2 novembre 2015 - Seul le prononcé fait foi
Conférence de presse de M. François Hollande, Président de la République, sur les relations franco-chinoises et la préparation de la Conférence de Paris sur le climat, à Pékin le 2 novembre 2015.
LE PRESIDENT : Bien, Mesdames, Messieurs, cette visite d'Etat va bientôt s'achever, j'ai encore à rencontrer le président de l'Assemblée nationale populaire, puis ensuite les Français qui vivent ici, à Pékin, et je rejoindrai la Corée ce soir. Cette visite d'Etat a entièrement été consacrée à la question du climat. Nous l'avions voulu ainsi avec le président XI Jinping, pour mettre la Chine et la France devant cette responsabilité immense de préparer au mieux la Conférence sur le climat.
Pour la Chine et pour la France, ce n'est pas simplement une question bilatérale, le climat, c'est une question globale. Nous sommes deux pays qui veulent prendre une responsabilité à l'échelle du monde, nous sommes, la France et la Chine, membres du Conseil de sécurité, membres permanents, nous intervenons sur les grandes affaires, sur les grandes questions, celles de paix. Et le climat est la grande question. Celle qui va déterminer la paix dans les prochaines décennies, qui va également décider de la qualité de la vie, et même de la vie.
Donc nous voulions, le président XI Jinping et moi-même, pouvoir, au moment où nous sommes, c'est-à-dire à quelques semaines de la Conférence de Paris, faire une déclaration qui puisse engager nos deux pays, mais être regardée comme la base de ce que pourrait être l'accord de Paris. Cette déclaration je l'ai souligné est très importante parce qu'elle vient non seulement confirmer des engagements que nous avions pu, et la Chine et la France, adopter dans nos contributions -celles que nous avions adressées au secrétariat chargé de la préparation de la Conférence, et notamment la montée du renouvelable et l'efficacité énergétique- et un engagement aussi, pour que le carbone ait un prix. Des financements qui doivent être apportés, c'était dans nos contributions.
Mais là, nous sommes allés au-delà même de nos contributions, puisque nous avons intégré dans cette déclaration la clause de révision, qui est pour nous l'élément clef de l'accord de Paris. Je prends d'ailleurs les risques liés à l'organisation même de cette conférence, c'est cette clause de révision qui dira si nous pouvons atteindre la trajectoire des 2 degrés pour le réchauffement climatique à la suite de la conférence de Paris.
Si cette clause de révision est donc introduite, il y aura régulièrement tous les cinq ans une évaluation, et même une élévation des engagements et des obligations. C'est ce qui a été marqué par la déclaration commune. A nous de faire en sorte et c'est tout le travail des négociateurs, notamment de Laurent FABIUS pour la pré-COP, puisqu'il va rassembler les ministres qui vont être chargés de proposer le texte de mettre les chefs d'Etat et de gouvernement, qui viendront le 30 novembre dans l'impulsion politique qui permettra d'avoir un accord à ce niveau-là d'engagement.
J'ai dit que cette visite était entièrement consacrée au climat, et nous en avons, là aussi, apporté la preuve, non seulement parce que nous sommes allés à Chongqing hier pour visiter ce qu'une entreprise française était capable de faire avec une entreprise chinoise en matière de recyclage des déchets et d'économie circulaire. Et parce que toutes les entreprises françaises qui m'ont accompagné sont engagées dans la transition énergétique et dans le développement durable.
J'ai rencontré ce matin les plus grands investisseurs chinois qui ont confirmé leur volonté d'investir en France pour créer de l'emploi et de l'activité, notamment dans le domaine des technologies, notamment dans le domaine du développement durable, et un peu plus tard, il y a eu ce forum, où nous avons, le Premier ministre chinois et moi-même, pris un certain nombre de décisions pour emmener nos entreprises vers cette transition.
Il est clair que la Chine et la France ont la même stratégie, à des échelles différentes. La Chine a décidé, dans son plan quinquennal, de faire du développement durable sa priorité, y compris pour enrichir sa croissance, et la France vient d'adopter la loi de transition énergétique. Les entreprises sont donc ici, les entreprises françaises, bien accueillies pour venir apporter leur savoir-faire, leur technologie et même leur innovation.
