22 février 2016 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Hollande, Président de la République, avec Polynésie Première et TNTV le 22 février 2016, sur l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français et sur les efforts en faveur de la Polynésie française.


Intervenant : Bonsoir à tous, bonsoir Monsieur le Président.
LE PRESIDENT : Bonsoir.
Intervenant : Merci de nous accorder cet entretien. Le nucléaire, l'économie, l'environnement, nous avons un peu plus de dix minutes pour en parler. C'est peu car nous avons beaucoup de questions, à commencer par le nucléaire. Monsieur le Président, à la veille des 50 ans du premier tir en Polynésie, vous avez reconnu l'impact environnemental et les conséquences sanitaires des essais dans le Pacifique. Au-delà du symbolique, combien de temps les populations, combien d'années les Polynésiens devront encore attendre avant que la loi d'indemnisation soit efficace ?
LE PRESIDENT : D'abord je suis venu en Polynésie pour parler de tous les sujets qui intéressent les Polynésiens et parmi ces grandes questions qui reviennent sans cesse - cela m'avait été une fois encore rappelé par les élus, notamment par le président FRITCH - il y a le nucléaire, ce qu'il a apporté à l'économie, ce qu'il a détruit sur le plan environnemental et les nuisances qui ont pu être créées y compris sur le plan sanitaire. J'ai donc voulu apporter des réponses et je les ai exprimées ce matin lors de mon intervention à la présidence du gouvernement.
D'abord un institut d'archives et de mémoires pour que les générations polynésiennes sachent bien ce qui s'est produit ici et qui a été essentiel pour la dissuasion nucléaire française, donc pour notre indépendance, mais qui néanmoins a pu créer cette histoire, avec ce qu'elle a de glorieuse et également de traumatisante. Deuxièmement j'ai voulu que nous puissions appliquer différemment, c'est-à-dire mieux la loi de 2010, car lorsque l'on regarde les résultats, il n'y a eu que 20 cas qui ont été reconnus comme ouvrant droit à une indemnisation.
Intervenant : Dont quatre Polynésiens.
LE PRESIDENT : Dont quatre Polynésiens. Ce n'est pas ce que nous avions voulu. Le décret sera donc modifié de manière à ce que l'on puisse revoir un certain nombre de critères et ouvrir davantage le droit à l'indemnisation, dès lors que les conditions ont été réunies. J'ai voulu aussi apporter des renforts, si je puis dire, pour le service d'oncologie de l'hôpital et des moyens supplémentaires seront dégagés. Enfin il y a ce qu'on appelle la dette du nucléaire, la dotation globale. Elle sera donc sanctuarisée dans le statut et son niveau sera rétabli au niveau de ce qu'il était, c'est-à-dire 90 millions d'euros, de façon à ce que les Polynésiens puissent utiliser cette somme pour investir pour l'avenir, de la manière qu'ils voudront et en autonomie.
Intervenant : Justement vous êtes le seul Président de la République à reconnaître le fait nucléaire. Vous l'avez dit, la France a une dette envers les Polynésiens. Comment la France compte-t-elle rembourser concrètement cette dette ?
LE PRESIDENT : Je l'ai dit. Il y a à la fois ce qui est relatif aux droits des personnes relevant de l'indemnisation. Si nous avons fait une loi, c'est pour qu'elle puisse trouver son application. Si la loi n'ouvre aucun droit aux personnes qui ont pu être victimes, alors cette loi doit être changée. Je crois qu'il n'en est pas question et que nous pouvons, par le décret, donc très vite, améliorer les conditions d'indemnisations. Deuxièmement il faut que le nucléaire ne soit pas à chaque fois une question qui empoisonne les relations et qui au contraire puisse être une façon de se projeter vers l'avenir et donc de donner aux Polynésiens les ressources nécessaires pour qu'ils puissent investir. Il y a de nombreux domaines pour justement préparer l'avenir, nous en avons parlé avec tous les élus. Il y a tout ce qui est l'économie bleue, je suis allé cet après-midi faire le constat de cette richesse considérable de la mer, cette zone économique exclusive que la France doit d'ailleurs protéger. Il y a également tout ce qui peut être tiré de la pêche, l'aquaculture, le tourisme. Le message que je suis venu vous porter n'est pas un message simplement pour l'Histoire, de la reconnaissance, c'est un message de confiance dans l'avenir et un message de mobilisation de nos forces. Car lorsque la France dispose de cette surface maritime, que la Polynésie a cette richesse là autour d'elle, il faut que nous puissions nous mobiliser ensemble, l'Etat, le gouvernement polynésien, les élus et les acteurs économiques, pour que nous puissions valoriser ce patrimoine tout en le respectant. J'ai rappelé que c'était ici en Polynésie qu'était parti le message pour la sauvegarde de notre patrimoine naturel, notamment des îles et qui a débouché sur la réussite de la COP21. J'en remercie ici les autorités et les élus polynésiens.
