24 novembre 2015 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Hollande, Président de la République, dans "L'Express" du 24 novembre 2015, sur la lutte contre le dérèglement climatique.


- Les attentats du 13 novembre mettent-ils aussi en danger un accord sur le climat ? Comment remobiliser dans de telles conditions ?
J'ai voulu maintenir le rendez-vous qu'a le monde avec lui-même. Et ces circonstances tragiques donnent un sens encore plus décisif à cette conférence. Jamais Paris n'aura accueilli tant de chefs d'Etat et de gouvernements (140 ont confirmé leur présence). Jamais l'enjeu n'aura été plus élevé. Jamais l'obligation d'agir n'a été si grande. La France ne renoncera jamais à ce qu'elle est: une grande nation qui parle au monde et qui est capable de le réunir pour décider de son destin. Oui, elle triomphera des périls! Mais nous devons à nos enfants plus qu'un monde libéré du terrorisme. Nous devons préserver la planète de nos propres errements et construire un avenir d'espérance et de progrès.
Ce qui est en question dans cette conférence, c'est l'humanité. L'homme est toujours son propre ennemi. Le terrorisme nous le rappelle. Il ne tient qu'à nous d'être à la hauteur de notre propre histoire pour déterminer notre futur. Je sais que les citoyens auront la volonté de se mobiliser pour faire pression sur les dirigeants réunis à Paris, mais les manifestations prévues ne pourront pas, dans le contexte que nous connaissons depuis le 13 novembre, être confirmées.
Les ONG qui en avaient pris l'initiative l'ont regretté mais, j'en suis sûr, l'ont compris. Leur engagement est intact, il sera même sans doute plus fort encore, comme en témoigne l'extraordinaire diversité des initiatives prévues à l'agenda des solutions. De nombreux événements auront néanmoins lieu en Ile-de-France, dans des lieux fermés et sécurisés.
- En quoi la lutte contre le dérèglement climatique et celle contre le terrorisme sont-elles liées ?
Mais c'est le même combat. Celui qui consiste d'une part à protéger l'humanité des actions de mort que porte l'"Etat islamique" (Daech), qui frappent, bien plus que la France, l'ensemble du monde. Et d'autre part à préserver la planète de nos propres inconséquences, qui peuvent être, demain, des sources de conflit et de guerre. Avec la même urgence. Le fanatisme qui tue aujourd'hui. Et l'indifférence qui consume notre planète. La France est donc en première ligne. Et elle veut être à la tête de la plus large coalition pour la vie.
- Quelques mois à peine après votre élection, en 2012, vous avez décidé que la France accueillerait la COP 21 à Paris, alors qu'aucun autre grand pays n'était sur les rangs. Mesuriez-vous bien l'ampleur du défi qui vous attendait ?
Nous sortions d'un immense échec, celui de Copenhague, en 2009. Une grande nation comme la France devait relever le défi. J'ai estimé que notre pays, capable de parler à tous les Etats du monde, pouvait prendre la responsabilité d'accueillir cette conférence. Pas seulement comme un pays hôte, mais bien comme une nation engagée de longue date sur les questions d'environnement. J'ai pris cette décision après m'être rendu en juin 2012, dès le premier mois de mon mandat, à la Conférence "Rio + 20", destinée à commémorer la tenue, en 1992, du premier sommet climatique.
Cette mobilisation avait débouché sur des résultats tangibles, et notamment le protocole de Kyoto, mais ensuite d'autres sujets et d'autres dirigeants avaient fait prévaloir d'autres priorités, et la cause s'était affaiblie alors même que les rapports d'experts, en particulier ceux du Giec, nous montraient l'ampleur et la rapidité de la dégradation. Face à cette situation, il y avait deux options possibles. Soit espérer qu'un autre grand pays se dévouerait, soit prendre nous-mêmes cette responsabilité.
