19 août 2015 - Seul le prononcé fait foi

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Interview de M. François Hollande, Président de la République, avec le groupe de presse EBRA le 19 août 2015, sur la question climatique, les baisses d'impôts, la politique économique et sur la lutte contre le terrorisme.


- A trois mois de la COP21, votre premier déplacement met en valeur l'énergie positive. Mais peut-on encore obtenir un accord international sur le climat ?
La France a une grande responsabilité. Elle doit être exemplaire et innovante, comme le sont les entreprises et les sites que je visite aujourd'hui en Isère et en Savoie. C'est l'objectif de la loi de transition énergétique portée avec ténacité par Ségolène Royal et qui va donner un coup d'accélérateur aux énergies renouvelables et à l'économie verte dans notre pays.
Un accord à Paris est vital pour la planète : les preuves des effets désastreux du réchauffement climatique sont accablantes. La France a un rôle clef à jouer car elle est capable de parler à tous les pays, d'être écoutée et de convaincre. Nous sommes en convergence avec Angela Merkel. Barack Obama a pris des engagements forts. La Chine est prête à s'impliquer. Il faut aussi démontrer aux pays émergents qu'il est possible de lutter contre le réchauffement climatique sans remettre en cause leur développement.
- Pas d'écotaxe, pas de surtaxe diesel, pas de hausse des taxes sur l'électricité : par quelle fiscalité financer cet effort pour diminuer le carbone ?
Il n'est pas question de créer un impôt ou une taxe supplémentaire. La transition énergétique ne doit pas être un prétexte pour augmenter les prélèvements. Je m'y refuse. Il n'est pas question non plus que des contribuables payent pour les gaspillages et les pollutions qui ne sont pas de leur fait. En revanche, nous avons créé la contribution carbone qui s'applique à toutes les énergies fossiles (gaz, essence et charbon).
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Elle sera donc payée par les consommateurs, plutôt que par les contribuables ?
Oui. Cela permet de répartir la charge par rapport aux choix de consommation de chacun.
- Le gouvernement prépare le budget 2016. Prévoira-t-il une nouvelle baisse d'impôts pour les ménages ?
Je mesure les efforts qui ont été demandés aux Français en 2012 et 2013. Ils ont permis de redresser nos finances publiques et de respecter nos engagements européens. Il y a eu une première baisse de la fiscalité en 2014. Elle a concerné plus de 3 millions de ménages. Elle est plus importante en 2015, puisque neuf millions de foyers fiscaux sont concernés. Si la croissance s'amplifie en 2016, nous poursuivrons ce mouvement car les Français doivent être les premiers bénéficiaires des résultats obtenus.
- On vous reprochera de ne pas donner la priorité à la diminution de la dette
Nous respecterons nos objectifs de réduction des déficits, ils ne dépasseront pas 3% de la richesse nationale en 2017. Il s'agit d'être rigoureux et en même temps d'être juste. Les baisses d'impôts concernent les classes moyennes. Plus de 2 millions de nos compatriotes n'ont plus cette année à acquitter d'impôt sur le revenu. Certains contestent ce choix. Mais, ils oublient que chaque Français paie déjà la CSG, la TVA et la taxe d'habitation. Laisser penser qu'on exonère une partie des citoyens de tout impôt est une présentation totalement fallacieuse.
- Ce budget suscite déjà une manifestation, celle des maires de France qui protesteront le 19 septembre contre la baisse des dotations de l'Etat. Etes-vous prêt à un geste ?
Tous les responsables publics doivent veiller à faire des économies et à maitriser les prélèvements. Il ne peut y avoir deux discours : un à Paris, pour demander la baisse des dépenses et des impôts, et un autre au niveau local, pour revendiquer davantage de dotations de l'Etat. J'ai moi-même été maire et Président d'un conseiller général. Je sais qu'il y a des collectivités en très grande difficulté, notamment dans le milieu rural. Pas parce qu'elles sont mal gérées, mais parce que leurs ressources ne progressent plus, alors que leurs dépenses, notamment sociales, continuent d'augmenter. Nous devons donc accentuer la péréquation des dotations de l'Etat, c'est-à-dire la solidarité, en faveur de ces collectivités. Et soutenir l'investissement public parce que c'est de l'emploi dans le BTP.
- Comment ?
Il s'agira de moduler les dotations en fonction des investissements engagés.
- Dans les territoires ruraux et industriels, remonte un sentiment d'abandon et d'éloignement des lieux de pouvoir et de décision. Que répondez-vous à ces Français ?
Ce sentiment existe. Je dois y répondre en marquant encore davantage la présence de l'Etat Sans les postes supplémentaires qui ont été créés dans l'Education nationale, des écoles et des classes fermeraient à la rentrée, notamment dans le monde rural. Dans le domaine de la santé, le Gouvernement lutte contre les déserts médicaux en permettant à tous d'avoir accès aux services d'urgence et à une permanence médicale à proximité. L'accès aux nouvelles technologies est aussi essentiel. Avec le plan numérique, les opérateurs ont le devoir d'assurer la couverture du téléphone portable et du haut débit, y compris dans les secteurs où la rentabilité est moindre. J'ai décidé d'amplifier encore ces investissements.
