27 juin 2014 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur la nomination d'un président pour la Commission européenne, la situation en Ukraine et sur les priorités de la construction européenne, à Bruxelles le 27 juin 2014.


Mesdames, Messieurs,
Le Conseil européen s'achève. Il aura duré plus de deux jours. Il est vrai qu'hier la réunion des chefs d'Etat et de gouvernement avait été essentiellement consacré aux cérémonies sur les massacres, il n'y a pas d'autre mot, qui avaient eu lieu à Ypres pendant la Première Guerre Mondiale. C'était d'ailleurs émouvant et ça a été l'occasion pour nous comme pour d'autres de souligner combien l'Europe avait en un siècle changé de configuration. Il y a un siècle £ c'était la Guerre, c'était l'épouvante qui s'est prolongée par un second conflit £ aujourd'hui, c'est la paix et même s'il peut y avoir des divergences, même s'il y a des sujets de très grave préoccupation je pense à l'Ukraine , nous sommes capables de les régler dans l'harmonie au sein de l'Union européenne et dans la négociation et la discussion à l'extérieur même s'il y a hélas des morts aujourd'hui qui doivent être déplorées depuis le début de la crise en Ukraine.
Je reviens sur les résultats du Conseil. C'est un Conseil très important d'abord parce qu'il y a eu le choix d'un président pour la Commission européenne qui va être soumis au Parlement européen, ce sera sans doute le 15 juillet. Il y a eu l'adoption d'une stratégie, c'est-à-dire de priorités pour l'Europe dans les prochaines années, c'est-à-dire durant le mandat de la prochaine Commission et puis aussi, une décision très importante concernant un certain nombre de questions notamment le climat, la préparation de la conférence qui se tiendra à Paris à la fin de l'année 2015 mais les choix qu'il convient aussi d'adopter pour protéger les frontières de l'Europe dans le cadre d'une politique globale de l'immigration.
Mais je veux revenir d'abord sur l'Ukraine parce que depuis ce que nous avons fait avec Angela MERKEL à Bénouville en Normandie, c'est-à-dire la réunion entre le président POUTINE et le président POROCHENKO, la Chancelière et le président français, il y a eu incontestablement des progrès, progrès trop faibles mais des progrès que ce soit sur l'annonce d'un cessez-le-feu ce fut la courageuse décision du président POROCHENKO , que ce soit l'annonce par Vladimir POUTINE de renonciation d'une autorisation qui lui permettait de faire intervenir les Russes éventuellement en Ukraine, que ce soit la libération d'un certain nombre de personnes qui étaient retenues. Ça, c'est les progrès.
Je n'oublie pas une première amorce de dialogue politique mais il y a encore des processus extrêmement dangereux et qui n'ont pas cessé, des personnes qui sont encore retenues, des postes-frontières qui ont été pris d'assaut par les séparatistes et des manquements au cessez-le-feu £ il y a encore quelques jours, un hélicoptère ukrainien a été abattu avec plusieurs morts. Donc j'ai souhaité avec la Chancelière qu'il y ait une réunion avec le président POROCHENKO avant que nous n'ayons à prendre de nouvelles décisions. Le Conseil européen a adopté un texte qui prévoit que si quatre points ne sont pas respectés d'ici 72 heures, puisque le président POROCHENKO a accepté de prolonger le cessez-le-feu, alors, des décisions devront être prises.
Ces points sont les suivants : contrôle vérifié de la frontière entre l'Ukraine et la Russie £ retour le plus vite possible aux autorités ukrainiennes des postes-frontières £ libération de toutes les personnes retenues notamment celles qui relèvent de l'OSCE et précisément chargées de faire les vérifications. On doit ajouter à ces points des négociations qui doivent suivre le plan de paix. J'aurai avec toujours la Chancelière des discussions dimanche au téléphone avec le président POUTINE et le président POROCHENKO. Vous savez que nous avons déjà tenu au moins deux conférences de cette nature avec la Chancelière. C'est la suite du processus que nous avions ouvert en Normandie.
C'est important que nous puissions agir, France et Allemagne unies, et que nous puissions faire que le dialogue puisse être non pas encadré mais accompagné, dialogue entre le président ukrainien et le président russe mais je le dis si c'est le sens de la décision du Conseil s'il n'y avait aucun progrès sur les trois points que je viens d'évoquer, le Conseil des ministres des Affaires étrangères aurait à prendre des décisions conformément à ce qui a déjà été adopté. Par ailleurs, si la crise devait se poursuivre et s'il y avait des éléments qui appelaient à ce moment là à d'autres mesures, elles seront également adoptées mais nous n'en sommes pas là et nous ne voulons pas en arriver là.
Je veux féliciter le Conseil unanimement qui a adopté cette position parce que ce n'est pas facile, parce que chacun sait qu'il y a des sensibilités différentes mais là, compte tenu du processus que nous avons engagé, la Chancelière et moi-même, nous pouvions donner une garantie que c'étaient les bons points qui devaient être obtenus de la partie russe et que c'était de bonnes conditions qui étaient posées, c'est-à-dire qu'il était possible de les atteindre. 72 heures, c'est peu mais j'ai senti que le président POROCHENKO ne pourrait pas aller plus loin s'il n'y avait pas une réponse du côté de Vladimir POUTINE et surtout des séparatistes.
