11 novembre 2015 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Hollande, Président de la République, sur les relations euro-africaines en matière d'immigration et de développement, à La Valette le 11 novembre 2015.


Journaliste : Monsieur le Président, une première question : Qu'êtes-vous prêt à dire aux pays africains qui sont réunis aujourd'hui à La Valette avec les Européens, pour les aider à se développer d'une part et pour peut-être les encourager à réadmettre chez eux plus de leurs ressortissants ?
LE PRESIDENT : L'enjeu, c'est de limiter l'émigration et de faire que le développement soit la réponse. Il faut sûrement et nous le faisons contrôler nos frontières. Nous faisons aussi en sorte que des bâtiments de la marine soient disposés en Méditerranée pour sauver des vies mais aussi pour éviter qu'il y ait des passeurs, des criminels qui utilisent la détresse à des fins mercantiles.
Mais nous devons surtout faire des politiques de développement et si je suis ici, c'est à la fois parce que c'est l'Europe qui a voulu qu'il y ait cette rencontre et parce que la France est particulièrement appelée par l'Afrique à mener ces politiques de développement. Si nous ne comprenons pas que nous devons investir massivement en Afrique, alors nous aurons dans les prochaines années toujours ces courants de migrations. Mais ce qu'il faut aussi expliquer, c'est que l'Afrique est un continent qui a beaucoup d'avenir, qui a des capacités de croissance, qui peut se développer. Nous sommes à la veille de la Conférence de Paris sur le climat et nous faisons un lien entre le développement et le climat, parce que les grandes migrations sont provoquées non pas seulement par les guerres, mais aussi par la désertification et le réchauffement. Donc nous voulons anticiper par rapport aux résultats de la Conférence de Paris. Les fonds que nous allons rassembler à l'occasion de la Conférence de Paris serviront aux politiques de développement ici en Afrique.
Journaliste : Les Africains redoutent un durcissement des conditions d'immigration légale en Europe.
LE PRESIDENT : Nous, la France, avons montré ce qu'il était possible de faire : accueillir davantage d'étudiants africains parce que c'est l'intérêt de la France et c'est l'intérêt de l'Afrique. Faire en sorte que nous puissions libéraliser des visas pour les chefs d'entreprise, pour les artistes, pour tous ceux qui veulent créer un courant d'échanges entre l'Afrique et la France et en même temps être fermes par rapport à la réadmission. Qu'est-ce que la réadmission ? C'est lorsque qu'un Africain n'est pas en situation régulière, de pouvoir avec l'accord du pays d'origine, le remettre à la disposition de son pays et de faire que cela se passe avec dignité. C'est ce que nous voulons faire, c'est à la fois montrer une politique de développement, une capacité à accueillir celles et ceux que nous considérons comme étant l'avenir de l'Afrique et faire que ceux qui ne sont pas en situation de pouvoir rester dans notre pays ou en Europe, puissent revenir rapidement et dans des conditions dignes.
Journaliste : Mais vous comprenez l'inquiétude des pays africains sur cette question ?
LE PRESIDENT : Non seulement je la comprends, mais je la partage parce que ce serait trop simple de dire : « puisque vous êtes confrontés à des politiques de migration qui amènent à des fermetures de frontières, puisque vous êtes dans des situations climatiques extrêmement difficiles, puisque vous avez des guerres, puisque vous avez des conflits, nous vous laissons seuls face à cette responsabilité ». La France a montré l'exemple à travers ce que nous avons fait pour le Mali, ce que nous avons fait et ce que nous continuons à faire pour le Sahel et c'est parce que la France est respectée, c'est parce que la France a pris un certain nombre d'initiatives, que nous pouvons maintenant sur le développement et sur le climat, en lien amical avec l'Afrique, faire ce qui est attendu de nous. C'est-à-dire que l'immigration ou l'émigration - puisque finalement c'est le même processus- puisse être limitée, voire cesser dans l'intérêt même de l'Afrique.
Journaliste : Monsieur le Président, est-ce qu'il y a un côté donnant-donnant, plus d'argent contre plus de réadmissions ?
