11 décembre 2012 - Seul le prononcé fait foi

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Déclaration de M. François Hollande, Président de la République, sur une nouvelle gouvernance de la mondialisation, à Paris le 11 décembre 2012.

Madame la Présidente de la République du Brésil, chère Dilma,
Monsieur le Président, cher Lula,
Messieurs les Premiers ministres, cher Pierre MAUROY, cher Lionel JOSPIN,
Mesdames et Messieurs qui participez à ce forum,
Je me réjouis d'être parmi vous et de prononcer les mots d'introduction pour vos réflexions.
L'idée de ce forum est née, l'été dernier, à la suite d'un constat que j'avais dressé, à Rio, avec le président Lula sur la nécessité d'un espace pour les progressistes : un lieu d'échanges, de discussions et d'initiatives pouvant rassembler toutes celles et tous ceux qui gouvernent dans le monde avec l'inspiration de la gauche.
Les progressistes ont, après quatre ans d'une crise majeure dont les recettes libérales sont directement à l'origine, à faire entendre leur voix. Entre le refus incantatoire de la mondialisation et l'acceptation béate et naïve de ses dérives, voire même de ses excès, il y a un chemin possible. C'est ce chemin-là que nous devons ouvrir, les uns et les autres, dans nos responsabilités.
L'objectif de votre réunion est d'adresser un message d'espoir et de justice à un monde qui doute, qui s'interroge, qui se replie. Car c'est l'idée même de progrès qui est aujourd'hui assombrie par une forme d'abandon et de résignation ces dernières années : le progrès économique faute de croissance, le progrès social faute de possibilité de le promouvoir. Même le progrès humain semble arrêté.
Beaucoup de nos pays, ici en Europe, sont tenaillés par la crainte d'un déclin se posant sans cesse la question : « Y-a-t-il encore un avenir pour les vieilles Nations d'Europe » ? Beaucoup de nos concitoyens sont étreints par la crainte du déclassement. Ils se posent eux aussi la question de leur propre avenir, de celui de leur génération mais aussi -- et c'est plus grave -- ils se posent la question de l'avenir de leurs enfants. Avec ce doute : « pourrons-nous encore leur donner une vie meilleure que la nôtre ? ».
Quant aux grands pays émergents qui ont incontestablement connu la croissance ces dernières années et une amélioration du niveau de vie, ils ont aussi conscience que ce mouvement s'est opéré au prix d'un creusement des inégalités.
Alors le défi est là, devant nous : c'est de définir une nouvelle gouvernance de la mondialisation. Je me garde de nourrir l'illusion qui voudrait que la solution à tous nos problèmes -- et il y en a ! -- serait de nier le monde tel qu'il est. Le rôle des progressistes n'est pas de fuir la réalité, c'est de la transformer. Ce n'est pas de raconter une histoire, c'est de faire l'Histoire. Le rôle des progressistes, c'est de construire pas à pas, pays par pays, continent par continent, une alternative politique au libéralisme.
Car cette crise, celle que nous vivons depuis trop longtemps, vient de loin. Elle a un nom. C'est le « laissez-faire ». C'est une finance sans contrôle, des marchés sans limites et des Etats souvent réduits à l'impuissance. Avec le constat que nous pouvons faire de déséquilibres qui se sont accumulés, d'endettement excessifs, de taux de change artificiels. Avec aussi des conséquences sur la planète en terme de mise en cause des ressources naturelles.
Alors si nous cherchons la croissance, nous savons bien aussi que celle que nous connaissions avant la crise n'est plus soutenable et qu'elle a même engendré le désastre qui s'est abattu aux Etats-Unis et ensuite en Europe. Ce n'est donc pas vers hier que nous devons aller, dans l'espoir vain de retrouver un âge d'or. Non, nous devons créer un nouvel âge, ouvrir un nouveau temps ! Nous n'avons pas d'autre choix que d'inventer le monde que nous voulons tout en prenant les décisions pour corriger et écarter les excès et les erreurs du passé.
C'est le sens de l'action que je conduis, ici en France, depuis plus de six mois. J'ai demandé -- et je l'ai fait au nom du progrès -- à nos concitoyens de faire des efforts pour que tous ensemble nous puissions redresser les finances publiques, relever notre compétitivité, retrouver de la croissance. C'est ce qui m'a conduit aussi à restaurer les marges des entreprises pour leur permettre d'investir, d'embaucher et d'innover. Parce que c'est la condition de notre souveraineté productive, indispensable pour mener une politique de progrès.
