27 février 2016 - Seul le prononcé fait foi
Interview de M. François Hollande, Président de la République, avec Campagne TV le 27 février 2016, sur la politique du gouvernement en faveur des agriculteurs.
Journaliste : 2016 s'ouvre dans un climat social qui est un petit peu difficile pour les agriculteurs £ ils souhaitent avoir une rétribution à un juste prix justement et vivre dignement du fruit de leur travail aujourd'hui. Alors quelles réponses structurelles pouvez-vous leur apporter, tant au niveau national qu'européen pour leur garantir un prix de revenu décent ?
LE PRESIDENT : Ce 53e salon est sans doute l'un des plus durs à vivre pour les agriculteurs. A la fois, ils veulent montrer l'excellence de leur travail et en même temps, ils veulent exprimer leur inquiétude, pour ne pas dire davantage, leur souffrance, face à des crises qui sont répétitives, profondes et qui touchent tous les secteurs, toutes les productions, notamment le lait, le porc mais ce serait trop simple de réduire la crise simplement à ces deux productions. Ce qu'ils attendent - parce qu'ils attendent des pouvoirs publics un certain nombre de réponses - c'est que nous puissions alléger leurs charges, c'est fait £ reporter un certain nombre d'échéances, c'est fait, mais c'est surtout de donner de la visibilité. Au niveau européen, ce sera l'action que j'aurai à mener au cours des prochains jours pour qu'il y ait un prix d'intervention pour le lait, pour qu'on retire un certain nombre de productions permettant au porc de retrouver un cours décent. Ce qu'ils attendent, c'est que les prix puissent rémunérer leur travail.
Il y a une politique agricole qui apporte des aides mais ce que nous devons faire - et cela sera donc une action dans la durée - c'est faire monter les prix parce qu'il y a une spirale déflationniste qui s'est, hélas, installée et qui aboutit à désorganiser toutes les productions.
Journaliste : Justement, sur cette notion de prix, au niveau national, vous avez appelé les distributeurs qui sont en bout de chaîne à essayer d'avoir une juste répartition de la valeur pour que justement, en amont, les agriculteurs puissent récupérer un peu plus du prix de vente. Mais avez-vous réellement des leviers d'intervention sur les distributeurs qui sont des entreprises privées finalement ?
LE PRESIDENT : Il est vrai que l'Etat ne fixe pas les prix, c'est en ce sens qu'un certain nombre de protestations sont sans fondement. L'Etat ne fixe pas le prix au niveau européen, il n'y a pas de prix au niveau européen, encore moins au niveau du marché mondial. Ce que fait et ce que doit faire l'Etat, c'est faire pression sur les distributeurs pour que dans cette négociation qui va encore durer 48 heures, il puisse y avoir une vraie reconnaissance du travail de l'agriculteur. Afin que cette pression puisse être la plus forte possible, j'ai annoncé au cours de ce salon, que nous allions modifier une loi qui s'appelle la loi LME (c'est un nom bien compliqué pour dire des choses simples), pour rééquilibrer le pouvoir et pour que les producteurs puissent être mieux considérés. Cette loi avait été votée au cours du quinquennat précédent et a permis aux distributeurs d'imposer leurs règles. Maintenant, dans ce que je propose, nous pourrons faire afficher le prix producteur pour que le producteur puisse être sûr qu'il ne va pas être la variable d'ajustement entre l'industriel et le distributeur. Cette loi sera votée avant l'été. Je dois dire aux distributeurs - même si je ne veux pas faire là aussi de simplification outrancière qui dirait : « voilà, les seuls responsables, ce sont eux », il faut essayer de voir quelle est la responsabilité de tous - mais je leur dis de faire attention à ce qu'ils vont faire dans les 48 prochaines heures parce que cela va déterminer le contenu de la prochaine loi.
