9 octobre 2015 - Seul le prononcé fait foi
Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur l'Ecole des Chartes, à Paris le 9 octobre 2015.
Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs les parlementaires,
Monsieur le maire,
Monsieur le président de cette Ecole,
Avoir un président qui cumule cette responsabilité avec celle de secrétaire général de la Défense nationale ne peut que vous rassurer.
Monsieur le directeur,
Je veux saluer ici les personnels, les enseignants et bien sûr les élèves de cette grande école, l'Ecole des Chartes qui écrit une nouvelle page de son histoire en faisant un déménagement, passant de la Sorbonne dans la rue Richelieu, quel changement!
Conçue pour former celles et ceux dont le métier est de conserver, vous montrez ainsi par ce transport que vous êtes capable de changer. Cette nouvelle implantation confirme que l'école se transforme tout en restant elle-même, mais dans des locaux qui ont toutes les caractéristiques d'une formation d'excellence.
Depuis près de 2 siècles, l'Ecole des Chartes est au service du patrimoine et de l'histoire de la France, elle est l'histoire telle que vous la retrouvez, telle que vous la cherchez, elle est l'histoire elle-même, l'Ecole des Chartes, puisqu'elle a été créée sous Louis XVIII, dans un esprit qui était celui de la Restauration et du lien que le roi voulait recréer avec l'Ancien Régime.
Sans doute tournée vers un passé sans rapport avec les temps nouveaux nés de la Révolution française, l'Ecole des Chartes a peiné à s'installer. Il a fallu qu'un esprit brillant, libéral disons, relance le projet et il en fait un instrument au service d'une histoire globale, c'est-à-dire le rassemblement et l'étude de toutes les sources possibles : archéologiques, écrites, iconographiques, monumentales, artistiques. Il ne connaissait pas le numérique, pardonnez-lui, mais il voulait que toutes les traces puissent être retrouvées, que tous les documents puissent être conservés, que tout était histoire et que tout formait à travers cette archéologie. Il fallait absolument inventer le patrimoine de la France.
Il s'agissait à cette époque et il s'agit toujours de faire le portrait de l'Etat-Nation, de savoir d'où nous venons, qui nous sommes, comment nous nous sommes constitués, qu'est-ce qui explique que nous en sommes là aujourd'hui et qu'est-ce qui nous permet d'avoir de grands projets pour l'avenir.
Les chartistes n'ont jamais manqué et cela a été rappelé de concilier l'excellence scientifique et l'engagement civique. On l'a vu à l'occasion de grandes crises qui ont ponctué notre histoire, puisque les expertises du grand philologue et directeur de l'école Paul MEYER qui, avec le médiéviste Arthur GIRY, avait été particulièrement impliqué dans le combat pour rétablir l'innocence de DREYFUS, parce que c'était aussi un travail, un travail d'historien.
Puis il y a eu et cela a été rappelé les sacrifices durant la Première Guerre mondiale et la Résistance durant la Seconde, parce que quand on cherche l'histoire, on la fait aussi. On ne veut pas simplement la comprendre, on veut la réaliser. Aujourd'hui, les chartistes sont présents dans toutes les institutions où l'on préserve les sources, comme archiviste ou comme directeur ou directrice de bibliothèque, vous gardez ou vous garderez les trésors qui évoquent les riches heures des provinces françaises.
Vous êtes les partenaires indispensables des universitaires et des chercheurs, je les salue ici et vous participez d'une certaine façon à la réalisation de leurs travaux. C'est pourquoi vous êtes liés intimement avec l'université et la recherche, et je salue monsieur le recteur. Vous contribuez au rayonnement de l'école historique française, qui est une grande école non seulement pour nous connaître davantage, pour nous comprendre, mais une grande école aussi pour, non pas instaurer un récit national, je m'en garderai bien, mais pour faire en sorte que nous puissions être plus forts dès lors que nous connaissons notre passé : à la fois ses gloires, ses ombres, les moments de choix, les décisions essentielles qui ont pu être prises pour notre Nation.
Vous êtes aussi les agents actifs de la transmission en direction du plus grand nombre. Je rappelle que c'est à travers vous qu'a été inventé le concept de lecture publique £ et les bibliobus départementaux doivent beaucoup aux chartistes, cette volonté d'aller aussi apporter la culture. Vous êtes pleinement investis dans les nouvelles technologies et c'est un défi considérable, j'y reviendrai quant à l'approche documentaire.