Je savais que Paris représentait un symbole. Je n'imaginais pas que les attaques du 13 novembre nous le rappelleraient avec cette intensité. Notre capitale a su à certains moments de l'Histoire être la capitale du monde. C'est ici qu'a été proclamée, en 1789, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et qu'a été lancée une révolution qui ignorait les frontières. C'est toujours à Paris, en décembre 2015, que doivent s'inscrire les droits de l'humanité. Et ce sera bien une sorte de révolution si la quasi-totalité des Etats du monde approuvent un accord contraignant comprenant des obligations et des engagements financiers.
- Est-ce aussi pour vous un enjeu personnel ?
Il existe dans le domaine de l'environnement une tradition française. Le président Valéry Giscard d'Estaing avait été l'un des premiers responsables à réunir, au début des années 1970, une conférence autour du rapport du Club de Rome, qui remettait en question le dogme de la croissance à tout prix. Cette prise de conscience fut balayée par les crises pétrolières. Ensuite, François Mitterrand s'est personnellement investi dans la préparation de la conférence de Rio. Ségolène Royal était déjà ministre de l'Environnement.
Puis Jacques Chirac, sensible aux appels de Nicolas Hulot, a prononcé un discours au sommet de la Terre de Johannesburg, en septembre 2002: "Notre maison brûle et nous regardons ailleurs." Cette phrase est encore dans toutes nos mémoires. La taxe sur les billets d'avion, décidée à son initiative, montrait aussi sa volonté d'agir au niveau planétaire. Enfin, Nicolas Sarkozy a été l'initiateur du Grenelle de l'Environnement.
La France a donc été constante. Et ce serait trop simple de ma part de considérer qu'il ne se passait rien avant. Pour pouvoir parler au nom de la France, il faut parler au nom de son histoire. En ce qui me concerne, je n'ai jamais eu de doute sur le sujet. Et ma conviction s'est encore renforcée lorsque, au tout début de mon mandat, j'ai reçu les experts du Giec. Ils m'ont présenté leurs rapports, des cartes, des évaluations précises. Leur constat était accablant: fonte des glaciers, montée des océans, îles englouties, migrations... J'ai alors décidé d'engager notre pays dans la transition énergétique, de travailler avec Angela Merkel pour réorienter l'Europe et porter l'enjeu climatique sur le plan mondial. Nous y sommes.
- En septembre, vous lanciez un cri d'alarme en expliquant que l'on n'avançait pas suffisamment dans les négociations en vue de la COP 21. Aujourd'hui vous semblez plus optimiste. Pourquoi ?
Parce qu'une véritable prise de conscience s'est opérée. Il n'y a pas un pays dans lequel je me sois rendu depuis trois ans où le réchauffement climatique n'ait pas été relevé comme un risque de catastrophe. Aucune région n'est épargnée. Et même le cynique paradoxe qui voulait que les pays qui avaient été les plus prédateurs étaient les moins exposés au danger climatique n'est plus vérifié. Nous sommes tous concernés. Aussi bien les pays côtiers que les espaces de montagne, le Nord que le Sud. Partout, les températures s'élèvent. 2015 s'annonce, déjà, comme l'année la plus chaude jamais enregistrée dans notre pays, et je n'oublie pas que le Sud-Est a connu, il y a quelques semaines, des intempéries dramatiques.
Je rappelle aussi que la grande majorité des réfugiés fuient les conséquences du réchauffement. 80% de ces réfugiés, dans le monde, sont accueillis dans les pays du Sud de la planète. Ainsi, même si nous parvenions à régler la question de la Syrie, nous serions toujours confrontés à des migrations de millions de personnes contraintes au nomadisme du fait de l'impossibilité de cultiver leur terre. Ces désordres ne pourraient qu'engendrer de nouveaux conflits. Il ne s'agit donc pas de préserver seulement notre environnement, mais aussi les grands équilibres de la planète. Et de lutter contre la faim dans le monde, qui touche encore 850 millions de personnes.
