24 avril 2013 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, en hommage à M. François Jacob, résistant et chercheur français, à Paris le 24 avril 2013.

Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Messieurs les compagnons de la Libération,
Monsieur le Délégué,
Madame la Secrétaire perpétuelle de lAcadémie Française,
Mesdames et Messieurs les membres de lAcadémie,
Mesdames, Messieurs,
Ce qui nous réunit autour de la famille de François Jacob que je salue, cest le deuil, cest la peine £ mais cest aussi une fierté, surtout la fierté. Car François JACOB était un grand homme, un homme exceptionnel qui a donné à notre pays tant de raisons de croire en lui-même.
Dabord dans ladversité, la guerre. Il avait 20 ans tout juste, en juin 1940, lorsquil sembarqua en direction de lAngleterre, abandonnant ses études de médecine, sa famille, ses proches pour ne pas abandonner son pays. Cest pour le servir quil sengagea dans les Forces françaises libres. Il nallait déposer les armes quune fois la France libérée.
Médecin militaire sur les champs de bataille du Sénégal, du Gabon, du Tchad, puis de Tripolitaine et de Tunisie, il sest battu, en soignant, en délivrant, en apaisant. Même dans les heures les plus sombres de cette période, il ne perdit jamais sa « foi ». Sa foi dans la patrie, sa foi dans la victoire, sa foi dans les idéaux quil portait et aux premiers rangs desquels la liberté. Il mena la lutte jusque sur les plages du Débarquement, avec la deuxième division blindée la « 2ème DB » de Leclerc, dont une part de la gloire lui revient.
Des titres prestigieux lui ont été attribués. Tant de titres, tant dhonneur : la Croix de guerre, la Légion dhonneur, Compagnon de Libération par le Général de Gaulle. Il fut même le Chancelier de son ordre pendant des années.
Vous avez rappelé, Monsieur le Délégué, ses faits darmes. Ils sont prestigieux et lui valurent lhommage de la Nation. Son corps fut meurtri par des éclats de mortier, le 10 mai 1943. Cétait dans les sables tunisiens. Puis un an plus tard, le 8 août 1944, par des dizaines déclats de grenade : il allait en souffrir toute sa vie. Il les portait, à la fois, comme le témoignage de sa lutte et le rappel des souffrances quil éprouvait pour la liberté.
Grand blessé, il ne pouvait plus être chirurgien. Alors, il fut médecin mais pas nimporte quel médecin. Un médecin qui consacra sa vie, non seulement à soigner, mais à chercher. Ce fut son combat la science pour une nouvelle libération : non plus celle des territoires mais la libération pour la connaissance de la vie. Il ne sagissait plus de lutter contre les désolations de la guerre mais contre les souffrances de la maladie.
La recherche pour François JACOB, cétait dabord la volonté de repousser sans cesse les limites. Cétait linvestigation, sans autre but que de trouver pour chercher encore, chercher toujours. Pour repousser les frontières de la connaissance ou de lignorance. Il se décrivait comme insatisfait de lui-même. Ce nétait pas par humilité. Il nen avait pas toujours. Cétait par ambition. Mais la plus belle des ambitions : celle de faire avancer lhumanité.
Sa recherche était à sa mesure exceptionnelle puisquelle ne connaissait pas de discipline : il refusait les cloisonnements. La médecine pour lui était une science, sans doute, mais une science humaine. Et la physiologie pouvait même être un sujet de la littérature. Il fut dailleurs un écrivain, un grand écrivain, élu à lAcadémie française au fauteuil de Paul VALERY. Quant à ses travaux de savant, il mobilisait des ressources qui relevaient tantôt de la physique, tantôt de la biologie.
Ce quil voulait, cétait ce que nous voulions tous et que nous voulons encore : comprendre la vie, son origine, son fonctionnement, ses mécanismes. Il sest tourné, à la fin des années cinquante et il fut un précurseur vers la génétique. Fallait-il quil trouva, à ce moment-là, une maison, là encore, à la hauteur de ses recherches. Ce fut linstitut Pasteur. Il mest revenu la chance et lhonneur dinaugurer, le 14 novembre dernier, en la présence de François JACOB, le bâtiment qui porte aujourdhui son nom.
