8 mars 2016 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, en hommage à Yves Guéna, combattant de la France libre et homme politique de la Ve République, à Paris le 8 mars 2016.


Nous sommes réunis une dernière fois autour d'Yves GUENA pour lui rendre hommage, devant sa famille, ses proches, ses amis, ses compagnons, les élus de la Dordogne, les plus hautes autorités de l'Etat et notamment les présidents successifs du Conseil constitutionnel.
Yves GUENA était un Français libre.
Il l'était devenu à 18 ans quand il avait rejoint le Général de GAULLE, au lendemain du 18 juin. Français libre, il le prouva durant la guerre, en participant à l'épopée de la France libre pendant cinq ans et sur trois continents. Cette période décisive détermina tous ses engagements, elle fit de lui « un gaulliste de toujours, un gaulliste pour toujours ». Toute sa vie, il est resté fidèle à cette idée de la France.
Cette idée l'avait habité très jeune.
Elevé en Bretagne, fils, petit-fils, arrière-petit-fils de marin, Yves GUENA était un Breton et un patriote. C'est sa propre mère qui lui apprend, le 18 juin, qu'un général français appelait à poursuivre le combat. Il n'attend pas. Le lendemain, il part pour Ouessant à bord d'un remorqueur et le 6 juillet 1940 à l'Olympia Hall à Londres, il entend pour la première fois la voix du Général de GAULLE.
Dans ce discours, Yves GUENA ne retient qu'une seule phrase : « vous allez vous battre et vous allez voyager beaucoup. » Il ne fut pas déçu. Après avoir été formé aux armes, il a été affecté, fin 1941, dans le 1er régiment de marche de spahis, ici représenté. Il n'y connut que des victoires : la bataille d'El Alamein à l'automne 1942 £ l'épopée et de la 2ème DB de LECLERC £ la reconquête de la Tunisie £ la campagne de France, durant laquelle il faillit mourir non loin d'Alençon, le 11 août 1944, la poitrine traversée par une balle.
Il se rétablit plus vite que prévu, alors qu'il avait frôlé la mort. Il repart pour le front avec la 2ème DB, fonce à travers l'Allemagne et ne s'arrête que le 8 mai 1945. Yves GUENA découvrait alors en Allemagne les camps de concentration, à Dachau. « Nous avons réalisé que c'était le nazisme que nous avions combattu ».
Revenu à la vie civile, Yves GUENA consacra le reste de sa longue vie à servir la République.
D'abord comme haut fonctionnaire. Il a appartenu à la fameuse promotion de l'ENA appelée « France combattante », parce que c'était la première, il en sortit major. Il choisit de servir au Maroc comme contrôleur civil, c'était sa conception de la France, continuer d'une autre façon le combat pour l'émancipation, il y resta 7 ans. Il sert à Rabat auprès du résident général et découvre les cultures arabes et berbères £ il les retrouvera plus tard comme président de l'Institut du monde arabe, entre 2004 et 2007, car Yves GUENA n'oubliait rien.
Revenu au Conseil d'Etat en 1955, il devient un spécialiste du droit public mais cela ne suffit pas pour combler son attente de service et d'action.
Le retour du Général de GAULLE en mai 1958 change son destin. Michel DEBRE est alors garde des Sceaux, chargé de préparer la nouvelle Constitution. Il fait d'Yves GUENA son premier collaborateur. Ilsforment une petite équipe qui prépare le texte de la Constitution de la V ème République et lorsque Michel DEBRE accède à la fonction de Premier ministre, Yves GUENA le suis comme directeur de cabinet adjoint.
Il contribue alors à mettre en uvre les principes des nouvelles institutions, participe à des décisions qui vont considérablement changer la France et il constate la difficulté d'agir. Il en garde une réflexion qu'il livrera dans ses Mémoires : « Le gouvernement d'un pays est une grande affaire qui requiert une attention et une tension de tous les instants, qu'il vaut mieux c'est son conseil prendre les affaires de l'Etat au tragique plutôt qu'à la légère ».
En 1959, le Général de GAULLE lui confie une autre mission, haut-commissaire en Côte-d'Ivoire, pour y négocier les termes de l'indépendance avec Félix HOUPHOUËT-BOIGNY. Cette transition vers l'indépendance se passe sans heurt, ni violence le 7 août 1960. Le haut-commissaire en Côte-d'Ivoire, devient le 1er ambassadeur de France à Abidjan. A 38 ans, il est le doyen du corps diplomatique local.
De retour en France en 1962, le haut-commissaire et haut fonctionnaire se fait homme politique. Il se présente sous l'étiquette de l'Union Démocratique du Travail. Un parti de gaulliste de gauche rattaché à l'UNR. Il se présente en 1962 à la députation en Dordogne, un département que l'on disait rouge et qui d'ailleurs l'est resté. Son épouse Oriane avait des attaches à Chanterac Chanterac qui devint son point d'ancrage dans le département et dans sa vie.
Ce fut le début d'une histoire de près de 40 ans avec la Dordogne. Il y collectionne les mandats et accède à la mairie de Périgueux en 1971. Durant un quart de siècle, Yves GUENA a rendu à cette ville, la beauté de son cur historique tout en y implantant des industries nationales, comme l'industrie des timbres-poste, ce que sa responsabilité comme ministre des Postes et Télécommunications de 1967 à 1969 avait sûrement facilitée.