Voilà pour l'Ukraine. Ensuite, sur les autres décisions qui ont été prises, chacun retiendra que c'est lors de ce Conseil que Jean-Claude JUNCKER a été désigné comme président de la Commission européenne à condition et la condition est importante que le Parlement européen ratifie cette décision. Pour la France, c'était une logique, ce n'était pas un choix de personne, ce n'était pas un candidat que nous soutenions, Jean-Claude JUNCKER, c'était une logique, une logique qui avait commencé dès les élections européennes et leur préparation. Il avait été clairement indiqué que c'était le parti qui arriverait en tête qui pourrait avoir au lendemain des élections européennes la capacité de désigner celui qui avait été préalablement présenté comme possible candidat à la présidence de la Commission européenne, en l'occurrence pour le Parti Populaire Européen, Jean-Claude JUNCKER. Nous avons respecté la lettre et l'esprit des traités. Ce n'est pas facile pour un certain nombre de membres du Conseil européen et je peux les comprendre et nous avons vu combien la position de David CAMERON était délicate mais dès lors qu'il y a des règles qui sont posées, et je ne les ai pas inventées, ces règles, elles viennent du Traité de Lisbonne, 2008, et que chacun les avait bien en tête, eh bien, le processus doit aller jusqu'à son terme et c'est le Parlement européen qui validera ou ne validera pas le choix qui a été fait au Conseil européen. Un vote a eu lieu, et ça a été unanime sauf deux pays, qui n'ont pas fait ce choix, le Royaume Uni et la Hongrie.
Mais pour nous, pour moi, l'essentiel, c'était les orientations, c'est-à-dire le mandat qui par les chefs d'Etat et de gouvernement, allait être confié à la future Commission européenne. Les cinq priorités qui ont été retenues, correspondent et à ce que nous avions souhaité, nous la France mais également un certain nombre de chefs de gouvernement qui ont une sensibilité, celle de la social-démocratie.
Ces quatre priorités essentielles, c'est d'abord la croissance et l'emploi, avec deux principes qui ont été posés et qui étaient pour nous essentiels aussi, le fait d'utiliser toutes les marges, toutes les flexibilités, toutes les souplesses du pacte de stabilité et de croissance pour soutenir l'activité et d'interpréter ce pacte avec ces flexibilités, en fonction justement des taux de croissance des différents pays, de leur niveau d'endettement, de l'ampleur de leurs réformes structurelles pour que tout soit fait pour qu'il y ait à la fois le respect des engagements et ça c'est un principe sur lequel je n'ai jamais demandé que l'on puisse avoir le moindre doute mais dans le cadre du respect des engagements, d'avoir toutes les marges de manuvre qui puissent être utilisées.
Le second principe que nous avons posé dans le texte, c'est d'avoir un soutien aux investissements, que l'Europe puisse elle-même investir. Comment ? D'abord il y a les fonds structurels, il y a la Banque Européenne d'Investissement, il y a ce qu'on appelle les capacités financières, et ce que d'autres évoquent avec des expressions en langue anglaise, « Project Bonds ». Il y a ce que l'on peut mobiliser comme épargne privée en Europe, bref utiliser là aussi toutes les ressources financières de l'Europe pour investir. Investir dans la transition énergétique, investir dans les infrastructures, investir dans le soutien aux PME.
La seconde priorité de l'agenda de la Commission, c'est l'emploi des jeunes. Et là encore, autant nous avions obtenu dans le cadre financier qu'il y ait une enveloppe budgétaire de l'Europe pour l'emploi des jeunes, autant nous avons pu augmenter les efforts financiers qui seront consacrés à cet objectif. Il y aura prochainement une réunion en Italie, sous la présidence de Matteo RENZI et nous aurons l'occasion de traduire déjà très vite cette exigence.
Troisièmement, l'Europe doit porter une politique énergétique commune. Nous avons commencé à d'en discuter déjà depuis plusieurs mois en Europe mais là, l'actualité nous sert je pense notamment à ce qui s'est produit en Ukraine et qui exige d'assurer davantage la sécurité des approvisionnements - mais également les contraintes de compétitive avec des écarts de prix entre l'Europe et les Etats-Unis qui ne peuvent pas être acceptés dans le moyen terme. Et nous devons aussi favoriser à travers cette politique énergétique, le respect de nos engagements par rapport à la future conférence sur le climat, c'est-à-dire la question des gaz à effet de serre, des émissions. Si bien que la prochaine commission aura à mettre en uvre cette politique énergétique avec la diversification des sources, avec une plus grande maîtrise de notre sécurité d'approvisionnement et avec la volonté d'une indépendance énergétique plus forte tout en évitant de nous mettre en infraction par rapport à nos propres obligations dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique.