Intervenant : Nous reviendrons Monsieur le Président sur la COP21. A l'heure actuelle la grande préoccupation des Polynésiens est de trouver un emploi. Le taux de chômage, vous le savez est inquiétant, 21,8 %, il a doublé en 5 ans. Bien qu'il s'agisse là d'une compétence territoriale au nom de la solidarité, Monsieur le Président, que pouvez-vous proposer aux Polynésiens ?
LE PRESIDENT : La lutte contre le chômage est la priorité, la mienne et elle vaut pour tous les territoires de la République française, quels que soient leurs statuts et notamment en outre-mer où les taux de chômage sont encore plus élevés que dans l'hexagone. Nous avons ici un levier qui sont les contrats de projet et il faut que nous puissions les utiliser pour justement préparer les conditions. Les conditions sont une desserte aérienne améliorée, le numérique pour tous, un système de santé qui puisse être au plus haut niveau et j'ai annoncé là des investissements nouveaux. Ce que je veux c'est que les Polynésiens se prennent en responsabilité parce qu'il y a ce que vous avez voulu, l'autonomie jusqu'au bout et il faut donc l'utiliser non pas simplement comme un acte d'émancipation légitime, mais comme un acte qui puisse vous convaincre que vous avez ici les moyens d'assurer votre développement. Je ferai donc en sorte, en matière d'emploi, même si ce n'est pas la compétence de l'Etat, à travers ces contrats de projet, à travers ce que l'on peut faire pour l'économie marine, les nouvelles technologies qui peuvent ici s'adapter. Vous avez inventé le SWAC et j'en fais d'ailleurs la promotion partout où je vais. C'est une technologie polynésienne, donc une technologie française et on voit bien que pour le renouvelable, vous avez ici pour la biodiversité des atouts considérables.
Intervenant : Pour relancer l'économie polynésienne, l'Etat soutiendra les deux grands projets du gouvernement local, Mahana beach et la ferme aquacole de Hao au travers de la défiscalisation, Monsieur le Président, faut-il comprendre que la France fasse sous traiter le développement économique de la Polynésie aux Chinois ?
LE PRESIDENT : Vous avez rappelé ce qu'a été mon engagement et finalement ce que j'ai voulu inscrire dans la loi pour longtemps, jusqu'en 2025, c'est-à-dire la défiscalisation. Cela signifie que les investisseurs, d'où qu'ils viennent, de l'hexagone ou de l'extérieur pourront avoir le bénéfice de ces dispositions. C'est très important parce que les investisseurs veulent de la visibilité, ils veulent savoir s'il y aura le même régime fiscal au début de leur investissement ou à la fin et s'ils pourront donc avoir le bénéfice de ce que nous considérons comme un avantage considérable, la défiscalisation. Vous me parlez des investissements chinois, je fais en sorte que nos entreprises puissent investir en Chine mais je ne me plains pas que des Chinois veuillent investir en France, en France métropolitaine ou ici en Polynésie, à certaines conditions. Il ne s'agit pas qu'ils prennent nos ressources ou qu'ils viennent prendre des décisions qui seraient contraires à l'environnement. Avec le président du gouvernement Edouard FRITCH, nous faisons vraiment en sorte que tous les investissements étrangers puissent trouver leur place et notamment les investissements chinois. Vous avez cité aussi deux grands projets que nous soutenons prioritairement, notamment la ferme aquacole et ce grand complexe touristique et cela fait partie de ce que nous pouvons offrir en exemple y compris à des investisseurs étrangers.
Intervenant : L'environnement est également une de vos priorités avec la COP21 qui s'est déroulée à Paris. Les outre-mer, vous le savez Monsieur le Président, sont directement menacés par les conséquences des changements climatiques. Parce qu'elle est française, la Polynésie n'est pas éligible au fonds vert pour les climats, alors que la France participe à hauteur d'un milliard de dollars. Allez-vous débloquer cette situation ou envisagez-vous la création d'un fonds spécifique pour les outre-mer ?
LE PRESIDENT : Non, la Polynésie française sera éligible au fonds vert. Qu'est-ce que le fonds vert ? C'est un fonds qui a été créé avant même la COP21 pour que puissent être financés des investissements exemplaires sur le plan environnemental et notamment dans des territoires qui doivent assurer, et c'est le cas de la Polynésie, leur transition énergétique, leur transition écologique. J'ajouterai des crédits qui viendront de l'Agence Française de Développement, vous avez vu, nous avons signé un certain nombre de conventions et même de ce que peut faire la Caisse des dépôts puisqu'elle a aussi cette mission-là. Tout ce que nous pourrons donner à la Polynésie sera donc finalement une vitrine. Une vitrine pour la COP21, en disant : « Vous voyez ce qui se passe en Polynésie, c'est ce qui peut se passer dans le monde ». Mais aussi une vitrine pour les technologies françaises : « Vous voyez ce qui se passe en Polynésie, nous sommes capables de le faire y compris dans l'hexagone partout parce qu'il y a là une innovation particulièrement intéressante ». Vous voyez ce n'est donc pas simplement une affaire de financement, j'y réponds, c'est aussi une affaire d'innovation et de technologie. Je veux que la France, donc la Polynésie puisse être exemplaire en matière d'énergies renouvelables et en matière de transition écologique.
