25 août 2014 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, en hommage aux 128 habitants de l'Ile de Sein, combattants de la France libre pendant la Deuxième Guerre mondiale, à l'Ile de Sein le 25 août 2014.

Madame, Messieurs les ministres,
Monsieur le Délégué général de l'Ordre de la Libération, cher Fred MOORE,
Monsieur le maire de l'île de Sein et les élus de cette commune,
Mesdames, Messieurs, les Parlementaires, élus du département et de la région,
Mesdames et Messieurs, qui êtes venus ici pour cette commémoration,
Je tenais à être présent aujourd'hui, dans le cadre du 70ème anniversaire de la libération de notre pays. Aujourd'hui, ici, sur l'île de Sein, j'y avais été invité par les élus et je voulais respecter cet engagement. Je n'y aurais renoncé à aucun prix, même si la pluie nous accompagne aujourd'hui. Mais ça n'est pas l'intempérie que nous redoutons le plus.
C'est une émotion, une très grande émotion de venir ici, sur l'île de Sein. Petit morceau de terre, planté dans l'Océan, l'île de Sein a été durant la Seconde guerre mondiale une avant-garde, un exemple, une illustration du patriotisme français.
Le Général de GAULLE disait que l'île de Sein c'était le « quart de la France ». En effet, sur les quelques 500 premiers volontaires de la France libre à Londres, 128 étaient Sénans.
Le plus jeune avait 14 ans, je dis bien 14 ans, et le plus vieux 54. Ces 128 Sénans avaient pris la mer en sauveteurs fidèles à la tradition de leur île.
Il ne s'agissait plus à ce moment-là de venir en secours à des navires en perdition. Il s'agissait de venir en secours à la Patrie elle-même. Patrie effondrée, Patrie humiliée, Patrie échouée après la débâcle qui venait de se produire.
128 Sénans furent l'honneur de la France. Comme le dit et le rappelle ce monument « le soldat qui ne se reconnait pas vaincu a toujours raison » et les Sénans avaient eu raison.
C'est une belle page d'histoire que je suis venu ici célébrer, et je veux la rappeler. Le 19 juin 1940, la France est un pays défait, à moitié envahi, des millions de Français sont sur les routes, un Gouvernement a abdiqué devant l'ennemi et ce jour-là, les nazis prennent Brest après s'être emparé de Rennes.
Les Sénans avaient appris que le 18 juin, c'est-à-dire la veille, un général français demandait à tous les citoyens qui voulaient continuer le combat de venir le rejoindre à Londres. Alors, ils cherchèrent une radio pour écouter ce que disait ce général, le Général de GAULLE. Le 22 juin, ils se sont massés autour de ce poste de radio pour l'entendre. Leur décision fut vite prise, plus d'une centaine d'îliens décidèrent de partir. Ils s'embarquèrent sur cinq bateaux pour aller jusqu'en Angleterre. Sur le quai, les femmes, les enfants, les proches les regardaient partir avec les larmes aux yeux mais la fierté dans le cur.
Les Sénans rejoignent alors d'autres Français, d'autres bretons, d'autres marins qui avaient comme eux répondu à l'appel du Général de GAULLE. Pendant cinq ans, ces hommes ont combattu dans les troupes navales des Français libres et je veux rappeler que le sénan Joseph GUILCHER sera du commandant KIEFFER, c'est-à-dire le commando qui a permis le Débarquement. Il avait 17 ans en 1940, il avait dit aux Anglais, qui le trouvaient trop jeune, « on n'est pas venus, et je ne suis pas venu pour faire du scoutisme mais pour faire la guerre ».
Il a donc débarqué sur la plage d'Ouistreham le 6 juin 1944. Sur les 128 Sénans qui sont partis, 22 ne sont pas revenus, ils sont morts pour notre liberté. Des 128, ils ne sont plus que deux aujourd'hui vivants : François TANGUY et Louis FOUQUET, qui était le benjamin du groupe. Je veux ici les saluer et les remercier justement pour leur présence, pour avoir été là, là le 22 juin 1940 pour rejoindre Londres. Et encore là aujourd'hui pour témoigner. A eux et à leurs camarades disparus je dis le respect et la gratitude de la Nation.
