19 février 2016 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Hollande, Président de la République, avec France Inter le 19 février 2016, sur les relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, le crise migratoire, la construction européenne, la lutte contre le terrorisme, la réforme du code du travail, la politique économique et sur l'élection présidentielle de 2017.


Nicolas DEMORAND : « Le 18/20 » donc avec le Président de la République, François HOLLANDE, il est notre invité jusqu'à 20 heures. Nous somme venus faire cette émission à Bruxelles car le Conseil européen n'est pas parvenu à trancher les points de l'ordre du jour dans les délais qu'il s'était lui-même imparti. C'est le signe d'une crise profonde dont nous allons parler avec François HOLLANDE jusqu'à 19 heures.
Journaliste : Nicolas DEMORAND, « Un jour dans le monde ».
Nicolas DEMORAND : Re-bonsoir, Monsieur le Président.
LE PRESIDENT : Bonsoir.
Nicolas DEMORAND : Le timing même de ce Sommet, le fait qu'il dure si longtemps, souligne de manière brutale que l'Union européenne va mal, très mal. Est-elle en train d'imploser ?
LE PRESIDENT : Non, mais le monde va mal, et quand le monde va mal, l'Europe ne va pas bien. Quand il y a des crises, quand il y a des guerres comme il s'en produit en Syrie, en Irak, il y a des conséquences sur l'Europe, les réfugiés. Quand les économies émergentes ont des difficultés, comme c'est le cas pour la Chine, l'Europe peut également être frappée pour sa croissance. Et quand l'Europe doute d'elle-même, quand elle n'est pas capable de prendre des décisions qui la mettent là où elle est attendue par les peuples, mais aussi par le monde, alors il y a du temps qui passe. Or, le temps ne peut pas être un soutien. Le temps est forcément le révélateur. Régler cette question britannique, il aurait été possible de le faire plus vite. Moi, j'avais fait ce qu'il fallait pour que le compromis puisse être trouvé, il sera trouvé, je l'espère.
Nicolas DEMORAND : Vous en êtes certain ?
LE PRESIDENT : Je fais, en tout cas, ce qu'il faut pour que nous puissions garder le Royaume-Uni dans l'Europe, mais aux conditions que l'Europe puisse avancer ! Je ne vais pas laisser un pays, en l'occurrence un pays ami, la Grande-Bretagne, dans la situation où il pourrait satisfaire son opinion publique elle-même traversée, divisée, au risque de ne pas faire avancer l'Europe, justement pour régler les problèmes qui sont les nôtres : la croissance, l'emploi, l'agriculture, les réfugiés, la cohésion, la politique extérieure, et donc je fais en sorte de trouver des propositions mais en même temps de fixer des conditions.
Nicolas DEMORAND : Vous êtes d'accord que les forces centrifuges n'ont jamais été aussi nombreuses aujourd'hui au sein de l'Union ?
LE PRESIDENT : Oui, parce que ce qui manque à l'Europe, c'est un projet. Et quand le projet n'est plus là, quand le projet n'est plus porté, n'est plus partagé, alors face à toutes situations difficiles je l'avais vécu, concernant la Grèce où c'est la France qui a fini par convaincre d'autres et notamment l'Allemagne qui a permis que la Grèce puisse rester - j'ai vu un certain nombre de frilosités, de replis. Quand il y a des questions qui touchent aux réfugiés, je vois les divisions s'opérer. Et quand je vois aussi, sur les questions budgétaires, économiques, certains pensaient d'abord à eux, je ne les blâme pas
Nicolas DEMORAND : Et pourquoi vous ne les blâmez pas ?
LE PRESIDENT : Je ne les blâme pas au sens où moi-même, en tant que Président de la République française, je pense à mon pays, mais je pense aussi à l'intérêt de l'Europe parce que c'est un grand projet. Parce que lorsque l'Europe n'est pas là, le monde peut connaître des crises supplémentaires.
Nicolas DEMORAND : On va revenir au projet européen tel que vous l'entendez. Au sommet de l'ordre du jour de ce Conseil, il y a la crise des réfugiés en Europe. Ce qui apparaît des premières discussions, c'est que la décision est remise à plus tard, au mois de mars. Est-ce que c'est un signe supplémentaire de l'incapacité de l'Union européenne à gérer ce dossier ?
LE PRESIDENT : Non, il y a eu des décisions qui ont été prises, tout au long de ces derniers mois. Le problème, c'est qu'elles ne sont pas suffisamment mises en uvre.
Nicolas DEMORAND : Mais pourquoi ?
LE PRESIDENT : Parce qu'il y a, notamment pour la Grèce, la difficulté d'organiser ce qu'on appelle les « hotspots », j'y reviendrai £ il y a l'afflux des réfugiés qui a conduit certains pays à prendre des décisions unilatérales vous avez vu l'Autriche qui ferme sa frontière ou qui n'accepte que 80 personnes au titre du droit d'asile par jour £ il y a des pays qui ne veulent plus accueillir un seul réfugié, n'en ont d'ailleurs jamais véritablement accueilli, les pays de l'Europe de l'Est. Face à cela, il fallait que l'Europe rappelle qu'il y a des décisions et qui doivent être exécutées. Et puis il y a un autre sujet qui est celui de la Turquie. La Turquie ne pouvait pas être représentée par son Premier ministre, compte tenu des attentats qui s'y sont produits, donc il était légitime que j'appuie madame MERKEL pour qu'on ait un Conseil européen au début du mois de mars. Mais je vais revenir au sujet...
Nicolas DEMORAND : Mais sur quoi ça coince, Monsieur le Président ?
LE PRESIDENT : Je vais revenir au sujet. Qu'est-ce qu'il se passe ? Il y a encore à peu près 80.000 réfugiés par mois qui arrivent en Europe, via la Turquie, dans des conditions parfois effroyables. Ca ne peut pas durer ainsi. Donc il nous faut mettre en uvre ce que nous avons déjà décidé. Qu'est-ce qui est l'essentiel ? Que la Turquie puisse garder autant qu'il est possible, les réfugiés au plus près de leur pays d'origine, la Syrie, et que nous puissions aider la Turquie, financièrement, matériellement, sur le plan humanitaire.
Nicolas DEMORAND : Ca a été acté, ça ?
LE PRESIDENT : C'est acté.
Nicolas DEMORAND : Et acté à nouveau ?
LE PRESIDENT : Et donc vérifié à nouveau. Mais il ne faut pas non plus que la Turquie se désengage par rapport à ce qu'elle a promis. Deuxièmement, il y a des passeurs, il y a des filières, il y a des organisations qui emmènent d'ailleurs pas simplement des réfugiés, des hommes et des femmes qui viennent ou qui veulent venir en Europe pour des raisons économiques et qui les emmènent vers les côtes grecques. Nous devons donc mettre en place, c'est fait mais ça doit être vérifié un système de garde-frontière, de garde-côte et l'OTAN, vous vous rendez compte maintenant, l'OTAN va mettre des bateaux sur la mer Egée pour justement empêcher qu'il y ait ces transports qui peuvent être extrêmement dangereux. Et puis enfin, il faut que la Grèce et je vais y revenir parce que c'est le sujet majeur ce soir puisse mettre ces centre « hotspots », qui accueillent ces réfugiés lorsqu'ils viennent, les enregistrent, et qu'ils puissent aussi les renvoyer lorsqu'ils ne peuvent pas bénéficier du droit d'asile, ou au contraire, lorsqu'ils ont cette caractéristique d'être des personnes qui fuient, les emmener là où des pays doivent les accueillir. La Grèce, il faut l'aider à mettre en place ces centres « hotspots ».
Nicolas DEMORAND : Il faut quand même parler de la géographie de la Grèce, vous voyez bien dans quel état est ce pays aujourd'hui, Monsieur le Président !
LE PRESIDENT : Et si les frontières ferment les frontières intérieures, si Schengen n'est plus appliqué, c'est-à-dire s'il n'y a plus la frontière extérieure, qu'est-ce qu'il va se produire ? Et vous avez là, tout à fait raison ! Ces réfugiés qui viennent vont rester en Grèce ? Un pays qui a déjà des difficultés économiques considérables ? Qui va en faire quoi ? Qui va les renvoyer ? Et comment ? On a parlé certes du Royaume-Uni, on a parlé de ce sujet. Et qu'est-ce qu'Alexis TSIPRAS veut dire en disant : « Moi, je n'accepterai aucun accord si je n'ai pas la certitude »...
Nicolas DEMORAND : Aucun accord sur le Brexit...
LE PRESIDENT : Oui, « si je n'ai pas la certitude que les frontières extérieures seront bien sûr sécurisées » ça c'est son devoir aussi d'y contribuer « si je n'ai pas la certitude que les frontières intérieures ne vont pas être rétablies ». Et ça, je pense que nous devons tous raisonner en européen. On ne peut pas renvoyer sur un pays la responsabilité qui est la nôtre.
Nicolas DEMORAND : Mais qui raisonne aujourd'hui en européen, François HOLLANDE ? Qui ?
LE PRESIDENT : La France, parce que c'est sa responsabilité, parce que c'est son devoir, parce que c'est son honneur. Je dois dire l'Allemagne qui a fait énormément - certains disent trop -mais a fait énormément pour l'accueil des réfugiés. Et l'Allemagne aujourd'hui se rend bien compte qu'elle ne peut plus en accepter autant qu'il en est arrivé ! Et je dois soutenir, de ce point de vue, la Chancelière face à cette réalité, parce que ce n'est pas soutenir simplement l'Allemagne, c'est soutenir l'Europe, il ne faut pas qu'il arrive des réfugiés en grand nombre. Il faut tarir ce flux dans des conditions dignes, que nous puissions justement avec la Turquie, avec le Liban, avec la Jordanie, maintenir ces personnes qui fuient les bombardements qui se passent en ce moment même en Syrie...
Nicolas DEMORAND : Qui fuient la guerre !
LE PRESIDENT : Qui fuient la guerre, ou qui sont là depuis longtemps et qui cherchent à venir en Europe, il faut absolument que nous maintenions ces populations en Turquie, en Jordanie et au Liban et nous y travaillons.
Nicolas DEMORAND : François HOLLANDE, une question sur l'espace Schengen, n'a-t-il pas d'ores et déjà explosé ?
LE PRESIDENT : Beaucoup de nos compatriotes ne savent pas très bien ce qu'est Schengen. Ca veut dire quoi, Schengen ?
Nicolas DEMORAND : Eh bien c'est un espace ouvert, sans frontières.
LE PRESIDENT : Non, c'est un espace avec des frontières extérieures.
Nicolas DEMORAND : Extérieures. Mais à l'intérieur...
LE PRESIDENT : Mais ouvert à l'intérieur, c'est une grande qualité !
Nicolas DEMORAND : oui mais là, on voit des barrières...
LE PRESIDENT : Exactement, donc Schengen...
Nicolas DEMORAND : ... Se dresser à nouveau des barbelés.
LE PRESIDENT : Donc Schengen, c'est ce qui nous protège, ce qui doit nous protéger. D'où l'importance des frontières extérieures. Qui représentent nos frontières extérieures ? La Grèce, l'Italie, l'Espagne, d'une certaine façon £ ça peut arriver aussi pour nous-mêmes. Donc il nous faut faire en sorte que ces frontières soient respectées. Si elles ne le sont plus, si tout le monde rentre dans l'espace européen, alors certains pays vont rétablir des frontières intérieures. C'est la...
Nicolas DEMORAND : Ont rétabli.
LE PRESIDENT : Ont déjà, pour certains. J'évoquais un pays notamment, mais d'autres l'ont déjà fait. Et à ce moment-là, c'est la fin de Schengen ! Et aussi...
Nicolas DEMORAND : Mais de fait, est-ce qu'on n'y est pas ?
LE PRESIDENT : Non, on n'y est pas encore et si on en arrivait là, comprenons bien l'enjeu, c'est la fin de l'Europe, au sens de l'Europe de la libre circulation entre Européens. Certains nous diraient « c'est bien, on va mettre des douaniers, on va pouvoir se protéger ». Mais ça voudrait dire que ce qui a fait notre qualité de pouvoir circuler entre Européens, ce qui permet des échanges plus faciles, une économie plus dynamique, disparaîtrait. Ca veut dire qu'à partir du moment où on a rétabli sa frontière intérieure, on peut aussi rétablir sa monnaie intérieure, puis sa loi intérieure et puis finalement, l'Europe se disloque. Donc qu'il faille...
Nicolas DEMORAND : Le risque est sur la table, aujourd'hui, d'après vous ?
LE PRESIDENT : Oui, bien sûr qu'il est là, ce risque, le risque d'une dislocation qui sera molle, vous voyez, qui ne sera pas franche, qui ne sera pas une séparation, même si aujourd'hui de quoi parle-t-on ? Du possible départ des Britanniques. Et imaginons que les Britanniques quittent l'Union européenne au mois de juin après un référendum, peut-être d'autres pays se diront « mais pourquoi pas ? Puisque eux l'ont fait, faisons-le ! ». Et pourquoi avons-nous fait l'Europe ? Parce que nous pensions que, non seulement il fallait faire la paix, mais il fallait aussi que nous soyons une puissance, que nous soyons ensemble, que nous soyons plus forts, que nous soyons solidaires ! Et donc s'il n'y a...
Nicolas DEMORAND : mais ça, c'était avant ! ... C'était avant !
