28 janvier 2016 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur le génocide arménien, à Paris le 28 janvier 2016.


Madame, Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs les parlementaires,
Madame la Maire de Paris,
Madame la Présidente du Conseil régional,
Messieurs les responsables du CCAF,
Mesdames, Messieurs,
Je vous retrouve donc aujourd'hui pour ce dîner qui est devenu une tradition puisque cela fait déjà trois ans et en France, trois ans, c'est déjà un rite. Il est vraisemblable que d'année en année, vous rassemblerez ici responsables politiques, responsables économiques et responsables associatifs qui partagent avec vous une cause qui n'est pas la cause arménienne, qui est la cause de la justice.
L'année dernière, je vous annonçais, en venant à votre dîner, que je serai à Erevan pour le centenaire du génocide. Je sais ce qu'a représenté cet événement pour vous, pour tous les Arméniens du monde, à la fois pour le travail de mémoire et pour la reconnaissance internationale du génocide arménien.
Je salue votre combat parce que je le partage. Je l'ai soutenu avant de devenir Président de la République avec d'autres qui sont ici et je continue, à ma place, à défendre ce que je considère être la justice.
Ce centenaire a correspondu hélas à d'autres tragédies. Comme s'il fallait, pour évoquer des massacres, que d'autres se produisent au même moment. D'abord les attentats à Paris en janvier puis en novembre et je n'oublie pas ceux dont on a moins parlé parce qu'ils n'ont pas fait de victimes mais qui ont été empêchés. Je salue là Monsieur MOOGALIAN qui était dans le THALYS, qui a été blessé par le terroriste qui voulait faire des actes de barbarie dans ce train.
Monsieur MOOGALIAN a été sauvé par un soldat américain qui voyageait et qui, avec l'épouse de Monsieur MOOGALIAN, lui a apporté les premiers soins qui lui ont permis d'être ici aujourd'hui. Un citoyen d'origine arménienne dans un train qui aurait pu être celui d'un autre acte barbare.
D'autres tragédies sont venues dans cette année 2015 : tragédie de ces réfugiés, de ces familles déplacées, de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants qui quittaient la Syrie, l'Irak ou la Turquie pour rejoindre l'Europe au prix souvent de leur propre vie. Terribles images pour vous qui, plus que d'autres, pouvez comprendre ce qu'elles représentaient parce que c'étaient des images, c'étaient des faits qui s'étaient déjà produits et qui avaient concerné les Arméniens.
La peur, l'exode, le refuge, voilà des mots qui, pour vous signifient bien plus que pour d'autres, des drames qui font écho à votre propre histoire, à celle de vos familles mais aussi à notre histoire commune, l'histoire de France. Car la France a toujours été un pays qui a fait droit à l'asile et qui a permis à beaucoup de familles perdues mais éperdues de liberté de trouver un pays où s'établir.
La France, notre France, votre France, fut pour de nombreux Arméniens plus qu'une terre d'asile mais une patrie d'adoption. Les Arméniens ont fait plus que s'intégrer, ils ont donné parfois leur vie à leur pays. Appelés pendant des conflits, ceux du XXe siècle, à servir la France, ils ont versé leur sang pour que la France, cette France qui les avait accueillis, puisse être libre.
Si la France fut pour les Arméniens un refuge, les Arméniens furent pour la France une chance. Nous sommes l'un des pays d'accueil de ce qu'on appelle la diaspora arménienne, troisième en nombre et nous sommes heureux et fiers d'être ce pays-là, la France. Aujourd'hui, c'est en souvenir de cette période que nous devons agir avec nos partenaires européens pour traiter avec humanité et responsabilité ces femmes, ces hommes, ces enfants qui aujourd'hui, une fois encore, font appel à nous parce qu'ils fuient la guerre et la terreur.
Il y a effectivement des répétitions dans l'histoire, comme si les fatalités s'acharnaient sur les mêmes hommes, les mêmes femmes à plusieurs générations de distance et sur les mêmes lieux. Ce qui me frappe, je l'avais dit à Erevan, c'est que ces familles qui quittent leur pays, parce qu'elles y sont obligées, parce qu'elles fuient les massacres, d'où viennent-elles? D'Alep, de Deir ez-Zor, là où le génocide arménien s'est, si je puis dire, achevé. Nous devons donc, pour toutes ces familles et quelle que soit leur religion, leur faire le meilleur accueil possible dès lors qu'elles revendiquent le droit :le droit d'asile.
Il y a dans cette tragédie d'autres tragédies et notamment elles ont été rappelées celle des chrétiens d'Orient et toujours des Arméniens. Comme si là encore, il fallait que ce soit les mêmes qui payent le plus lourd tribut aux guerres, aux conflits et aux haines.
