7 mars 2013 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, à l'occasion des obsèques de l'ancien résistant et diplomate français, Stéphane Hessel, à Paris le 7 mars 2013.

Messieurs les Premiers ministres,
Monsieur le président du Sénat,
Monsieur le président de lAssemblée nationale,
Mesdames, Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs amis de Stéphane HESSEL,
Madame, chère Christiane,
Nous sommes réunis, rassemblés, autour dun homme qui fut une conscience, un grand Français, un Juste. Stéphane HESSEL était un homme libre, libre de ses choix, libre de ses engagements, libre de sa parole, libre de sa vie. La liberté, cétait sa passion, son idéal. Cest en son nom quil fut un Français libre. A 23 ans il refusa lArmistice, rejoignit comme il put la Grande-Bretagne et se mit comme dautres de sa génération qui ont témoigné avant moi au service du Général de GAULLE comme aviateur. Cest pourquoi, ici, il lui est rendu un hommage particulier.
Il fut affecté au Bureau Central du Renseignement et dAction. Il contribua, à sa place, à lorganisation des réseaux de Résistance. Il rencontra, là encore, des hommes et des femmes exceptionnels, qui ont donné le sacrifice de leur vie, toujours pour la liberté. De retour en France, en 1944, il fut arrêté, torturé, envoyé au camp de Buchenwald. Dans cet enfer, il chercha encore une porte, celle de la liberté. Il la trouva et parvint à sévader.
Liberté, liberté ! Il ne cessa jamais de lexercer. Dabord par son action, mais aussi par sa plume. Auteur de nombreux ouvrages tout au long de sa vie, parfois austères, parfois confidentiels, cest par une brochure quil connut la célébrité, bien au-delà de nos frontières. A un âge exceptionnel, à plus de 90 ans, il a inspira la jeunesse dEurope et même au-delà, suscita des mouvements dont il navait jamais imaginé lampleur, quand il lança à la face des fatalistes, des résignés, des frileux, son slogan « Indignez-vous ! » Son appel nétait pas une invitation à la révolte, mais à la lucidité. « La pire des attitudes » disait-il, « cest lindifférence, lindifférence de ceux qui disent je ny peux rien et je me débrouille. » Son indignation nétait pas une morale de limpuissance. Elle était et demeure une exigence daction et une invitation puissante à lengagement.
Car Stéphane HESSEL était un homme engagé. Engagé dabord par fidélité aux hommes quil admirait, et dont il servait les idées. Ce fut dabord le Général de GAULLE, quil regardait de loin, mais dont il louait la hauteur de vue et la force de caractère. Même quand il fut en désaccord bien plus tard avec lui, il lui témoigna toujours le respect auquel il avait droit. Ensuite, il y eut Pierre MENDES FRANCE, auprès duquel, pendant 8 mois à Matignon, il mit à la fois son talent de diplomate, mais aussi on en parlait déjà à lépoque de communicant au service de luvre décentralisatrice du chef du gouvernement. Enfin, Michel ROCARD dont il appréciait les analyses et partageait la conception de la gauche.
Son engagement politique, il lexprimait de mille manières, dans les instances scientifiques et morales les plus élevées, les plus prestigieuses. Je pense notamment au Collegium International éthique politique et scientifique qui fut créé en 2002 avec des personnalités de haut rang dont le président de la Slovénie pour apporter des réponses nouvelles aux grands défis de la planète. Il contribua par ses propres réflexions à ce travail. Mais il militait aussi dans des associations du quotidien, celles qui luttent pour les humbles, pour les anonymes, pour les sans grade, les sans toit, les sans emploi, les sans papier.
Son engagement pouvait être pour des partis dont il saluait le rôle tout en éprouvant il le confessait des difficultés à en prendre la carte, ou en tout cas à la renouveler. Alors il trouvait dans les clubs le refuge pour sa liberté, toujours sa liberté.