LE PRESIDENT : Oui, c'est pour cela que la responsabilité de la France - grand pays européen, qui a tout à gagner de l'Europe, parce que la France, elle a tout à gagner de l'Europe, elle est plus forte quand l'Europe peut aussi être derrière la France, ou la France avec l'Europe - est de tout faire pour que Schengen soit respecté. Il ne s'agit pas d'abandonner Schengen ou de casser Schengen. Il s'agit de renforcer nos frontières extérieures et de permettre qu'il n'y ait pas ce repli national qui finira par tout emporter.
Nicolas DEMORAND : Mais il faut aussi regarder les choses en face et voir que l'espace Schengen, aujourd'hui, dans son esprit et dans ses formes concrètes, est un espace qui ne ressemble plus à ce qu'il était il y a encore deux ans. C'est un espace qui est cassé, fragmenté.
LE PRESIDENT : Oui, parce qu'il s'est produit un phénomène considérable que nous n'avions jamais connu. Nous avions connu des migrations, des populations qui venaient pour des raisons économiques vers l'Europe. D'ailleurs, beaucoup de pays en ont accepté, notamment le Royaume-Uni qui a été un pays, ces dernières années, de très grande immigration £ j'entends « immigration extérieure ». Nous, la France, nous avions fait ce choix il y a plusieurs années : nous n'avons plus de courants migratoires à un niveau significatif, mais les migrations ont toujours existé. Là, il se produit un autre phénomène, ce qui finalement dans l'histoire, peut arriver, c'est-à-dire des courants de migration liés à des guerres. Vous êtes d'une génération qui n'a pas connu les « Boat People », mais cela a été un moment, pour l'Europe, pour d'autres pays, des milliers, des centaines de milliers de gens qui sont venus. Là, il en vient d'une guerre beaucoup plus proche de nous qui est celle de la Syrie et celle de l'Iraq.
Nicolas DEMORAND : Le couple franco-allemand, Monsieur le Président...
LE PRESIDENT : Ce qui m'amène à penser que la première condition pour qu'il n'y ait plus de réfugiés ou moins de réfugiés, c'est de régler les questions qui sont liées à la guerre en Syrie.
Nicolas DEMORAND : Oui mais c'est encore plus difficile que de régler, j'imagine, des questions de FRONTEX et de douaniers aux frontières extérieures de l'Europe...
LE PRESIDENT : Oui, mais il faut le faire FRONTEX, les frontières. On pourra mettre tous les moyens qu'il faudra - il faut en mettre beaucoup - il faut aussi faire la diplomatie nécessaire et le rapport de forces indispensable pour que cessent les bombardements, pour que puisse être apportée une aide humanitaire à la Syrie, c'est-à-dire aux populations civiles, et pour qu'enfin, nous puissions trouver une transition politique nous débarrassant et de Bachar EL ASSAD, à terme, et aussi des terroristes de Daech.
Nicolas DEMORAND : Vous l'avez dit sur le dossier des réfugiés, la Turquie aura un rôle absolument majeur à jouer. Etes-vous inquiet de l'escalade militaire, verbale entre la Turquie et la Russie ?
LE PRESIDENT : La Turquie accueille 2,5 millions de réfugiés sur son sol, donc elle fait un effort que je veux reconnaître et saluer. La Turquie est en même temps impliquée en Syrie, on le voit bien, et confrontée aussi à une contestation en son sein avec des actes terroristes...
Nicolas DEMORAND : Mais sur la tension avec la Russie ?
LE PRESIDENT : Mais là, il y a un risque de guerre. Et c'est pourquoi le Conseil de sécurité se réunit, en tout cas au niveau de ses représentants, en ce moment.
Nicolas DEMORAND : Vous croyez à un risque de guerre entre la Turquie et la Russie ?
LE PRESIDENT : Oui, qui ne sera pas une guerre directe, mais qui peut être une guerre indirecte. Quand il y a des avions qui bombardent les populations dans le nord de la Syrie, il faut tout faire pour éviter cette escalade. C'est vous qui avez employé le mot. Il y a une escalade. Il faut tout faire pour maintenant arriver à une solution politique. Les Turcs ne doivent pas s'engager là où ils ne doivent pas aller et les Russes ne doivent pas, au prétexte de lutter contre le terrorisme, protéger le régime de Bachar EL ASSAD et ne pas aller vers la négociation.
Donc, puisque je suis à votre micro, je lance un appel ferme et solennel : il faut que les négociations reprennent vite, que les bombardements cessent, que l'aide humanitaire arrive et que nous puissions faire que cette transition politique puisse réussir. Sinon, qu'aurons-nous en Syrie ? Nous aurons le régime de Bachar EL- ASSAD qui occupera une partie, possiblement en conflit avec les Kurdes au nord de la Syrie, et Daech, troisième force qui se situera à l'Est. C'est-à-dire trois sources de conflit qui, à la fois, menaceront les populations, produiront des massacres et notamment je pense à ceux de Daech mais aussi à ceux du régime et qui conduiront à avoir toujours davantage de réfugiés ?
Nicolas DEMORAND : Le couple franco-allemand a explosé, sur la question des réfugiés, François HOLLANDE. Comment laisser critiquer, voire moquer Angela MERKEL par votre Premier ministre, Manuel VALLS, qui plus est en Allemagne ?
LE PRESIDENT : Ce n'est pas vrai que le couple franco-allemand a été mis en difficulté sur la question des réfugiés. Vous avez sans doute relevé que les relations que j'ai avec Angela MERKEL, notamment ces derniers mois, ont été, sur le plan des résultats, extrêmement fructueuses. Je pense à ce que nous avons pu faire en Ukraine, je pense à ce que nous avons fait sur la Grèce, je pense à ce que nous avons fait sur la zone euro.
Nicolas DEMORAND : Enfin sur les réfugiés, vous êtes sur deux planètes différentes...
LE PRESIDENT : Non, sur les réfugiés, nous sommes dans deux situations différentes. Madame MERKEL a accueilli près d'un million de réfugiés. Nous, quelques milliers, à peine. Il faut que chacun l'ait à l'esprit. Peut-être a-t-il été trop rapidement dit que l'Allemagne pouvait accueillir tous les réfugiés ! En tout cas, ils sont allés en Allemagne, ils ne sont pas allés plus loin.
Nicolas DEMORAND : Mais moquer...
LE PRESIDENT : Et moi je dois aider...
Nicolas DEMORAND : Mais moquer cette position...
LE PRESIDENT : Je n'ai pas moqué ! Non, je crois qu'il faut...
Nicolas DEMORAND : ... Quand on est Premier ministre de la France, qui plus est en Allemagne...
LE PRESIDENT : Non, je pense que ce qu'a rappelé Manuel VALLS, c'est la position de la France. La position de la France, c'est qu'il ne peut pas y avoir de mécanisme de répartition des réfugiés tant qu'on n'a pas la sécurité des frontières extérieures, et ce que j'ai expliqué, un tarissement de flux de réfugiés. Dès qu'on a cette garantie, alors la France comme les autres pays devront accepter cette répartition. C'est ce qu'on appelle le mécanisme de re-localisation ou de réinstallation de ces réfugiés, et j'ai donné moi-même c'était au mois de septembre avec madame MERKEL, en accord avec madame MERKEL, l'engagement de la France : 30.000 et nous le ferons.
Nicolas NDEMORAND : Trente mille, un million, une chancelière de droite ouvre les portes aux réfugiés, de son pays £ un président de gauche les referme.
LE PRESIDENT : Non ! Moi, j'ai pris un engagement sur 30.000. Après, qu'est-ce qui s'est passé ? Justement parce qu'il n'y a pas eu de contrôles aux frontières, parce que Schengen n'a pas été respecté, il y a eu des milliers de personnes qui sont allées en Allemagne. Et qui sont allées en Allemagne parce qu'elles pensaient, à tort ou à raison, que l'Allemagne pouvait leur fournir emploi, logement, prestations. Mais il...
Nicolas DEMORAND : Mais il y a deux postures philosophiques et morales, aussi, Monsieur le Président.
LE PRESIDENT : Non, je ne crois pas.
Nicolas DEMORAND : Si !
LE PRESIDENT : Il y avait ce flux-là qui est arrivé en Allemagne. La France a dit : « Je prends la part qui est prévue pour la France, 30.000 » £ nous avons créé des capacités d'accueil...
Nicolas DEMORAND : C'est ça la part de la France, aujourd'hui ?
LE PRESIDENT : C'était la part qui nous était demandée. C'est la part que j'ai acceptée. C'est la part que je considérais comme possible. Ensuite, je pense qu'il n'était pas souhaitable qu'il y ait autant de personnes qui viennent dans le même pays, l'Allemagne en l'occurrence. Mais l'Allemagne a dit : « J'ai la capacité de le faire ». L'Allemagne a dit : « Je prends ma responsabilité ». Maintenant, l'Allemagne et je veux la soutenir dit : « Il faut absolument qu'on arrête ce mouvement et que nous puissions garder la sécurité de nos frontières extérieures », parce que l'Allemagne ne pourra pas qu'on se le dise une fois pour toutes, et je le comprends l'Allemagne ne pourra pas accueillir encore des dizaines de milliers de réfugiés. Ce n'est pas possible. Et je ne veux pas que l'Allemagne, un jour, nous dise : « Mais à ce moment-là, je rétablis ma frontière intérieure ». Donc nous devons tout faire avec l'Allemagne, avec l'Europe, pour qu'il y ait un mécanisme de protection des frontières extérieures, de soutien aux réfugiés, là où ils sont aujourd'hui installés, c'est-à-dire en Turquie, en Jordanie et au Liban, et faire en sorte que nous puissions bien sûr traiter le droit d'asile en France vous me parliez de la responsabilité de la France il y a 80.000 personnes qui sont arrivées l'année dernière au titre du droit d'asile.
Nicolas DEMORAND : Mais vous comprenez et vous vous souvenez sans doute de cette phrase qu'on prête à Michel ROCARD « la France ne peut pas accueillir la misère du monde mais doit en prendre sa part », la part de la France est tout de même étonnamment étroite, quand on la compare à la part de ce que vous présentez vous-même comme l'allié le plus proche de la France en Europe, à savoir l'Allemagne ! Le pays avec lequel la relation doit être fusionnelle. C'est pour ça que je vous « re » pose la question, François HOLLANDE : pourquoi une telle différence ? Est-ce que vous êtes lié, les mains liées, par des considérations de politique intérieure sur le sujet ?
LE PRESIDENT : non, mais nous n'avons pas la même histoire, la France et l'Allemagne. La France est un pays qui a connu une immigration importante, ces dernières années, ces dernières décennies, pas l'Allemagne. L'Allemagne a connu une réunification. L'Allemagne a eu des courants migratoires, il y a un certain nombre de personnes qui n'avaient pas cette histoire. Et donc l'Allemagne a considéré qu'elle pouvait, dans une circonstance particulière...
Nicolas DEMORAND : Qu'elle devait, peut-être, au sens moral...
LE PRESIDENT : Peut-être aussi par rapport à sa propre histoire, faire en sorte que l'Allemagne apparaisse généreuse et solidaire. Sauf qu'elle en voit maintenant les conséquences et les limites. Elle fait tout ce qu'elle peut, l'Allemagne, pour intégrer. Cela va être long et coûteux, sans doute, pour l'Allemagne, mais nous devons aussi en prendre notre part, au sens nous accueillons aussi des réfugiés, et faire aussi l'appui à l'Allemagne pour que le flot des réfugiés se tarisse.
Nicolas DEMORAND : Il est 18h37, « 18-20 » spécial sur FRANCE INTER, nous sommes en compagnie du Président de la République François HOLLANDE jusqu'à 20 heures. Cette première partie d'émission va durer jusqu'à 19 heures et nous évoquons les grands sujets internationaux et notamment européens. Cette émission se déroule en direct de Bruxelles. Apres négociations, disiez-vous, Monsieur le Président, sur le Brexit. Pourquoi céder au chantage britannique ?
LE PRESIDENT : Mais il ne faut pas céder à quelque chantage que ce soit
Nicolas DEMORAND : C'en est un tout de même.
LE PRESIDENT : Non, c'est la Grande-Bretagne par la voix de David CAMERON qui nous dit : Aidez-moi à rester dans l'Union européenne. Moi je suis prêt à aider le Royaume-Uni à rester en Europe. Pourquoi ? Parce que géographiquement, politiquement, historiquement, la Grande-Bretagne est dans l'Union européenne, dans l'Europe, mais pas à n'importe quelles conditions ! Par exemple, sur quoi ça bloque en ce moment, puisque nous sommes là dans une suspension de séance ? Sur deux sujets, un qui est très compliqué mais qui peut être facile à éclairer : aujourd'hui, il y a des marchés financiers la place de Londres, la place de Francfort
Nicolas DEMORAND : La City Paris
LE PRESIDENT : Voilà, la place de Paris. La Grande-Bretagne voudrait avoir un statut un peu particulier, que les règles bien sûr, puissent s'appliquer, c'est le marché unique, mais pas forcément avec les mêmes organes, pas forcément avec la même supervision. Alors, je dis que je ne peux pas l'accepter parce que ça voudrait dire que les banques françaises ou les banques d'autres nationalités européennes, n'auraient pas forcément les mêmes contraintes ou les mêmes facilités que d'autres établissements financiers, au prétexte qu'ils sont à Londres.