Il y a plusieurs alliances, plusieurs partenariats qui ont été scellés, et nous avons pu aussi confirmer un certain nombre de choix en commun, et notamment sur le nucléaire civil, puisque, après ce qu'on a appelé l'accord de Hinkley Point, et nous avons aussi obtenu des Chinois qu'ils puissent rester présents et être associés à la restructuration du capital d'AREVA. Nous avons une grande confiance dans l'économie chinoise, non pas simplement dans son taux de croissance, mais dans la qualité qui va être donnée à cette croissance, dans son contenu, et notamment dans les choix qui vont être faits pour améliorer le bien-être et augmenter le nombre de Chinois qui pourront être considérés comme appartenant à la classe moyenne.
Il se trouve que compte tenu de la démographie, c'est en Chine que les classes moyennes vont être les plus nombreuses au monde. Et donc, nous devons aussi en tirer un certain nombre de conclusions, notamment pour nos produits de biens de consommation. Et c'est pourquoi j'ai insisté aussi auprès des autorités chinoises pour que nos biens alimentaires, nos produits d'élevage, porcins, bovins, puissent être accueillis comme il convient. Et des garanties m'ont été données que nos industriels agroalimentaires puissent également connaître une pénétration qui soit à la mesure de leur qualité, et qu'il y ait aussi, avec les entreprises qui sont dans le développement durable, des possibilités d'investissement.
Nous avons donc agi avec responsabilité et nous avons aussi, avec nos amis chinois, élevé encore le niveau de notre amitié. C'est ce que je dis sur la croissance chinoise £ elle va rester à un niveau élevé, elle va s'améliorer, s'enrichir, et la France y prendra toute sa part. Je veux terminer sur un certain nombre de considérations politiques, nous avons parlé de tous les sujets avec les autorités chinoises, aucun n'a été écarté, parce que nous avons cette franchise et ce caractère amical qui nous permet d'aller à l'essentiel, et même d'aller dans un certain nombre de points qui peuvent ici ou là faire débat, à juste raison.
J'ai aussi voulu que cette visite puisse être comprise comme une visite européenne, il y a quelques jours, Madame MERKEL était là, et il était important qu'elle puisse évoquer les sujets que l'Europe a en responsabilité et notamment les questions commerciales. Le président XI Jinping était à Londres, et il était important qu'il puisse y avoir cette confirmation pour le nucléaire civil. Et donc il n'y avait pas de contrats commerciaux ici à l'ordre du jour. Ce n'était pas le sujet.
L'économie était le sujet, la croissance était le sujet, la présence des entreprises françaises était le sujet, les investisseurs chinois en France étaient le sujet. Mais là, nous devions nous consacrer essentiellement à la question du climat. Et c'est pourquoi cette visite d'Etat n'est pas qu'une relation entre la France et la Chine, c'est une manière de prendre toute notre place et tout notre rôle pour la réussite de Paris. Je suis prêt à répondre à vos questions. Je vous en prie.
Journaliste : Monsieur le Président, l'objectif à Paris est d'atteindre un accord contraignant, qui soit à la fois universel. Je souhaiterais savoir : que souhaitez-vous que la Chine fasse à Paris ? Sur quels points la Chine peut-elle encore améliorer sa position et quelles sont les nouvelles mesures que vous attendez de la Chine ?
LE PRESIDENT : La Chine a une très grande influence sur les pays en développement, et sur les pays émergents. C'était d'ailleurs aussi, le sens de cette visite. Quand la Chine s'engage, elle engage bien sûr elle-même, c'est le principe de souveraineté, et n'a pas vocation à porter obligation pour autrui. Mais elle est un exemple, elle est une référence. Et pour beaucoup de pays émergents, pour beaucoup de pays en développement, la Chine, à certains égards, se considère encore sur certains points, comme un pays en développement. Le fait que la Chine puisse prendre ses responsabilités, ses obligations, est également une façon de convaincre des pays qui sont aujourd'hui et je peux les comprendre hésitants à venir s'impliquer à la Conférence de Paris.
Voilà ce que j'attends de la Chine, qu'elle puisse, à partir de la déclaration que nous avons publiée hier, faire comme nous, un travail de dialogue, de conviction auprès d'un certain nombre de pays, dont on sait qu'ils vont être déterminants lors de la Conférence, pour que l'accord puisse être trouvé. Il faut se souvenir de l'échec de Copenhague, il faut toujours se souvenir des échecs si on veut le succès.