Intervenant : Uniquement la France ou toutes les collectivités d'outre-mer ?
LE PRESIDENT : Certaines collectivités d'outre-mer seront également éligibles au fonds vert. Cela doit être utilisé par tous les territoires qui justement n'ont pas prélevé sur la planète, sur les ressources jusqu'à présent et qui doivent assurer leur mutation sans connaitre l'usage des énergies fossiles comme nous l'avons fait notamment dans l'hexagone.
Intervenant : Monsieur le Président, vous vous êtes rendu sur le site Taputapuatea cet après-midi, la France soutient la candidature du Marae au patrimoine mondial de l'UNESCO. Est-ce là la reconnaissance par la République de ses richesses culturelles à l'autre bout du monde ?
LE PRESIDENT : Oui, la France a de la chance d'être aussi diverse, d'avoir des territoires aussi différents, des traditions, des cultures. Si j'ai fait ce déplacement, c'est pour aussi prendre en compte la dimension symbolique de ce lieu exceptionnel. Exceptionnel par ce qu'il représente pour les Polynésiens, c'est le berceau de la civilisation polynésienne, mais aussi un paysage remarquable. J'ai donc pris l'engagement de soutenir cette démarche, cette candidature qui est posée aussi par le pays, par le gouvernement. Nous espérons que nous pourrons avoir cette reconnaissance par l'UNESCO en juillet 2017. J'en profite pour dire combien j'ai été ému dans cet après-midi d'aller sur ce site, j'ai vu ce que cela représentait pour les Polynésiens, comment ils s'étaient eux mêmes recueillis. Ce que je veux, cela vaut pour la Polynésie comme finalement pour beaucoup de territoires de la République française, c'est que nous utilisions notre Histoire, notre culture et même nos origines comme un facteur de développement, parce que si ce site est reconnu au patrimoine de l'UNESCO, il y aura forcément plus de touristes, il faut se préparer à les accueillir. Il y aura même un musée, le maire m'a demandé de le soutenir. Une convention sera passée entre la République française et le gouvernement polynésien. Il ne faut pas simplement regarder l'Histoire en considérant que nous devons l'enfermer, que nous devons la sanctuariser, il faut regarder cette diversité, la diversité française que nous sommes, comme un facteur d'abord de cohésion, d'unité et de projection pour que nous en fassions un moyen de nous développer et de nous dépasser.
Intervenant : Une toute dernière question, Monsieur le Président. Vous avez parcouru tous les outre-mer en un mandat, que représentent aujourd'hui pour vous les outre-mer pour la France, quelle place occupent-ils au sein de la République ?
LE PRESIDENT : Oui, j'ai voulu aller dans tous les territoires d'outre-mer y compris là où aucun Président de la République n'était venu et notamment à Futuna. Pourquoi ? Pas simplement pour m'inscrire dans le livre des records, pour dire je suis le Président qui en cinq ans a fait la visite de tous les départements, tous les territoires d'outre-mer. Non, ce que j'ai voulu c'est pouvoir dire aux Français, à tous les Français que nous sommes un pays rare, exceptionnel, présent sur tous les continents, sur toutes les mers, nous sommes voisins du monde. J'ai même eu cette formule, on dit qu'ici c'est le bout du monde, non c'est le bout de la France, la France est partout. Elle a une surface maritime qui en fait la deuxième puissance maritime du monde. Ce qu'on regarde souvent et je sais bien ce qui revient dans la presse, pas ici, mais au plan national, c'est que tous ces outre-mer sont finalement une charge. Non, ce n'est pas une charge, c'est une chance formidable pour la France. Je pense aussi aux Ultras-marins qui vivent dans l'hexagone et qui sont fiers que l'on puisse reconnaître tous ces territoires. Je voudrais donc, puisque je suis devant vous, exprimer à tous les Polynésiens ma fierté d'avoir été ici un Français parmi les Polynésiens.
Intervenant : Monsieur le Président, comment qualifieriez-vous en amont ce séjour en Polynésie française ?
LE PRESIDENT : Trop court.
Intervenant : Ce sera aussi le mot de la fin. Merci encore Monsieur le Président de la République de nous avoir accordé cet entretien. C'est la fin de cette interview.
LE PRESIDENT : Merci à vous.