Donc c'est là-dessus que j'ai dit deux choses : premier point, la Grande-Bretagne ne peut pas avoir un droit de véto sur ce que nous faisons dans la zone euro. C'est acquis.
Deuxième point : il faut que les règles justement de la supervision bancaire, du contrôle de certains établissements parce que s'il y a une crise bancaire - elle peut venir de Londres comme elle peut venir d'autres pays - c'est notre intérêt : il faut qu'on ait les mêmes règles et les mêmes organes de contrôles. Et si on a d'autres supervisions à faire, cela peut arriver, parce que la finance, faut-il aussi la maîtriser et la contrôler, il faut que la Grande-Bretagne puisse nous suivre. C'est là-dessus qu'il y a une tension. Deuxième exemple
Nicolas DEMORAND : Et la tension va se résoudre d'après vous ou c'est une ligne rouge de la part de David CAMERON que de dire « je veux un statut particulier pour la City à Londres » ?
LE PRESIDENT : Je pense qu'il ne peut pas y avoir de statut particulier. Il peut y avoir une prise en compte de ce qu'est la City pour l'Europe parce que c'est une condition aussi de son développement économique, mais il ne peut pas y avoir de règles particulières pour la City.
Le deuxième exemple que chacun peut plus facilement comprendre : le Royaume-Uni voudrait que les Européens qui viennent travailler à Londres ou en Angleterre, au Royaume-Uni, n'aient pas les mêmes prestations sociales, pas les mêmes allocations familiales. Alors là-dessus, je comprends qu'un certain nombre de pays n'acceptent pas qu'il y ait ce traitement différencié - la France peut être concernée d'ailleurs parce qu'il y a des Français qui travaillent en Grande-Bretagne, donc là, il faut que nous puissions dire qu'il y a des conditions et c'est là que ça bloque le plus.
Nicolas DEMORAND : Vous restez confiant en dépit de ces points de blocage durs, sur le fait qu'un accord, un deal comme dit CAMERON, soit possible ?
LE PRESIDENT : Oui mais je pense qu'il faut éviter la gesticulation, la dramatisation et la victoire. Je veux permettre à David CAMERON de pouvoir ressortir du Conseil en disant que les intérêts de la Grande-Bretagne ont été pris en compte mais qu'ils n'ont pas été pris en compte au détriment de l'Europe parce que moi, je suis attaché à ce que l'Europe avance. Il y a un autre point très important : je comprends que le Royaume-Uni ne veuille pas avancer aussi vite que d'autres pays dans l'Europe, ils veulent rester dans l'Europe mais pas aussi vite que nous : par exemple, ils ne sont pas dans la zone euro. Mais je ne veux pas que le Royaume-Uni empêche les pays d'aller plus vite
Nicolas DEMORAND : ait un pouvoir de nuisance
LE PRESIDENT : Exactement. Ou d'empêchement, ou de frein
Nicolas DEMORAND : Ce qui est le cas aujourd'hui
LE PRESIDENT : Ce qui peut être le cas
Nicolas DEMORAND : Ce qui est le cas
LE PRESIDENT : C'est pour ça que la négociation n'est pas facile
Nicolas DEMORAND : Ce qui est le cas, François HOLLANDE
LE PRESIDENT : parce que je suis pour que la zone euro et je vais avec la Chancelière justement et avec d'autres chefs de gouvernement, je pense à Matteo RENZI je vais prendre des initiatives, que la Grande-Bretagne reste ou ne reste pas dans l'Europe, pour que la zone euro puisse être encore plus forte et plus dynamique.
Nicolas DEMORAND : Alors la question du chantage, je vais vous la poser différemment : pourquoi pas un jour un « Franxit » ? On sait bien qu'il y a un certain nombre de dossiers je pense au dossier agricole qui sont des dossiers majeurs pour la France. Or la France n'a jamais eu vis-à-vis de l'Union Européenne sauf à quelques moments très précis de son histoire, d'attitude accrocheuse, d'attitude virulente consistant à dire « je renverse la table ». Pourquoi est-ce que ce privilège de négociations est réservé à tout le monde sauf à la France ?
LE PRESIDENT : Mais non, la France, elle, n'a pas forcément à renverser la table pour obtenir un certain nombre de bénéfices de cette table autour de laquelle nous travaillons. Je vais prendre un exemple : le budget européen. J'étais Président de la République au moment où il a été négocié pour les cinq années. La politique agricole commune était menacée. J'ai dit : Il n'est pas possible d'accepter un budget européen si la France ne garde pas l'essentiel de ce qu'elle reçoit au titre de la politique agricole commune et que nous pouvons même la conditionner pour un certain nombre de productions qui intéressent particulièrement la France, notamment l'élevage qui souffre en particulier. Et là en ce moment, je leur dis : Vous ne pouvez pas, vous l'Europe, penser que vous serez indifférents par rapport à ce que vivent les agriculteurs français pas seulement les agriculteurs français parce que quand il y a une crise comme celle-là, du porc, du lait, ce n'est pas simplement les agriculteurs français, ce sont tous les agriculteurs qui font ces productions parce que le cours est mondial.
Ce qui s'est passé - je n'étais pas Président de la République à l'époque - c'est le démantèlement d'une politique agricole qui consistait à soutenir les prix agricoles et on a préféré une autre politique qui est une politique d'aides directes aux agriculteurs. Par exemple, les quotas laitiers, c'était quoi ? Les éleveurs qui m'entendent, le comprennent, les quotas laitiers, c'était justement de pouvoir peser sur les prix, d'avoir des prix qui puissent par un rationnement de la production, disons les mots, le quota, permettre des prix plus rémunérateurs. Donc nous avons gardé les mêmes enveloppes mais il y a eu une réorientation de la politique agricole dont on voit les effets. Mais je dis à tous les Européens : Ce n'est pas la France qui vient ici vous demander des droits, c'est vous qui devez sauver tous vos agriculteurs, sinon ce seront les producteurs mondiaux qui vont venir saccager ce qu'est votre espace rural.
Nicolas DEMORAND : Il nous reste un quart d'heure jusqu'à 19 heures. On voit, on en a parlé, Monsieur le Président, on voit l'ampleur des divisions en Europe, mais je ne vois pas votre vision de l'Europe. La France n'a plus rien à dire sur le sujet ?
LE PRESIDENT : Je crois vous avoir, depuis le début de cet entretien, dit un certain nombre de volontés françaises. La première volonté française, c'est que nous puissions garder l'Europe à 28 mais pouvoir constituer, appelons-le un noyau dur, une avant-garde, qu'importe, un premier cercle les mots n'ont pas de ce point de vue-là d'intérêt. Ce qui compte, c'est que nous puissions avancer à moins nombreux, beaucoup plus vite et beaucoup plus fort. C'est la première vision française.
Nicolas DEMORAND : Combien de pays environ ? Les pays fondateurs
LE PRESIDENT : Aujourd'hui, d'abord, il y a la zone euro, qui peut être un cadre. Si certains, dans la zone euro ne veulent pas aller aussi loin, on voit qu'il y a des pays fondateurs qui ont quand même un esprit et puis une volonté.
Nicolas DEMORAND : Donc c'est acté
LE PRESIDENT : Puisque certains ne veulent pas venir aussi loin et aller aussi rapidement - la Grande-Bretagne mais pas simplement la Grande-Bretagne, on voit bien qu'il y a des pays aujourd'hui qui sont réticents, les pays scandinaves ou la Pologne. Prenons-en acte. Ce n'est pas si grave ! On peut avoir le même espace à 28 mais ne pas avoir forcément les
Nicolas DEMORAND : Les mêmes envies
LE PRESIDENT : Bon. La deuxième idée, c'est qu'il faut que l'Europe puisse avoir un projet qui l'élève. Or quel est ce projet, au-delà de la politique et de la défense, qui doivent être absolument un pilier de la construction européenne ?
Nicolas DEMORAND : Politique vous voulez dire quoi ? Parce que la défense, c'est un serpent de mer, mais la politique
LE PRESIDENT : La politique extérieure.
Nicolas DEMORAND : Ah oui ! D'accord Oui, enfin ça aussi c'est un serpent de mer
LE PRESIDENT : Les serpents de mer, il faut essayer de leur couper la tête s'ils sont dangereux ou les faire vivre s'ils sont utiles.
Nicolas DEMORAND : Au 21e siècle, il serait temps peut-être
LE PRESIDENT : Oui et puis je ne suis pas sûr que ça existe, donc essayons de faire en sorte que la France puisse emmener pas seule l'Europe, avec des objectifs de politique extérieure. Et je vois des évolutions. Je vois notamment l'Allemagne et on peut le voir aussi avec le Royaume-Uni, accepter que sur la question de la défense, nous puissions progresser mais il n'y a pas que cela qui fait un enjeu européen
Nicolas DEMORAND : Juste, permettez-moi, sur ce point : les choses fonctionnent déjà comme ça, vous le disiez tout à l'heure, il y a des pays qui veulent aller plus vite, d'autres plus lentement, d'autres qui veulent ceci et des troisièmes qui veulent cela. Donc il y a de toute façon, ces fameuses forces centrifuges qui sont à l'uvre. Est-ce que ce que vous proposez est un basculement institutionnel vers cette Europe plus restreinte ? Une institutionnalisation des choses ?
LE PRESIDENT : Oui, j'ai même fait une proposition de gouvernement de la zone euro, avec un Parlement de la zone euro - c'est-à-dire pas un nouveau Parlement, les pays qui sont membres de ce Parlement européen pourraient être membres du Parlement de la zone euro - et un budget de la zone euro pour que nous puissions investir dans un certain nombre de domaines. Quels domaines ? Cela fait partie de mon troisième pilier, après avoir évoqué la défense, l'intégration dans la zone euro, il y a ce troisième pilier qui sont les industries d'avenir, les industries numériques, les industries culturelles, les industries de la connaissance.
On voit bien que c'est quand même un grand enjeu. Les Américains ont de ce point de vue-là, de grandes sociétés qui viennent jusqu'à nous et on voit bien que pour les pays émergents, c'est également une volonté. L'Europe doit avoir les meilleures industries sur la connaissance, sur la culture, sur le numérique. Et là, nous allons lancer - je l'espère, c'est ma volonté - avec tous ceux qui le voudront, justement ce projet qui nous fera basculer. Il faut y mettre des moyens financiers, il faut y mettre aussi nos entreprises en commun. On a été capable de faire AIRBUS, je l'ai évoqué, c'est une grande réussite, on a été capable de faire l'espace on a une agence spatiale européenne qui est parmi les meilleures du monde on va faire la même chose pour le numérique.
Nicolas DEMORAND : La question de cette Europe à plusieurs vitesses, de cette Europe de différents cercles concentriques, est-ce qu'on peut la décrire avec le terme de « fédéralisme » ? Est-ce que ce petit groupe irait vers du fédéralisme ? Est-ce que c'est un mot que vous assumez aujourd'hui ?
LE PRESIDENT : Alors les mots, Jacques DELORS en avait trouvé qui pouvaient paraître contradictoires, un oxymore disait-on : une fédération d'Etats Nations. Il y a forcément une dimension fédérale dans l'Europe on évoquait un certain nombre d'institutions qui n'appartiennent qu'à l'Europe et qui s'imposent à nous mais je pense qu'effectivement, à plusieurs pays, on doit rentrer dans plus de fédéralisme. Peut-être mettre sur le plan de la défense, plus de moyens en commun, c'est cela du fédéralisme : on met des moyens en commun. On a une autorité, un budget de la zone euro Cela voudrait dire quoi, un gouvernement économique de la zone euro ? C'est un gouvernement qui prendrait des décisions bien sûr avec notre assentiment mais prendrait des décisions en tant que telles et c'est là-dessus que ce budget de la zone euro pourrait être une amorce aussi de fédéralisme budgétaire.
Nicolas DEMORAND : Quand vous voyez le destin politique en ce moment de pays comme la Hongrie ou la Pologne, que vous voyez des démocraties qui sont en train de très sérieusement tanguer, au point qu'on invente des concepts, Monsieur le Président, pour essayer de les décrire « démocrature », mélange de « démocratie » et de « dictature », démocratie autoritaire, démocratie illibérale au cur de l'Europe Et l'Europe ne bouge pas.
LE PRESIDENT : D'abord les extrêmes droites en Europe ont considérablement progressé. On connaît la nôtre, mais partout je vois autour de la table : chaque chef de gouvernement me parle de son extrême-droite. En Allemagne même, avec pourtant le poids de l'histoire, un parti d'extrême-droite a surgi, ce n'est pas le premier, mais celui-là à des niveaux, semble-t-il, élevés. Dans beaucoup de pays, l'extrême-droite est le premier parti. D'ailleurs cela doit nous amener à une conclusion : quand les démocraties se fragilisent, s'affaiblissent, doutent d'elles-mêmes, quand l'Europe n'est plus un projet, quand l'Europe est elle-même contestée, qui gagne ? Ceux qui sont pour le repli national. On évoquait cette tentation, ceux qui veulent des frontières, ceux qui ne veulent pas de pouvoir partagé, ce qui ne veulent pas de monnaie unique, ceux qui pensent qu'avec des barbelés, avec des barrières, avec du protectionnisme, on s'en sortira mieux, ceux qui pensent défendre les agriculteurs en leur laissant croire que c'est l'Europe la cause de leur malheur, que l'Europe ne prenne pas toujours les bonnes décisions. Mais c'est l'Europe qui leur permet d'avoir un certain nombre d'aides qui, si elles n'étaient plus là, feraient disparaître les exploitations agricoles. Donc, on voit bien ce poids de l'extrême-droite. Et il se trouve que dans certains pays, cette droite dure a pu prendre des responsabilités, pas forcément au premier plan mais quelquefois au premier plan. Alors l'Europe, qu'est-ce qu'elle peut faire ? Vous évoquiez cette question
Nicolas DEMORAND : Souvenez-vous Jörg HAIDER, souvenez-vous l'émoi, souvenez-vous la mise en quarantaine du pays
LE PRESIDENT : Mais bien sûr, et donc l'Europe a les moyens juridiques
Nicolas DEMORAND : A l'époque Quel recul historique !
