5 février 2013 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur la réforme de l'enseignement supérieur et de la recherche, à Paris le 5 février 2013.


Madame la ministre,
Mesdames et Messieurs les administrateurs,
Mesdames et Messieurs les professeurs,
Je ne sais pas lequel de Serge HAROCHE ou de moi-même est le plus impressionné. Lui de me recevoir ici au Collège de France, dont je suis, par les fonctions que jexerce, le protecteur £ et moi-même, venant ici dans cet amphithéâtre où tant de personnages illustres ont pu diffuser la connaissance et le savoir.
Il nest sans doute pas de plus grand honneur pour un pays que de voir lun de ses ressortissants recevoir le prix Nobel. Serge HAROCHE, vous nous avez donné cette fierté il y a quelques mois. Cette distinction récompensait vos qualités de chercheur, lampleur de vos découvertes, le prestige de votre laboratoire vous lavez rappelé puisquavant vous Alfred KASTLER et puis Monsieur COHEN-TANNOUDJI qui est ici ont reçu la plus haute distinction. Mais cest lenseignant exceptionnel qui était également consacré par le prix.
Vous avez en effet travaillé dans quatre grandes institutions.
LEcole Normale Supérieure : nous y étions il y a quelques minutes et vous mavez fait visiter votre laboratoire. Jai été surpris par lexiguïté des lieux, la vétusté des salles et jimagine que si lon ma fait cette visite cétait à dessein ! Puis ensuite je suis tombé sur cette machine improbable, incroyable, invraisemblable qui est la vôtre et qui a permis que vos recherches deviennent autant de découvertes.
La seconde institution est le CNRS et je salue ici ses dirigeants. Puis luniversité Pierre et Marie Curie. Vous savez que le jour de ce que lon appelle linstallation pour le président de la République, javais tenu à rendre hommage à Marie Curie, puisquil sagissait de donner le symbole de cette Présidence à travers le soutien que je voulais accorder à la recherche.
Et enfin le Collège de France où nous nous retrouvons aujourdhui. Collège de France dont je suis le protecteur et qui doit sa création à François 1er, créé donc en 1530 pour abriter un enseignement ouvert, libre, affranchi des dogmes. Près de cinq siècles après, ce Collège est resté fidèle à cet esprit. Il détermine librement, je le disais, lintitulé de ses chaires, sans se soumettre aux divisions entre disciplines scientifiques ce qui lui permet dêtre à lavant-garde de la définition même des nouvelles disciplines. Ce lieu dexcellence est exceptionnel puisquil sadresse à tout le monde, et cest une fierté pour chaque citoyen de penser quil peut être élève du Collège de France.
Ce Collège na pas à proprement parler détudiants. Ceux qui ont envie dapprendre peuvent franchir la porte, ils y sont les bienvenus. Comprennent-ils tous ce qui est enseigné ici ? Nul ne le sait puisque personne ne fait la vérification : il ny a pas dexamen. Mais cest le plus beau des symboles quil ait été susceptible de livrer : symbole dune science mise à la disposition de tous.
Le prix Nobel qui vous a été décerné nous a rappelé cette évidence, cette exigence : le prestige dune nation, son rayonnement, son influence, ses performances sont indissociables de notre enseignement supérieur et de notre recherche.
Investir dans le savoir, surtout dans les moments où les moyens financiers sont rares, cest préparer la France de demain. Cest la raison pour laquelle jai décidé, quelle que soit la rigueur des temps, de sanctuariser le budget de lenseignement supérieur et de la recherche en 2013.
Je vous demande de mesurer ce que représente cet effort. Non pas pour ceux qui en décident, mais pour le pays. Dans un contexte où tous les ministères et toutes les administrations sont appelés à des sacrifices, jai veillé à ce que cette priorité puisse être respectée. Nous allons la traduire par un certain nombre de décisions dont laugmentation de 1000 emplois par an dans lenseignement supérieur. Sil y a un autre ministère qui peut se targuer de la même protection cest celui de léducation nationale, parce que cest la même volonté.
