19 novembre 2015 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur la lutte contre le terrorisme, à Paris le 19 novembre 2015.

Monsieur le président du Sénat,
Messieurs les Premier ministres,
Mesdames, Messieurs les ministres,
Madame Bernadette CHIRAC,
Madame Claude CHIRAC,
Mesdames, Messieurs les membres du jury,
Monsieur le président du Musée du Quai Branly,
Mesdames, Messieurs,
Nous nous retrouvons aujourd'hui pour exprimer notre attachement aux principes que la fondation Jacques Chirac porte et qui dans le contexte tragique que nous connaissons prennent un relief particulier £ le dialogue entre les cultures, la défense du droit, la protection des plus faibles, la résistance à l'oppression.
J'ai une pensée pour Jacques CHIRAC qui ne peut pas être là aujourd'hui mais qui a toujours été présent lorsqu'il s'est agi de défendre les valeurs de la République. Durant sa présidence, il a été lui aussi confronté au terrorisme, je pense aux attentats qui ont endeuillé notre pays en 1995. Alain JUPPE était Premier ministre.
C'était déjà l'islamisme radical qui frappait. Aujourd'hui, c'est Daech qui nous fait la guerre parce que nous sommes la France, parce que nous sommes un pays de liberté, de démocratie, de culture, parce que nous avons été le premier peuple au monde à proclamer que les hommes naissent libres et égaux et que la libre circulation des idées, des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme.
Daech fait la guerre à notre mode de vie, à notre art de vivre, à la vie, à la vie en France. La France mène cette guerre, avec ses forces armées, ses militaires dont je salue le courage. Elle conduira cette guerre avec ses alliés, avec ses partenaires, en nous donnant tous les moyens de l'emporter comme nous l'avons fait au Mali, comme nous avons continué en Irak et comme nous poursuivons en Syrie.
La France mène cette guerre avec ses forces de sécurité, policiers et gendarmes qui viennent encore une fois d'intervenir hier à Saint-Denis, de faire la démonstration de leur dévouement, de leur courage. Ils méritent l'admiration, la reconnaissance de la Nation toute entière qui doit se rassembler.
La France mène cette guerre avec les Françaises et les Français, sans distinction, parce qu'ils sont tous concernés, avec les élus de la République qui étaient rassemblés autour du président de l'association des maires de France hier, tous soudés dans la même résolution.
La France mène cette guerre avec l'arme du droit, car elle veut agir dans le respect des garanties fondamentales.
Nous ne renoncerons jamais à ce que nous sommes, c'est le sens même des deux prix que la fondation Jacques Chirac a remis ce matin. D'abord le Prix pour la prévention des conflits. Madame Latifa Ibn ZIATEN, nous mesurons combien cette récompense a du sens dans ces circonstances, une portée particulière, une résonance.
Depuis le 11 mars 2012, ce jour terrible où Imad votre fils a été lâchement assassiné par MERAH, parce qu'il portait l'uniforme de l'armée française, parce qu'il voulait être debout et ne rien céder. Depuis ce jour là, Madame, vous incarnez aux yeux de tous nos compatriotes, quelle que soit sa confession, quelle que soit son origine, quel que soit le parcours qu'ils ont pu accomplir, l'amour maternel dans ce qu'il a de plus fort, de plus poignant. Vous incarnez la souffrance du deuil, mais aussi la possibilité de puiser dans le chagrin, les ressources pour aller vers la dignité et vers la tolérance.
Je me souviens encore - je n'étais pas Président de la République- de votre présence dans la cour de la caserne de Montauban, lors de la cérémonie d'hommage national qui était présidée par Nicolas SARKOZY, Président de la République, pour les trois soldats parachutistes tombés sous les balles du terrorisme. Vous étiez comme vous l'êtes aujourd'hui, digne, fière de votre fils, attachée aux valeurs de la République, consciente de vos devoirs et en même temps submergée par une peine indicible.