LE PRESIDENT : L'Europe a les moyens juridiques par des articles qui sont prévus par les traités, d'empêcher un pays de manquer, enfin, de froisser les principes démocratiques. Et donc nous avons les capacités de mettre en uvre cette procédure. Et je l'ai plusieurs fois évoqué, avec le président de la Commission: lorsqu'il y a des atteintes pour les libertés des medias, ça arrive, lorsqu'il y a des atteintes aux Constitutions, aux droits de l'Homme, l'Europe ne doit pas être simplement une corde de rappel, elle doit mettre en place des procédures pour suspendre éventuellement, ça peut aller jusque-là - ça n'a jamais été fait, parce que quand on évoque HAIDER, l'Autriche, ça n'avait jamais été fait
Nicolas DEMORAND : Ce n'était pas dans le même cadre
LE PRESIDENT : Non, ça a été des proclamations mais ça n'a pas été fait. Eh bien on peut suspendre un pays du droit de rester dans l'Union européenne.
Nicolas DEMORAND : Vous y seriez favorable en ce qui concerne la Pologne et la Hongrie ?
LE PRESIDENT : Non, je pense que pour l'instant, pour ces pays n'ont pas encore été sous cette procédure, il y a des contrôles qui peuvent être faits, notamment en ce moment pour la Pologne et si un parti d'extrême droite prenait le pouvoir, c'est possible aujourd'hui, dans l'Europe, hélas, telle qu'elle est, alors il y aurait des procédures qui s'appliqueraient.
Nicolas DEMORAND : Vous qui avez, vous l'avez cité d'ailleurs, connu, bien connu Jacques DELORS, un grand Européen comme on dit, seriez-vous d'accord pour dire qu'aujourd'hui, une part de l'idéal européen tel qu'il a vécu jusqu'à présent, est mort ?
LE PRESIDENT : C'était une autre Europe
Nicolas DEMORAND : C'était il n'y a pas si longtemps quand même
LE PRESIDENT : Non mais qu'est-ce qui s'est passé ? C'était une Europe qui était à douze, à quinze £ c'était une Europe qui commençait à se réunifier mais qui n'était pas à 28. C'était une Europe qui se construisait avec la perspective de l'euro mais l'euro n'était pas encore là. C'était une Europe qui faisait son marché au sens, créait son marché unique mais c'était une Europe - je ne veux pas tomber dans la nostalgie - qui ne correspond plus aujourd'hui à la réalité, parce que la réunification s'est faite, parce que nous sommes maintenant dans une mondialisation encore plus forte.
Alors il ne faut pas essayer de copier, de répliquer, il faut avoir la volonté de créer une nouvelle ambition européenne. Et s'il n'y a pas l'ambition européenne, projet dont je parlais, ces trois piliers sur lesquels il faut rebâtir une espérance européenne, à ce moment-là, l'Europe sera emportée et on dira le regret que nous pourrions avoir. Je ne veux pas être dans le regret, je veux être dans le projet £ et je ne veux pas non plus être dans l'idée que c'était mieux avant. Non, ça a toujours été difficile. L'Europe qu'on connaissait dans les années 80, elle avait l'Union soviétique, elle avait les missiles - vous vous rappelez de ces événements où on disait que les pacifistes étaient à l'ouest et les missiles étaient à l'est ? Donc elle était aussi dans une confrontation, sauf qu'aujourd'hui, elle est dans le monde et si on ne prend pas le monde dans ce qu'il a à la fois parfois de plus dynamique, de plus heureux, enfin, aujourd'hui, il a aussi de ce qu'il y a de plus terrible je ne parle pas de la compétition économique là je parle des conflits, je parle aussi du terrorisme, je parle de la radicalisation - alors l'Europe n'est plus capable d'être une protection. L'Europe, elle doit être à la fois un projet et une protection.
Nicolas DEMORAND : Sur la question du terrorisme et ça n'est pas qu'une question de politique intérieure quel est l'état de la menace aujourd'hui, François HOLLANDE, contre notre pays et contre d'autres pays européens ? Pour le nôtre ?
LE PRESIDENT : Elevée.
Nicolas DEMORAND : Elevée toujours aussi élevée ? Très élevée ?
LE PRESIDENT : Je crois qu'on ne peut pas faire comme cela de baromètre mais enfin quand nous savons qu'il y a des groupes qui sont installés en Syrie pour nous faire la guerre, avec cet objectif, pas d'ailleurs seulement à la France, à l'Europe, nous savons qu'il y a un certain nombre de réseaux en Europe et pas simplement arrivés avec le flot des réfugiés, quelquefois installés depuis des années, oui, la menace, elle existe.
Je ne veux pas l'utiliser, cette menace, comme pour créer un sentiment d'effroi et justifier des mesures qui ne seraient pas nécessaires mais je ne peux pas non plus devant vous, la sous-estimer ou la nier, parce qu'on me le reprocherait et on aurait raison. Nous sommes toujours exposés à des actes terroristes. Nous sommes toujours en face d'individus qui partent vers la Syrie ou l'Irak ou qui reviennent. Et si nous faisons voter des textes, ce n'est pas pour simplement la satisfaction de les brandir, c'est parce qu'il y a un état d'urgence réel et parce qu'il y a des individus qu'il nous faut contrôler.
Nicolas DEMORAND : Et quel est le poids réel de la France dans la lutte contre l'organisation Etat islamique ?
LE PRESIDENT : La France est membre de la coalition contre l'Etat islamique, contre Daech, depuis déjà plusieurs mois pour l'Irak, plus récemment pour la Syrie et nous continuons et je l'avais d'ailleurs déclaré au lendemain des attentats qui nous ont frappés l'année dernière d'intensifier ces frappes autant qu'il est possible. Elles ont leur efficacité. Nous avons maintenant des résultats, pas simplement en nombre de victimes, mais également en perte de moyens matériels pour Daech : moyens financiers, moyens pétroliers, moyens matériels, moyens et capacités d'entraînement. Oui, il y a des résultats. Mais nous n'en avons pas terminé parce que s'il suffisait de frapper par des avions lâchant leurs bombes - même si nous faisons, nous, très attention pour ne pas toucher des populations civiles, à la différence d'autres, c'est ce que j'ai dit aux Russes : vous frappez d'abord, pas forcément au bon endroit, puisque vous ne frappez pas suffisamment Daech mais vous frappez l'opposition qui elle-même doit participer à la négociation et deuxièmement, vous frappez les populations civiles, ce qui est inacceptable
Nicolas DEMORAND : Et les Russes vous répondent quoi ? Ou le Russe, Vladimir POUTINE ?
LE PRESIDENT : Ils disent qu'ils frappent les terroristes. Non, les oppositions ne sont pas des terroristes. Il y a une opposition modérée, celle qui doit être à la table de la négociation, demain associée à l'avenir de la Syrie et il y a le terrorisme de Daech, pas simplement de Daech, il y a d'autres groupes, AL NOSRA et autres. La France, elle, prend sa part. Et pourquoi vous pensez que la France est effectivement exposée ? C'est parce que nous avons cette volonté de lutter contre le terrorisme
Nicolas DEMORAND : Oui mais aujourd'hui, elle a réussi à la main François HOLLANDE
LE PRESIDENT : A la main Elle frappe des villes qui sont tenues souvent par l'opposition, pas par Daech.
Nicolas DEMORAND : Oui, elle fait ce qu'elle veut !
LE PRESIDENT : Elle fait ce qu'elle veut. Elle est appelée par, hélas, le régime syrien. Et donc ce que je demande
Nicolas DEMORAND : Oui mais il y a la Russie au milieu du paysage là ! Ce n'est pas n'importe quel pays !
LE PRESIDENT : Mais je ne veux pas d'ailleurs écarter la Russie de la solution puisque je suis allé moi-même à Moscou pour dire à Vladimir POUTINE : Nous devons être tous ensemble pour faire cette transition politique.
Nicolas DEMORAND : On voit le résultat
LE PRESIDENT : Oui, il y a des négociations qui ont été, hélas, suspendues
Nicolas DEMORAND : A coups de missiles
LE PRESIDENT : Oui parce que je ne pouvais pas accepter qu'on puisse, en même temps qu'on négociait, bombarder des populations civiles. Donc, maintenant, la pression doit s'exercer sur Moscou pour qu'il y ait cette négociation parce que la Russie ne s'en sortira pas en soutenant unilatéralement Bachar EL ASSAD, ce ne sera pas possible, on le voit bien, parce qu'il n'y aura pas de résultats sur le terrain, il n'y aura pas de négociations et il y aura toujours la guerre. Donc nous devons, là-dessus, convaincre Moscou - et je crois que nous pouvons le faire - à trouver une solution politique. Cela vaudra mieux aussi pour les intérêts russes.
Nicolas DEMORAND : Une dernière question avant le journal de 19 heures : les Américains sont faibles en ce moment sur ce dossier ?
LE PRESIDENT : Les Américains considèrent qu'ils n'ont plus à être partout présents dans le monde comme ils l'étaient auparavant. Et vous vous souvenez que parfois, on leur faisait la leçon, aux Américains, à juste raison d'ailleurs quand ils intervenaient et lorsqu'ils provoquaient des déstabilisations dans un certain nombre de pays. Donc les Etats-Unis se sont mis en retrait. Et ça veut dire quoi ? Bien sûr, je préfèrerais que les Etats-Unis soient encore davantage actifs vous vous souvenez de ce qui s'était passé en 2013 lorsqu'il y a utilisation des armes chimiques en Syrie par Bachar EL ASSAD et combien je voulais qu'il y ait des frappes qui puissent se faire pour punir ce type de comportement inadmissible au titre des droits humains. Mais dès lors que les Etats-Unis se mettent en retrait je ne sais pas qui sera le prochain Président qui doit prendre le relai, qui doit agir ? Qui doit être présent ? Qui doit porter les valeurs et les idéaux de la démocratie ? L'Europe. Et la France en tout cas en fera la démonstration.
Nicolas DEMORAND : Fin de la première partie de ce « 18/20 » spécial sur France INTER. Nous retournons à Paris pour le journal puis ce sera le « Téléphone sonne » à 19h15 01.45.24.7000, « franceinter.fr » et Twitter avec les mots clefs « telson » et « directpr », pour toutes vos questions donc au Président de la République, François HOLLANDE.
Sébastien PAOUR : 19h15 sur Inter. Retour à Bruxelles avec vous, Nicolas DEMORAND, pour un « Téléphone sonne » spécial, toujours avec François HOLLANDE.
Nicolas DEMORAND : Effectivement, Sébastien PAOUR. Il est tout juste 19h15 et c'est à vous, amis auditeurs de France Inter, de prendre la parole désormais pour ce « 18/20 » qui continue. « Le 18/20 » qui continue donc à Bruxelles car le Conseil européen dure plus longtemps que prévu. Suspension de séance pendant deux heures, jusqu'à 20h, jusqu'à la fin de cette émission c'est un hasard heureux , avant une longue nuit de négociations.
Alors, que ce soit sur les sujets internationaux que nous avons abordés avec le Chef de l'État dans la première partie de l'émission ou sur tous ceux sur lesquels vous avez envie d'interroger François HOLLANDE, vous avez donc la parole, chers amis, jusqu'à 20h : 01.45.24.70.00, franceinter.fr et TWITTER avec les hashtags, les mots clés #TelSonne et #DirectPR. Vous êtes déjà extrêmement nombreux au standard à vouloir intervenir alors, amis auditeurs, essayez d'être concis dans vos questions afin que le maximum d'entre vous puisse avoir la parole.
Mickaël THEBAULT qui est à mes côtés relaiera vos mails et vos tweets à l'antenne. Frédéric METEZEAU, chef du service politique de France Inter, est également des nôtres. Première question, Richard de Montpellier. Bonsoir, Monsieur et bienvenue.
Richard : Bonsoir Monsieur le Président.
LE PRESIDENT : Bonsoir Richard.
Richard : Je m'appelle Richard Fahas, j'ai 17 ans et je suis lycéen au lycée Georges POMPIDOU de Castelnau-le-Lez, près de Montpellier. Je suis comme tout citoyen intéressé par la politique et l'actualité et en ce moment, l'actualité est dominée par la question du « Brexit ». Ma question est la suivante : ne devrait-on pas profiter des négociations sur le « Brexit » pour redéfinir un véritable projet politique européen, comme le préconisent les spécialistes des sujets internationaux tels qu'Hubert VEDRINE ou encore Nicole GNESOTTO ? Car les débat actuels montrent encore une fois que face aux difficultés, l'Europe préfère une gestion ponctuelle des crises au lieu de proposer une véritable vision pour les nations européennes. Enfin, ne craignez-vous pas que le « Brexit » ait un effet domino qui risquerait de crédibiliser l'ensemble des mouvements europhobes en Europe ?