J'étais à Erevan le vendredi 24 avril 2015, je vous représentais, non pas vous, je représentais la France. Je vous en avais fait la promesse, j'y étais. J'étais aux côtés du Président de l'Arménie, et d'autres chefs d'État, pas si nombreux quecela. D'où la nécessité de poursuivre la lutte pour la reconnaissance internationale du génocide. J'étais sur cette colline que vous connaissez bien face à la ville d'Erevan, face au mont Ararat. J'ai déposé un illet au Mémorial du génocide devant la flamme qui symbolise les centaines de milliers de victimes. Je me suis recueilli pendant la minute de silence et j'ai pensé à vous parce que vous-mêmes, vous étiez dans le recueillement et vous étiez devant les monuments érigés partout en France à la mémoire des victimes du génocide arménien. Nous étions d'une certaine façon ensemble dans ce moment d'émotion.
Des centaines d'événements ont été organisés durant l'année 2015, partout dans le monde : des expositions, des concerts, des pièces de théâtre, des festivals qui ont rappelé tout ce que le peuple arménien a pu apporter au monde et ici, à la France. Il y a eu de nombreuses manifestations intellectuelles. Je pense notamment au colloque qui s'est tenu en mars 2015 à la Sorbonne pour dresser le bilan de 100 ans de recherche sur le génocide arménien parce que nous ne savons pas encore tout sur le génocide et parce que certains s'acharnent à en dissimuler la réalité, à en détruire les preuves. Il y avait, dans ce colloque, des historiens du monde entier et notamment de Turquie et d'Arménie. Je dis bien de Turquie et d'Arménie. Ils ont pu témoigner des progrès réalisés dans la connaissance du génocide et je veux ici affirmer le rôle irremplaçable de la recherche pour construire une mémoire partagée et apaisée.
Ce sont les historiens qui sont les gardiens de la mémoire du génocide dès lors qu'il n'y a plus de témoins. Il nous faut donc ne jamais oublier les faits, connaître les causes pour que jamais les conséquences ne puissent s'effacer. Les historiens n'établissent aucun procès. Ils ne condamnent pas les vivants au nom des morts, ils nous aident et c'est ce qu'on leur demande à nommer ce qui a été et à comprendre comment une tragédie comme le génocide arménien a pu arriver et comment d'autres peuvent se préparer.
Nommer ce qui a été, c'est ce que la République française a fait en adoptant la loi du 29 janvier 2001 qui a reconnu enfin la réalité du génocide arménien. Je remercie d'ailleurs tous les parlementaires beaucoup sont là qui étaient ce jour-là à l'Assemblée nationale, au Sénat et qui ont permis l'adoption de cette loi. Ce fut un long combat ! On croit toujours que parce qu'une loi a été adoptée, ce fut chose facile. Non, il a fallu des années, que dis-je des décennies pour en arriver là ! Il y avait non pas ceux qui voulaient nier le génocide mais qui considéraient que ce n'était pas à un Parlement d'en décider. Il y avait aussi et j'ai pu les entendre, des historiens qui disaient que les parlementaires ne devaient pas faire uvre historique.
Il ne s'agissait pas de cela. En reconnaissant le génocide arménien, il y avait non seulement une position qui était prise et qui allait au-delà même de la France, mais il y avait déjà la nécessité de lutter contre le négationnisme de ce génocide. C'était finalement contenu dans cette loi pour que nul ne puisse nier, contester les faits. Cette loi donc, n'était pas simplement une satisfaction, un aboutissement, elle était un commencement. C'était il y a exactement 15 ans. Il ne s'agissait pas d'établir une vérité officielle, il s'agissait d'énoncer une réalité et de lutter contre le négationnisme car le négationnisme existe.
Alors je sais la déception qui a été la vôtre, qui a été la nôtre en février 2012 lorsque le Conseil Constitutionnel a déclaré non conforme à notre texte fondamental une loi qui avait été votée sans doute dans la hâte, dans l'urgence, et qui n'avait donc pas toute la force juridique pour être reconnue conforme à notre Constitution.
Depuis cette date, depuis 2012, la France n'est pas restée inactive. Elle a soutenu dans une procédure compliquée, ce que l'on appelle l'affaire PERINÇEK. Elle a soutenu la Suisse devant la Cour européenne des droits de l'homme pour qu'il puisse y avoir une voie juridique afin que le négationnisme ne puisse pas prospérer. A cet égard, nous n'avons pas obtenu satisfaction.
Nous devons continuer car je veux que nous n'allions pas dans le sens des proclamations, elles sont si simples dans ce type de soirée. Je veux que nous puissions aboutir, c'est-à-dire que nous puissions agir dans le cadre du droit. Le droit, la Constitution, les engagements internationaux de la France, ce sont des textes qui nous obligent et c'est dans leurs limites que nous devons organiser la réponse.
