer la passion qui l'animait avec la raison qu'elle devait respecter et le sens de l'ouverture, de la tolérance et du pluralisme qui était le sien.
Sophie DESSUS servait la République comme un petit soldat qu'elle voulait être, un soldat de la République. Conseillère municipale, générale, maire, elle fut la première députée femme de la Corrèze. Elle en exprimait une légitime fierté. Élue au 1er tour en juin 2012, ce que son prédécesseur dans cette circonscription n'avait jamais réussi à accomplir, Sophie DESSUS l'a fait.
Pour que rien ne puisse être contraire à l'idée qu'elle se faisait de la République et des mandats qu'elle avait sollicités au nom du peuple français, elle voulait être exemplaire, transparente et ne jamais pouvoir être attaquée sur ce qu'elle avait fait et sur ce qu'elle était. Bel exemple, en effet, pour la République.
Sophie DESSUS, c'était une générosité, elle ne comptait pas son temps, elle ne comptait pas sa vie et c'est pourquoi elle en a eu plusieurs. Elle ne comptait pas non plus ses amis comme parfois ses ennemis. Elle partageait tout et c'est pourquoi vous êtes si nombreux aujourd'hui à être là, à être rassemblés ici dans le même chagrin et, en même temps, dans la même reconnaissance.
Sophie va nous manquer parce que c'est sa force, c'est son audace, c'est sa ténacité qui vont nous manquer. Elle va manquer d'abord à sa commune, tellement manquer. Au point que cette commune d'Uzerche s'était d'identifiée à elle. Elle va manquer à son département parce qu'elle savait parler de la Corrèze presque mieux que celles et ceux qui n'y sont pas nés et qui ont ce besoin de s'y faire reconnaître. Elle va manquer aussi à ses proches, à sa famille, à ses enfants qui savent qu'elle a été une mère soucieuse de leur transmettre les valeurs qu'elle portait et de leur apporter la tendresse dont elle était capable. Elle va manquer à son père qui trouve injuste qu'une fille puisse partir avant lui. Elle va manquer à ses petits-enfants qu'elle ne verra pas grandir. Elle va manquer à Dominique CEAUX, son mari, qui l'aimait tant, qui l'admirait, qui parfois était étonné de la hardiesse dont Sophie était capable, de l'audace dont elle faisait preuve. Parfois, il tentait de la retenir c'était impossible , de la conseiller du mieux qu'il pouvait et de l'aimer autant qu'il était possible.
Je sais qu'il va souffrir, que vous allez souffrir de ne plus pouvoir l'étreindre et l'entendre. Oui, Sophie va manquer à ses proches, à ses amis, elle va manquer au Président de la République, mais elle n'aura jamais manqué à la République, à l'idéal de justice qui l'animait, à la lutte pour la dignité humaine et notamment celle des femmes. Elle n'aura jamais manqué à ses devoirs, à l'idée qu'elle se faisait de son mandat.
Alors, aujourd'hui, c'est la République qui, en mon nom et au nom de ce que je représente, exprime la gratitude de la Nation à l'égard de Sophie DESSUS, une femme, une militante, une élue, une députée et tout simplement un être exceptionnel. Merci Sophie DESSUS.