Nicolas DEMORAND : Merci Richard pour cette question diablement structurée pour un jeune citoyen de 17 ans visiblement très intéressé par la chose européenne. Le Président de la République vous répond, Richard, sur la gestion ponctuelle des crises peut-être pour commencer.
LE PRESIDENT : D'abord, merci de vous intéresser à l'Europe, c'est-à-dire à vous, parce que vous êtes la génération qui fera ou ne fera pas l'Europe. Tout dépendra des décisions que nous aurons nous aussi à prendre. Mais je vais aller directement à votre interrogation. Que la Grande-Bretagne reste ou non dans l'Union européenne, l'Europe devra prendre des décision au lendemain du référendum britannique et j'allais dire, presque même les décisions, c'est-à-dire ne pas être simplement tributaire d'un vote même s'il est important et c'est pour ça que nous le respectons, mais d'être capable de se dire : qu'est-ce que nous voulons faire ensemble ? Ceux qui seront encore à 28 si la Grande-Bretagne décide de rester ou qui ne seront plus qu'à 27. Et comme je l'ai dit, il y aura de toute manière à prendre des initiatives. Et j'ai proposé à un certain nombre de mes partenaires, notamment l'Allemagne forcément, que nous puissions déjà y réfléchir pour nous mettre justement dans la situation de ne pas attendre un événement une rupture, un « Brexit , mais être capables d'être à l'initiative. Et
Nicolas DEMORAND : Et ce sera quoi ?
LE PRESIDENT : Justement, ce que je vous ai défini, c'est-à-dire cette Europe plus intégrée.
Nicolas DEMORAND : Tout à l'heure, l'Europe du petit groupe, fédéraliste vous avez accepté de le dire
LE PRESIDENT : L'Europe qui est capable de mettre en commun un certain nombre de ses moyens, de ses ressources, y compris d'une fraction même de ses impôts, pour aller plus loin. Et je crois que c'est ce qui doit nous motiver.
Frédéric METEZEAU : Monsieur le président de la République, Richard nous parlait de la résolution ponctuelle des crises mais sur le long terme, en quoi avez-vous réorienté l'Europe depuis mai 2012 ? Réorienter l'Europe, c'était un de vos engagements forts il y a bientôt cinq ans.
LE PRESIDENT : Oui, il y a eu des résultats.
Frédéric METEZEAU : Lesquels ?
LE PRESIDENT : Et on peut d'ailleurs, trois ans après, les constater.
Premièrement, il y a une politique budgétaire qui n'est pas la même. On nous demandait d'être en dessous de 3 %, vous vous rappelez, de ce pacte de stabilité. Nous avons apporté ce qu'on a appelé de la flexibilité. Nous avons permis à ce que des pays, le nôtre notamment, ne soient pas obligés d'aller vers l'austérité. Nous avons eu du temps pour justement mettre nos finances publiques en ordre.
Deuxième réorientation, nous avons le Plan JUNCKER, c'est-à-dire la capacité qu'a l'Europe maintenant de mettre des moyens financiers, de lever des emprunts par un certain nombre d'institutions pour investir et nous en voyons déjà le résultat dans notre pays.
Troisième réorientation, l'initiative qui a été prise pour les jeunes parce que le chômage des jeunes, c'est ce qui frappe l'Europe. Nous avons instauré en France, mais c'était une volonté européenne, la Garantie jeunes, c'est-à-dire permettre à des jeunes qui n'ont pas de formation, pas de qualification de pouvoir avoir un chemin.
Et puis il y a la politique monétaire. Vous avez sans doute relevé que cette politique monétaire, qui était extrêmement contraignante il y a quelques années, aujourd'hui, est particulièrement accommodante. Le président de la Banque Centrale européenne y est pour beaucoup et on a des taux d'intérêt très faibles ce qui nous permet d'avoir un peu plus de croissance. C'était mon objectif : plus de croissance.
Donc, l'Europe a été réorientée - pas suffisamment encore à mes yeux mais je ne suis pas le seul à décider - mais elle est réorientée. Mais elle arrive avec un nouveau problème : aujourd'hui, qu'est-ce qu'on fait ? Réfugiés, monde, guerres. Ce n'est pas simplement l'économie. Il ne faut pas avoir simplement une vision économique de l'Europe, c'est une vision politique.
Nicolas DEMORAND : Jacques, bonsoir. Vous nous appelez du Finistère et nous vous écoutons ici, à Bruxelles.
Jacques : Oui, bonsoir, bonsoir Monsieur le Président.
LE PRESIDENT : Bonsoir.
Jacques : Je voulais savoir pourquoi on traite la Grande-Bretagne avec tellement de déférence au sujet du « Brexit » alors que lorsque la Grèce a eu ses petits problèmes avec Monsieur TSIPRAS, ça n'a pas été du tout le cas.
Nicolas DEMORAND : Merci Jacques pour cette très bonne question. Mickaël THEBAULT, les mails sont aussi sur le sujet, voilà.
Mickaël THEBAULT : Énormément de mails sur le « Brexit ». Nicole notamment : « Les Anglais sont consultés pour rester ou non dans l'UE. La démocratie n'est pas à sens unique. Pourquoi ne pas consulter les Français, Monsieur le Président, pour savoir s'ils veulent garder les Anglais dans l'UE ? »
LE PRESIDENT : D'abord, je réponds à Jacques qui m'interroge sur la Grèce parce qu'il y a eu un « Grexit » possible. Vous vous souvenez, il y avait certains pays qui voulaient mettre la Grèce dehors parce qu'elle avait trop de déficit, parce qu'elle avait trop de dette. Moi, j'ai dit non. Je ne pouvais concevoir l'Europe sans la Grèce et il fallait y passer le temps et j'y ai passé aussi toute une nuit et même davantage. Donc cela ne me coûte pas de passer des nuits quand c'est pour la bonne cause. Quand je suis rentré dans le Conseil européen, beaucoup de pays voulaient sortir la Grèce. Au petit matin, il y en avait encore qui voulaient que la Grèce se sépare, qu'elle soit toujours dans l'Union européenne mais plus dans la zone euro. Et j'ai continué. Madame MERKEL et moi - parce qu'il a fallu convaincre Madame MERKEL puis à un moment, elle a eu l'intérêt européen à l'esprit. Avec TSIPRAS, avec le président de la Banque Centrale européenne on a trouvé la solution.
Nicolas DEMORAND : Mais enfin on ne parle pas aux Grecs sur le même ton qu'on parle aux Britanniques, vous le reconnaîtrez tout de même.
LE PRESIDENT : Non, mais je considérais qu'il fallait faire aux Grecs ce qu'on ne va pas faire pour les Britanniques : on leur a prêté 70 milliards d'euros et donc c'est une forme de solidarité qu'on a apportée aux Grecs. On a mis en moyens, des moyens budgétaires pour la Grèce qu'on ne va pas donner pour le Royaume-Uni, je vous rassure. Le Royaume-Uni veut avoir un régime spécifique. Il n'est pas dans la zone euro. Moi, je l'ai suffisamment dit, je préfère que le Royaume-Uni reste dans l'Europe mais ce n'est pas mon sujet. C'est pour cela que je ne veux pas demander aux Français de savoir s'ils veulent garderIl y a eu un référendum, je le rappelle
Frédéric METEZEAU : Ils ont été consultés pour l'entrée du Royaume-Uni.
LE PRESIDENT : Absolument. Vous avez parfaitement raison. D'ailleurs, si les Britanniques sortaient de l'Union européenne, je ne vais pas faire un référendum : on constaterait, on prendrait acte. Moi, je le dis simplement, si les Britanniques veulent sortir, je le regretterai. Je le regretterai pour l'Europe, je le regretterai pour la Grande-Bretagne, je le regretterai pour la France parce qu'on a quand même une alliance avec les Britanniques, mais j'en prendrai acte. Ce sont eux qui décideront
Nicolas DEMORAND : Mais ce ne sera pas la mort de l'Europe.
LE PRESIDENT : Il faudra, comme je vous l'ai dit, qu'on prenne des initiatives. Mais pour la Grèce, je considérais qu'il y avait quelque chose à la fois qui tenait à l'histoire parce que la Grèce, c'est notre histoire, c'est même notre civilisation, mais je pensais que c'était surtout un principe fondamental que les pays qui étaient dans la zone euro devaient y rester, notamment les pays qui étaient dans les situations les plus difficiles. Et aujourd'hui, si on avait jeté la Grèce de la zone euro, on ne pourrait pas lui demander de faire des efforts pour qu'il y ait une frontière extérieure. Et j'en ai parlé à TSIPRAS, il est d'ailleurs lui-même intervenu en disant : « Mais vous ne pouvez nous demander de faire des efforts pour protéger notre frontière puis quand on est dans la difficulté, ne pas accorder à la Grèce ce qu'elle attend. »
Nicolas DEMORAND : Encore une question sur les réfugiés, Mickaël, par mail et on repart au standard de France Inter.
Mickaël THEBAULT : Toujours sur franceinter.fr, effectivement, la question des réfugiés, Monsieur le Président, c'est le deuxième thème qui revient le plus dans les mails et dans les tweets. Monique de Normandie : « Nous, 6e puissance économique mondiale, savons faire la guerre loin de chez nous et y mettons le prix mais dans nos villes, sous nos ponts, des gens vivent dans le froid et l'indigence. Nous ne savons pas accueillir les réfugiés comme l'a fait l'Allemagne. Nous avons abandonné l'Allemagne. Quelle honte ! Que dites-vous de cette fraction de l'histoire, votre histoire, qui fera tache dans celle votre pays ?
LE PRESIDENT : Non, je ne crois pas que Monique puisse aller jusque-là. Il y a plein de communes qui se sont signalées pour accueillir des réfugiés. Il y a plein de citoyens, citoyennes qui se sont également mis en capacité d'accueillir des réfugiés. Il y a plein de centres, aujourd'hui, qui voudraient libérer des places pour des réfugiés. Et puis il y a Calais parce qu'elle pense sans doute à Calais. C'est Monique qui
Mickaël THEBAULT : C'est Monique.
LE PRESIDENT : Elle pense à Calais. Calais, on dit à ces personnes qui sont là, à Calais, qui veulent passer de l'autre côté, qui veulent absolument rejoindre le Royaume-Uni justement, on leur dit : « Mais restez en France. Si vous avez le droit pour vous, le droit d'asile, vous pouvez rester en France. » Mais elles nous disent : « Mais moi, je veux aller de l'autre côté. » Donc nous faisons en sorte de leur proposer plein de solutions. D'ailleurs, Bernard CAZENEUVE le fait et fait en sorte qu'on puisse les répartir sur le territoire. Nous faisons notre devoir.
Nicolas DEMORAND : Et le Royaume-Uni, pourquoi ne prend-il pas sa part ?
LE PRESIDENT : Mais parce que le Royaume-Uni nous dit : « Moi, j'ai déjà accueilli des réfugiés et donc nous ne sommes pas dans » Ils ne sont pas dans l'espace Schengen justement, ils disent : « Mais nous, écoutez » C'est un accord qui avait été passé, pas par moi, ça s'appelait l'Accord du Touquet où la frontière n'est pas en Angleterre, elle est en France. Donc, nous faisons en sorte que ces personnes puissent aller pour certaines au Royaume-Uni. Quand elles ont de la famille, elles ont le droit à aller au Royaume-Uni. Puis pour d'autres, nous leur disons : « Vous ne pourrez pas passer. Donc, si vous voulez être accueillis, nous vous accueillons et vous accueillerons dignement parce que c'est notre devoir. »
Mickaël THEBAULT : Mail sur franceinter.fr par rapport à Calais. François de Lille : « La jungle dite de Calais porte hélas bien son nom, c'est une verrue pour la France. »
LE PRESIDENT : Alors c'est vrai que ça dure depuis trop longtemps et nous faisons en sorte qu'il y ait de moins en moins de personnes à Calais. Je citais le ministre de l'Intérieur avec le Premier ministre qui font en sorte qu'on puisse proposer des solutions et nous avons diminué le nombre de personnes à Calais. Nous allons réduire justement le domaine qu'on appelle la jungle. Certaines associations s'en émeuvent en disant : « Mais pourquoi vous le faites ? »
Mickaël THEBAULT : Elles s'en émeuvent à juste titre.
LE PRESIDENT : Oui, mais on préfère leur donner des conditions dignes, les loger plutôt que de les laisser comme cela dans des situations où il y a, pour les enfants ou pour les familles, un état sanitaire qui n'est pas acceptable dans un pays comme le nôtre. Donc, sur Calais, nous faisons en sorte qu'il y ait de moins en moins de personnes qui puissent y être. Et je comprends aussi, pour la population locale, ce que ça peut représenter. Alors nous avons une négociation avec les Britanniques mais les Britanniques nous disent : « Mais si nous ouvrons notre frontière, qu'est-ce qui va se passer ? Il y en aura d'autres qui viendront et qui seront toujours à Calais. » Donc nous devons dire à tous ces réfugiés : ne venez pas, ne soyez pas là, pas à Calais. Ailleurs, on a prévu des places pour vous mais nous avons le devoir et nous allons continuer à faire des travaux c'est ce que nous devons faire et nous devons l'assumer pour que les personnes qui sont à Calais pour quelque temps puissent être accueillies dignement.
