20 octobre 2014 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur la Fondation Louis Vuitton et la politique culturelle de la France, à Paris le 20 octobre 2014.

Monsieur le Président, cher Bernard ARNAULT,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Madame la Maire de Paris,
Mesdames et Messieurs,
Tous ceux qui ont contribué à faire de ce lieu un édifice magnifique,
D'abord vous, cher Frank GEHRY, vous nous honorez par votre geste et vous nous faites aussi grand plaisir à être ici présent. Demain, j'aurai le bonheur de vous remettre une des plus hautes distinctions de la République française.
Nous assistons à un évènement exceptionnel, parce que c'en est un, comme il s'en passe peu dans un siècle. Nous savourons cet instant. J'ai également une part d'émotion parce qu'enfant, je n'habitais pas très loin je ne dirai pas où, pour ne pas créer de polémique inutile - et je venais au jardin d'acclimatation. Mes grands-parents m'y emmenaient. Ensuite adolescent, j'y venais, ici, pas loin pour y jouer au bowling au temps où il existait dans ce jardin.
Le Président ARNAULT m'a dit qu'il était amianté donc je me rends compte des risques que j'ai pris à cette époque. Aujourd'hui nous sommes là, rassemblés, et c'est un musée extraordinaire qui s'ouvre à nous. C'est aussi une nef d'art et d'acier qui se dévoile. C'est un nuage qui s'est inscrit dans le ciel de Paris, un nuage de culture.
Bernard ARNAULT, c'est à vous que l'on doit cet évènement et cet extraordinaire musée. Vous l'avez imaginé dans un lieu qui n'était pas prévu pour cela, et vous vouliez qu'il y ait là, rassemblées, des uvres, des créations contemporaines. Vous vouliez que votre fondation soit un musée, mais qui ne soit pas un musée comme les autres, qui soit une uvre, une uvre en tant que telle.
Vous vouliez que votre fondation constitue en soi un geste architectural. Ce n'était pas un défi facile, mais vous l'avez réussi, comme d'autres durant votre vie. Puisque d'une entreprise de promotion immobilière que vous avait léguée votre père, vous avez fait un groupe industriel, un groupe mondial. Vous avez rappelé les effectifs : 120.000 salariés dans le monde, 20.000 en France, avec un chiffre d'affaires que vos plus grands concurrents vous envient.
Vous avez su offrir au groupe LVMH une vocation, celle de l'excellence, celle de l'élégance française. Vous avez voulu donner une âme à votre entreprise avec la création de cette fondation. Elle a été créée en 2006. Vous vouliez la dédier à l'art contemporain parce que vous êtes vous-même un commanditaire, un collectionneur. Vous renouez avec une tradition, qui n'est pas spécifiquement française, qui est celle des mécènes. Qui de tous temps ont voulu faire vivre la création et la faire partager à d'autres, au plus grand nombre.
Ils s'appelaient Nélie JACQUEMART, Frédéric BONNARD, en France, GUGGENHEIM aux Etats-Unis, GULBENKIAN au Portugal, ils ont tous donné leur nom à un grand musée.
Pour installer la fondation Louis VUITTON, vous vouliez un bâtiment qui ne soit pas comme les autres, un bâtiment unique qui puisse susciter la curiosité, l'émerveillement et l'admiration du monde entier. Pour répondre à cette commande, il fallait un architecte, lui-même d'exception, capable de briser les formes, de dépasser les limites et de réaliser l'impossible. C'est ce que vous avez fait, Frank GEHRY.
Les images en effet se bousculent pour évoquer votre uvre. Est-ce que c'est une chrysalide ? Un scarabée ? Ça c'est pour les animaliers. Ou un iceberg, pour ceux qui s'inquiètent du réchauffement de la planète ? D'autres, qui cherchent toujours des arches de Noé, y verront un vaisseau à voiles. Mais à tout le moins, c'est un palais, un palais de cristal pour la culture.
Ce projet, vous l'avez conçu en 2001, c'est dire le temps qu'il faut pour que l'uvre humaine trouve son accomplissement, cela vaut dans tous les domaines. Cela peut prendre parfois moins de temps, j'en conviens.
Au fur et à mesure des intuitions de Frank GEHRY, vous avez posé de nouveaux problèmes aux constructeurs que je salue ici, VINCI et EIFFAGE. Vous avez également inspiré de nouveaux procédés aux ingénieurs, d'où les brevets qui ont pu être déposés. Vous avez même introduit de nouveaux matériaux qui n'existaient pas auparavant. Et c'est ce que dit la légende, sans que le financeur ne soit sollicité davantage. En tout cas, c'est ce que dit Frank GEHRY. C'est donc un véritable miracle qui a été accompli ici, un miracle de l'intelligence, de la création, de l'imagination et de la technologie.
De son uvre pour la Fondation, Frank GEHRY nous livre les esquisses et les essais dans la belle exposition ici même et dans celle que lui consacre en ce moment-même le centre POMPIDOU, c'est un portrait d'ensemble à son intention.