La gravité de ces menaces permet de comprendre que la plupart des pays - du plus pauvre au plus riche - ont maintenant compris l'importance de ces enjeux, à commencer, bien sûr, par ceux dont une partie du territoire risque purement et simplement d'être rayée de la surface du globe.
- Il reste malgré tout le silence assourdissant de l'Inde, de la Russie, des pays pétroliers...
162 contributions étatiques ont été adressées au secrétariat de la conférence. Elles représentent 90% des émissions de CO2. On pourrait donc se dire que la conférence est jouée, puisque la plupart des pays ont fait part de leurs engagements, du moins sur le papier. Ceux qui n'ont pas répondu sont pour l'essentiel les producteurs d'hydrocarbures. Plutôt que de les mettre au pilori - je rappelle que nous sommes aussi des acheteurs de leur pétrole -, nous devons les accompagner dans la montée en puissance des énergies propres.
En ce qui concerne la Russie, pour m'être entretenu avec Vladimir Poutine, je suis confiant sur le soutien qu'elle apportera au processus, d'abord parce qu'elle souffre comme les autres du réchauffement, ensuite parce qu'elle vend surtout du gaz, or cette énergie est moins centrale que le charbon dans les négociations. La Chine, deuxième émetteur de CO2 au monde, utilise massivement le charbon, mais sa population ne supporte plus les ravages de la pollution. Le président chinois en est parfaitement conscient. Lors de notre rencontre, au début du mois de novembre, il a accepté d'introduire dans l'accord une clause de révision pour évaluer régulièrement les efforts des uns et des autres afin de limiter le réchauffement à 2 degrés d'ici la fin du siècle. L'équilibre politique passe, là-bas, par l'équilibre climatique.
Quant à l'Inde, le Premier ministre Modi ne veut pas que le développement de son pays soit entravé par des contraintes trop fortes. Il estime qu'il n'a pas à souscrire d'engagements financiers et doit s'assurer que la conférence va organiser un transfert de technologies du Nord vers le Sud. Il veut faire de l'Inde un modèle en matière d'énergie solaire. Nous devons l'accompagner dans cette démarche.
- Quand vous entendez Barack Obama déclarer "Grâce au leadership américain, nous allons signer à Paris un grand accord", préférez-vous ne retenir que la seconde partie de la phrase ?
Je préfère qu'on se dispute sur le leadership plutôt que sur l'accord lui-même. Mais à la COP 21, il ne suffira pas de prononcer de bonnes paroles, il faudra aussi s'engager sur des objectifs contraignants. Or je sais que des règles institutionnelles peuvent empêcher certains gouvernements de signer des traités dès lors qu'ils doivent en référer à leur Parlement. De même, si l'accord doit être contraignant, il doit aussi être universel.
Les pays émergents ne peuvent pas rester en dehors du cadre£ ceux qui émettent le plus de CO2 ont des devoirs dont ils ne peuvent s'exonérer, quel que soit l'état de leur développement. Enfin, les pays riches doivent se montrer exemplaires en matière de financement et de choix industriels. A cet égard, Barack Obama a envoyé un signal très positif avant de venir à Paris en refusant d'autoriser le projet d'oléoduc géant entre le Canada et les Etats-Unis.
- Pour l'instant, les contributions nous amènent sur une trajectoire d'environ 3 degrés de réchauffement d'ici à 2100. Or le Giec a prévenu qu'au-delà de 2 degrés, nos sociétés ne pourraient s'adapter sans drame à la nouvelle donne climatique. Comment aller plus loin ?
Un seul degré d'écart, ça semble peu, mais cela signifie des sécheresses, des tempêtes, des inondations. Des risques politiques aussi. Sur ces questions qui touchent le très long terme, l'illusion, c'est de penser qu'on a le temps et d'imaginer que la science finira par trouver des solutions à ce que la politique n'a pas su régler. Mais si le progrès technologique peut accélérer la transition, il ne peut pas la remplacer. Aucune invention, si révolutionnaire soit-elle, ne pourra réparer les dégâts causés par le dérèglement climatique.