Nicolas DEMORAND : Bonsoir Jean-François. Soyez le bienvenu sur France Inter. Vous nous appelez du Puy-de-Dôme et le Président de la République vous écoute ici, à Bruxelles.
Jean-François : Je vous remercie. Bonsoir Monsieur le Président.
LE PRESIDENT : Bonsoir.
Jean-François : Voilà, je voulais vous poser la question suivante : est-il normal qu'un Président de gauche s'attaque par une réforme du code du travail aux salariés en proposant des baisses de rémunération des heures supplémentaires ce sont des baisses de salaire , des limitations des indemnités prud'homales alors qu'elles ne font que rendre la justice, alors que le patronat bénéficie de réformes pacte emploi de solidarité, beaucoup d'argent donné ? Le million d'emplois promis par Monsieur GATTAZ n'a jamais vu le jour et nous Le patronat en veut, en demande toujours plus et les salariés sont de plus en plus dans la précarité et ne voient strictement rien venir. Voilà, c'est vraiment une colère.
Nicolas DEMORAND : Merci, merci. J'entends, Jean-François, à la fois la question et le ton, la colère, vous l'avez dit vous-même. François HOLLANDE vous répond.
LE PRESIDENT : Moi aussi, je vous entends, Jean-François, et je vais vous répondre à la fois sur les principes et aussi sur les modalités. Il n'est pas question de remettre en cause les principes fondamentaux de notre droit du travail. Mieux même, nous allons les intégrer dans la future loi portée par la ministre du Travail, Madame EL KHOMRI. Les principes fondamentaux : le contrat de travail, la durée légale du travail, le salaire minimum, les principes de liberté syndicale. Tout cela figurera dans le nouveau code du travail.
Ensuite, qu'est-ce que nous ouvrons à la négociation collective ? Nous disons : les règles ne changeront pas. Les règles de majoration, par exemple, pour les heures supplémentaires, ne seront pas modifiées mais les entreprises pourront faire des accords avec les syndicats pour adapter, faire en sorte que ces mécanismes, ces règles d'horaires de travail puissent être plus en phase avec le type de production. Et il faudra, pour qu'il puisse y avoir ces modalités, qu'il y ait un accord majoritaire, c'est-à-dire que les organisations qui représentent la majorité des salariés pourront être les seules à engager le personnel. Et les organisations minoritaires qui pourraient signer un accord de cette nature ne pourront le faire que s'il y a un référendum des salariés, c'est-à-dire à l'initiative des syndicats et seulement des syndicats, et ce seront les salariés qui auront le dernier mot. Donc, aucun risque de pression patronale.
Deuxièmement, sur les indemnités
Nicolas DEMORAND : Enfin vous entendez la colère. Vous entendez la colère.
LE PRESIDENT : Oui, mais, parce qu'il y a un certain nombre de rumeurs qui, quelquefois, peuvent toucher au cur et donc j'entends, en fait, Jean-François.
Nicolas DEMORAND : Non, mais les Prud'hommes, c'est faux ?
LE PRESIDENT : Mais on va parler des indemnités prud'homales. Qu'est-ce que je veux faire ?
Nicolas DEMORAND : Ce ne sont pas des rumeurs.
LE PRESIDENT : Qu'est-ce que je veux faire ? Aujourd'hui, il faut deux ans, trois ans pour qu'un salarié puisse éventuellement avoir une indemnité rendue par un tribunal des Prud'hommes. Vous trouvez que c'est acceptable dans un pays comme le nôtre ? Il ne sait pas exactement, quand il va faire une procédure, ce qu'il va avoir. Et l'employeur, de son côté, ne sait pas ce que ça va lui coûter. On est dans un système où il n'y a pas de sécurité pour le travailleur, pas de stabilité ou de visibilité pour l'employeur. Or, tout ce que je veux, c'est non pas mettre en cause des droits, les droits vont être respectés. Je veux qu'il y ait plus de négociations collectives, je veux qu'il y ait plus de souplesse, plus de sécurité, plus de visibilité. Donc, les indemnités prud'homales, il y aura un barème. Le Parlement va en discuter. Le barème est fonction de l'ancienneté. Le tribunal des Prud'hommes pourra d'ailleurs utiliser ce barème et quand il y a un licenciement avec des causes qui sont particulièrement inacceptables, il pourra même aller au-delà du barème.
Nicolas DEMORAND : Mais toute votre politique, François HOLLANDE, donne le sentiment que les salariés ont trop de droits en France et qu'il faut détricoter cela.
LE PRESIDENT : Vous pensez que c'est ce que dit le patronat qui, aujourd'hui ?
Nicolas DEMORAND : Ah ! Aujourd'hui, il applaudit ! Aujourd'hui, il applaudit !
LE PRESIDENT : Non, aujourd'hui, les salariés français ne verront aucun de leurs droits remis en cause puisque ces droits-là seront rappelés
Nicolas DEMORAND : Mais ça, ce sont les droits de base !
LE PRESIDENT : Mais pas simplement les droits de base puisque vous voyez qu'il y a, sur la durée du travail, les majorations d'heures supplémentaires, les indemnités prud'homales, la capacité aussi de pouvoir se protéger par rapport au licenciement économique où nous intégrons toute la jurisprudence de la Cour de cassation. Donc, ce que nous faisons et c'est pour moi le projet essentiel, je suis à 14 mois de la fin de mon mandat, je ne suis pas là pour chercher je ne sais quelle complaisance- ce que je fais, c'est ce que je crois nécessaire et utile pour mon pays, dans le respect des droits fondamentaux parce que j'ai des valeurs et j'ai des principes. Mais ce que je fais, c'est pour permettre aux entreprises et aux organisations syndicales qui représentent les salariés dans ces entreprises d'avoir plus de souplesse. Ce que je fais, c'est que je donne à la négociation collective la place qu'elle n'a jamais eue dans notre pays. Je permets aux organisations syndicales d'être responsables et aux employeurs de prendre en compte à la fois la nécessité de la compétitivité
Nicolas DEMORAND : Les Français ne l'ont pas entendu...
LE PRESIDENT : Ils ne vont pas
Nicolas DEMORAND : Les Français ne l'ont pas entendu ! Ils ne l'ont pas entendu !
LE PRESIDENT : Donc, à nous et à moi en particulier de le faire passer. Le texte vient d'être simplement envoyé au Conseil d'État et il va être débattu au Parlement dans un mois.
Frédéric METEZEAU : Ce texte, Monsieur le Président de la République, quand Éric WOERTH, sur France Inter, qui s'y connaît en la matière, nous dit : « C'est une bonne loi de droite », quand ce projet de loi, ce pré-projet prévoit de fractionner les 11 heures de repos entre la fin d'une journée de travail et le début d'une autre journée de travail, ça ne vous met pas un doute, une bonne loi de droite, Éric WOERTH ?
LE PRESIDENT : Qu'il y ait des personnes de droite, on verra ce qu'elles feront au moment du vote parce que je les connais, elles font des commentaires parfois pour embarrasser le camp adverse. Moi, je ne suis pas dans cette situation, je suis Président de la République. Ce qui m'intéresse, c'est l'intérêt général. Ce qui compte, ce n'est pas d'avoir une loi de gauche ou une loi de droite. En l'occurrence, je l'ai dit, les principes fondamentaux sont respectés. Il y a des éléments de progrès : la médecine du travail, la capacité d'avoir un compte personnel d'activité, d'être sécurisé dans le développement de sa carrière professionnelle. Il y a plein d'éléments qui correspondent à ce que demandent depuis longtemps les organisations syndicales mais il y a aussi des éléments qui répondent à ce que demandent les entreprises. Ce n'est pas parce que les entreprises demandent un certain nombre d'assouplissements
Frédéric METEZEAU : MEDEF.
LE PRESIDENT : Mais ce n'est pas parce que les entreprises demandent un certain nombre d'assouplissements que je ne vais pas leur en donner ! Qui crée les emplois dans notre pays ? Ce sont les entreprises ! Donc j'ai là aussi
Nicolas DEMORAND : Mais enfin, les ont-elles créés, Monsieur le Président ?
LE PRESIDENT : Non, mais j'espère qu'elles vont les créer parce que j'ai quand même mis un certain nombre de moyens !
Nicolas DEMORAND : Mais vous espérez depuis 2012.
Frédéric METEZEAU : Il y a eu le CICE, il y a eu le pacte de responsabilité, la loi ANI, la loi MACRON.
LE PRESIDENT : Les emplois, ce n'est pas l'État qui les crée à la place des entreprises. Je crée les conditions.
Nicolas DEMORAND : Ça, j'ai bien compris.
LE PRESIDENT : Je crée les conditions avec le gouvernement. Je crée les conditions depuis 2012 justement à travers le pacte de responsabilité, le CICE, etc. dont chacun maintenant regarde l'efficacité. Je crée les conditions pour que les entreprises créent des emplois. Et lorsque nous faisons le bilan, je mets en cause et le Premier ministre l'a fait à juste raison les entreprises qui n'investissent pas ou qui n'embauchent pas. Mais je ne vais pas mettre plus de difficultés aux entreprises au prétexte que certaines n'ont pas fait leur devoir. Je fais en sorte que notre pays puisse être plus compétitif, qu'il y ait plus d'investissements, qu'il y ait plus d'embauches, qu'il y ait plus de souplesse et que lorsqu'on peut donner plus de souplesse aux entreprises et plus de sécurité aux salariés ce que j'appelle la « flexisécurité » à la française , on puisse le faire. Beaucoup de pays l'ont fait, l'Allemagne, notamment, la Suède ou la Finlande en particulier. Et moi je ne vais pas passer à côté de cette grande réforme. Parce que cette grande réforme permettra ce qui a toujours manqué à notre pays : d'avoir de la négociation.
Mickaël THEBAULT : La tonalité générale, Monsieur le Président, justement, par rapport à toutes ces réformes engagée depuis 2012, c'est assez violent, ça ne marche pas. Pourquoi le Président, pourquoi le gouvernement s'obstine-t-il ? Guy, par exemple, sur franceinter.fr : « Au travers des réformes que vous mettez en uvre concernant par exemple le Code du travail, les 35 heures, les licenciements facilités et autres reculs sur le social, n'avez-vous pas conscience de réaliser le programme de votre prédécesseur, monsieur SARKOZY ? Seule bonne nouvelle : ça ne marche pas.
LE PRESIDENT : Nous n'avons d'abord rien fait de la sorte. Nous avons fait la politique qui consiste à donner aux entreprises les marges de manuvre pour investir et pour embaucher. Moi je ne vais pas les écraser de charges. Personne ne peut penser, dans notre pays, même celui qui a les engagements et je peux les comprendre, les plus à gauche dans notre pays, personne ne peux comprendre que c'est en mettant plus de cotisations, plus de charges et plus d'impôts sur les entreprises qu'on va créer des emplois. En revanche...
Nicolas DEMORAND : L'inverse ne fonctionne pas nécessairement.
LE PRESIDENT : En revanche, il faut aussi qu'on mette de la demande, parce que s'il n'y a pas de demande dans le pays, s'il n'y a pas de salaires qui puissent être soutenus, s'il n'y a pas de pouvoir d'achat qui puisse être stimulé, il n'y aura pas de croissance non plus. Le CICE, le Crédit Impôt Compétitivité Emploi, on en a fait le bilan : cela a permis à beaucoup d'entreprises, pas forcément de créer autant d'emplois que j'en aurais espéré, mais d'augmenter les salaires des ouvriers et des salariés de notre pays. Et donc je considère que c'est une bonne politique. Et je veux, là aussi - dernier temps de ce que j'ai à faire - donner cette visibilité et cette liberté aux partenaires sociaux. Parce que moi j'y crois, à cette réforme. Ou on fait tout par la loi - là il faut une loi parce que cela va permettre, justement, d'ouvrir cette possibilité de négociation. Si l'on fait tout par la loi j'entends la droite justement nous dire « on va supprimer les 35 heures » c'est supprimer les 35 heures, ce n'est pas les adapter : « On va supprimer les 35 heures, on va repousser l'âge de la retraite, on va faire des contrats avec des clauses spécifiques pour mieux licencier », c'est ce que je refuse justement : mettre en cause les principes fondamentaux, les droits des salariés. Mais, ce que je veux, c'est ne pas tout faire par la loi : je veux qu'il y ait de la négociation. Je veux que les syndicats et le patronat puissent, entreprise par entreprise, définir ce qu'il y a de mieux pour l'économie et pour l'emploi.
Nicolas DEMORAND : Allez, on repasse au standard de France Inter Bonsoir, Frédéric !
Frédéric, auditeur : Oui, bonsoir à tous. Monsieur le Président, bonsoir !
LE PRESIDENT : Bonsoir.
Frédéric : Je voudrais vous parler du chômage. Depuis une centaine d'années environ, les gains de productivité nous ont permis de diminuer par deux le temps de travail en gagnant environ dix fois plus. Par contre, depuis une quarantaine d'années, alors que nous avons fait des gains de productivité extraordinaires, ces gains de productivité n'ont pas été partagés et c'est la première cause du chômage puisque nous produisons à peu près trois fois plus qu'en 1970 avec trois milliards d'heures en moins £ ce qui fait que mathématiquement, nous sommes moins nombreux pour faire davantage de choses. Ma question, Monsieur le Président de la République : pourquoi s'acharner à augmenter le temps de travail en reculant l'âge de la retraite ou en promettant le détricotage des 35 heures, au lieu de prendre la marche en avant du progrès et de partager le temps de travail comme le propose par exemple Nouvelle Donne avec LARROUTUROU qui a eu l'occasion, je crois, de vous en parler ?