Frank GEHRY, vous aimez la France. C'est un cadeau que vous nous faites d'aimer la France. Et les Français doivent bien le comprendre. La France est aimée. Vous l'avez découverte, la France, il y a plus de 50 ans. Vous y étiez resté quelques mois chez un ami qui est ici présent. Vous avez eu le temps d'apprendre notre langue, enfin pas complètement, de connaître nos artistes et de découvrir avec émotion, puisque vous y aviez pleuré, la chapelle de Ronchamp de LE CORBUSIER.
Aujourd'hui, c'est vous qui nous offrez cette cathédrale de lumière. Pour la réaliser, vous avez su réunir une équipe unique au monde d'architectes, de chercheurs, de techniciens, d'ouvriers qui, tous, ont réalisé des prodiges. Vous avez fait appel à ce qu'il y a de plus performant dans l'industrie française. Je veux citer notamment DASSAULT Systèmes, qui vous a aidé à calculer des forces et des résistances, à créer des formes inédites et même à composer de nouveaux alliages. Ici, on est dans une uvre industrielle aussi. Vous avez bien fait de rappeler la Tour EIFFEL. C'est le même saut technologique qui a été accompli. Un béton spécial a même été inventé pour l'occasion, le DUCTAL, je le dis pour ceux qui voudraient l'utiliser pour leurs propres travaux. Avec ce béton-là, vous avez élaboré les 19.000 plaques blanches au sommet du bâtiment, elles-mêmes faites sur mesure.
Bâtiment de 12.000 m2 et de 48 mètres de haut, c'est donc un ouvrage unique au monde, unique en son genre, qui respecte de plus la haute qualité environnementale. Puisque la France va accueillir la conférence sur le Climat, il lui fallait un bâtiment à la hauteur de cette ambition, aussi bien pour la fabrication que pour les usages.
L'histoire de l'Art nous apprend que chaque révolution esthétique s'est accompagnée d'une révolution technologique. Vous avez voulu l'un et l'autre que cette révolution soit française et soit à Paris.
Je veux après vous saluer l'audace de Bertrand DELANOE, sans lequel, jamais cette idée - car elle était invraisemblable - n'aurait pu être menée à bien. Je salue également la volonté d'Anne HIDALGO, qui est avec nous, de suivre personnellement ce chantier jusqu'à son plein accomplissement.
La Mairie de Paris a rendu possible cette implantation dans le Bois de Boulogne. C'était sa volonté et aussi son intérêt. Son intérêt parce que j'ai appris que la ville allait être propriétaire du lieu dans 55 ans, au terme d'un accord signé avec la Fondation. Quelle chance aura le ou la maire de Paris dans 55 ans, propriétaire de ce lieu. Mais c'était aussi la volonté de la Mairie de Paris, de veiller à l'équilibre de la capitale, avec à l'Ouest la Fondation ici, et à l'Est, la Philharmonie qui ouvrira au début de l'année prochaine.
Le projet a suscité des oppositions, il y en a toujours -pas qu'en France, mais il y en a- et elles ne manquent pas chaque fois qu'il y a de l'audace, chaque fois qu'il y a de la prouesse, chaque fois qu'il y a de l'inédit.
Le « jamais vu » fait toujours peur, mais le « déjà vu » lasse tellement. A chaque fois qu'il y a eu les gestes artistiques les plus libres, les plus osés dans la capitale ou ailleurs, la Tour EIFFEL, le Grand Palais, le centre POMPIDOU, la Pyramide du Louvre, la Très Grande Bibliothèque, chaque fois ces monuments ont déchainé des polémiques. Elles se sont vite effacées avec le succès. Ceux qui en avaient été les plus grands contempteurs sont devenus les plus grands thuriféraires, comme s'ils avaient toujours pensé que ces uvres-là avaient été toujours là, quand ils n'en sont pas devenus les plus grands bénéficiaires. Souvent les riverains qui se plaignent et disent ensuite « vue sur la Tour EIFFEL », on dira bientôt « vue sur la Fondation Louis VUITTON ».
Ce qui fait la mémoire d'un peuple, ce n'est pas simplement la conservation c'est l'innovation, l'invention. Il n'y a pas de patrimoine qui puisse se passer de la modernité. La modernité d'aujourd'hui, c'est le patrimoine de demain et c'est ce que vous avez fait, Bernard ARNAULT. Vous avez voulu que les artistes contemporains et les artistes d'ailleurs tout simplement puissent être ici chez eux, avec un espace grandiose à l'extérieur, mouvant, presque mobile mais respectueux des lignes à l'intérieur pour qu'une fois passé le seuil de ce bâtiment, les uvres en soient l'unique attraction.