Car travailler sur le passé ne signifie pas travailler dans le passé et ce n'est pas la première fois que l'Ecole des chartes change d'adresse. Mais là en se rapprochant géographiquement, vous l'avez rappelé, de la Bibliothèque nationale de France, de l'Institut national du patrimoine, de l'Institut national d'histoire de l'art, de l'Ecole du Louvre, l'école retourne dans un quartier qu'elle connaît bien pour l'avoir habité dans une partie du 19ème siècle.
Cette nouvelle réalisation s'inscrit dans le plan que Jack LANG, il y a 20 ans, avait établi, qui était de réunir les institutions culturelles dans le périmètre occupé par l'ancienne Bibliothèque nationale. Il y avait eu une violente polémique sur cette question, quand il y avait eu la création de la très Grande Bibliothèque. Un compromis avait été trouvé et parfois il faut 20 ans pour parvenir à le réaliser. Je dis cela pour vous, 20 ans ce n'est rien puisque vous êtes dans l'histoire longue, mais pour les gouvernants de ce pays 20 ans, vous imaginez ce que cela peut représenter, 4 quinquennats, c'est impossible. Donc il y a là comme une leçon de modestie et parfois ce que l'on décide, cela met des années, des décennies avant d'être réalisé.
C'est toute la force que nous devons donner à nos responsabilités, faire que cela aille encore plus vite et en même temps respecter les temps. Il n'était donc pas illégitime que l'Ecole des Chartes trouve sa place dans ces lieux, même si ces lieux ont été le fruit de circonstances. Je remercie toutes les autorités de l'Etat qui ont permis par des vagues successives j'imagine d'avoir ce retour de ce lieu vers l'École des Chartes. C'est un retour, un retour aux sources mais qui n'est pas un retour en arrière, c'est plutôt une renaissance.
Car votre champ d'études à travers les uvres anciennes, c'est aussi de pouvoir saisir le présent, car le présent est également une source d'histoire pour demain. L'Ecole des Chartes apporte sa contribution à ce que l'on appelle les humanités numériques, auxquelles contribuent de brillantes équipes de chercheurs français, souvent issus des études classiques car les études classiques peuvent conduire aussi à des technologies extrêmement modernes et que l'on peut posséder justement les langues anciennes ou avoir ce souci de l'histoire et en même temps les mettre au service du plus grand nombre.
Il n'y a pas de distinction à établir entre les savoirs dès lors qu'ils sont transmis. Alors les humanités numériques utilisent le meilleur des outils informatiques pour répondre à des questions posées par les sciences humaines et sociales. C'est un atout pour notre pays que d'avoir une recherche française notamment en sciences humaines, qui dispose d'un corps significatif d'ingénieurs et qui sont les mieux armés pour accomplir cette révolution numérique.
Nous avons besoin de tous ces talents-là, des talents d'informaticiens, des talents de mathématiciens pour qu'avec les sciences humaines, nous puissions faire des outils numériques un élément de recherche pour notre patrimoine.
Je souhaite que cet effort pour les humanités numériques soit non seulement maintenu mais renforcé dans les années qui viennent, car les outils numériques décuplent les capacités de conservation et rencontrent aussi de nouveaux défis. Vous les connaissez ces défis, le premier c'est le défi de la propriété intellectuelle et qui n'est pas forcément facile a assurer et à relever, comme tout ce qui touche la numérisation. Il y a le défi de la pérennité des supports et de leur sauvegarde, c'est vrai que les chartes du Moyen-âge ont réussi à traverser les siècles jusqu'à nous, mais en sera-t-il de même avec les disques durs, les clés USB, les CD-ROM alors que nous avons de plus en plus un patrimoine écrit et audiovisuel qui sont conservés sous cette forme ? Là, c'est un défi autant technologique qu'humain. Enfin il y a le défi de la sélection, il y a énormément de données, tellement qu'il est difficile de les appréhender toutes.
Alors comment hiérarchiser, comment les indexer, comment les mettre en ordre ? Voilà la tâche qui vous est aujourd'hui confiée et elle est considérable, parce que c'est à vous de dire ce qui est important et ce qui ne l'est pas, ce qui pourra être transmis ou ce qui peut être négligé. Pour cela, il faut aussi avoir un apprentissage, une éducation au numérique avant même que vous n'arriviez ici, à l'Ecole des chartes.