La sagesse exige que nous agissions dès maintenant, et avec le désintérêt le plus total, puisque les générations présentes seront amenées à fournir des efforts dont elles ne verront pas les résultats. Les responsables politiques doivent décider avec ce même désintérêt. Ceux qui nous jugeront ne sont pas encore nés. Mais ils seront sévères, même si nous ne serons plus là pour les entendre! S'il y a une cause qui réclame du dévouement et du dépassement, c'est bien celle du climat.
- Alors, quelle est la solution pour tenir cet objectif des 2 degrés ?
D'abord prendre acte des engagements actuels, puis considérer que l'accord général engage toutes les parties prenantes de manière différenciée. Ensuite, introduire un mécanisme pour évaluer, réviser, corriger les trajectoires afin de ne pas dépasser ces 2 degrés. Il ne s'agit pas de reporter le problème aux conférences Climat qui suivront, mais de créer un rendez-vous régulier pour s'assurer que l'accord de Paris atteindra bien dans la réalité, et sur la durée, l'objectif fixé.
Cette clause de révision est essentielle. Elle a été admise par le président Xi Jinping. Son exemple sera suivi par d'autres. Nous sommes même convenus que cette nouvelle estimation serait établie dès 2017-2018, avant que ne s'appliquent les mécanismes contraignants, c'est-à-dire en 2020. Il s'agit là d'une grande avancée.
- Tout cela sans mettre en péril le développement économique...
C'est sur ce point qu'existe le principal risque de blocage. Les pays émergents - Inde, Brésil, Chine, Afrique du Sud... - ne veulent pas que la lutte contre le réchauffement climatique bride leurs économies £ ils considèrent qu'ils sont certes des émetteurs importants de CO2, mais que, par rapport au nombre d'habitants, leur responsabilité est faible. En outre, ils font valoir qu'historiquement leur rôle dans la production de CO2 depuis le début de l'ère industrielle est limité. Mais comment leur donner un droit de polluer sous prétexte qu'ils doivent rattraper leur retard?
Ces arguments trouvent leur limite. En revanche, nous devons bâtir un système qui puisse leur fournir des financements et un accès aux nouvelles technologies pour réduire l'étape des énergies fossiles. L'Inde et la Chine sont déjà lancées dans les énergies renouvelables et ont vocation à devenir les leaders mondiaux dans ce domaine. L'Afrique fait la même chose. Elle a également décidé d'un plan. Et la France est prête, avec l'Europe, à favoriser l'accès de tous les Africains à l'électricité. C'est un enjeu humain. C'est aussi un enjeu de croissance et d'environnement.
Enfin, nous devons aussi compter avec les pays les plus vulnérables. Eux estiment qu'on ne peut rien leur demander puisqu'ils sont les premières victimes. Ils exigent des mesures d'urgence et ne veulent pas attendre, car ils redoutent des mécanismes compliqués qui retarderaient les choix. Ils sont prêts à empêcher un accord, s'il est trop timide.
- Comment éviter le blocage ?
La solution est à chercher du côté du financement. Il a été convenu de dégager 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, afin d'aider à leur adaptation ainsi qu'à l'atténuation des effets du réchauffement climatique. Mais d'où proviendront ces 100 milliards ? De fonds publics et d'institutions privées, de prêts et de dons. Aujourd'hui, nous ne sommes pas très loin d'atteindre cet objectif, mais je ne voudrais pas qu'à l'illusion s'ajoute une imposture si rien n'est clair quant à la provenance de ces fonds, à leur destination, à leur pérennité.