Il avait fondé avec dautres, dont Daniel CORDIER, le plus prestigieux des clubs, le Club Jean Moulin, qui une fois aboutie son uvre de réflexion disparut. Stéphane HESSEL ne se décourageant point, adhérait à tous les clubs quon lui proposait. Il vérifiait les valeurs, les principes, les idéaux, mais était toujours prêt à participer, à faire une proposition, à lancer une initiative, et à faire en sorte que le monde aille mieux par la force des femmes et des hommes qui se prêtent à vouloir le changer.
Mais son engagement navait pas besoin dune structure, dun cadre, dune organisation. Il était fondé sur des convictions, fortes, celles qui donnent un sens à une existence.
La première de ses convictions lui était venue très tôt, au lendemain de la guerre. Cétait son attachement à lONU, auprès de laquelle il connut dailleurs, devenu diplomate, sa première affectation. Il participa comme témoin privilégié à lélaboration de la Déclaration universelle des droits de lHomme, qui fut adoptée le 10 décembre 1948, à Paris, sous légide de René CASSIN. Ce socle de principes indérogeables, au premier rang desquels figure la dignité humaine, voilà ce qui lui servit, tout au long de sa vie, de référence.
Au début des années 70, il fut encore un des cadres dirigeants de lONU, au Programme pour le développement. Puis, ambassadeur de la France, il fut nommé à Genève, auprès des institutions spécialisées de lONU. LONU, dont il ne cessait de penser, conformément dailleurs à une constante de la diplomatie française, quelle peut devenir le lieu de la gouvernance mondiale, pas simplement sur le plan politique, mais aussi économique et écologique. Cest cette même démarche universaliste qui le conduisit à faire le choix, très tôt encore, de lEurope.
Lui, ce Français, né à Berlin, polyglotte, victime du déchirement des peuples, il mesurait que son Europe ne pouvait être celle des textes, nécessaires, des institutions, indispensables, des procédures, incontournables. Non, son Europe ne pouvait se réduire à un marché ou à une monnaie ! Son Europe, cétait celle des droits, de la culture, des échanges, de la liberté de circulation, de lécologie, mais aussi du développement. Cétait sa conviction la plus forte.
Stéphane HESSEL fut le promoteur infatigable dune politique avec le Sud qui rompt avec les pratiques de ce qui fut longtemps appelé, en France, la coopération. Lui-même en fut un responsable, et au plus haut niveau, au ministère de lEducation de 1958 à 1963 £ puis à Alger, où il fut chargé de la coopération et notamment celle des enseignants, qui diffusaient la langue française £ enfin au ministère des Affaires étrangères où il fut chargé de ce domaine.
Il en devint le spécialiste et il lui fut commandé de multiples rapports, par des gouvernements toujours animés de cette intention mais jamais pressés de lui donner une traduction. En 1974, un premier rapport lui fut commandé par Pierre ABELIN : sans suite. En 1981, par Claude CHEYSSON : sans davantage de prolongement. En 1988, par Michel ROCARD. A chaque fois, Stéphane HESSEL recommandait, sans se lasser, les mêmes orientations : la nécessité dun ministère du Développement, la priorité à la démarche multilatérale plutôt quà des accords dEtat à Etat, une programmation pluriannuelle de laide publique au développement, une exigence de bonne gouvernance, la lutte contre la corruption... Cen était trop !
Il samusait, dailleurs, autant quil se désolait, de ces travaux restés sans suite et qui, disait-il, décoraient les étages des bureaux des ministères quand ils nencombraient pas les tiroirs. Il fallait attendre le gouvernement de Lionel JOSPIN pour que fut enfin créé un Haut conseil de la coopération internationale et que fut traduit dans une organisation ministérielle la priorité au développement. Stéphane HESSEL avait fini par avoir gain de cause.
Mais son engagement ne sarrêtait pas là. Ses convictions étaient multiples. Chaque fois quune liberté était bafouée, il était là. On le voyait, avec sa longue silhouette, impeccablement vêtu, et cette voix douce, chaude mais implacable. Un droit fondamental était floué, il protestait, signait, défilait si cétait nécessaire. Une oppression sabattait sur un peuple, il manifestait.