C'est la raison pour laquelle, le gouvernement a lancé un grand plan numérique à l'école, c'est-à-dire un plan de formation pour les enseignants et la création d'un enseignement d'exploration informatique et création numérique pour tous les élèves en classe de seconde. Dès cette année, 350 écoles, 220 collèges bénéficieront de nouvelles formes d'apprentissage grâce au numérique. Nous voulons que le numérique puisse être un accès au savoir et à la culture, pas simplement une technologie. C'est pourquoi la loi de refondation de l'école a introduit le parcours d'éducation artistique et culturelle.
Le référentiel, comme on dit, vient d'être publié en cette rentrée 2015, il permettra donc à chaque élève à chaque étape de la scolarité d'acquérir une culture humaniste, d'accéder à la pratique artistique et d'aller à la rencontre des uvres. Ce parcours sera évalué dans le cadre du diplôme du brevet. Je veux également que puisse se développer l'éducation aux médias, à l'information et cela sera intégré dans les nouveaux programmes scolaires du collège jusqu'en 3ème. Puis, il y a l'accès aux textes et aux données, c'est un élément qui vaut non seulement pour les jeunes mais pour tous les citoyens. C'est le sens du projet de loi sur le numérique qui est actuellement présenté par Axelle LEMAIRE et qui va instaurer des notions nouvelles dans notre droit, notamment le principe de la neutralité d'Internet, les données ouvertes, comment pouvoir accéder à ces éléments-là, ainsi que le service public de la donnée et d'une certaine façon, vous serez confrontés à ces réalités.
Voilà ce que je voulais vous dire monsieur le président, monsieur le directeur, vous élèves avec vos enseignants, vous êtes les gardiens du patrimoine le plus précieux d'une nation : la mémoire, l'histoire, la langue. Vous arrivez à retrouver tous ceux qui ont laissé une trace, les dirigeants bien sûr, les artistes, les clercs, les marchands, les juges mais aussi le peuple. Vous êtes des archéologues du peuple, vous allez chercher ce qu'il a pu produire, ce qu'il a pu faire, ce qu'il a pu espérer, ce qu'il a pu engager comme combat, ce qu'il a pu subir.
C'est Jules MICHELET qui, dans une mémorable évocation que vous connaissez tous, déambulant au milieu des archives disait entendre ces voix sourdre du passé. C'est-à-dire que l'Histoire, elle est faite non pas simplement par ceux ou celles qui dirigent, elle est faite par les peuples et c'est vous qui en êtes non pas les conservateurs mais les traducteurs. Vous devez ici nous en restituer la profondeur, la réalité. Vous nous aidez à comprendre dans quel univers les sociétés et la nôtre en particulier ont évolué ou ont pu évoluer. Et nous voyons aujourd'hui comme un continent lointain ces sociétés, parfois c'est déroutant, c'est souvent obscur et vous nous permettez de voir une part de cette lumière.
C'est très important que nous puissions avoir le souvenir de nos murs, de nos maux, de nos habitudes, de nos rites, de nos traditions mais également de toute notre culture. Connaître notre passé c'est comprendre la diversité de la France, sa multiplicité, surtout quand on rentre justement dans la profondeur. Je reviens toujours sur l'archéologie, quand on creuse et quand on cherche on trouve cette multiplicité au sein de la France, mais on trouve aussi sa continuité, son unité à travers le mouvement. Qu'est-ce qui fait la France, qu'est-ce qui l'a constituée, qu'est-ce qui l'a engagée ?
La France, elle n'est pas une identité figée dans le marbre, elle n'est pas une nostalgie qu'il faudrait conserver, un corps vieilli avec un sourire fatigué. La France c'est une espérance toujours, celle que vous avez relevée dans tous vos travaux. La France c'est un renouvellement permanent et c'est une volonté de participer pleinement à la construction du monde. Voilà ce que vous êtes, l'Ecole des Chartes, un symbole de la construction de la France, une recherche constante de nous-mêmes, une exigence à retrouver l'histoire, à être plus fort avec l'histoire, mais non pour la regarder dans une mélancolie qui serait désespérante mais pour la regarder comme un avenir qui est, lui, source de volonté de construction et d'espoir . Merci.