Je vous ai retrouvée, j'étais Président de la République, c'était le 19 septembre 2012 à l'occasion de la journée d'hommage national aux victimes du terrorisme. Vous avez pris la parole la première, parmi les représentants des familles pour exprimer une conviction qui paraissait inébranlable et qui l'est toujours, celle de l'indispensable dialogue pour ouvrir les esprits.
Puis comme vous l'avez fait aujourd'hui, vous avez lancé un appel à l'aide, pour accompagner les jeunes et particulièrement ceux qui se sentent abandonnés, ou qui doutent de la promesse de la République. Vous m'avez dit ces mots simples : « Si vous ne m'aidez pas, si on ne les aide pas, alors ils sont perdus » et c'est ce qui vous a décidé à créer l'association Imad pour la Jeunesse et la Paix. Depuis 3 ans et dans des conditions particulièrement difficiles, vous sillonnez la France à la rencontre des jeunes, qui sont là, vous les avez aussi invités pour cette cérémonie. Vous allez les voir, vous allez surtout leur parler dans les établissements scolaires, dans les centres sociaux, dans les maisons de jeunes, mais aussi dans les prisons. Vous leur parlez avec la sincérité d'une mère qui a appris à ses enfants le respect, le respect des autres, le respect des différences, le respect de la République. Vous leur dites que la France est leur patrie et qu'en l'aimant, en la chérissant, ils seront pleinement eux-mêmes, sans avoir à renoncer à leurs origines ou à leur foi. Vous leur parlez de la chance que représente l'école, vous qui regrettez si fort de n'avoir pas eu la possibilité de faire des études. Vous leur rappelez qu'ils vivent dans une société, la société française, où la femme est l'égale de l'homme, que le voile que vous portez est une marque, mais aussi le symbole visible de votre deuil. Vous leur expliquez que la laïcité à laquelle vous êtes profondément attachée est l'expression de la liberté qu'a chacun, dans notre pays, de croire ou de ne pas croire, à la condition que chacune et chacun puisse être respecté dans son culte, mais puisse aussi respecter les autres.
Vous êtes également engagée en faveur du dialogue interreligieux, parce que la haine, qu'elle soit dirigée contre les juifs, contre les musulmans, contre les chrétiens, ou contre tout autre être humain, vous est insupportable. Vous avez été vous-même victime de discriminations, y compris dans les jours terribles qui ont suivi l'assassinat de votre fils. Alors, vous avez décidé de lutter contre la suspicion, ce mal terrible qui peut encore nous frapper aujourd'hui, la stigmatisation. Vous redoutez que les crimes commis par quelques-uns, au nom d'une conception dévoyée de l'Islam, n'aboutissent à jeter la confusion et les amalgames sur une partie de la France. C'est bien le but, s'il faut en chercher un, de ceux qui nous attaquent aujourd'hui. Ils veulent provoquer la division, ils veulent susciter dans notre propre pays le doute à l'égard des autres. Alors, rassemblons-nous. Ils veulent semer l'effroi, alors unissons-nous. Ils veulent voir la vie s'arrêter, alors vivons, vivons pleinement et librement.
La menace du terrorisme est une menace globale. La semaine dernière Daech a frappé Paris et Saint-Denis, mais aussi Beyrouth, l'Irak et je n'oublie pas l'attentat contre un avion russe. Boko Haram continue de massacrer au Nigeria, au Cameroun, au Tchad, tandis qu'au Maghreb des fanatiques continuent de répandre la mort. Ils veulent anéantir jusqu'au patrimoine même de l'Humanité, du temple de Baal à Palmyre, au musée de Mossoul, jusqu'à Tombouctou, ou Gao - à Tombouctou où ils avaient ravagé les mausolées de la Cité des 333 saints.
Voilà pourquoi il faut faire ce combat contre le terrorisme, mener cette lutte, la vôtre, pour la jeunesse, écarter tous les risques de séparation dans notre pays, aller vers la mixité pour que nos écoles puissent tre des écoles ouvertes à tous les jeunes enfants de la République, lutter contre la radicalisation. C'est la raison pour laquelle, en plus des crédits que j'ai annoncés pour nos forces armées, pour nos gendarmes, pour nos policiers, il y aura également des concours financiers pour toutes les associations qui luttent contre la radicalisation. Soyez sûre, Madame, qu'au-delà des difficultés que vous rencontrez, vous aurez le soutien nécessaire, indispensable, de la République.