Pour être exemplaire, la France a décidé de faire passer de 3 à 5 milliards, en 2020, la part de son aide au développement dédiée au climat. Au niveau multilatéral, un organisme - par exemple la banque mondiale - devra garantir et authentifier ces financements. S'il n'y a pas une réelle transparence sur la réalité et le fonctionnement du fonds, il n'y aura pas d'accord.
- Comment considérez-vous votre rôle durant la COP 21 ? Serez-vous une sorte d'arbitre ou êtes-vous prêt à taper du poing sur la table pour obtenir de réelles avancées ?
La COP 21 fonctionne selon la procédure onusienne, c'est-à-dire le consensus. Une poignée de pays peuvent donc tout bloquer. Il n'y a pas de vote, et d'ailleurs une décision à la majorité n'aurait pas beaucoup de sens, puisque la minorité ne se sentirait pas engagée par les décisions collectives. Enfin, le président n'a pas de voix prépondérante, donc la France ne peut forcer les choses: elle doit convaincre.
C'est ce que fait Laurent Fabius depuis plus d'un an. Et son rôle sera crucial dans la conférence. C'est lui qui devra, avec les représentants de chaque pays, améliorer le texte qui a été préparé par les négociateurs. C'est lui qui devra lever leurs réserves et tenir compte des points de départ différents. Pour appuyer sa démarche, j'ai préféré inviter les chefs d'Etat et de gouvernement au début de la conférence. Ils doivent donner l'impulsion politique nécessaire. A Copenhague, ils étaient venus à la fin. C'était trop tard! Ce fut l'échec.
- Un accord à Paris serait-il crédible sans contrôle des engagements de réduction des émissions de CO2 ?
Non. Et les modes de contrôle feront partie de l'accord. Peu de gouvernements acceptent que des institutions indépendantes aillent vérifier le respect de leurs obligations. J'ai abordé cette question pour la première fois avec les Chinois lorsque le Premier ministre Li Keqiang est venu en juin à Paris présenter officiellement ici, à l'Elysée, la contribution de son pays à la COP 21. J'ai bien senti ses réserves, mais il ne peut s'agir d'une intrusion. Ainsi, le président Xi Jinping a-t-il pu accepter un principe d'évaluation, et la Chine elle-même s'est imposé un plan à dix ans pour développer une "civilisation écologique".
Je sais aussi la puissance de l'opinion publique internationale. Aujourd'hui, chacun est informé de la situation de l'autre et peut comprendre que la catastrophe qui s'est produite à l'autre bout de la planète annonce la prochaine dans sa propre région. Chacun voit les images des glaciers qui fondent en Islande, des forêts qui brûlent en Californie, des pics de pollution à Pékin, des côtes submergées du Pacifique, des ouragans terribles à Saint-Domingue, du désastre écologique qu'a connu le Vanuatu ou des tempêtes dévastatrices qu'ont vécues les Philippines, des sécheresses et des inondations en Europe.
Nul ne pourra dire qu'il ne savait pas. Faute d'une manifestation des citoyens du monde à Paris, je suggère une mobilisation des réseaux sociaux. Nicolas Hulot a déjà montré combien cette arme pouvait être efficace.
- Votre position n'est-elle pas affaiblie par une Europe qui tolère le diesel, une France qui a reculé sur l'écotaxe, et qui est dotée d'une agriculture encore beaucoup trop polluante ?
Le réchauffement climatique pose la question de notre alimentation. Si les terres cultivables sont de plus en plus rares, pourra-t-on continuer à nourrir la population? Faudra- t-il accélérer la production intensive, sachant que ces méthodes aggravent l'épuisement des terres, donc le réchauffement? La dimension agricole est à l'ordre du jour de la COP21, avec cet impératif: produire plus et produire mieux. La solution se trouve du côté de l'agroécologie, car les sols ont une capacité importante de stockage du carbone, et de l'économie circulaire, qui, au lieu de gaspiller, fait du déchet une ressource et un débouché pour de nouveaux emplois et de nouvelles activités.