A Copenhague, c'est parce que justement, un certain nombre de pays émergents et en développement avaient considéré qu'ils ne pouvaient pas accepter de prendre des obligations alors qu'ils n'étaient pas responsables de la dégradation du climat sur la planète, qu'il y a eu une impasse. Donc là, il est très important que la Chine puisse avec nous, faire cette convergence.
Deuxièmement, il y aura un sujet qui viendra forcément, j'en ai prévenu d'ailleurs tous les participants, c'est le financement et le partage des technologies. Et c'est là aussi que nous voulions être exemplaires, la Chine et la France, la Chine parce qu'elle a créé un fonds sud-sud, c'est-à-dire un fonds chinois qui va aller vers les pays du Sud, comme nous-mêmes, nous avons augmenté notre participation à tous les fonds qui permettront de lutter contre le réchauffement climatique. Nous avons passé de 3 à 5 milliards nos contributions.
Donc les financements, d'abord, sont bilatéraux, et puis, il y a des financements qui doivent être rassemblés pour atteindre les 100 milliards qui sont prévus en 2020, nous n'y sommes pas tout à fait, et sur les jours qui nous restent, il va falloir travailler, et la Chine nous y aidera. Deux questions, je crois, par pays. C'est bien ça ?
Journaliste : C'est la première question française
LE PRESIDENT : J'ai bien compris. Vous pouvez la poser en français, même si je sais que vous êtes capable de la poser en chinois.
Journaliste : Je ne suis pas sûr. Merci. J'ai entendu ce que vous venez de dire, est-ce que la Chine vous semble actuellement en position de faire réussir la Conférence Climat de Paris ? Et puis, j'ai une deuxième question sur un autre sujet, une corporation chinoise, CNNC est en train d'entrer au capital d'AREVA, qu'en est-il de la protection du savoir-faire français ?
LE PRESIDENT : Sur la première question, la Chine, je l'ai dit, est un grand pays qui n'a pas vocation à décider pour les autres, pas plus que la France, mais dont la parole va être écoutée bien au-delà de la Chine. Et c'est la raison pour laquelle la Chine a envoyé plusieurs signaux. Il y a eu un premier signal, qui a été, il y a un an, l'information selon laquelle la Chine allait participer au fonds pour le développement, et c'était un choix très important que la Chine faisait à ce moment-là.
Il y a un deuxième signal lorsque le Premier ministre chinois est venu à Paris au mois de juin, et qu'il a réservé, justement à la rencontre que j'avais avec lui, pour délivrer la contribution de la Chine pour la Conférence de Paris. Et le troisième signal qu'envoie la Chine, c'est cette déclaration. Nous y avons travaillé depuis plusieurs semaines, pour ne pas dire depuis plusieurs mois. Parce que c'était la question, il y avait deux questions qu'il fallait traiter, la première, est-ce qu'il était possible d'avoir cette clause de révision, acceptée par les Chinois, et la France, et la deuxième question : est-ce que les pays en développement et les pays émergents pouvaient être aussi appelés à des financements ? Et sur ces deux questions, les réponses ont été positives.
Donc voilà pourquoi je pense que la Chine, depuis plusieurs mois, s'est pleinement engagée, et qu'en plus, cette responsabilité pour la réussite de la Conférence correspond à une stratégie, une stratégie internationale sûrement, mais aussi une stratégie nationale, car d'une certaine façon, c'est de l'intérêt de la Chine aussi. Intérêt de la Chine parce que chacun connaît ce qu'est la dégradation du climat, et ce que cela peut provoquer sur la santé, intérêt de la Chine parce que c'est pour la Chine un moyen de relever encore son niveau technologique, et de donner un contenu à la croissance, et intérêt aussi de la Chine sur le plan de ce qu'elle peut faire pour le monde.
