10 avril 2015 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur la reconstitution de la grotte de Chauvet en Ardèche et sur la richesse culturelle de la France, à Vallon-Pont-D'arc le 10 avril 2015.


Madame la Ministre,
Monsieur le président du conseil régional,
Monsieur le président du conseil départemental,
Mesdames, Messieurs les parlementaires, les élus,
Monsieur le maire, Mesdames,
Messieurs qui êtes venus si nombreux de toute génération et au-delà même du département de l'Ardèche.
Monsieur le président, cher Pascal TERRASSE.
C'est une aventure exceptionnelle que vous venez de vivre avec toutes celles et ceux qui vous ont accompagné. Parfois l'on s'interroge sur ce qu'est l'aventure politique, ou la volonté politique, à quoi sert de représenter les concitoyens qui vous ont fait confiance ? Est-ce qu'une uvre peut être laissée, au-delà des mandats exercés, s'inscrire dans le temps, créer ce que personne d'autre avant n'avait pu concevoir, imaginer, réaliser ?
Cela a un nom, cher Pascal TERRASSE, cela s'appelle une trace. Je n'ose pas dire une griffe, parce que nous ne sommes pas loin de la caverne, mais c'est ce que chaque femme, chaque homme, dès lors qu'il a été doté d'un mandat public, doit avoir à l'esprit. Il ne doit pas simplement répondre aux urgences, ou aux exigences de l'heure, c'est indispensable, ou encore entendre le vacarme de ce qui ne va pas, ou les compliments - cela peut arriver - mais il doit être capable de définir une vision qui quelquefois est tout simplement le rappel du passé. C'est ce qui a été fait ici de notre histoire, que dis-je, de notre Préhistoire.
C'est dans cette volonté d'être pleinement dans l'avenir et d'être fidèle à l'histoire même de l'humanité que, cher Pascal TERRASSE, vous avez conçu ce projet, et avec tout le soutien qui vous a été apporté, vous l'avez mis à l'uvre. Tout est impressionnant ici. D'abord quand on arrive, les Gorges de l'Ardèche que l'on survole, puis le Pont d'Arc. J'ai eu cette chance, je n'ose pas dire ce privilège.
Mais cela m'a donné envie, si je puis dire, d'aller tout en bas car c'est une invitation formidable à la visite. Ce Pont d'Arc fait votre fierté. Si j'ai bien compris à la suite de ma visite qui a été parfaitement accompagnée et documentée par un guide, Pascal, mais aussi par un grand scientifique que je salue ici, le Pont d'Arc existait il y a 36.000 ans. Peut-être a-t-il toujours existé et Dieu quand il a créé la Terre, l'a créé autour du Pont d'Arc, c'est une hypothèse que je soumets à votre recherche.
Cette caverne aussi est impressionnante, elle qui est située sur un point haut, autant que toute la réalisation qui a été conçue par les architectes, que je connais bien, ils viennent de Clermont-Ferrand. Je sais que le président de la région Auvergne est là : c'était déjà un signe que Clermont-Ferrand allait venir avec Rhône-Alpes pour donner le meilleur, c'est-à-dire des idées architecturales.
C'est un très beau projet qui a été réalisé, un très beau geste architectural d'avoir ici la modernité qui donne envie de visiter notre Préhistoire. L'ouverture de la caverne du Pont d'Arc est ainsi un événement exceptionnel : c'est l'histoire de l'art qui s'unit avec la Préhistoire. C'est aussi, on le devine maintenant, un site touristique considérable qui va s'ouvrir et permettre non seulement à l'Ardèche, non seulement au Rhône-Alpes, mais à la France toute entière, une attractivité que nous ne pouvions pas imaginer.
Il se trouve coïncidence - que je vais recevoir cet après-midi le Premier ministre de l'Inde, Monsieur MODI, qui est très attaché à cette découverte du passé. Il y a une coopération entre l'Inde et la France - une représentante est ici présente - qui va nous permettre d'attirer de nombreux touristes indiens pour comprendre, découvrir ce que l'humanité ensemble a été capable de dessiner.
