25 septembre 2015 - Seul le prononcé fait foi

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Entretien de M. François Hollande, Président de la République, dans "Le Parisien Magazine" du 2 septembre 2015, sur la lutte contre le dérèglement climatique.

Q - Quel a été le déclic de votre conversion à l'écologie ?
R - Dès mon élection, j'ai réuni à l'Élysée les scientifiques du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat). Ils m'ont apporté des cartes et des images de la planète montrant les effets du réchauffement climatique : la montée des eaux, la disparition des espèces, l'engloutissement des îles, la destruction des montagnes... Tout ceci n'attendra pas la fin du siècle, mais peut arriver dans trente à quarante ans. Ce n'est pas une prévision incertaine, c'est une vision incontestable de notre avenir. Dans tous mes déplacements, je suis d'ailleurs frappé par la montée des périls. Au Québec, des scientifiques m'ont démontré l'impact négatif de la fonte des glaciers £ aux Philippines, j'ai vu une ville entièrement détruite par un typhon £ en Chine, la pollution dans certaines mégapoles oblige à porter des masques. Je n'exprime pas seulement une conviction, mais un constat : le scepticisme est un fatalisme. Non, il ne faut pas croire à un miracle scientifique qui nous sauverait des dégâts du réchauffement climatique. Je refuse d'être le spectateur d'un mauvais film. Je suis en responsabilité et il est de mon devoir d'agir. Bien plus que la qualité de notre vie, ce qui est en cause, c'est la vie. À ceux qui pensent que ces rendez-vous coûtent cher, je réponds que sauver la planète n'a pas de prix.
Q - Mais vous n'êtes pas sûr d'y arriver...
R - C'est parce que la communauté internationale a échoué à Copenhague (Danemark), en 2009, qu'aujourd'hui nous avons une obligation de résultat. Paris, c'est la ville des droits de l'Homme, elle doit devenir celle des droits de la planète. Quand je me suis exprimé aux Nations unies l'année dernière, j'ai prononcé ces mots : «C'est à Paris qu'est née la Révolution française, elle a changé le destin du monde. Faisons en sorte que, dans deux cents ans, on puisse dire : «C'est à Paris qu'il y a eu la révolution climatique». » Faisons-la.
Q - Vous avez souligné, le 10 septembre, un « risque d'échec » de cette conférence climat...
R - Si les États n'étaient pas capables d'adopter une position commune face au réchauffement climatique, ce serait extrêmement grave pour la planète. Cet échec signifierait qu'à la fin du siècle, la température de la Terre augmenterait de 4°C, ce qui ne s'est jamais produit dans l'histoire de l'humanité. Voici pourquoi nous devons parvenir à un accord en décembre, un accord qui ait une portée contraignante, et qui contienne une clause de révision dans le temps pour évaluer la réalité des engagements de chaque pays. Et en tirer les conséquences sur le plan international.
Q - Quelles conséquences ?
R - Les pays qui ne respecteraient pas leurs obligations pourront être rappelés à l'ordre lors des négociations commerciales afin qu'ils n'infligent pas au monde des conditions de compétition déloyales et, à la planète, des dégradations irréversibles.
Q - Chaque année, à partir de 2020, il faudra trouver 100 milliards de dollars pour aider les pays en voie de développement dans leur transition énergétique. La France va-t-elle, comme l'Allemagne, augmenter sa contribution ?
R - Sur ce sujet, comme sur bien d'autres, la France et l'Allemagne agissent ensemble. J'avais annoncé une contribution de 1 milliard d'euros, nous ferons mieux. J'expliquerai à la tribune des Nations unies, le week-end prochain, que notre pays est prêt à faire davantage pour le financement de la transition énergétique. C'est la condition sine qua non de la réussite de la conférence climat. Parce que, si les pays développés ne font pas les efforts nécessaires, pourquoi les pays les plus pauvres accepteraient-ils, eux, de faire des sacrifices ? Pourquoi n'utiliseraient-ils pas les énergies fossiles, comme nous l'avons fait pendant des décennies ? Ces 100 milliards ne seront pas seulement abondés par les États. Les grandes banques de développement, les institutions financières et même les entreprises sont appelées à y participer.
Q - Comment avez-vous négocié avec les chefs d'État étrangers ?
R - J'ai d'abord voulu, avec Laurent Fabius, entraîner les deux pays les plus émetteurs de gaz à effet de serre : les États-Unis et la Chine. Le président Obama s'est personnellement, et de manière très claire, engagé dans la lutte contre le réchauffement. Encore faut-il que le Congrès américain le suive et apporte les financements nécessaires. La Chine, et cela a été l'acte le plus important de ces derniers mois, a elle-même donné des gages. Son Premier ministre a déposé ici, à Paris, la contribution de son pays pour la conférence climat. Il a voulu, par cet acte symbolique, montrer la détermination de son pays. Le président chinois a pris la mesure de l'enjeu. J'irai lui rendre visite en novembre pour marquer notre engagement commun dans la lutte contre le réchauffement.