Je salue tous les personnels, tous les chercheurs de lInstitut Pasteur. « Dans les couloirs de lInstitut, disait François JACOB, jai appris le goût de léquipe, une équipe qui surpasse toujours les individus, en ingéniosité, en faculté dinvention ». Il ne travailla pas seul. André LWOFF laccueillit, en 1950 dans son laboratoire où travaillait déjà un autre homme exceptionnel, Jacques MONOD.
Cest avec André LWOFF et Jacques MONOD que François JACOB reçut, en 1965 il avait 45 ans la plus haute de toutes les distinctions à laquelle un scientifique peut imaginer un jour accéder : le prix Nobel. Cétait là le fruit dune amitié fondée sur une exigence, sur une intelligence partagée, sur un échange scientifique de très haut niveau. Cétait la première fois quun modèle de représentation des gènes était défini. Ce que François JACOB avait contribué à entrevoir, à léchelle dune bactérie, il allait ensuite en étudier et en suivre lapplication à lensemble des systèmes vivants.
Toute sa carrière de chercheur fut bien une tentative de transmettre ce quil appelait « la logique du vivant ». Les avancées de la biologie faisaient naître chez lui une grande espérance mais aussi une nécessaire vigilance. Membre du Conseil consultatif national déthique, il salarmait des dérives possibles des manipulations génétiques. Sans doute en référence à lhistoire qui avait bouleversé sa jeunesse, il sinterrogeait sur le pouvoir des scientifiques.
Il fut, de ce point de vue, mais pas seulement comme chercheur, un esprit rebelle, rebelle aux dogmes, un savant étranger à toutes les idées préconçues. Jai retenu une phrase qui peut servir encore aujourdhui, y compris pour laction publique : « Jaime les idées fixes, disait-il, à condition den changer ».
La leçon scientifique et morale léguée par François JACOB, cest donc aussi la certitude que la génétique éclaire dune lumière nouvelle la condition humaine, mais quelle nest pas un déterminisme, quil y a une part, une grande part laissée à la liberté, à la décision individuelle de faire le destin. Rien nest écrit, rien nest conçu davance. Tout se construit à partir dun patrimoine reçu, mais qui peut, à chaque fois, se transformer pour le bien de lhumanité.
Voilà ce quétait François JACOB : un grand chercheur, un grand résistant, je lai dit, un grand homme, un combattant sur les champs de bataille dabord, dans les laboratoires ensuite, dans la société toujours.
Un homme cherche toujours son unité, ce qui va lier les épisodes de sa vie, les temps forts de son existence. Quest-ce qui construit la logique aussi dun vivant ? Celle de François JACOB, cétait la liberté.
Je veux le citer pour terminer comme un appel à la génération daujourdhui. Lui disait : « Ceux de ma génération, en quoi pouvaient-ils croire ? On leur avait volé leur jeunesse, tué leurs amis, écrasé leurs espoirs, leurs enthousiasmes ». Il ajoutait : « De tous les grands mots il ny avait guère que « Liberté » qui avait résisté. Cétait pour la liberté quil avait quitté maison, famille, pays. Pour la liberté quil sétait battu. Pour la liberté quil avait été comme dautres, à un moment blessé, pour la liberté quil avait refusé que nimporte qui puisse faire nimporte quoi. »
Jinvite aujourdhui, devant la grande figure de François JACOB, tous les Français à entendre cet appel et à savoir poursuivre, à leur façon, le combat pour la liberté, pour légalité, pour la dignité humaine, pour le progrès de lhumanité. Ce combat nest pas achevé, il connait toujours des étapes et cest à chaque fois lhonneur dun homme ou dune femme den être, à un moment, le héros.