Je pense aussi aux souffrances des familles et notamment des femmes qui ont tenu bon, elles aussi, de juillet 1940 à août 1944. Car l'île de Sein fut soumise, à cause du courage de ses hommes, à toutes les vexations, à toutes les privations, à toutes les humiliations. Et lorsque les nazis évacuèrent l'île, ils firent sauter les phares, ce fut leur dernier crime.
Ce que les Sénans ont montré lorsqu'ils se sont embarqués à l'été 1940, c'est que leur île n'était pas isolée. Elle était un morceau de France et lorsque la France avait besoin de tous ses enfants, les Sénans étaient les premiers à répondre parce qu'ils étaient Sénans, parce qu'ils étaient bretons, parce qu'ils étaient français, parce qu'ils étaient patriotes.
Quelle plus belle illustration ces hommes nous laissent de ce qu'est justement le patriotisme ? En juin 1940, ils n'ont pas fait de calculs, ils n'ont pas cherché à savoir qui gagnerait à la fin, ils n'ont pas écouté les prophètes de malheur, les pessimistes, les fatalistes, les défaitistes. Ils n'ont écouté que leur courage et ils n'ont exprimé qu'une seule chose : leur confiance, leur confiance dans l'avenir, leur confiance dans la France et dans celui qui parlait en son nom, le Général de GAULLE. Ils savaient que leur pays finirait bien par se relever pourvu qu'il y ait des Français et ils étaient déjà nombreux pour défendre cette France qu'ils aimaient tant et pourvu qu'il y ait des Français de plus en plus - à vouloir que l'avenir soit commun et soit libre.
Aujourd'hui l'île de Sein est à la fois un lieu de vie, et quelle activité vous avez démontré depuis ces années, mais aussi un lieu de mémoire avec un beau musée. Pour ces hauts faits de gloire, l'île de Sein est décorée de la Croix de la Libération, de la Croix de guerre et de la Médaille de la Résistance.
Aujourd'hui, l'île de Sein a une responsabilité particulière puisque depuis novembre 2012, les attributions de l'ordre de la libération ont été transmises à quatre autres communes : Nantes, Grenoble, Paris, Vassieux-en-Vercors et donc l'île de Sein. Il ne s'agit pas simplement de consacrer le souvenir des héros, d'évoquer leur bravoure, il s'agit non pas de figer la mémoire, mais d'évoquer l'avenir.
Commémorer c'est parler, parler toujours de la France, c'est faire du passé non pas une nostalgie, mais une leçon pour la suite de notre destin.
Le message de l'île de Sein, c'est que les hommes et les femmes décident toujours de leur avenir. De leur destin personnel mais aussi du destin de leur pays. Le message de l'île de Sein c'est que la France est la plus belle des causes et que nous devons y consacrer toute notre énergie.
Le message de l'île de Sein c'est qu'il n'y a pas de péril, pas de difficulté dès lors que la volonté existe, dès lors que le rassemblement se fait.
Le message de l'île de Sein c'est aussi de rappeler ce que la France doit à la Bretagne, de ne pas oublier les sacrifices qui ont été consentis par les bretons pendant la guerre, la douleur des ports qui ont été anéantis, l'ampleur des destructions subies et le martyr des résistants.
Sein est l'exemple et le symbole de la Bretagne toute entière et, depuis soixante-dix ans, la Bretagne a contribué par son dynamisme, par sa vitalité, à la modernisation du pays.
Aussi et je le dis en ces instants- la Bretagne est en droit d'appeler à la solidarité nationale quand elle affronte des difficultés sociales ou des épreuves économiques et c'est le cas aujourd'hui. De même quand il y a des intempéries, des tempêtes, et l'île de Sein en a connu, la solidarité nationale doit venir en aide.
Mais la Bretagne démontre aussi que la République n'a rien à craindre des identités régionales, des diversités culturelles, des richesses linguistiques, dès lors que son unité est affirmée par un attachement qui est, vous l'avez montré, sans limite à la République.
Mesdames et Messieurs, les 128 de l'île de Sein incarnent le plus bel esprit qui soit : l'esprit de Résistance, l'esprit de volonté, l'esprit de liberté c'est-à-dire l'esprit de la victoire. Cet esprit est la force de la France et cet esprit vivra, il vivra aussi longtemps que la France.
Vive la République et vive la France.