Une loi, si elle était votée, qui serait de nouveau censurée par le Conseil constitutionnel ou qui vaudrait à la France d'être condamnée à son tour par la Cour européenne des droits de l'homme ? Ce serait un échec terrible non pour notre pays mais pour la cause arménienne puisque cela serait une victoire du négationnisme.
Nous devons alors prendre des initiatives, des initiatives dans le cadre du droit. J'ai demandé à Jean-Paul COSTA qui est ici présent, l'un de nos plus grands juristes, conseiller d'État, ancien président de la Cour européenne des droits de l'homme et qui connaît parfaitement la jurisprudence européenne, de chercher dans notre droit quelle voie solide, incontestable permettrait de protéger la mémoire. Il va faire son travail dans un délai très court car c'est sur la base de ses conclusions, qui nous donneront cette garantie, que nous pourrons prendre une initiative sur le plan législatif qui ne nous vaudra aucune contestation parce que c'est le but. Le but est d'aboutir, ce n'est pas de promettre à chaque fois une nouvelle loi qui serait à chaque fois contestée. Le but est de faire la loi et de la rendre conforme à nos textes fondamentaux.
On nous dira « mais pourquoi cet acharnement ? », qui n'a rien à voir avec les consultations électorales car méfions-nous de ce type de discussion ou de raisonnement, nous devons agir au-delà même des échéances. De ce point de vue, qu'il y ait une continuité, qu'il y ait cette diversité des sensibilités est la meilleure chance pour aboutir. L'enjeu ce n'est pas de nous acharner, ce n'est pas de vouloir satisfaire une revendication que j'ai moi-même portée, l'enjeu c'est de réconcilier. C'est pourquoi l'Arménie comme la Turquie trouveront toujours la France à leurs côtés pour les aider à progresser dans la voie du dialogue.
C'est le message que j'avais délivré ici l'année dernière, c'est le message que j'ai porté à Ankara en janvier 2014, message que j'ai répété à Erevan le 24 avril. Des initiatives ont été prises depuis, des paroles ont été prononcées, des démarches ont été engagées et je pense notamment à ces milliers de personnes qui se sont rassemblées le 24 avril dernier à Istanbul et qui venaient de France, d'Arménie et de Turquie. Il en fallait du courage pour y être ! Les attentes de la part des autorités turques demeurent fortes et je me souviens de cette parole de Hrant DINK qui rêvait au « jour où l'eau creusera de nouveau son sillon ». Il militait pour que « ces peuples proches ne soient plus des voisins lointains », et il l'a payé de sa vie.
J'ai la conviction aussi, et c'est le rôle de la France de le dire, que la réouverture de la frontière terrestre entre la Turquie et l'Arménie serait un grand progrès dans l'esprit des engagements qui ont été pris à Zurich en 2009. Il y a également la situation du Haut-Karabagh qui continue à faire des victimes chaque mois, car chaque mois, que ce soit du côté Azerbaïdjan ou du côté Arménie, nous devons relever des soldats morts ou même des victimes civiles. La France exerce la coprésidence du groupe de Minsk aux côtés des Etats-Unis et de la Russie, la France agit pour rapprocher les deux parties. J'ai moi-même organisé un sommet avec les deux Présidents, Arménie et Azerbaïdjan, à Paris en octobre 2014. J'y ai passé une bonne partie de la nuit sans aboutir. C'est toujours dans ce cadre que je poursuis mes efforts de médiation et c'est ainsi que je me suis rendu à Bakou en 2015, comme je me suis rendu à Erevan pour la commémoration du génocide arménien. Les Présidents SARKISSIAN et ALIYEV se sont rencontrés à Berne le 19 décembre dernier et je vous annonce que je suis prêt à reprendre une initiative au titre justement de la coprésidence du groupe de Minsk et en parfait accord avec les Etats-Unis et la Russie pour chercher encore une solution.
Les points de vue ne sont pas si éloignés mais ils doivent à un moment aboutir. Il n'est pas possible que 20 ans après nous soyons dans un état de guerre et que des territoires soient encore contestés. Il y a donc nécessité de trouver un aboutissement. Et puis il y a la situation humanitaire. La France vient de verser une contribution volontaire, elle n'est pas élevée : 300 000 euros au Comité international de la Croix-Rouge. Ce que je voudrais, c'est que sous la supervision du CICR, donc de la Croix-Rouge, nous ayons toutes les données disponibles sur les disparus du conflit pour permettre d'en terminer avec la cruelle incertitude dans laquelle sont restées tant de familles depuis le cessez-le-feu de 1994 au Haut-Karabagh.