Quatrième priorité, la maîtrise de nos frontières. Il ne s'agit pas là encore de refaire des traités, de se lancer dans je ne sais quelle organisation juridique, il s'agit d'avoir une politique globale de l'immigration, faire que les pays coordonnent mieux leurs actions et qu'il y ait aussi de la part de l'Europe plus de volontarisme et notamment face à l'afflux de réfugiés venant de l'autre côté de la Méditerranée, de lieux de conflits je pense notamment Syrie, Érythrée mais aussi Libye. Donc il est très important que nous puissions renforcer ce qu'on appelle Frontex et mettre à l'étude une organisation de garde-frontières à l'échelle de l'Europe £ faire en sorte que les droits soient reconnus, l'asile, le refuge et en même temps que nous puissions éviter des drames il y en a eu en Méditerranée, il y en a encore et enfin que nous puissions lutter contre l'immigration clandestine.
Enfin, il y a une cinquième priorité qui a été ajoutée mais celle-là, la France la soutient depuis longtemps et il faudra la traduire autrement que par des mots, c'est l'Europe de la défense et j'aurai l'occasion d'y revenir à l'occasion de ce sommet de l'OTAN qui se tiendra à l'automne prochain. C'est très important pour la France que d'avoir cette stratégie.
La question de la croissance, elle est majeure. Dans un long débat qui a eu lieu hier soir, nous avons tous convenu que nous avions changé de temps, changé d'époque, que la reprise était là, hésitante, faible nous le voyons en France que la crise de la zone euro était derrière nous, même s'il faut toujours faire attention et faire en sorte que les marchés, notamment par les taux d'intérêt, ne soient pas heurtés par telle ou telle décision, même si je crois que ce qui inquiète le plus les marchés n'est pas tel ou tel déficit mais plutôt la faiblesse de la croissance en général.
Il n'empêche, dans le respect de nos engagements, je voulais qu'il y ait la flexibilité pour le pacte de stabilité et de croissance. Je voulais qu'il y ait cette priorité nouvelle donnée à la croissance et chacun l'a bien compris. Est-ce à dire que nous portons derrière les mots les mêmes politiques ? Comment l'imaginer ? Mais ce qui compte, c'est que la prochaine Commission interprète les principes que nous avons posés, pour des choix qui devront être favorables à la croissance et à l'activité économique et donc à la lutte contre le chômage. Voilà le sens de ce Conseil européen.
Un mot du débat qui a accompagné la délibération sur le président de la Commission européenne. D'abord je n'ai pas voulu qu'il puisse y avoir je ne sais quelles tractations. Il y avait un principe, je l'ai rappelé tout à l'heure, une règle qui avait été posée pour que le conseil délibère sur le prochain président de la Commission. Je ne voudrais pas qu'on mette d'autres responsabilités dans la discussion, faire une espèce de troc. Non, ce que je voulais, c'était qu'on parle d'abord des orientations, ensuite du président de la Commission, en fonction des règles qui avaient été posées par les traités. C'est vrai que David CAMERON, dans le Conseil, a évoqué ce que pouvait être l'intérêt majeur d'un pays et le risque qu'il ne s'éloigne davantage de l'Union européenne. Chacun peut comprendre la situation politique intérieure d'un pays membre de l'Union européenne, d'un grand pays £ et en même temps, il n'y a pas eu de veto, il n'y a pas eu d'empêchement, il n'y avait pas d'intérêt fondamental au point d'éviter que les textes ne s'appliquent et que les traités soient mis en uvre et c'est ce qui a été fait. David CAMERON a souhaité qu'il soit indiqué, et j'y ai consenti, le fait que l'Europe pouvait évoluer à plusieurs rythmes, à plusieurs vitesses ça a toujours été ma conception que certains pays ne veuillent pas prendre toutes les politiques, que d'autres veuillent en ajouter, voilà ce qui peut, sans modification des traités, être mené à bien pour les prochaines années.
Il y a eu aussi une discussion sur la façon de préparer ces échéances, notamment le choix du président de la Commission européenne. C'est vrai que les Etats peuvent considérer et les chefs d'Etat et de gouvernement que les votes au Parlement européen ont une influence sur leur propre délibération, mais c'est vrai, car les traités prévoient que nous faisons la proposition pour la présidence de la Commission, en tenant compte des résultats des élections européennes. Nous avons tenu compte des résultats des élections européennes.
Mais tenir compte du résultat des élections européennes, ce n'est pas simplement pour le choix du président de la Commission, c'est également pour les politiques que nous avons mises en uvre £ et c'était ce message-là que je voulais faire entendre. Et à cet égard, dans l'agenda, dans la stratégie, dans le mandat de la prochaine Commission, je considère que le message qui a été prononcé d'une Europe plus active, d'une Europe plus puissante pour lutter contre le chômage, d'une Europe plus protectrice, d'une Europe capable d'être également plus attentive, plus solidaire à l'égard de la jeunesse, ce message-là a pu être intégré dans le mandat de la prochaine Commission européenne.Voilà, je peux répondre à vos questions.