Enfin, je ne conçois pas les territoires ruraux comme des paysages à entretenir mais comme une ressource inestimable pour l'innovation et la vitalité du pays. C'est pourquoi la résolution de la crise de l'élevage est un devoir national et européen. C'est tout un secteur économique qui va bien au-delà de l'agriculture qui est en cause. Des mesures d'urgence ont été prises pour soulager les trésoreries et soutenir les prix. Elles seront complétées par des actions structurelles que prépare Stéphane LE FOLL, notamment pour renforcer la contractualisation entre éleveurs, industriels et distributeurs. Et j'ai demandé la réunion d'un Conseil extraordinaire des Ministres européens de l'agriculture. Il se tiendra le 7 septembre.
- Au-delà, il existe un sentiment de perte d'identité. Votre réponse, c'est la France unie ?
Il y a des forces, plus ou moins obscures, dans notre pays qui poussent à la division entre les territoires, les catégories sociales et même les Français. C'est un danger majeur. Le rôle du Président de la République est d'assurer la cohésion nationale et de veiller au respect des règles communes pour vivre ensemble. L'équilibre d'un pays est toujours fragile et ce qui le constitue peut se défaire. Je ferai tout pour que les Français puissent garder leur unité - car c'est ce qu'ils ont de plus précieux - et pour faire en sorte que notre pays ne cède pas à la peur et au repli sur soi. L'obsession identitaire n'a jamais été une posture victorieuse.
- La « France unie », ce fut aussi le slogan de la campagne présidentielle de François Mitterrand, en 1988
Etre Président de la République c'est rassembler. Mais la France unie ne peut pas être en soi un programme politique : c'est une condition, une nécessité, pour que la France avance. C'est le mouvement qui fait le progrès. Nous avons déjà fait beaucoup de réformes. La loi Macron sur l'activité. Le dialogue social. La transition énergétique. La réforme territoriale. Je vais continuer jusqu'en 2017 parce que je veux que la France rattrape le temps perdu et qu'elle puisse garder son rang. Si nous voulons être écoutés comme nous l'avons été pour la Grèce, il faut être le plus fort possible sur le plan économique et financier.
- Le Parti socialiste s'est beaucoup divisé sur les deux précédents budgets et la loi Macron. A une semaine de l'université d'été de La Rochelle, vous paraît-il plus uni ?
Je connais bien le Parti socialiste. Je sais ce qu'il représente dans la tradition politique française : une volonté de progrès et en même temps un lieu de débat. Mais la gauche gouverne. C'est une grande responsabilité dans une Europe qui affronte tant de défis et dans un monde qui change. Il peut y avoir des discussions, mais il y a surtout un enjeu : conduire le pays pour qu'il soit plus solide et plus solidaire. Ce qui suppose de l'audace dans les choix mais aussi de la stabilité dans les politiques conduites pour que les entreprises et les ménages aient confiance. Par conséquent, les principes du pacte de responsabilité seront préservés.
- Les 41 milliards de baisses de cotisations et d'impôts pour les entreprises seront maintenus
Oui. C'est la condition pour permettre aux entreprises d'investir et d'embaucher.
- Des éléments peuvent évoluer à l'intérieur de l'enveloppe de 41 milliards ?
Cela sera discuté avec les partenaires sociaux.
- Votre ministre du Travail, François Rebsamen, présente aujourd'hui (mercredi) sa démission. Le regrettez-vous ?
Je respecte sa décision. Elle fait suite à la mort tragique du maire de Dijon, qui lui avait succédé lors de son entrée au gouvernement. Il quittera le gouvernement dans les jours qui viennent après avoir préparé la rentrée et les dossiers pour son successeur.
- Vous vous rendez sur un territoire cruellement éprouvé par le terrorisme. Que pouvez-vous dire aux citoyens sur la menace terroriste et sur la protection qu'apporte l'Etat ?
Le drame de Saint Quentin Fallavier a profondément marqué les Français. Et j'ai partagé le chagrin de la famille de la victime, Hervé Cornara. La menace terroriste est là. Elle est permanente. Nous y répondons par des moyens exceptionnels déployés sur l'ensemble du territoire, par la loi renseignement qui renforce nos capacités tout en préservant les libertés individuelles, par la coopération militaire avec les pays qui luttent contre le terrorisme en Irak ou en Afrique sub-saharienne. Nous avons renforcé le suivi des Français partis faire le djihad et la surveillance de leurs liens en France. Je rappelle que plus de 130 ressortissants français sont morts en Syrie et en Irak.
L'opération Sentinelle qui mobilise plus de 7000 militaires sera améliorée pour être encore plus mobile et plus efficace. La vigilance et la fermeté sont les seules réponses possibles. Les Français n'ont qu'un ennemi : le terrorisme et ceux qui s'en revendiquent. Ils n'en ont pas d'autres. Et je veux que tous les citoyens, quelles que soient leurs origines, leur couleur ou leur religion puissent être garantis dans leurs droits et leur sécurité.
- Vous revenez de vacances. Comment les avez-vous passées ?
Vous avez remarqué que je n'en fais pas un sujet de spectacle. Les vacances, c'est fait pour se reposer et réfléchir. Les miennes ont été courtes comme pour beaucoup de Français même si cette année ils ont été plus nombreux à partir. Mais je n'oublie pas ceux qui sont restés chez eux. Je salue d'ailleurs l'initiative du Secours populaire qui permet chaque année à des enfants de prendre de vraies vacances. Je n'oublie pas que pendant cette période, trop de nos concitoyens cherchent du travail. C'est pourquoi l'emploi reste plus que jamais ma première priorité.
Recueilli par Francis Brochet et Pascal Jalabert