L'avenir de l'Arménie passe aussi par l'Europe et par le développement de son partenariat avec l'Union européenne. Il a fallu trouver - et je m'y suis employé, une solution pour associer l'Arménie alors même qu'il n'y a pas d'accord d'association avec l'Europe. J'ai dit à mes amis européens qu'il n'était pas possible si l'on faisait un accord d'association avec l'Ukraine, avec la Géorgie, avec la Moldavie, de laisser l'Arménie de côté. L'Arménie doit être aussi dans une perspective européenne. Elle y est prête, des négociations ont été lancées le 7 décembre à Bruxelles en vue de la signature d'un accord-cadre et la France continuera à soutenir cette démarche.
Voilà, Mesdames et Messieurs ce que j'étais venu vous dire ce soir, dans un contexte qui reste lourd, lourd pour le monde et vous avez rappelé ce qui se passait en Syrie et en Irak. C'est vrai, il y a quelques heures à peine, j'étais avec le Président ROHANI et j'appelais à ce que tous les pays de la région fassent pression pour que cette négociation qui est attendue à Genève puisse se faire. Pour qu'il puisse y avoir un processus politique, une transition qui fasse que nous puissions lutter contre le terrorisme parce que notre ennemi est le terrorisme, Daesh, Al-Nosra, Al-Qaida, et qu'en même temps nous puissions trouver une solution pour la Syrie. Il était important de recevoir le Président de l'Iran même si nous avons des divergences, important parce que nous devons faire en sorte que tous les pays soient impliqués. Aujourd'hui, je pense que 2016 doit être l'année où des solutions doivent être trouvées et où la lutte contre le terrorisme doit avoir des succès qui permettent de libérer une population asservie.
En m'adressant à vous aujourd'hui, je parle aussi à notre peuple qui a été visé, durement visé, dans sa culture, son mode de vie, sa jeunesse à Paris, au cur d'une compétition sportive au Stade de France. Oui, nous aussi nous sommes concernés par les dégâts du monde. Nous ne pouvons pas nous isoler, penser que ces questions ne concernent que les autres. Et nous sommes particulièrement visés nous, la France, parce que nous sommes un pays de libertés.
Je viens aussi d'Inde, qui est aussi victime du terrorisme. L'Inde fêtait sa Constitution. Dans la Constitution de l'Inde il y a l'égalité, liberté, fraternité parce qu'au moment de son indépendance, le pays voulait s'inscrire dans l'esprit de la Révolution française. Ce qui me frappe toujours c'est que la France est attendue, admirée, aimée et elle a montré à quel point elle était aimée et admirée, hélas après les attentats.
La France doit s'aimer elle-même, elle doit prendre conscience de ce qu'elle est, de ce qu'elle représente, de ce qu'elle porte comme idée. Vous le savez car vous aimez passionnément la France. Vous l'aimez passionnément parce qu'elle vous a accueillis sans doute, et parce que vous y avez des racines qui ne sont pas des racines qui remontent à loin mais qui sont tellement profondes. Car vous avez, par vos familles, adhéré à l'esprit de la France, sans doute même vos familles ont pensé à la France sans la connaître, imaginé la France, rêvé de la France.
Vous n'êtes pas une communauté, vous êtes des compatriotes qui ont en partage une histoire, celle de vos familles, celle d'une terre dont vous portez le souvenir mais que vous avez enracinée dans celle de la France.
Il n'y a qu'une seule France, qu'une seule République mais il n'y a pas qu'une seule sorte de Français, chacun vient avec son parcours, ses convictions, ses croyances et la France ne demande à personne de les rogner. Elle n'exige pas de ses citoyens d'oublier leurs origines pour être Français. La force de la France, c'est de n'être lié ni par le sang, ni par la religion, ni même par une culture unique mais d'être porté par des valeurs partagées.
Le peuple français est en réalité une addition, une agrégation de multiples destins personnels qui font un destin collectif. Ces valeurs que nous portons sont notre identité et c'est la raison pour laquelle la République doit réprimer sévèrement les actes comme les propos qui véhiculent la haine, le racisme, l'antisémitisme, le négationnisme.
Mesdames et Messieurs, Français d'origine arménienne, vous êtes un lien tellement précieux entre notre pays et cette terre lointaine où vous avez les racines des générations qui vous ont précédées. Je voulais au terme de ce propos vous remercier, vous remercier pour votre engagement pour la République, vous remercier pour votre attachement à la France, aussi pour votre contribution aux progrès, aux avancées de notre pays dans tous les domaines, politique, économique, culturel. Je voulais vous dire que c'est votre vitalité qui fait la France. Merci d'être Français.