Il avait fait accomplir à ce grand service public, une révolution technologique. En 1967, à peine plus d'un Français sur 10 avait le téléphone et Yves GUENA a lancé le programme « téléphone pour tous ». 1974, c'était il y a 40 ans. Cette révolution technologique qu'il avait lancée est devenue ce que l'on sait aujourd'hui. Il alla même plus loin : il soutint le développement des satellites de télécommunication, ce qui conduira plus tard au programme Ariane.
Puis, il devint ministre des Transports et ministre de l'Industrie. C'est à Yves GUENA que l'on doit le tracé entre Paris et Lyon de la première ligne TGV, le développement du programme Airbus, l'idée d'un aéroport de Roissy qui pourrait s'appeler Charles De Gaulle et qui sera inauguré en 1974. C'est même lui qui a décidé des premiers travaux du tunnel sous la Manche £ le projet mettra 20 ans à être réalisé.
Dans sa famille politique, il portait la parole des gaullistes intransigeants et quand il se sentait trop loin, il rompait. Pas pour s'éloigner des personnes, mais pour se rapprocher de ses propres idées. C'est ce qu'il fit dans sa famille politique dont il fut un temps secrétaire général auprès de Jacques CHIRAC.
Il voulait respecter en toutes occasions et dans tous lieux, l'esprit des institutions, celles-là même qu'il avait contribué à mettre en place et qui devaient tout au général de GAULLE et à Michel DEBRE. Il avait une conception exigeante de la souveraineté de la France. A l'intérieur, il défendait le primat de la loi contre les institutions qui ne procèdent pas du suffrage £ et pourtant il devint membre et président du Conseil constitutionnel. A l'extérieur, il refusait la supranationalité. C'est ce qui l'avait conduit à refuser le traité de Maastricht mais à appeler à la construction d'une grande Europe des nations avec les nouvelles démocraties de l'Est, c'est-à-dire l'Europe des 28 et nous y sommes.
Il a longtemps siégé à l'Assemblée nationale, jusqu'en 1988, puis au Sénat à partir de 1989. En 1997, il est nommé par le président du Sénat, René MONORY, membre du Conseil constitutionnel. Yves GUENA est alors devenu le gardien de la Constitution qu'il avait contribué à écrire. En l'an 2000, il est porté à la présidence du Conseil constitutionnel et il lui donne une autorité morale qui, à chaque fois, fut saluée.
En 2009, ce fut sa dernière mission, il lui fut confié la présidence de la commission de contrôle du découpage électoral qui suscite toujours beaucoup d'attention, beaucoup de suspicions. Il fallait donc une personnalité qui puisse garantir l'impartialité des choix. L'Assemblée nationale d'aujourd'hui a été élue sur la carte qu'avait dessinée lui-même Yves GUENA.
Son dernier combat fut celui de la transmission. A la tête de l'institut et de la fondation Charles-de-Gaulle de 1999 à 2006 puis, de la fondation de la France libre de 2007 à 2011, il a fait vivre la mémoire de l'homme du 18 juin et de ses compagnons.
A Lille, il a rénové la maison natale du Général de GAULLE £ à Colombey-les-Deux-Églises il a fait bâtir le mémorial et à Paris, ici même, aux Invalides, il a créé avec l'Historial Charles-de-Gaulle, un monument audiovisuel, le lieu qui manquait à la capitale pour honorer la mémoire du chef de la France Libre et du premier Président de la Vème République.
Mesdames, Messieurs,
Toute sa vie, Yves GUENA est resté « l'homme d'un seul engagement », la France, qu'il voulait libre.
Il vénérait son histoire, il en connaissait toutes les grandes dates, il célébrait les héros, ceux qui figuraient dans son propre panthéon. Il rappelle les faits de gloire que notre pays pouvait, à juste titre, mettre en avant. Il croyait à ce « pacte 20 fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde ». Ce lien qui fait que la France est liée au monde et que le monde a forcément un regard sur la France.
Au soir de sa vie, il avait raconté dans un livre pour ses petits-enfants, cette histoire de la France, la sienne. Sous différentes formes, il avait écrit : roman, poème, biographie il s'était intéressé au baron Louis, qui je le rappelle, fut ministre des finances de Louis XVIII et de Charles X. Il voulait comprendre et découvrir des personnages qui n'avaient pas forcément eu durant leur vivant la reconnaissance de leurs contemporains, mais qui avaient laissé une trace.
Lorsqu'il était président du Conseil constitutionnel, il rédigeait en alexandrins chaque année le bilan de cette institution pour l'année écoulée. Je ne sais pas si cette tradition s'est poursuivie, elle n'oblige d'ailleurs personne mais c'était sa façon de vouloir, là aussi, laisser une trace avec un sourire en plus.
C'est ce qu'on appelle la liberté, la liberté de ne rien céder sur l'essentiel de ce en quoi l'on croit, la liberté d'être soi-même, la liberté de s'engager pour plus que son pays, l'idée que l'on se fait de l'Humanité.
Des Français libres on dit qu'ils furent « ceux qui n'ont jamais déposé les armes » alors, Yves GUENA ne les a pas rendues, même lors de son dernier souffle, il nous les a transmises, et c'est pourquoi j'exprime ici, au cur de la cour des Invalides, devant sa famille, devant ses proches, devant ses amis et compagnons, la reconnaissance de la Nation toute entière, à celui qui fit de la France, le combat de sa vie.