La recherche sera par ailleurs lun des premiers secteurs auxquels seront consacrés les investissements davenir - issus du grand emprunt lancé par mon prédécesseur - et jai demandé que soit accélérée la mise en uvre des programmes définis dans ce cadre parce que nous devons amplifier leffort et gagner du temps.
Cette volonté budgétaire nest pas sans contrepartie. Non pas quil y ait je ne sais quelle négociation ou quelle exigence, mais parce que nous avons besoin dévoluer.
Cest pourquoi jai souhaité que soit préparée une loi portant sur lenseignement supérieur et la recherche.
Ce projet qui est en cours délaboration, mais dans la phase conclusive après les assises qui se sont déroulées poursuit deux objectifs.
Le premier est la réussite des étudiants, avec une clé : éviter les spécialisations précoces. Nous devons aider tous nos étudiants à construire leur projet personnel en leur laissant le choix de leur orientation en premier cycle. Cela vaut aussi pour les licences parce que nous voulons que les formations puissent conduire à de véritables métiers. De meilleurs résultats dans les trois premières années des études supérieures permettront daugmenter le nombre détudiants en master. Lidée est que chaque étudiant qui fait confiance à luniversité en sy inscrivant puisse au terme dun processus connaître la réalisation de lobjectif quil sétait donné.
La seconde idée du projet est le décloisonnement, entre les disciplines, les cursus, mais aussi les établissements. Le paysage universitaire de la France est à limage de la France, cest-à-dire foisonnant, éclaté, multiple. Cela fait notre richesse cette diversité, mais cela aboutit aussi à des établissements parfois trop isolés et à des systèmes de collaborations croisées trop complexes. Je ne pense pas que nous puissions continuer ainsi. Nous ne pouvons pas sans cesse ajouter des structures aux structures, des strates aux strates, il faut là comme ailleurs simplifier. Doù lidée de constituer des regroupements universitaires ayant une taille suffisante pour être des pôles intellectuels connus et respectés, pour pouvoir mobiliser des financements à la hauteur de la compétition mondiale.
Lun des enjeux du projet de loi sera donc de faciliter la constitution densemble, rapprochant sans les confondre je men garderais bien les grandes écoles et les universités. Cette ambition existe dans toutes nos régions et elle doit être soutenue elle lest déjà par les collectivités locales dont je salue lengagement en faveur de luniversité. Ce projet de loi offrira de nouveaux moyens juridiques pour organiser cette convergence tout en respectant la variété des situations. LEtat lui-même devra être cohérent : il passera donc des contrats avec ces établissements, ces pôles, ces regroupements, comme avec chacun des établissements qui y sont associés.
Ce décloisonnent doit aussi contribuer à lier davantage luniversité et la recherche. Serge HAROCHE est le symbole même de ce lien. Les organismes de recherche participeront aux ensembles universitaires et à leurs instances délibératives. Faire quil y ait des passerelles sera la meilleure façon que des personnels, des étudiants puissent participer à un projet puis ensuite à un autre, puissent passer dune université à une autre, dune discipline à une autre, dun cursus à un autre.
Je veux également insister sur le besoin de notre pays de compter plus dingénieurs, et dingénieurs qui consacrent leurs travaux à la recherche et à linnovation. Il y a déjà des projets de ce types : à Paris, à Saclay, à Grenoble £ ils devront être encouragés. Je salue dailleurs leffort engagé par les écoles dingénieurs pour augmenter leur pourcentage détudiants sengageant en thèse. Jinvite les écoles de commerce à sinscrire dans cette même logique. La France manque de doctorats en marketing, en management de la production, en gestion £ en optimisation fiscale je pense que nous avons tout ce quil nous faut, mais nous ne pouvons pas simplement avoir cette perspective !
Jappelle surtout les entreprises elles-mêmes à reconnaître limportance des travaux des chercheurs, des universitaires et la valeur des diplômes qui les consacrent. Comment accepter que dans un grand pays comme le nôtre que le plus haut gradé dans lenseignement supérieur cest-à-dire le docteur soit aussi peut reconnu sur le marché du travail ? Les études doctorales sont encore perçues comme un moment de spécialisation dont les seuls débouchés seraient académiques. On oublie que cest aussi une formation professionnelle. Cest lintérêt de nos entreprises dembaucher des docteurs et je rappelle que le crédit impôt recherche devrait normalement les y inciter.