Il pouvait aussi, porté par une cause légitime comme celle du peuple palestinien, susciter, par ses propos, lincompréhension de ses propres amis. Jen fus. La sincérité nest pas toujours la vérité. Il le savait. Mais nul ne pouvait lui disputer le courage.
Du courage, il en fallait pour prendre, à certaines époques, la défense des droits des étrangers. Il sut user de son autorité morale, de son expérience internationale, de son passé glorieux, pour prôner une politique dimmigration, dailleurs plus pragmatique quil en a été longtemps fait caricature. Il sétait proposé comme médiateur au moment du conflit de léglise Saint-Bernard resté dans les mémoires. Il savait, néanmoins, que cétait par lintégration que la République devait faire le premier acte et assurer son devoir et que, si des régularisations devaient intervenir, elles ne pouvaient être faites que sur la base de critères.
Voilà ce qui motivait Stéphane HESSEL, la liberté. Mais lhomme engagé était aussi un serviteur de lEtat, un haut-fonctionnaire loyal à tous les gouvernements quil a servis, un diplomate exceptionnel, un ambassadeur de France élevé à cette dignité par François MITTERRAND en 1982. Avant que Stéphane HESSEL nabandonne la diplomatie officielle pour devenir membre de la Haute autorité de laudiovisuel où il permit aux radios libres dêtre, enfin, légalisées. Liberté, liberté toujours !
Naturalisé à vingt ans, Stéphane HESSEL aimait la France. Il adhérait à ses valeurs, il endossait les principes universels de notre héritage national. Il était fier de connaître par cur tous les couplets de « La Marseillaise », jusquau douzième, où chaque citoyen respire sous les lois de légalité et aspire à ce que limage chérie de la France, celle des droits de lHomme, sétende sur tout lunivers. Il aimait la France et cest pourquoi notre pays, au-delà des sensibilités, au-delà des oppositions dun temps, des contradictions, lui rend hommage aujourdhui. Stéphane HESSEL a contribué au rayonnement de notre pays, à son prestige, à son influence.
Cétait un humaniste, épris de culture, capable denthousiasme, doué du pouvoir de convaincre. Son intelligence était vive, rapide. Il pétillait. Il aimait la poésie au point den faire un art de vivre, un mode de relation, une fête. Il célébrait tout événement par un vers dApollinaire ou de Ronsard. Il faisait de la beauté la plus inaccessible une joie partagée.
Voilà qui était Stéphane HESSEL. Un citoyen sans frontière, un Européen sans Constitution, un militant sans parti, un optimiste sans limite. Il avait un secret. Il nous la livré avant de disparaître. Son secret, cest « lamour de lamour ».
Stéphane HESSEL eut une belle et longue vie. Il disait son bonheur dêtre à vos côtés, Madame, au côté de ses enfants, de ses petits-enfants, de ses arrière-petits-enfants, qui formaient un ensemble, comme une communauté ici rassemblée autour de lui.
Stéphane HESSEL usait de ses charmes, de son charme comme un séducteur de la juste cause. Cest ainsi quil avait appelé la mort. Elle fut donc clémente avec lui. Elle est venue comme il lespérait, dans son sommeil, dun coup, pour lui laisser lhonneur de la vie.
Dans un monde de malheur, Stéphane HESSEL avait le goût du bonheur. Il croyait aux idées, aux mouvements pour les porter, aux personnalités pour les incarner. Il laisse à la jeunesse jeunesse de France, jeunesse dEurope, jeunesse du monde le témoignage précieux quune vie, une simple vie peut être utile par les actes accomplis, par les mots prononcés, par les traces laissées. Chaque génération rencontre ses épreuves. La sienne en a vécu de terribles. La nôtre affronte une crise. Aucun défi nest insurmontable, aucun objectif nest inaccessible dès lors quil y a une conscience, une volonté, une force.
Mesdames et Messieurs,
Cette leçon de vie ne seffacera pas avec Stéphane HESSEL car cet esprit-là ne mourra pas, ne mourra jamais. Il a un nom, cest celui de la République.