Les aides de l'Union européenne doivent aussi continuer à évoluer pour qu'elles soient liées - plus encore qu'aujourd'hui - à la qualité des produits et au respect de l'environnement. Se pose enfin la question des biotechnologies, qui pourraient contribuer à lutter contre le réchauffement climatique. C'est-à-dire aider la nature à s'adapter aux prédations de l'homme. Nous ne pouvons écarter cette hypothèse, mais nous devons l'encadrer avec le concours des scientifiques pour proscrire certaines manipulations.
- Et sur le diesel ?
Ce carburant ne contribue pas plus au réchauffement que l'essence, mais, par le niveau de particules qu'il dégage, il peut altérer la qualité de l'air. L'Europe doit se montrer exemplaire. Il a été décidé que les normes seront plus exigeantes et leur contrôle plus rigoureux. En ce qui concerne l'écotaxe, elle consistait à faire payer les poids lourds qui empruntaient certains itinéraires. Il se trouve que la complexité de ce système a engendré une incompréhension, et amené le gouvernement à lui substituer un dispositif plus simple, qui consiste à augmenter la taxe sur le gazole de l'ensemble des poids lourds. Ce dispositif rapportera davantage que l'écotaxe, et l'objectif écologique sera préservé.
En outre, ce gouvernement a aussi commencé à réduire progressivement l'écart de taxation entre l'essence et le diesel. Il a également introduit la contribution climat-énergie, qui taxe la pollution plutôt que le travail. Sur le plan européen, la taxe sur les transactions financières pourrait être utilisée pour aider à financer des grands programmes d'économies d'énergie.
- Autre levier majeur de la lutte contre le dérèglement climatique: le prix du carbone. Aujourd'hui, la tonne de carbone émis est taxée seulement 7 dollars en moyenne, ce qui n'incite pas les entreprises à investir pour moins polluer...
C'est exact. Le but est de fixer progressivement, au niveau mondial, un prix du carbone, et à un niveau suffisamment élevé pour encourager de meilleurs comportements. Un certain nombre de pays ont déjà mis en place un marché du carbone: l'Europe, la Chine, quelques Etats canadiens... Certes, le prix reste bas, mais ces initiatives ont le mérite d'exister. La généralisation et l'harmonisation du marché du carbone ne sont pas au programme officiel de la conférence, mais je ne désespère pas que les chefs d'Etat et de gouvernement en expriment l'utilité dans leur déclaration finale.
D'ores et déjà, les entreprises et les fonds d'investissement sont convenus de la pertinence de cette solution. C'est la condition pour que soient accélérés les choix en faveur des énergies renouvelables et des industries qui seront à la fois plus propres et plus rentables. En France, la loi de transition énergétique a déjà prévu une augmentation conséquente du prix de la tonne de carbone, qui passera à 22 euros l'année prochaine et qui devrait atteindre 100 euros d'ici à 2030.
Par ailleurs, en Europe, nous allons améliorer notre marché du carbone tout en veillant à éviter que les pays les plus vertueux deviennent moins concurrentiels. Mais très rapidement, une entreprise qui consommera moins de CO2 que la concurrence aura un avantage compétitif décisif.
- A l'approche de la COP 21, les entreprises communiquent beaucoup sur l'excellence environnementale, mais cela relève souvent de l'effet d'annonce, ce qu'on appelle le greenwashing. Pensez-vous que le milieu économique est réellement en train de changer ?
S'agit-il de greenwashing ? Je ne sais pas, mais une chose est sûre : le greenbashing, qui consistait à se moquer des initiatives écologiquement vertueuses, est bel et bien terminé. Je ne pense pas que les grandes entreprises pourront continuer à polluer effrontément tout en gardant une bonne image. L'exemple de Volkswagen a montré que le défaut de transparence - a fortiori la tricherie - se paie cash.