De la même manière, nous n'autoriserons rien qui puisse laisser penser qu'il y aura un seul individu, un seul citoyen, dans notre pays, qui puisse être agressé, parce qu'il aurait une confession. Encore hier, un enseignant juif a été attaqué sauvagement £ il y a eu aussi un musulman qui a été agressé. Nous devons être d'une terrible, impitoyable même, réaction, parce que c'est l'ensemble de la communauté nationale qui est concerné.
Puis il y a la culture, parce que les terroristes font la guerre à la culture. Tel est aussi le symbole du Prix culture pour la paix. Je remercie encore le président de la fondation Culture et Diversité pour s'être associé au Prix Jacques CHIRAC.
Cette année, le symbole est fort, le prix est remis à Aldiouma YATTARA, au réseau des banques culturelles du Mali. Des banques de la culture, je n'y avais pas pensé. Elles ont été créées à Fombori, dans le centre du Mali. Leurs fondateurs faisaient alors le constat que le patrimoine culturel malien était en danger, car il était menacé, puisque les terroristes veulent effacer toutes les traces de l'Histoire, tout le patrimoine, justement celui de ce musée, comme si rien n'avait existé avant eux, alors que c'est eux qui n'existeront plus d'ici quelques années. Oui, ce patrimoine était menacé par les pillages, par le commerce illégal et aussi par une maladie plus insidieuse, l'indifférence.
Pour le protéger, les banques culturelles ont ouvert des musées locaux, pour conserver en sécurité les objets de haute valeur. Pour inciter les communautés villageoises à y placer leurs objets en dépôt, elles ont introduit le microcrédit, -quelle formidable idée- c'est-à-dire faire que chaque bien culturel qui puisse être mis en garantie, puisse permettre l'obtention d'un prêt à taux d'intérêt très faible, permettant ainsi une initiative économique. La culture, grâce à vous -et c'est en ce sens que le mot banque prend toute sa signification- devient un moyen de financer le développement.
En 2012, quand ils ont occupé le nord du Mali, les terroristes se sont acharnés contre le patrimoine, contre la culture malienne, contre la culture en général, la musique, la sculpture, la peinture. Tout cela était pourchassé, détruit, interdit, en même temps que les femmes étaient soumises et les hommes humiliés. Il a fallu, et vous l'avez rappelé, que la France prenne ses responsabilités, lance l'opération Serval -c'était le 11 janvier 2013- et libère, avec le concours des forces maliennes et des forces africaines, sous mandat de l'ONU, le nord du Mali pour lui restaurer sa dignité, et son intégrité avec le Mali. Ce fut une victoire, les Maliens le savent, et je sais combien ils sont reconnaissants à la France de leur avoir permis d'échapper au pire - ils l'ont connu le pire. Les terroristes aussi le savent, et c'est pourquoi ils ont fait de la France leur ennemi.
Après les combats de 2013, il fallait aussi une réponse culturelle, et vous y avez largement contribué £ rassembler tous ces biens, montrer la richesse de la culture africaine, être capable de la proposer en dépôt ailleurs, y compris dans ce musée, faire en sorte que la culture unisse. Alors ce prix récompense votre action originale de protection du patrimoine, votre contribution au développement économique, votre engagement pour la diversité culturelle. Voilà deux beaux prix, je comprends que Jacques CHIRAC en ait été ému, parce qu'ils viennent comme pour nous envoyer des messages, des messages forts, qui correspondent précisément à la vocation de la fondation CHIRAC, la volonté de vivre en paix.
Mais nous sommes dans la guerre, et dans cette période nous devons être attentifs à rester nous-mêmes, car c'est ça qui est finalement en cause. La France ne doit pas se perdre pour gagner la guerre. La France répondra à la haine par la fraternité,la France répondra à la terreur par la force du droit, la France répondra au fanatisme par l'espérance que constitue la vie elle-même, la France répondra tout simplement en étant la France. Merci.