Et c'est pourquoi il y a cette responsabilité internationale qui coïncide avec la stratégie nationale de développement de la Chine. Sur AREVA, nous souhaitions que les capitaux chinois puissent être dans AREVA. La France, l'Etat français prendra lui-même ses responsabilités dans une recapitalisation d'AREVA. Et dans le cadre de cette recapitalisation, des capitaux extérieurs, et notamment chinois, avaient leur place, sans que cela atteigne, de quelque manière que ce soit, notre souveraineté. Dès lors que la Chine est un partenaire, puisque nous construisons ensemble des centrales nucléaires, des EPR, que ce soit en Angleterre ou que ce soit en Chine, il était assez légitime de les associer dans le cadre de la restructuration de cette entreprise.
Journaliste : Monsieur le Président, l'économie chinoise est actuellement à un taux de croissance en dessous de 7 %, comment voyez-vous les perspectives de la croissance chinoise ?
LE PRESIDENT : Oui, nous avons beaucoup parlé avec le président XI Jinping, comme avec le Premier ministre, de cette question de la croissance. La Chine a connu un taux de croissance très élevé ces dernières années, de l'ordre de 9 à 10 %. Et comme l'économie internationale connaît un ralentissement notamment dans les pays émergents, il y a eu des conséquences sur la Chine. Ensuite, il y a une évolution de l'économie chinoise, parce que les taux de croissance qui sont constatés se rapportent à une base qui est de plus en plus large.
Faire 6 ou 7 % de croissance sur une base qui a doublé depuis dix ans ou cinq ans même, cela a des effets économiques qui sont quasiment de même nature, voire davantage. Chacun peut le comprendre. Dès lors, cette croissance va rester à un niveau élevé et va être comme je l'ai dit enrichie par les nouvelles technologies et par la transition écologique et énergétique. J'ai rappelé, ce qui est ma conviction profonde et aussi notre choix de politique économique, c'est que nous avons une grande confiance dans l'économie chinoise, elle n'est pas touchée par les mêmes vagues spéculatives que celles que nous avons pu connaître à d'autres époques, et dans d'autres économies.
Les possibilités de régulation ne sont pas les mêmes. Et d'une certaine façon, le système est mieux contrôlé. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait pas de vigilance à avoir. Ensuite, il y a la volonté de la part des autorités chinoises d'accompagner la croissance. Mais, elle va changer de nature, et c'était d'ailleurs attendu, le taux d'investissement va baisser, mais la consommation intérieure va augmenter. Les exportations vont connaître un rythme moins élevé, mais c'est ce que nous demandions, nous avions je m'en souviens, puisque j'avais pris également cette position au début de mon mandat nous avions la volonté qu'il y ait un rééquilibrage monétaire, que la monnaie chinoise, le yuan, puisse être réévaluée. Ce qui a été le cas.
Cela a donc des conséquences, conséquences positives en termes de pouvoir d'achat des Chinois, puisque leur monnaie étant plus forte, ils peuvent acheter davantage de produits, mais cela a des conséquences aussi, sur leur compétitivité. Par ailleurs, les salaires aussi augmentent en Chine. Il était donc assez logique que le commerce extérieur puisse se rétracter, au sens de l'excédent de ce commerce extérieur. Nous sommes donc dans une phase qui était assez prévisible, une consommation plus forte, un investissement qui est forcément plus bas, et des exportations qui sont moins dynamiques, mais des importations qui progressent.
Et d'ailleurs, je vais donner ces chiffres, les exportations françaises ont augmenté de 10 % en Chine ou vers la Chine en 2014 et de 15 % depuis le début de l'année. Il y a sûrement la compétitivité française qui s'est largement redressée, mais il y a aussi cette ouverture du marché intérieur qui a ses conséquences, et ce sont les conséquences que nous souhaitions, et qui n'altèreront pas la dynamique de la croissance chinoise, qui est maintenant sur une base très large, et qui devient de plus en plus technologique.
Journaliste : Bonjour Monsieur le Président.
LE PRESIDENT : Bonjour.
Journaliste : Vous excuserez par avance ce petit détour par la France, mais ce matin, dans une interview au Parisien, Nicolas SARKOZY éreinte votre bilan en matière de sécurité. Il dénonce notamment un affaiblissement considérable de l'autorité de l'Etat. Ma question est donc simple : que répondez-vous ?
LE PRESIDENT : Rien, ici. C'est tout, je crois, non ? Nous avons terminé les questions. Je suis désolé, après cette longue réponse, je vais être amené à vous quitter et à vous dire toute ma gratitude pour l'accueil que nous avons reçu. Merci.