Nicolas DEMORAND : Merci Frédéric £ vous nous appeliez de Pau, et le Président de la République vous répond depuis Bruxelles.
LE PRESIDENT : Mais, je ne veux pas allonger le temps de travail ! Parce que vous avez raison, ce qui fait le progrès, c'est que l'on puisse avoir du temps pour prendre le repos, les loisirs, la culture, la famille et partager autant qu'il est possible les bonheurs de la vie personnelle. Mais je ne veux pas allonger le temps de travail : je veux que, dans les entreprises, on puisse adapter le temps de travail à la réalité économique, donc en l'occurrence, il va y avoir des négociations qui vont s'ouvrir, dans les entreprises qui le voudront, pour faire que, parfois on puisse travailler plus à certaines périodes, moins à d'autres, qu'on puisse s'organiser pour être plus compétitifs et parfois même plus heureux. Et les majorations ne seront pas changées. Mais ce qui est très important, c'est qu'on donne de la souplesse. Vous disiez vous-même, la productivité ne se fait pas simplement par des réglementations. Elle se fait parce qu'il y a une organisation du travail qui a été conçue par rapport à l'activité de telle ou telle entreprise. Et ce sera dans l'entreprise que ce sera négocié.
Nicolas DEMORAND : Retour au standard d'Inter. Bonsoir, Guy, vous nous appelez d'Orléans. Vous êtes là ? Bonsoir, nous vous écoutons.
Guy, auditeur d'Orléans : Tout à fait. Bonsoir, Ma question prolonge un peu celle qui a été posée précédemment. Donc je voulais vous demander, Monsieur HOLLANDE, jusqu'où va votre confiance dans les entreprises ? Est-ce que vous pensez qu'il suffit de leur donner toujours moins de... plus d'argent, moins de contraintes, plus de libertés pour qu'elles nous donnent, comme par miracle, des investissements, de l'emploi, de la croissance et qu'elles agissent donc pour le bien-être de la collectivité ? J'entends bien ce que vous dites, mais simplement, je ne sais pas si vous avez été mis au courant, mais il y a quand même plus de trois millions de chômeurs dans ce pays, il y a un taux de syndicalisation qui doit être quelque chose comme 8%, dans les PME c'est 5 %. Donc le dialogue entre les salariés et les patrons, moi je veux bien, mais je ne vois pas très bien avec commet ce dialogue pourrait être fructueux pour les salariés.
Nicolas DEMORAND : Merci beaucoup, Guy, pour cette très bonne question. François HOLLANDE vous répond.
LE PRESIDENT : Oui, Guy, je vous réponds parce que c'est très important, ce que vous avez dit. Pour qu'il y ait du dialogue et de la négociation, il faut qu'il y ait des partenaires et qu'ils puissent avoir les moyens de négocier et de conclure. Dans la loi telle qu'elle est proposée, le principe sera qu'il y aura des accords collectifs pour adapter le temps de travail ou pour mettre en uvre un certain nombre d'organisations, y compris pour créer de l'emploi. Il ne peut y avoir de nouvelle donne que s'il y a un accord collectif signé par des syndicats qui représentent 50 % des salariés. Mais il y a des entreprises et vous avez raison où il n'y a pas de syndicat, et notamment des petites et des moyennes entreprises. Et la loi va donc permettre à ce qu'il y ait, dans ces petites et moyennes entreprises, pas forcément une organisation syndicale qui sera présente, mais au moins des délégués qui pourront engager et même quand il n'y a pas de délégué ça peut arriver aussi un mandatement qui sera prévu. Et donc il va y avoir justement ce dialogue social qui permettra d'avoir des progrès qui seront partagés.
Mais en même temps, vous me dites « qu'est-ce qu'il faut faire pour les entreprises ? » Les entreprises, je ne leur fais pas une confiance, comme cela, absolue. Ce que je dis, c'est qu'il faut que nous puissions être un pays où la démocratie puisse trouver sa place, d'où d'ailleurs le référendum d'entreprise, où il puisse y avoir des partenaires qui aient des responsabilités, d'où l'enjeu de la représentation syndicale cela vaut d'ailleurs pour les entreprises comme pour les salariés et où il puisse y avoir du mouvement, que tout ne soit pas figé. Le pire...
Nicolas DEMORAND : Mais là, le pire, c'est la hausse de la courbe du chômage, François HOLLANDE !
LE PRESIDENT : Non, mais, hélas, depuis sept ans, le chômage ne cesse d'augmenter.
Nicolas DEMORAND : Vous n'imaginez pas la colère qu'il y a dans les mails...
LE PRESIDENT : Mais elle est légitime, la colère...
Nicolas DEMORAND : ... De nos auditeurs sur l'argent qui a été mis sur la table par l'Etat, et l'absence totale de résultats en matière d'emplois.
LE PRESIDENT : Vous savez, pour qu'il y ait de l'emploi, il faut que nous créions les conditions, et je fais en sorte qu'elles soient là, y compris à travers le Pacte de responsabilité, c'est-à-dire la baisse des charges et la baisse des cotisations - parce que je considère que les entreprises doivent avoir les moyens d'investir et d'embaucher - mais deuxièmement, il faut qu'il y ait de la croissance, de la croissance. Donc je mène aussi une politique en Europe, on en parlait, en France, pour qu'il y ait plus de croissance, donc plus d'investissements, donc plus de demande de consommation. C'est cela qui va faire qu'il y ait de l'emploi. Pourquoi a-t-on créé des emplois en 2015, pas assez pour limiter le chômage, 50.000 environ ? Parce que nous avons eu enfin 1,1 % de croissance ! Et donc dans l'année 2016, nous devons faire plus de croissance. L'économie, ça ne vaut que s'il y a de la croissance, que s'il y a de la production, que s'il y a de la richesse.
Mickaël THEBAULT : Pardonnez-moi de vous couper, mais les auditeurs réagissent instantanément à votre expression de vouloir créer des conditions de croissance. De croissance ou d'emploi. Un mail de Fabienne par exemple : « On ne vous reproche pas, Monsieur le Président, de vouloir créer des conditions pour doper l'emploi. On vous reproche de prendre des décisions sans effet sur l'emploi ».
LE PRESIDENT : Je crée toutes les conditions, et je me suis engagé en plus là-dessus, sur cette question d'emploi. Je n'ai pas été dans l'indifférence ou dans la négligence ou dans une forme d'irresponsabilité. Je me suis engagé personnellement. J'ai dit que je serai jugé sur cette question-là. Je ne me déroberai pas, parce que je n'ai de ce point de vue-là qu'une seule parole : j'ai été candidat pour que nous créions les conditions pour qu'il y ait une baisse du chômage et il doit y avoir baisse du chômage. Et s'il n'y a pas baisse du chômage, vous savez quelle conclusion j'en tirerai.
Donc je me bats, pas simplement pour moi-même, parce que ça n'a pas de sens, pas simplement pour être ou non candidat, loin de moi ce type de raisonnement. Je me bats parce que je considère que c'est le seul sujet, je dis bien : le seul sujet. Bien sûr, que la sécurité, la protection, c'est tout à fait nécessaire, tout ce que je peux faire aussi au plan international, mais le seul sujet qui d'ailleurs mobilise vos internautes comme mobilise les auditeurs, c'est le seul sujet, c'est : est-ce que l'on peut créer de l'emploi et de l'emploi durable ? Donc je prendrai toutes les décisions, j'en ai prises, de courageuses, qui me sont reprochées d'ailleurs, y compris par celles et ceux qui me font confiance, c'est-à-dire « pourquoi vous en donnez autant aux entreprises, pourquoi vous baissez les charges, pourquoi vous baissez les impôts de ceux qui sont dans l'impossibilité normalement d'employer...
Journaliste : On ne vous le reprocherait pas si, donc ça marchait !
LE PRESIDENT : Et donc je dois avoir des résultats. Et les résultats, c'est une politique économique d'ensemble, y compris en donnant un peu plus de demande, c'est-à-dire un peu plus de consommation, pour que les Français puissent être aussi des acteurs de la croissance. Mais pour cette loi El Khomri, je pourrais dire : « Mais cela n'aura pas forcément d'effet tout de suite ! » Je pourrais me dire que cela pourra attendre, mais je prends quand même cette décision parce que je considère qu'elle est nécessaire pour l'économie française.
Nicolas DEMORAND : Frédéric très rapidement, puis Laurent en Loire-Atlantique...
Frédéric METEZEAU : Oui, Monsieur le Président, vous nous avez dit tout à l'heure : « le référendum dans l'entreprise, c'est plus de démocratie, c'est plus de mouvement ». Et en politique, le référendum pour consulter les Français sur la réforme constitutionnelle, sur la politique européenne, sur les grands choix structurants de notre pays ? Eh bien il n'y en a pas.
LE PRESIDENT : D'abord, il y a le grand enjeu de la démocratie, c'est vrai, vous avez raison, de la participation sur les grands projets. Et on en a vécu parfois douloureusement, des projets qui n'aboutissent pas et qui n'ont pas donné la consultation qui était espérée par beaucoup. Notre-Dame-des-Landes, j'ai dit, justement, parce qu'il y avait ce blocage - depuis combien d'années ? Depuis des années : « Voilà, maintenant, on est arrivé au bout, toutes les procédures ont été menées », le périmètre...
Frédéric METEZEAU : Il y a aussi les modalités...
LE PRESIDENT : Les modalités seront fixées. Maintenant, je suis très content parce que tout le monde veut voter, donc avant, personne ne voulait et maintenant, tout le monde le veut, je ne me plains pas. Mais ce que je pense, c'est qu'il faut qu'il y ait une consultation qui soit fondée sur des bases sérieuses, qui puisse ensuite nous engager. Si les personnes consultées répondent « oui, il faut faire l'aéroport », il sera fait. Si elles répondent « non », il ne sera pas fait.
Nicolas DEMORAND : Et quelle sera la question ?
LE PRESIDENT : La question, c'est : Voulez-vous ou ne voulez-vous pas l'aéroport Notre-Dame-des-Landes ?
Nicolas DEMORAND : Bonsoir Laurent. Soyez le bienvenu sur France Inter.
Laurent : Oui, bonsoir Monsieur le Président, bonsoir Monsieur DEMORAND, bonsoir aux auditeurs.
LE PRESIDENT : Bonsoir.
Nicolas DEMORAND : Bonsoir. On vous écoute.
Laurent : Alors les prix agricoles s'effondrent je suis agriculteur, éleveur laitier , la taille des exploitations ne cesse d'augmenter, les exploitations sont de plus en plus fragiles financièrement, l'emploi agricole diminue toujours. Par ailleurs, les terres agricoles sont de plus en plus accaparées par des projets d'aménagement demandés par les urbains qui, de notre point de vue, ne sont pas indispensables, voire inutiles, comme le projet de Notre-Dame-des-Landes, et donnent lieu à des expulsions. On a l'impression qu'on compte pour pas grand-chose. Alors, comment voyez-vous l'avenir d'un citoyen paysan ? Pouvez-vous nous rassurer ?
Nicolas DEMORAND : Merci Laurent pour cette question. François HOLLANDE vous répond.
LE PRESIDENT : D'abord, Laurent, je sais ce que vous vivez et ce que vous éprouvez avec la fin des quotas laitiers, cela a été une très grande difficulté qui a été, hélas, jetée sur un certain nombre d'éleveurs comme vous. Deuxièmement, je sais ce que réclame cette production. Je sais aussi quels sont les rôles de ceux qui achètent cette production, les intermédiaires, et aussi ce que peuvent représenter les concurrences étrangères, la compétition puisque nous sommes sur le marché mondial. Donc, pour moi, l'essentiel, c'est de pouvoir soutenir les prix et c'est aussi de pouvoir préserver un modèle agricole parce qu'il faut aussi le dire
Nicolas DEMORAND : Il est menacé ? Il est dépassé ?
LE PRESIDENT : Non, il doit se transformer ce modèle agricole. On doit arriver à avoir plus de qualité, plus de reconnaissance. D'où l'étiquetage, d'où également la valorisation des filières de qualité et on doit avoir des prix qui doivent être davantage soutenus et une conception aussi respectueuse de l'environnement qui doit être valorisée. Voilà ce qu'est le nouveau modèle agricole. Et votre auditeur le pense sans doute : si on continue à produire, produire, produire, au niveau mondial et au niveau européen, on aura de très grandes difficultés à maintenir un élevage de qualité et des productions laitières comme les vôtres.
Frédéric METEZEAU : Mais dans ce modèle agricole, ce nouveau modèle agricole, Monsieur le Président, il y a toujours le producteur, les transformateurs, les intermédiaires et en bout de chaîne, les grandes surfaces. Est-ce qu'il ne serait pas temps pour, en fait, sortir de ce système qui, en réalité, est pérennisé, est-ce qu'il ne serait pas temps de réfléchir à un système de filières courtes ou de filières intégrées, où les agriculteurs peuvent eux-mêmes être leurs intermédiaires ? Ça se fait dans certaines régions, ce sont des micro-initiatives, c'est au niveau du département mais ça existe. Là, le système actuel, finalement, il maintient toujours une longue chaîne qui commence dans la ferme et qui se termine en grande surface.