Journaliste : C'est-à-dire prix d'achat indiqué sur les produits. Derrière ce que vous dites, il y a aussi une nécessaire structuration de la filière globale de l'amont à l'aval. Comment pouvez-vous faire en sorte justement que chacun ne reste pas - producteurs, transformateurs et distributeurs - sur ces points d'appui ?
LE PRESIDENT : Cela s'appelle la contractualisation. Il faut qu'il y ait une organisation de l'ensemble de la filière, du producteur, transformateur jusqu'au distributeur. Chacun doit prendre ses responsabilités, vous avez raison, on peut avoir une politique européenne mieux orientée, nous y travaillons. Il peut y avoir des baisses de cotisations, nous avons annoncé des mesures fortes. Il doit y avoir une mise à niveau des normes mais s'il n'y a pas de restructuration, des crises vont se perpétuer, se répéter et aujourd'hui, la crise principale, c'est une crise de surproduction au niveau européen. Nous devons donc, nous, être plus compétitifs, mieux organisés et avoir cette capacité de ne pas faire peser sur le seul producteur, les mouvements liés à la conjoncture.
Journaliste : Autre revendication des agriculteurs aujourd'hui et vous vous étiez engagé à ne pas surtransposer les normes européennes pour leur permettre d'avoir une certaine liberté d'entreprendre. Or aujourd'hui, ils ont encore l'impression tant au niveau social qu'environnemental que dans les faits cela ne se concrétise pas. Quelle réponse vous pouvez leur apporter ?
LE PRESIDENT : La transposition ou la surtransposition des directives c'était avant 2012. Je n'ai pas ajouté des normes aux normes européennes. Mais je veux que les choses soient claires, on va installer un comité national des normes et les agriculteurs y seront représentés pour qu'on soit sûr que ce qui nous est demandé au niveau européen ou ce qui peut être parfois introduit subrepticement dans une législation, puisse être sans conséquence sur les agriculteurs. Donc ce comité permettra de donner cette garantie.
Journaliste : Permettre de donner cette garantie soit, mais c'est vrai, tant au niveau social, il y a un dumping social entre le coût horaire allemand, polonais ou français, au niveau environnemental les agriculteurs sont les premiers à vouloir développer la méthanisation qui va dans le sens du développement durable et raisonner notre agriculture, mais aujourd'hui, force est de constater qu'il faut 5 ans pour avoir un méthaniseur en France et 2 ans en Allemagne.
LE PRESIDENT :Vous avez raison, c'est pour cela que j'ai fait accélérer ce processus, c'est pareil pour les installations classées, vous vous rappelez, il fallait un régime d'autorisation pour un certain nombre d'exploitations nouvelles qui s'ouvraient, je l'ai fait passer au régime de la déclaration, on a réduit le temps et il en sera de même pour la méthanisation pour tout ce qui est diversification. Il n'est pas acceptable que l'on prenne plus de temps en France que chez nos voisins allemands. Vous avez parlé aussi du dumping, c'est un vrai sujet, on ne peut pas avoir un grand marché européen et avoir des règles sociales différentes. Notamment des pays qui n'ont pas de SMIC, c'est pour cela qu'en Allemagne, ils ont réintroduit le SMIC, mais je m'en suis expliqué avec la Chancelière MERKEL. C'est bien de vouloir une harmonisation, mais elle doit se faire partout, y compris au niveau de l'agriculture. Il ne peut pas y avoir de secteur qui échappe à l'harmonisation.
Journaliste : Justement au niveau de l'agriculture, on a l'impression que sur les 28 pays européens, il y a plus de pays libéraux que de pays qui ont une gestion sociale-démocrate, est-ce que vous avez les moyens de peser sur ces ambitions-là ?