Par ailleurs, les situations évoluent. En 2012, les entreprises du CAC 40 m'avaient fait part de leur inquiétude à propos des gaz de schiste américains, qui créaient une distorsion de concurrence entre l'Europe et les Etats-Unis. Trois ans après, ce débat a moins d'acuité car le prix du pétrole a baissé et le gaz de schiste, contesté économiquement et écologiquement, a beaucoup perdu de son attractivité. Les entreprises qui hier m'alertaient sur le sujet sont désormais les plus engagées sur la COP 21. L'écologie est en train de devenir un argument de croissance, de qualité et de compétitivité.
- Cette évolution des consciences des dirigeants, des entreprises, des citoyens ne doit-elle pas appeler, de la part de l'homme de gauche que vous êtes, une redéfinition de l'écologie politique ? Serait-elle la base d'un néosocialisme ?
Pour paraphraser le général de Gaulle, je dirais que tout le monde sera écologiste ou le monde ne sera plus. Pourquoi ? Parce que la qualité de la vie sur la planète dépend de la qualité de notre environnement. Le débat politique ne disparaît pas pour autant. Car il y a plusieurs méthodes possibles pour arriver au résultat souhaité. L'une fait confiance au marché, au prix, aux signaux révélés par la rareté pour influencer les choix, et permettre aussi l'optimum économique et écologique. C'est la réponse libérale.
L'autre postule que c'est l'intervention de la puissance publique, qu'elle soit européenne ou mondiale, qui permettra d'agir plus vite et plus efficacement. Il existe donc des divergences d'approche, à la fois sur la philosophie et sur les instruments. Mais l'écologie concerne aussi le comportement de chacun, et là, nous avons besoin des sciences humaines pour établir nos priorités. Qu'est-ce qui est le plus important : le présent ou l'avenir ? La consommation ou la préservation? Ma vie ou celle de mes enfants ? Mon territoire ou la planète tout entière ?
Voilà des choix éminemment éthiques. Alors, la politique peut retrouver à travers le défi climatique de nouveaux fondements. Ces sujets nous ramènent à la question du collectif. Non pas le collectif qui oppresse, mais celui qui libère, puisque c'est du choix des autres que dépend notre propre avenir, ce qui est la plus belle définition de la solidarité. Considérer que l'écologie ne peut être que partisane serait la réduire à une sensibilité par ailleurs légitime, mais elle doit irriguer l'ensemble de nos décisions. Je voudrais d'ailleurs rendre hommage à tous ceux qui, dans les années 1970, ont, souvent un peu seuls, évoqué sous les sarcasmes les risques planétaires du réchauffement.
Je pense aussi au mépris dont étaient victimes ceux qui appelaient à la décroissance pour défendre une autre manière de croître! Aujourd'hui, la croissance verte est reconnue comme le ressort principal de l'activité de demain. Sur un plan politique, j'aurais préféré qu'il y ait des écologistes au gouvernement au moment où se tenait la COP 21. Mais j'ai veillé à travailler avec toutes les forces et toutes les personnalités, parce que c'est ensemble que nous devions préparer ce rendez-vous.
- Beaucoup voient la COP 21 comme une occasion, une fête. Mais avec ses 45000 VIP, ses cortèges officiels, ses gyrophares, ses manifestations, ne risque-t-elle pas de donner du grain à moudre aux climatosceptiques et de nourrir le populisme ?
Il y aura des désagréments. Une partie de la circulation sera interrompue le jour de la conférence. Il y aura des dispositifs de sécurité. Qui pourrait nier leur nécessité dans ces circonstances ? Il y aura des cortèges officiels dès lors que Paris va accueillir 140 chefs d'Etat et de gouvernement. Il y aura des grincheux, des protestataires, des fatalistes et des sceptiques. Mais que pèsent ces mouvements d'humeur à l'échelle de l'humanité, si Paris doit être non seulement la capitale du monde, mais la ville d'un accord historique pour l'avenir de nos enfants ?