LE PRESIDENT : Non, je pense que ce serait la mauvaise démarche. Ce qu'il faut dire, c'est plus de moyens pour le développement dans l'intérêt de tous. Parce que si demain il y a des migrations en grand nombre, ce sera une très grande difficulté pour l'Europe qui fait face à d'autres situations de réfugiés que vous connaissez. Ce serait très grave pour l'Afrique, cela voudrait dire que ses meilleurs éléments, celles et ceux qui pourraient être l'avenir de ce continent ne pourraient pas faire le déploiement de leurs propres talents, de leurs propres activités, ce qui serait fatal pour l'Afrique et ce qui serait un risque pour l'Europe. Donc notre intérêt commun, c'est qu'il y ait des politiques de développement et je reviendrai ici à Malte à l'occasion de la réunion du Commonwealth, où il y aura aussi des pays qui seront concernés par les questions de climat et nous devons là aussi nous mettre en solidarité. Le climat, touche tous les pays du monde mais il touche encore davantage les pays les plus vulnérables et notamment les pays africains et c'est la raison pour laquelle je suis aussi ici, pour que nous fassions un lien entre ce qui concerne les migrations liées hélas à des situations de conflits et l'émigration liée à la question du réchauffement climatique. La seule réponse, au-delà de ce que nous devons faire pour la sécurité, pour la protection des frontières, pour la réadmission indispensable pour le contrôle de l'immigration, c'est d'abord une réponse en termes de développement. Tous les moyens doivent être donnés et l'Europe ne disperse pas son argent en investissant ici en Afrique, au contraire, c'est un investissement qui évitera d'avoir d'autres charges demain si les migrations prennent une ampleur que nous ne pouvons pas maîtriser.
Journaliste : Monsieur le Président, il y a le plan d'action européen, vous évoquiez les accords de réadmission, ce sont des accords bilatéraux. Est-ce qu'on aura connaissance du contenu de ces accords ou est-ce que ça fait partie du même paquet ?
LE PRESIDENT : Bien sûr que la réadmission sera évoquée dans le sommet et chaque pays africain dira ce qu'il pourra faire, avec d'autres et nous, nous avons déjà des accords importants avec des pays, par exemple avec le Niger ou avec le Mali. Nous travaillons dans cet esprit-là mais aujourd'hui, je ne voudrais pas que l'on puisse simplement parler de donnant-donnant ou de lien avec ce que les pays africains devraient faire. D'abord, c'est ce que l'Europe doit faire pour l'Afrique et nous avons un intérêt commun, c'est d'éviter que les phénomènes migratoires finissent par créer des tensions telles que cela aboutisse à nous mettre l'Europe et l'Afrique en opposition alors que nous sommes en solidarité. Je porte une conception de l'Europe tournée vers l'autre côté de la Méditerranée parce que le continent africain est un continent d'avenir qui doit être appuyé dans son développement. Mais il y a des pays qui sont en forte croissance. Cessons de voir l'Afrique comme simplement un problème. L'Afrique peut être pour la croissance y compris française, une solution.
Journaliste : Est-ce que ça veut dire qu'il s'agit de mettre la pression sur l'Afrique quand même pour qu'elle prenne mieux conscience.
LE PRESIDENT : C'est légitime de demander à l'Afrique et à certains pays, notamment les pays de transit, d'éviter de mettre des familles entières dans des situations de grande précarité, voire même de risques, de dangers. Nous savons bien ce qui se passe : il y a plus de morts aujourd'hui en Méditerranée qu'il n'y en a du côté de la Méditerranée orientale. Donc ceux qui meurent aujourd'hui sont le plus souvent des Africains, même s'il y a, on le sait, des Syriens, des Irakiens qui ont été victimes des passeurs et des trafics. Mais ce sont les Africains qui sont les victimes. Nous devons aussi les protéger £ c'est pour cela que nous agissons en Méditerranée avec la flotte française. Mais nous devons aussi tendre la main à l'Afrique et faire en sorte que nous puissions appuyer ses efforts de développement et leur demander, c'est vrai, un certain nombre de réponses en termes sécuritaires parce que nous ne pouvons pas accepter qu'en Lybie, qu'au Niger, il y ait des trafiquants qui utilisent la détresse pour favoriser des migrations qui se terminent souvent avec des impasses, voire même des drames.
Journaliste : Quel type d'accord est-il possible de passer avec des régimes comme celui de l'Erythrée par exemple ?
LE PRESIDENT : C'est un vrai sujet que vous posez. Nous avons beaucoup de migrations qui viennent d'Erythrée et du Soudan. Nous devons régler ces problèmes-là avec l'Erythrée, il faut mettre une pression maximale parce que ce qui s'y passe est extrêmement grave. Personne n'en parle £ c'est un pays qui se vide de sa population, avec des dirigeants sans scrupule qui les laissent partir, quand ils ne les chassent pas. Donc il y a effectivement un travail qui est politique, qui relève d'une diplomatie exigeante et c'est ce que nous faisons. Par ailleurs, nous cherchons également une solution en Libye, elle est très longue depuis le temps que nous parlons d'un gouvernement d'union nationale et qu'il ne se constitue pas c'est un drame, pour les Libyens et c'est un risque aussi, compte tenu des phénomènes migratoires. Donc nous agissons aussi sur le plan politique et diplomatique.
Merci.