LE PRESIDENT : Je vous le confirme, il y a une conception en Europe qui est de penser que c'est le cours mondial qui doit s'imposer, qu'il faut supprimer un certain nombre de règles et faire que l'agriculture soit un produit comme les autres. Mais l'agriculture ce n'est pas un produit comme les autres, c'est ce qui contribue à notre alimentation, à notre qualité de vie et j'allais dire à notre santé. Donc l'agriculture ne peut pas être conçue comme une marchandise qui va s'échanger, bien sûr que nous exportons, nous devons le faire avec des règles et si nous importons, nous devons imposer ces règles. Si nous n'utilisons pas d'OGM et que les produits rentrent avec ses spécificités-là, alors nous ne sommes pas dans le même contexte et donc je veux que l'Europe puisse avoir des règles communes, appliquées partout et que pour les grandes négociations internationales qui vont arriver, notamment avec les Etats-Unis, peut-être demain avec l'Amérique latine, nous puissions être extrêmement vigilants pour que les normes sanitaires soient les mêmes pour tous.
Journaliste : Vous parliez justement du traité transatlantique Une des revendications aussi des agriculteurs français est de pouvoir clairement identifier l'origine des produits, qu'ils soient des produits bruts ou des produits transformés, aussi pour que le consommateur puisse faire son choix en toute connaissance de cause. Là aussi, il va falloir réussir à l'imposer.
LE PRESIDENT : Commençons par l'Europe puisque j'ai voulu que pour l'ensemble des produits transformés, l'étiquetage soit maintenant possible pour un pays comme la France. Ce que je veux - et cela sera dans la négociation qui va maintenant s'ouvrir, la Commission doit nous répondre très rapidement c'est que l'on puisse dire d'un produit transformé, c'est-à-dire sur tout ce qui a trait notamment à l'industrie agroalimentaire, chaque fois qu'il y a de la viande, d'où vient cette viande et que l'on puisse donc faire l'étiquetage obligatoire. Une fois que nous l'aurons fait au niveau français, au niveau européen, il faudra l'imposer au niveau mondial.
Journaliste : L'imposer au niveau mondial mais aussi sur les produits transformés
LE PRESIDENT : Sur les produits transformés parce que nous le faisons déjà sur les viandes françaises. Lorsqu'on va chez le boucher, on sait d'où vient la viande mais on ne sait pas quand on achète un produit surgelé par exemple ou un produit cuisiné, d'où vient la viande. Maintenant, dans deux ou trois mois puisque ce sera, je l'espère, accepté par les autorités européennes - je me battrai pour que ce soit le cas il y aura cet étiquetage obligatoire.
Journaliste : Monsieur le Président, on l'a vu ce matin, le mal-être paysan est réel aujourd'hui. Il y a eu quelques actes de violence ce matin qui ont conduit justement à certaines échauffourées avec quelques agriculteurs. Il n'empêche que cela révèle un mal-être qui gagne quand même ces territoires ruraux. Comment peut-on faire pour recréer le lien social et durable avec ces acteurs des territoires ruraux ?
LE PRESIDENT : La colère, je l'entends et je la comprends car lorsqu'il y a des crises aussi nombreuses, aussi répétitives £ mais ces crises ont une cause et il faut que les agriculteurs la connaissent. Cette crise, c'est d'avoir libéralisé, c'est d'avoir considéré que l'offre et la demande devaient fixer le prix, c'est que l'on ait cassé les organisations de marché. Prenons l'exemple des quotas laitiers puisque les laitiers ont exprimé leur mécontentement. Ils se sont adressés à l'Etat et je suis le chef de l'Etat, ce qui est bien légitime, mais qui a cassé les quotas laitiers ? Qui a pris cette décision avant 2012 et avec les conséquences que l'on connaît ? Les agriculteurs doivent savoir que nous devons maintenant agir au plan européen pour avoir des régulations, pour avoir des prix rémunérateurs, pour qu'on remette un certain nombre de règles communes.