Mais lEtat lui-même doit montrer lexemple, il ne peut pas dire aux entreprises dembaucher plus de docteurs et en même temps ne pas avoir des pratiques à la hauteur de cette ambition.
Notre système de recrutement des cadres de la fonction publique est conçu via des concours avec des épreuves peu adaptées aux chercheurs. Moi-même qui ai vécu quelques épreuves de recrutement je ne parle pas sur le plan électoral, mais sur le plan universitaire pour rentrer dans la fonction publique il ne ma jamais été donné de rencontrer des docteurs, des normaliens souvent, mais des docteurs assez peu. Nous devons là-aussi faciliter laccès des docteurs de luniversité aux carrières de la fonction publique, à limage de ce qui se passe chez nos pays voisins en Europe.
Lesprit de cette réforme est de donner à nos universités toutes leurs chances dans lémulation intellectuelle qui se situe maintenant, chacun le sait ici, à léchelle mondiale.
Cette réforme sappuiera sur un acquis qui a longtemps fait lobjet de discussions sans fin ou de fausses oppositions. Cet acquis cest celui de lautonomie. Je rappelle quEdgar Faure avait fait adopter ce principe il y a près de cinquante ans. Ce nest pas ce qui peut nous diviser. Il lavait fait adopter au lendemain dévènements qui avaient considérablement bouleversé le pays.
Lautonomie, cest le fait de rapprocher les décisions des acteurs, en articulant ce qui relève dune stratégie nationale, qui doit être pilotée par lEtat, et ce qui est du ressort des volontés locales, définies par les établissements eux-mêmes.
Lautonomie, cest la confiance. Celle que lon accorde aux présidents ou aux directeurs des établissements £ à leurs partenaires dans le monde économique, social et culturel, et surtout aux universitaires, aux personnels et même aux étudiants. Lautonomie, cest le respect de la diversité des situations et des projets.
Cette autonomie doit être capable de conjuguer efficacité et collégialité. Efficacité, car les établissements et leurs conseils doivent pouvoir prendre des décisions importantes. Collégialité, parce que lenseignement supérieur et la recherche ne peuvent avancer sans la mobilisation des professeurs et de lensemble des personnels comme des étudiants. Les mécaniques électorales puisquil y en a internes aux universités seront modifiées en ce sens. Les personnalités du monde économique et social participeront également dans certaines conditions aux décisions des universités.
Je veux terminer mon propos, qui est un hommage à Serge HAROCHE mais aussi une reconnaissance au-delà de lui, du monde universitaire et du monde de la recherche.
Nous sommes dans la mondialisation. Elle vaut partout, elle vaut pour tous. La mondialisation est également pour les universités. Je ne parle pas des classements qui sont contestés et qui parfois ne correspondent pas à la réalité, qui ne doivent pas être notre obsession. Je parle de la mondialisation des performances, des résultats. Je parle aussi de la mondialisation des travaux. Nous voyons bien quil y a des pays émergents, lInde, le Brésil, par exemple, qui développent des moyens considérables maintenant pour les systèmes de recherche. La Chine ne comptait il y a dix ans que 5 millions détudiants. Elle en dénombre aujourdhui 30 millions et 60 millions en 2020, avec aussi une priorité donnée à la recherche. Nous devons nous situer à la hauteur de cet enjeu.
Dabord en permettant aux étudiants français de se former, pour un temps, à létranger comme vous-même vous lavez fait, Serge HAROCHE, puisque selon mes informations vous avez fait un post-doc à Stanford et enseigné à Harvard et à Yale.
Nous devons aussi donner loccasion à des étudiants étrangers dêtre accueillis en France. Nous avons abrogé une circulaire qui limitait laccès à lemploi des étudiants étrangers et qui finalement freinait cette mobilité. Je souhaite aussi que soient corrigés un certain nombre de défauts de notre système daccueil parce que nous ne devons jamais perdre loccasion daccueillir un chercheur ou un étudiant prometteur. Vous mavez présenté un de vos chercheurs qui vient dUkraine et qui a fait le choix de venir en France. Je me souviens de son témoignage et je ne veux pas lutiliser à dessein mais il ma fait part des lourdeurs administratives qui lobligent à aller chercher un papier lorsque le temps quil devrait consacrer est dabord pour sa recherche.