Q - Barack Obama a lui aussi plaidé en ce sens, mais les États-Unis continuent d'exploiter le gaz de schiste. N'y a-t-il pas, ici comme ailleurs, un risque de double discours ?
R - D'où la nécessité de vérifier que les engagements des uns et des autres sont bien tenus. Le gaz de schiste a longtemps été un complément important à la production de gaz et de pétrole aux États-Unis. Avec la baisse des cours, les gisements sont de plus en plus coûteux à exploiter, et peu rentables. Ce que la politique n'avait pas réussi à faire respecter jusque-là, c'est l'économie qui le fait, opportunément, au secours de la planète.
Q - Comment allez-vous négocier avec Vladimir Poutine alors que le conflit ukrainien n'est pas réglé ?
R - Chaque fois que je me suis entretenu avec Vladimir Poutine, il m'a affirmé qu'il ne ferait pas obstacle à un accord. La Russie a parfaitement intégré l'enjeu de la lutte contre le réchauffement climatique dont elle est aussi victime.
Q - L'Europe connaît une crise migratoire sans précédent. Devra-t-elle accueillir, demain, des réfugiés climatiques ?
R - Prenons conscience qu'il y a déjà, aujourd'hui, davantage de réfugiés climatiques que de réfugiés de guerre. Quelque 80% d'entre eux vivent dans les pays du Sud, mais vont-ils y rester ? Si nous ne parvenons pas à un accord à Paris, en décembre, ils seront encore plus nombreux dans dix, vingt ou trente ans. Parce que l'Afrique sera frappée de désertification, parce que des lacs comme le lac Tchad s'assécheront, des guerres surviendront et provoqueront des déplacements de population. Investir dans le climat aujourd'hui, c'est prévenir les conflits et ne pas créer les réfugiés de demain.
Q - Le premier sommet sur le climat s'est tenu en 1992, à Rio (Brésil), à l'initiative de François Mitterrand. Quels souvenirs en gardez-vous ?
R - Un souvenir personnel d'abord : Ségolène Royal, à l'époque ministre de l'Environnement, avait été envoyée par le président Mitterrand au sommet de Rio. Elle attendait notre fille Flora. Je peux aujourd'hui regarder notre fille et me dire que j'ai une responsabilité vis-à-vis d'elle et de la planète que nous allons laisser à nos enfants. Un souvenir politique ensuite : Rio avait favorisé une prise de conscience des responsables politiques et s'était soldé par un succès. Mais celui-ci s'est rapidement fracassé sur la grande récession de 1993. Certains se sont dit alors que l'écologie pouvait attendre. Ce fut une grave erreur, car écologie et économie sont liées : la croissance verte, la transition énergétique, le développement de nouvelles énergies et de véhicules propres, l'isolation thermique sont les conditions d'une sortie durable de la crise. Retenons la leçon de Rio : c'est en étant à la hauteur de l'enjeu climatique que l'on favorisera l'emploi et l'activité.
Q - Quels sont, au quotidien, vos gestes écologiques ?
R - À l'Élysée, pour des raisons d'économies autant que pour des raisons écologiques, nous avons augmenté le nombre de véhicules électriques, amélioré l'isolation thermique du palais et renoncé aux déplacements inutiles. À titre personnel, je fais attention à ne pas gaspiller l'énergie. J'ai appris à toujours éteindre les lumières quand je quitte une pièce. Et ici, il y en a de nombreuses !
(...)
Q - Quel message aimeriez-vous adresser aux jeunes ?
R - Chaque fois que j'interroge les jeunes, ils me parlent d'abord de la planète. C'est leur premier enjeu, peut-être parce qu'ils sont les premiers à ressentir les effets de la dégradation de l'environnement. C'est pour eux que je me bats.
Q - Quelle trace aimeriez-vous laisser dans l'histoire, celle d'un président «vert» ?
R - C'est sur ces choix longs qu'un président peut avoir, paradoxalement, le plus d'influence. Rappelons-nous la décision de Georges Pompidou en matière d'énergie nucléaire : elle a eu un impact sur plusieurs décennies (en 1973, consécutivement au choc pétrolier, le président Pompidou développe les centrales nucléaires en France pour la production d'électricité, afin d'assurer à notre pays son indépendance énergétique, NDLR). Le plus important dans l'action d'un président de la République, c'est d'engager la France dans l'avenir, et de prendre des orientations qui vont valoir bien au-delà de son quinquennat. La transition énergétique s'inscrit dans cette logique. Les choix qui seront faits à Paris dureront bien plus que les mandats de ceux qui les auront engagés. C'est le sens de la responsabilité politique.