Deuxièmement, je pense que les agriculteurs doivent savoir qu'ils sont défendus, qu'il n'y a pas de crise qui puisse rester sans solution, qu'il y a une perspective. Car on finirait par oublier, à cause de ces souffrances, de ces douleurs, de ces inquiétudes, que l'agriculture française est la première agriculture en Europe, que l'agriculture française exporte, que l'agriculture française a des produits de très grande qualité. Je veux donc en remercier les agriculteurs parce que ce sont eux qui y contribuent. Il y a une espérance à porter, il y a un avenir pour l'agriculture. Beaucoup de jeunes agriculteurs se disent : « est-ce qu'on peut s'installer ? ». Oui, ils s'installent encore en ce moment et nous pouvons leur donner plus de capacité pour réussir leur installation si nous développons l'innovation, la recherche, si nous leur permettons d'avoir des investissements. Pour cela, il faut qu'il ait une visibilité.
Ce qui fait vraiment le drame de l'agriculture et s'exprime souvent dans les salons et j'en ai fait un grand nombre, je peux vous le dire, c'est à chaque fois la question de l'avenir, de la perspective. Au-delà des crises, le rôle du Président de la République, de l'Etat est de dire quelle est la perspective. Il y a un avenir pour l'agriculture, j'en suis sûr.
Journaliste : Il y a un avenir pour l'agriculture, une agriculture qui embauche aussi et justement, vous avez en 2016 lancé un certain nombre de mesures pour l'emploi et pour la formation. Est-ce que là aussi, vous pouvez expliquer à nos agriculteurs que ce sont justement des mesures qui les concernent, que ce soit l'alternance parce qu'on est là aussi dans un métier qui s'apprend sur le terrain. Il faut donc intégrer l'agriculture dans ce plan ambitieux de formation que vous avez
LE PRESIDENT : D'abord un agriculteur fait vivre sept autres emplois, c'est pour cela que défendre l'agriculture, c'est défendre l'ensemble de l'économie. Sept autres emplois, aussi bien pour fournir les matières premières que les engrais, que les matériels et ensuite tout ce qui est l'industrie agroalimentaire. L'agriculture exige un haut niveau de formation et c'est pour cela que j'ai mis une priorité à l'enseignement agricole, l'enseignement agricole qui reçoit plus d'élèves aujourd'hui qu'il y a quelques années et qui permet à ces élèves d'avoir un haut niveau de qualification. Car pour être agriculteur aujourd'hui, il faut disposer d'une science, d'une connaissance. Je crois donc vraiment à la formation.
En ce qui concerne les baisses de cotisations et de charges, je ne le fais pas pour simplement un secteur, je le fais pour toute l'économie. Si j'ai, avec le Gouvernement de Manuel VALLS, fait baisser de 10 points les cotisations, c'est parce que l'agriculture n'était pas bénéficiaire du CICE, le fameux Crédit impôt compétitivité emploi. Le secteur agroalimentaire en bénéficient, autour de 3 milliards d'euros, mais pas les chefs d'exploitation. Désormais, ils auront donc les baisses de charges comme les autres secteurs de l'économie. Je n'ai pas pris cette décision parce qu'il y avait une difficulté mais j'ai considéré que les agriculteurs devaient avoir les mêmes droits et donc les mêmes baisses de cotisations que les autres secteurs de l'économie. Ce que je veux dire aussi, c'est que dans ce plan de formation, les 500 000 formations que j'ai proposées, pour beaucoup de demandeurs d'emploi cela peut paraître paradoxal dans un contexte de crise nous pourrons les conduire vers des formations de qualité dans les métiers liés à l'agriculture et à l'environnement. Car là encore, la Conférence sur le climat va ouvrir des perspectives, y compris pour l'agriculture
Journaliste : Pour l'agriculture raisonnée puisque c'est vraiment le challenge et la perspective de l'agriculture de demain
LE PRESIDENT : Avec comme objectif : produire plus et produire mieux.
Journaliste : Merci Monsieur le Président.
LE PRESIDENT : Merci à vous.