Nous devons, dans le même esprit, pouvoir assurer, pour les enseignements qui relèvent de conventions avec des universités étrangères ou de programmes européens, des cours dans dautres langues que le français. Non pas que je ne veuille pas défendre le français nous avons même réintroduit un ministère de la Francophonie. Nous devons permettre aussi à des étudiants chinois, indiens ou américains, qui ne parlent pas assez bien notre langue, dans un premier temps, de pouvoir venir dans nos universités, de sinitier à notre culture et à notre langue pour ensuite la diffuser.
De la même manière, cest en permettant aussi, en France, de suivre des enseignements dans des langues étrangères que nous pourrons donner plus de chance à nos propres étudiants, aussi bien dans nos universités que dans nos grandes écoles.
Enfin, je veux insister sur un point majeur qui est celui de lattractivité de la recherche française. Nous devons aider les jeunes chercheurs français à poursuivre leur carrière en France, en facilitant leur installation en leur ouvrant des perspectives pour le financement de leurs travaux comme pour leurs échanges internationaux, en leur permettant de croire quen cherchant en France ils auront toutes les conditions pour réussir.
Car la recherche ce nest pas une affaire de chercheurs, ce nest pas simplement le domaine de lenseignement supérieur des universités ou une responsabilité dun ministère, la recherche cest le levier du redressement de la France. Cest le seul pari que nous pouvons lancer avec quelques chances de le gagner à travers un effort que nous pouvons mobiliser ensemble.
En particulier la recherche fondamentale, qui nest pas seulement lune des fiertés de notre pays quand lun des nôtres reçoit un prix Nobel, mais aussi une clef pour notre propre avenir.
Cette recherche fondamentale exige de la patience, du temps et puis cette volonté de chercher sans être sûr de ce que lon trouvera, sans savoir à quelles « applications » le travail pourra servir. Cette recherche suppose aussi de la constance et vous en avez ici porté témoignage. Les véritables découvertes récompensent des années, des décennies, parfois une vie, parfois même plusieurs vies defforts. Cest par de tels cheminements, par de telles allées et venues que les plus grandes découvertes ont pu être accomplies.
Le progrès est une marche, qui suppose aussi une transmission de génération en génération votre laboratoire en est le plus bel exemple. Les chercheurs se transmettent leur savoir, leurs méthodes et la recherche est une histoire sans fin, à la fois dun héritage et dun dépassement, dune continuité et dune transgression, car il faut un moment de la rupture. Il faut savoir aussi prendre la mesure de ce qui a été fait avant. Rien nest jamais achevé. Il faut savoir passer le témoin, former les plus jeunes et là-aussi vous avez montré le chemin.
Voilà pourquoi lenseignement supérieur et la recherche sont indissociables. Lun et lautre, permettent de faire avancer le pays, de faire progresser son économie, de combattre plus efficacement les maladies, de protéger davantage lenvironnement, danalyser aussi lorganisation des sociétés qui la composent. Cest pour cela que votre alliance est de ce point de vue remarquable, puisque vous êtes avec une femme qui poursuit des recherches de sociologie.
Cest sur cette dernière réflexion que je veux terminer. La science doit rester la vocation de la France. Nous devons être une grande nation scientifique, ce qui veut dire attirer beaucoup plus de jeunes que nous le faisons aujourdhui, vers les filières scientifiques et dans les filières scientifiques attirer encore davantage détudiants vers la recherche scientifique.
Il ne sagit pas de croire à la science, la science nest pas une religion. La science, ce sont des avancées, ce sont des constatations, ce sont des expériences, qui sont irréfutables.
Cest au nom de cette belle idée de la science, de cette grande idée du progrès et de cette transmission dont vous avez été capable que les valeurs que je viens de rappeler honorent la distinction qui a été faite à Serge HAROCHE.Merci