Oui, c'est un événement considérable parce qu'il va y avoir des centaines de milliers de visiteurs. C'est un événement majeur parce que c'est une découverte majeure qui s'est opérée il y a 20 ans. Il y a des lieux qui n'appartiennent à personne, même pas à une époque où à un pays, mais qui appartiennent à l'humanité. La grotte ornée du Pont d'Arc, dite aussi grotte CHAUVET, est l'un de ces lieux là, parce que lorsqu'Eliette BRUNEL, Jean-Marie CHAUVET et Christian HILLAIRE ont pénétré dans cette caverne scellée dans l'ère glaciaire, ils ont compris en quelques secondes qu'ils n'étaient plus en Ardèche, le 18 décembre 1994, mais qu'ils faisaient un voyage dans le temps, des dizaines de milliers d'années, là où aucun être humain n'était entré depuis la Préhistoire.
On imagine ce qu'a pu être leur émotion. Ils la vivent encore aujourd'hui parce que quand ils voient cette reconstitution, ils se revoient eux-mêmes entrer dans cette grotte et avec quelques lumières, peu m'ont-ils dit, découvrir que des dessins, que dis-je, des tableaux avaient été gravés dans la pierre. Et c'est grâce à leur travail, grâce à la préservation aussi du site, grâce à leur inspiration que nous pouvons être là aujourd'hui pour inaugurer un site exceptionnel.
Vous avez servi bien plus que votre science, bien plus que votre département, bien plus que l'Etat, vous avez servi la connaissance humaine et donc vous avez servi la France.
Et puis en 2014, c'est-à-dire l'année dernière, vingt ans après la découverte, le site a été classé au patrimoine mondial de l'UNESCO. On croit que c'est facile. Quand on réussit quelque chose, tout le monde croit que c'est facile. Quand on échoue, personne ne pense que c'est difficile, donc il faut réussir. C'est une uvre commune qui permet la réussite.
Pour l'inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO, il a fallu le concours de tous, de l'Etat, de la ministre, de la région Rhône-Alpes le président QUEYRANNE de Pascal TERRASSE, du conseil général à l'époque et puis aussi de Marc LADREIT DE LACHARRIERE, président de l'association de mise en valeur de la Grotte qui, d'une certaine façon je ne veux pas aller trop loin parce qu'il est mon ami qui est un bienfaiteur. D'ailleurs, nous attendons encore toujours davantage de bienfaits du président de l'association qui est Ardéchois de naissance et forcément Ardéchois de cur.
Bien des questions se posent sur la caverne, celle qui a été découverte. C'est une interrogation légitime qui n'est pas encore épuisée. Est-ce que cet endroit fut un sanctuaire ? Un lieu d'initiation pour un certain nombre d'arts ? Un refuge ? Peut-être tout cela à la fois. Mais ce dont nous sommes certains en revanche, c'est que les hommes et les femmes qui vivaient-là il y a 36.000 ans pensaient qu'ils avaient un environnement et essayaient de le reconstituer, de faire en sorte que les parois qu'ils recouvraient de leur art puissent correspondre à ce qu'ils voyaient.
Eux aussi voulaient laisser une trace, sans doute. Peut-être n'imaginaient-ils pas que des milliers d'années plus tard, nous aurions à découvrir ce qu'ils nous avaient laissé. C'étaient des artistes, ils savaient ce qu'était le Beau. Ils ne reproduisaient pas seulement, ils y mettaient aussi leur génie, ils voulaient créer. C'est pourquoi les uvres qui vont être mises à jour et offertes au plus grand nombre sont les plus belles créations de l'humanité.
Sur ce lieu, il y a toujours la volonté d'exprimer de l'art. La Préhistoire a été finalement le début de l'Histoire de l'art, parce que l'art se confond avec l'homme. Chaque fois qu'il y a l'homme, il y a la création et l'imagination et donc la création artistique. Nous admirons la créativité de ces anonymes qui n'ont pas laissé de signature - à l'époque, cela ne se faisait pas - mais qui ont donné de l'expressivité et de l'ingéniosité à leurs traits. Ils ont essayé aussi de montrer qu'ils étaient des individus, des personnes qui pouvaient concevoir et n'étaient pas simplement des reproducteurs.
Et puis, ils ont inventé. C'est ce qui fascine dans cette visite que vous allez faire sans doute dans les jours qui viennent. Ici, quand ils répandaient leurs couleurs sur la roche, les hommes ont inventé la peinture, il y a 36.000 ans. Ici, avec une seule empreinte de main, ils ont inventé l'autoportrait. Ici, quand ils figuraient le mouvement grâce à la répétition des formes, ils ont d'une certaine façon inventé la bande dessinée. Ici, quand ils ont utilisé le relief de la roche, des parois, ils ont finalement inventé la 3D. Et puis il y a 36.000 ans, quand ils jouaient avec les ombres et les lumières, ils ont aussi inventé le cinéma.