LE PRESIDENT : Oui, alors il y a la responsabilité de la grande distribution.
Frédéric METEZEAU : les intermédiaires.
LE PRESIDENT : Et puis après, il y a celle des intermédiaires. La grande distribution, elle ne peut pas simplement jouer sur les prix et attirer les consommateurs avec des appels à toujours moins de rémunération pour les producteurs, qu'ils soient agricoles ou qu'ils soient industriels. Donc, il y a une négociation qui est en cours, une pression qui est faite sur la grande distribution pour qu'elle mette, d'abord, l'origine des produits et qu'elle puisse rémunérer correctement les producteurs.
Ensuite, il y a la chaîne de la transformation et aussi des intermédiaires. Pour beaucoup, ce sont des coopératives. Pour beaucoup, ce sont des agriculteurs qui s'étaient organisés et qui n'arrivent pas, justement, à restructurer la filière et notamment la filière porcine. Nous n'en avons pas parlé : vous savez, 60 % du porc en France sont produits en Bretagne donc c'est très important que nous restructurions il faudra prendre un certain nombre de décisions justement avec les intermédiaires cette filière pour que les agriculteurs, les éleveurs, puissent avoir des rémunérations qui soient dignes de leur travail.
Nicolas DEMORAND : Allez, on repasse au standard. Bonsoir Élise.
Élise : Bonsoir. Donc, bonjour Monsieur. Je m'appelle Élise, j'ai 12 ans.
LE PRESIDENT : Bonjour Élise.
Nicolas DEMORAND : Vous avez 12 ans ?
Élise : Je voudrais vous poser une question concernant l'écologie : que comptez-vous faire après la COP21 pour garantir une écologie sur notre territoire ? Je pense aux gaz de schiste, utilisation de pesticides dans les champs et pêche en eaux profondes, voilà.
Nicolas DEMORAND : Merci Élise. Parfaite question. Très jeune, très forte. François HOLLANDE vous répond.
LE PRESIDENT : D'abord, je suis vraiment émerveillée par cette précocité et cette conscience déjà très tôt que l'environnement, c'est votre avenir. Même plus le mien, le vôtre. Et la COP21, ça a été vraiment une négociation essentielle pour les décennies qui vous attendent. Nous avons pris des engagements, tous les pays, bon, qui doivent maintenant nous obliger, pas simplement de réduire les émissions de gaz à effet de serre donc, d'éviter le réchauffement mais d'agir au quotidien.
Vous avez d'ailleurs dit les choses. Le gaz de schiste : je ne suis pas favorable au gaz de schiste parce que d'ailleurs aujourd'hui, cela n'aurait aucune rentabilité et des conséquences qui seraient défavorables pour notre environnement. Les pesticides : nous avons réduit sérieusement et le ministre de l'Agriculture y a veillé la place des pesticides dans la production agricole, dans l'intérêt même des agriculteurs.
Et je veux que la COP21 puisse être traduite en France, en Europe et dans le monde et ce sera le rôle qui est assigné à Ségolène ROYAL puisque c'est elle qui va poursuivre, non pas simplement la négociation, maintenant l'application de la COP21. Mais cela nous engage tous et je suis vraiment très heureux que vous qui avez 12 ans - et vos parents, j'imagine - vous puissiez vous comporter déjà en citoyens citoyenne en l'occurrence responsables parce que ça va être l'État, les collectivités, les entreprises, ça va être chacune et chacun d'entre nous qui doit mettre en uvre la COP21 mais nous allons porter cet objectif.
Nicolas DEMORAND : Allez, encore énormément d'appels au standard. Bonsoir Patrick. Vous nous appelez de Bordeaux.
Patrick : Oui, bonsoir, bonsoir Monsieur le Président.
LE PRESIDENT : Bonsoir.
Patrick : En fait, on parle de citoyens, voilà ma question toute simple : que pensez-vous de ce collectif de citoyens qui souhaite avoir une primaire des gauches et de l'écologie donc en vue des élections de 2017 ?
Nicolas DEMORAND : Merci Patrick pour cette très bonne question. François HOLLANDE, Président de la République, vous répond.
LE PRESIDENT : Voilà, je suis Président de la République donc j'effectue ma mission. Je laisse les citoyens organiser comme ils l'entendent la démocratie. Je laisse les partis politiques faire ce qu'ils ont à faire mais moi, je ne me détourne pas de mon action. Et lorsque j'aurai à prendre une décision si j'ai une décision qui pourrait engager l'avenir, je la prendrai dans les conditions qui seront celles de la société française.
Nicolas DEMORAND : Mais est-ce que vous pourriez ne pas vous représentez en 2017 ?
LE PRESIDENT : Mais je l'ai dit, je suis Président de la République, je le suis pour la période qui va jusqu'en mai 2017. Je ne me détermine pas par rapport à la candidature, contrairement à ce que je lis parfois, en laissant penser que tout ce que je ferais serait lié à cette seule préoccupation. Je peux ne pas être candidat, je peux être candidat, je ne me déterminerai qu'au moment où je penserai que ça sera le temps d'y parvenir. Avant, je préfère être pleinement Et tout ce que je fais, je ne le fais pas du tout, pas dans l'esprit d'être comme cela en prolongation, je le fais parce que c'est utile pour la France et rien que pour cela.
Nicolas DEMORAND : Est-ce que vous pensez parfois au 21 avril 2002 ?
LE PRESIDENT : Bien sûr que j'y pense parce que je l'ai vécu. J'étais chef d'un parti, premier secrétaire du Parti socialiste ce soir-là. J'ai appelé, après 20h, malgré le choc, à voter pour, en l'occurrence, Jacques CHIRAC puisque c'était celui qui était en face de Jean-Marie LE PEN. Je sais ce que ça représente la douleur, la souffrance de ne pas avoir le choix et d'être obligé, simplement, de ce qu'on appelle sauver la République. Donc je pense que, puisque vous m'interrogez, chacun doit y réfléchir, non pas pour essayer de trouver je ne sais quelle combinaison pour éviter cette éventualité mais se dire en responsabilité : qu'est-ce que l'on veut, qu'est-ce qu'on veut ?
Nicolas DEMORAND : Les conditions sont réunies pour un 21 avril aujourd'hui, à nouveau ?
LE PRESIDENT : Bien sûr qu'elles sont réunies, puisque nous avons une extrême-droite, on a parlé de l'extrême-droite en Europe, on peut parler de l'extrême-droite en France. Elles sont réunies. Donc, même si on peut avoir des doutes, même si on peut avoir j'ai entendu les questions des auditeurs des questions, des interrogations, des contestations, et même parfois de grandes déceptions, de la défiance, à un moment, le choix doit être fait : quelle société veut-on, quel pays veut-on. Moi, ce qui compte pour l'action que je mène, c'est que le pays puisse d'abord être protégé. J'ai voulu que, après ces attentats, il ne puisse pas se fissurer, se détruire, se défaire. Et puis je veux que le pays puisse avoir confiance dans son avenir, être fier de lui-même, capable de faire des mouvements, d'avancer et enfin, d'être aussi porteur d'une belle idée, de l'idée que l'on peut être utile, utile au-delà de soi-même, être capable de se dépasser.
Frédéric METEZEAU : Pour reprendre la question de la primaire, si des citoyens communistes, écologistes, voire des socialistes vous appellent et vous demandent de vous présenter devant ce que vous appelez ces partis ou ces citoyens qui s'organisent, vous leur direz « non » ? Vous leur direz « je suis au-delà de tout ça » ? Ou au contraire, vous passerez, vous vous soumettrez à ce, certains parlent d'un « bain de jouvence démocratique » ?
LE PRESIDENT : Je suis à Bruxelles, je suis en train de négocier à la fois la question des réfugiés, la présence de la Grande-Bretagne dans l'Union européenne, j'ai à me mettre pleinement dans ma tâche pour l'emploi, pour le chômage qui doit être absolument réduit d'ici la fin du quinquennat, j'ai à protéger mon pays. Je ne vais pas me préoccuper ce que peuvent faire - par ailleurs je le respecte des citoyens ou des partis : c'est aux partis, aux citoyens de s'organiser. Moi, je ne dois, pendant tous ces mois où je suis en charge de l'essentiel, être seulement préoccupé par les Français
Frédéric METEZEAU : Donc pas de primaire pour vous ?
LE PRESIDENT : Je n'ai pas dit ça, je dis : je ne suis pas dans cette situation. Je suis Président de la République.
Frédéric METEZEAU : Il y a trop à faire, donc pas de primaire...
LE PRESIDENT : Mais nous sommes à quatorze mois d'une élection et je vais rentrer dans ce type de réflexion, d'organisation ? Mais qu'est-ce que l'on penserait de moi ? Je ne suis pas à la tête d'un parti, je suis à la tête du pays.
Nicolas DEMORAND : Mais êtes-vous encore de gauche, François HOLLANDE ?
LE PRESIDENT : Je suis président de la République, je représente tous les Français et j'ai vocation...
Nicolas DEMORAND : Mais êtes-vous de gauche ?
LE PRESIDENT : Mon parcours, ma vie, mon engagement, mes choix sont toujours ceux qui permettent de respecter l'égalité, la dignité humaine et le progrès. Et même si je vous dis faire des choix...
Frédéric METEZEAU : Mais vous n'êtes plus de gauche, aujourd'hui ?
LE PRESIDENT : Toute ma vie est une vie d'un homme qui s'est engagé à gauche et qui le reste.
Nicolas DEMORAND : Elle a changé, votre vie, en 2012 !
LE PRESIDENT : Je suis devenu Président de la République. Je suis toujours engagé comme je l'ai été, mais je ne suis plus un militant, je suis le Président de la République française qui doit agir en fonction de ses propres valeurs, de ses propres engagements, pour le bien du pays et en n'oubliant rien de ce que je suis, de ce que j'ai fait et de ce que je serai demain. Parce que mon engagement n'a pas changé.
Nicolas DEMORAND : Il y a énormément de déception, on le lit dans les mails des auditeurs de France Inter. Chez vos électeurs de 2012 qui estiment pour beaucoup en tout cas, c'est l'échantillon peut-être qu'il n'est pas représentatif que vous les avez trahis...
LE PRESIDENT : Non, je...
Nicolas DEMORAND : Je vous le dis, je vous le dis...
LE PRESIDENT : Non, certains de vos auditeurs peuvent le penser, mais...
Nicolas DEMORAND : Beaucoup, beaucoup, beaucoup, François HOLLANDE.
Mickaël THEBAULT : La trahison est un mot, sincèrement, est un mot, qui revient plusieurs centaines de fois.
Nicolas DEMORAND : Est-ce que vous avez un mot à leur dire, pour leur donner une raison encore d'y croire, ou de vous croire ?
LE PRESIDENT : Je vais leur dire que gouverner aujourd'hui, dans le monde que l'on connaît, avec les tensions que l'on sait, avec les menaces - qui ne sont pas virtuelles puisqu'il y a eu ce que l'on sait dans notre pays - des attentats, avec une compétition telle qu'elle est dans le monde, avec des pays qui nous font concurrence, avec des enjeux d'emplois et d'économie, je dois agir. Et le pire, ce serait de trahir mon pays. Trahir ce qui serait l'essentiel, l'intérêt du pays. Tout ce que je fais, je le fais en pensant uniquement à la France et aux Français. Uniquement à ce que je pense utile et nécessaire de faire. Et même si je peux froisser je le sais, je l'entends, je le vois ...
Nicolas DEMORAND : Vous le sentez, vous le voyez...
LE PRESIDENT : Mais bien sûr que je le vois. Parce que...
Nicolas DEMORAND : Vous voyez les sondages. Enfin, bon...
LE PRESIDENT : Mais je ne suis pas dans un monde idéal ! Je ne peux pas faire, en claquant des doigts, des miracles, chacun peut le comprendre. Mais la question, c'est de savoir : est-ce que l'on veut gouverner ou on ne veut pas gouverner. Si l'on ne veut pas gouverner, on reste là, on regarde, on laisse d'autres faire ce que l'on appelle « la sale besogne ». Moi, je ne fais pas la sale besogne. Je fais le travail, le plus beau plus des travaux qu'il est possible de faire pour mon pays. Et ce que je veux, c'est bien faire £ pas défaire, pas essayer de tout faire pour que rien ne change. Bien faire. Et je demande à être jugé là-dessus : est-ce que j'aurai bien fait ou est-ce que je n'aurai pas bien fait.
Nicolas DEMORAND : Merci, François HOLLANDE, merci, Monsieur le Président de la République, d'avoir passé ces deux heures en notre compagnie sur France Inter. Merci infiniment aux auditeurs de nous avoir téléphoné, de nous avoir écrit, d'être intervenus sur les réseaux sociaux. Nous vous laissons partir, Monsieur le Président de la République...
LE PRESIDENT : Merci de me laisser partir. Je ne sais pas combien de temps cela va prendre...
Nicolas DEMORAND : Oui parce que les négociations traînent...
LE PRESIDENT :... Mais en tout cas merci à vous, merci aux auditeurs, et moi, je préfère toujours cette façon de dialoguer, même si c'est dur, dur à entendre, pour les uns comme pour les autres, je préfère que ce soit dur pendant une période et que ce soit plus harmonieux après, car ce qui compte, c'est l'harmonie dans notre pays.
Nicolas DEMORAND : Merci en tout cas d'avoir accepté notre invitation.