Vous y avez mis une part de votre collection personnelle, vous avez également permis que les acquisitions de la Fondation puissent être exposées. D'autres créations suivront. Vous avez confié la direction artistique à Suzanne PAGE que je connais et je sais le travail remarquable qu'elle a effectué au Musée d'art moderne à la Ville de Paris.
L'Art contemporain n'est pas nécessairement à la portée du plus grand nombre. C'est ce que prétendent ceux qui veulent en avoir le monopole. Grâce à vous, l'Art contemporain sera offert aux regards de tous. La culture, c'est une grande ambition démocratique, permettre son accès à toutes les uvres, mais c'est aussi un puissant facteur d'attractivité pour notre pays.
Hier, je recevais un certain nombre d'investisseurs étrangers. Je vantais toutes les qualités de notre politique. Je ne le ferai pas ici, vous êtes déjà convaincus. J'évoquais ce que nous faisions sur le marché du travail, sur l'investissement, sur l'innovation, sur la fiscalité, je n'insiste pas davantage.
Mais où j'ai vu les yeux scintiller, c'est pour la culture française, la création française, l'art français. C'est ce qui fait qu'à un moment, notre pays est regardé comme différent des autres. Non pas parce que nous aurions je ne sais quelle arrogance à penser qu'il n'y a que nous qui créons, mais parce que nous accueillons les cultures du monde. Aussi parce que nous avons la conviction que la culture est une force, un atout, sur le plan économique. C'est ce que vous avez vous-même compris bien avant d'autres, qu'en étant dans l'excellence et dans l'élégance, dans l'Art et dans la mode, vous puissiez donner envie d'acheter tellement de produits français.
L'exemple d'ailleurs de Bilbao l'a montré. Un seul geste artistique, le vôtre, Frank GEHRY, a pu changer l'image d'une ville et relancer son économie. Ici, dans quelques mois, 700.000 visiteurs vont se presser, peut-être davantage. Bientôt il y en aura des millions, c'est dire si vous êtes l'avant-garde.
La France est la première destination touristique au monde, et elle doit le rester. Elle est au premier rang grâce à ses paysages, à son histoire, à sa gastronomie, à son talent, à ses qualités de vie. Mais aussi et je veux les saluer, à ses créateurs, à ses artistes, à ses inventeurs, à toutes celles et tous ceux qui font que la France surprend, étonne, attire. C'est ce qu'on appelle le talent.
En France, la culture est au cur de ce qui fait notre société, notre singularité. Elle nous permet d'avancer tout en nous reliant à notre passé et nous permettant de nous projeter vers l'avenir. La force de la France, c'est ce que vous avez montré, la créativité disiez-vous, l'Art, l'imagination, la vitalité. La France est toujours prête à accueillir les artistes et les créateurs venant de tous les pays du monde. Toujours prête à leur donner les moyens, pour accomplir leur démarche. La France n'est plus elle-même quand elle est recroquevillée, quand elle est tourmentée par l'ignorance, par l'intolérance.
La France sera toujours aux côtés des artistes, comme je le suis aux cotés de Paul Mc CARTHY, qui a été finalement souillé dans son uvre, quel que soit le regard que l'on pouvait porter sur elle. Nous devons toujours respecter le travail des artistes.
La France a de l'ambition, elle a des entrepreneurs, elle a des ingénieurs, elle a des ouvriers, des techniciens, des chercheurs. Elle a des prix Nobel, elle a des artistes. Chacun, chacune à sa manière, imagine le monde nouveau, et pour ceux qui ont la responsabilité de la France, le monde nouveau doit naître et émerger en France. C'est ce qui exige de l'Etat qu'il joue tout son rôle en matière de culture. C'est ce qui nous anime pour que nous puissions ensemble assurer la liberté pour les créateurs, pour que le pays soit ouvert, pour qu'il accueille tous les talents, et pour qu'il puisse mobiliser toutes les forces vives de la nation. Les Français, quelle que soit leur condition sociale, ont compris depuis toujours que la beauté, l'émotion, les uvres de l'esprit, étaient ce qui les unissait les uns et les autres. Ce qui leur permettait d'être une nation, de faire société. C'est pourquoi le pays tomberait dans un déclin s'il renonçait à être lui-même, s'il avait peur de l'avenir, peur du monde. Il y a toujours une part de risque -celui que vous avez pris-, toujours une aventure, -la vôtre- de la création. Le voyage est toujours imprévu, il se passe forcément des épreuves, mais on connait la destination, on sait où l'on va.
Le progrès est indispensable. Le progrès est inséparable du mouvement. Le progrès, c'est ce qui permet de fédérer toutes les forces et toutes les énergies. Voilà pourquoi ce qui se passe ici, c'est plus qu'un fantastique musée, c'est un morceau d'humanité, qui montre à tous que le rêve peut à force de génie et de volonté, devenir réalité.
C'est pourquoi, comme Président de la République, je suis particulièrement fier, d'inaugurer un grand monument de Paris, un grand monument du XXIe siècle, le vôtre. Son succès sera celui de la France toute entière.
Merci.