Tout est là, dans cette caverne, et au-delà de leurs uvres, de leurs techniques, leur style continue de parler aux artistes d'aujourd'hui. Gérard GAROUSTE, Pierre SOULAGES, Miquel BARCELÓ se sont émerveillés de ces créations. Comment dans les endroits les plus obscurs de la Terre pouvait-on peindre avec du noir puisque le noir était la couleur d'origine ?
Pendant des milliers d'années, heureusement, c'est la nature qui a protégé cet inestimable et impénétrable trésor, et aujourd'hui c'est à nous qu'il revient de la préserver et de la mettre en valeur.
Le paradoxe de la découverte, c'est qu'aussitôt que l'endroit a été connu, il a été en danger. Il a donc fallu que les chefs d'uvre des grottes ornées soient conservés dans des conditions exceptionnelles, ce qui explique que personne ou presque personne ne peut entrer dans la grotte. L'exemple de Lascaux nous l'a enseigné : il suffit que pendant quelques années des visites soient trop nombreuses pour que les traces miraculeusement parvenues jusqu'à nous soient irrémédiablement endommagées. D'où l'idée qui vous est venue de pouvoir reconstituer la grotte, reconstituer la caverne. Il y a à la fois la nécessité de préserver de manière intacte la caverne qui a été découverte et en même temps de faire en sorte que le lieu lui-même puisse être visité.
Mais comment réaliser ce prodige ? Comment arriver à ce miracle : préserver et en même temps ouvrir une caverne identique ? C'est ce qui a été ici fait et ce n'est pas un miracle : c'est le produit de la technologie et de l'homme d'arriver à restituer non pas à l'identique, puisque ce n'est pas la même caverne, mais de restituer les uvres, les traces, les pas quelquefois, les lieux, dans cette grotte.
Je veux donc saluer les scientifiques qui depuis vingt ans étudient, cartographient, et radiographient les 8.000 mètres carré de la caverne. Je veux aussi saluer je l'ai fait les grands scientifiques Jean CLOTTES et Jean-Michel GENESTE, et leur recherche qui a permis de faire une monographie, d'ouvrir un atlas, de valoriser tout ce qui a été fait au ministère de la Culture. Voilà comment l'on aboutit à cette création.
Au-delà de la science, il a fallu rassembler des fonds, mobiliser des budgets. Cinquante millions d'euros ont été consacrés à cette uvre. Avec l'Etat et l'Europe, qui a mis ici 10 millions d'euros, je veux donc saluer toutes les collectivités comme le Conseil régional, le Conseil départemental et toutes les collectivités qui s'y sont associées.
Il aura fallu 8 années pour parvenir à cette Caverne du Pont d'Arc, mais au-delà des sommes qui ont été mobilisées, il a également fallu reconstituer avec le plus de précision possible, comme si c'était l'identique, le semblable, ce qui existait dans la Grotte CHAUVET. Alors il a fallu mobiliser 29 corps de métiers, des dizaines d'entreprises, 200 personnes rien que pour la reconstitution de la caverne.
Surtout ce qui est fabuleux, ce sont les technologies qui ont été mobilisées. Pour reconstituer la Préhistoire, nous avons emprunté les technologies les plus avancées pour que ce soit presque pareil, presque semblable. Les procédés ont utilisé l'ordinateur, 16 millions de points ont également été relevés, des milliers de tiges métalliques, des parois, des voûtes, des prouesses ont été accomplies. Le chantier a été particulièrement complexe puisqu'il a pu reproduire les uvres et en même temps trouver les teintes, les pigments, les odeurs, les températures que l'on pouvait avoir dans la grotte. Voilà ce travail fabuleux qui a été réalisé et qui justifie aujourd'hui notre présence.
Monsieur le Président, vous avez dit attendre 350.000 visiteurs. A mon avis vous avez visé trop bas, il y en a déjà des milliers aujourd'hui. Je n'ai aucun doute sur le succès considérable que sera la Caverne du Pont d'Arc. Et si notre présence peut servir encore davantage à la promotion du lieu, ce que nous faisons aujourd'hui, je ne cesserai pas avec la Ministre de dire, partout où je me déplacerai dans le monde : « Vous voulez connaître d'où vous venez, venez dans la Caverne du Pont d'Arc, venez en Ardèche et vous serez chez vous. Venez en Ardèche, splendeur de la nature à l'accueil formidable, et territoire de culture ». Nous devons toujours comprendre que ce que nous faisons pour la culture est aussi un atout économique.
La France a bien des technologies, elle en fait la démonstration aujourd'hui avec cette caverne. La France est capable de vendre des produits exceptionnels - j'espère que ce sera le cas cet après-midi avec le Premier ministre indien - mais c'est d'abord aux entreprises de faire la démonstration et elles le font de leur capacité. La France a beaucoup de réussites exceptionnelles dans les domaines industriels et dans les domaines de la science. Mais la France, c'est ainsi, est également dotée par la nature de lieux exceptionnels, et elle est capable de créations magnifiques, de culture.
La France est un grand pays de culture. Parfois certains il y a toujours des esprits chagrins disent : « Mais finalement, est-ce que la culture n'est pas une dépense superflue » ? Mais la culture est une dépense qui nous rend à la fois fiers de ce que nous sommes, qui permet à la France de rayonner, mais c'est aussi une dépense d'investissement.
Les retombées économiques de la culture, dans tous les domaines et pour tous les arts, sont considérables. La France est la première destination touristique au monde, nous recevons le plus de visiteurs du monde entier. Pourquoi viennent-ils ? Pour, il est vrai, des paysages exceptionnels : il y en a beaucoup, il y en a partout. Mais ils viennent aussi et surtout pour la culture, pour voir ce que nous avons été capables génération après génération de produire, et comment nous avons mis en valeur nos sites naturels £ ils viennent également pour nos créations, pour nos musées.
J'ai voulu que les musées de France, les plus beaux musées de France, soient partout en France. Chaque fois que l'on ouvre un musée dans une capitale régionale, dans une capitale départementale ou dans un lieu, c'est un succès renouvelé. Je pense au musée Soulages à Rodez, au Louvre-Lens, au MuCEM à Marseille. Partout, cela a été un succès considérable. Ici en Ardèche, la Caverne du Pont d'Arc sera un succès considérable.
Des emplois seront créés, des emplois directs et indirects. Justement, nous avons mis en place des plans pour accompagner les formations qui seront nécessaires.
Les scolaires de l'Ardèche qui seront obligés de venir, mais qui s'en feront une joie, demanderont : quand va-t-on visiter la Caverne du Pont d'Arc ? Pour tous les jeunes de France, ce sera un lieu - je n'ose pas dire un lieu de pèlerinage parce que nous sommes dans une République laïque - où l'on viendra chercher à comprendre, à savoir et surtout à s'émerveiller, car c'est un émerveillement de voir représentés un cheval, un bison, un lion, ou plus rarement des figures humaines, parfois dissimulées avec des formes d'animaux, comme si tout se confondait, comme si nous étions la même espèce, la nature.
C'est sans doute le message qu'il nous faut garder. Comme l'indiquait Pascal TERRASSE, c'est une main qui s'offre à nous comme un passage, un relai, un témoin, un signe que nous devons avancer, que nous devons regarder l'histoire mais surtout l'avenir, être capable de faire une avancée, un progrès, de génération en génération.
Et puis il y a un autre message : celui de la préservation. Ces hommes et ces femmes qui étaient dans ces cavernes, dans ces grottes, voulaient aussi préserver leur vie, leurs moyens d'existence, mais aussi ce qu'était la nature. Lorsque l'on est héritier et nous le sommes tous de cette humanité-là, nous sommes en charge de l'humanité pour les prochaines années. Notre espèce a détruit la nature, même si nous l'avons aussi transformée, permettant à des milliards d'hommes de pouvoir vivre sur cette terre. Mais nous avons abîmée cette terre et si nous la détruisons, c'est elle qui nous détruira.
La France a la responsabilité d'accueillir à la fin de l'année la Conférence sur le climat. Cette responsabilité nous étreint aujourd'hui parce que nous sommes dans notre berceau de civilisation, notre berceau historique, et qu'il faut être capable d'être à la hauteur des responsabilités qui, aujourd'hui, nous échoient pour le monde et pour la planète. En venant ici en Ardèche, dans la Caverne du Pont d'Arc, nous sommes aussi responsables de l'humanité toute entière. Vive la République, vive la France.