Le sens de la politique que je mène ici, c'est de faire face au réel, de redonner sa place à la France, de permettre aux Français comme aux entreprises françaises d'avoir un destin dans le monde.
C'est l'ambition du pacte de compétitivité que le gouvernement a présenté. C'est l'idée de la Banque publique d'investissement pour financer le long terme. C'est la volonté aussi de définir une politique industrielle autour de filières d'avenir : la Santé, l'économie du vivant, les nouvelles technologies, la transition énergétique. C'est également la marque d'un Etat qui se veut stratège, parce que c'est l'une de ses missions que d'assurer l'avenir de notre pays, de corriger les excès du capitalisme financier et de venir en soutien aux entreprises qui peuvent être menacées alors même qu'elles exercent des activités essentielles. Voilà ce qu'ici en France nous engageons.
Mais j'ai bien conscience que pour relever le défi qui est le nôtre, nous devons inscrire notre action à l'échelle de la planète et nous avons besoin de croissance et de solidarité. C'est ce principe-là -- de croissance et de solidarité -- qui m'anime dans les choix que j'ai fait pour réorienter l'Europe avec le pacte de croissance. La stabilité de la zone euro c'est fait £ le soutien aux pays les plus fragiles, c'est en train enfin d'être accompli. Je n'accepte pas l'idée qu'en Europe il y aurait un centre qui irait bien et une périphérie qui souffrirait et serait même condamnée à vivre moins bien que nous.
Si nous avons voulu faire l'Europe, c'est pour construire un espace commun où nous devons converger. Et s'il y a des pays -- et nous les connaissons -- qui doivent faire un effort de compétitivité, il y en a d'autres qui doivent réduire leurs excédents commerciaux et soutenir la demande intérieure. C'est la condition pour retrouver de la croissance. Et c'est la position que je défendrai aussi pour l'approfondissement économique et monétaire de l'Europe, car s'il faut réduire les déficits -- sûrement --, procéder à des réformes -- nécessairement --, nous devons également redonner de la puissance à l'Europe et des capacités à investir pour l'avenir tout en réduisant les inégalités entre les pays. Chacun doit faire un effort. C'est ainsi que nous sortirons de cette épreuve avec plus de force et de solidarité.
Quel serait l'agenda progressiste à définir ensemble, notre feuille de route commune ?
La première priorité, c'est l'emploi. L'Organisation internationale du travail nous dit que la crise a fait plus de 20 millions de chômeurs, dans le monde. C'est intolérable. Nous ne pouvons pas accepter que notre jeunesse soit la génération sacrifiée. C'est la raison aussi pour laquelle en France, depuis le mois de mai, le gouvernement -- qui fait face à une augmentation continue du chômage depuis 18 mois -- a fait de l'emploi des jeunes sa priorité, avec les « emplois d'avenir » et le « contrat de générations ».
C'est le même devoir qui m'a conduit à solliciter les partenaires sociaux, syndicats, employeurs, pour qu'ils se mettent autour d'une table pour négocier ce qui peut être une sécurisation de l'emploi : plus de souplesse -- sûrement --, plus de protection aussi, donnant aux salariés et aux entrepreneurs une meilleure visibilité pour l'avenir, anticipant les mutations à faire, assurant les mobilités, luttant contre la précarité du travail. J'ai bon espoir -- même si encore aujourd'hui je ne suis sûr de rien mais je sais l'esprit de responsabilité des partenaires sociaux -- que nous y parvenions.
Mais ce dialogue social, nous devons aussi le concevoir à l'échelle européenne et internationale et faire que nos instances de décisions puissent aussi débattre -- au-delà des questions économiques -- des questions sociales. Je fais ici la proposition que désormais sur la scène internationale -- au G20, au G8, dans toutes les organisations -- il n'y ait plus aucune décision qui ne soit prise ou qui ne soit débattue sans qu'il y ait un impact sur l'emploi qui soit mesuré, qui soit délibéré et qui soit assumé.
Nous devons dans cette bataille pour l'emploi faire de la croissance notre première exigence. Elle suppose que nous sachions prendre des mesures dans nos propres pays mais aussi, là encore, à l'échelle mondiale. On nous demande d'ouvrir les marchés, de favoriser le commerce... Oui, mais à condition qu'il y ait la réciprocité requise et qu'il y ait la transparence nécessaire !
Je souhaite qu'il y ait des investissements qui puissent se faire, dans tous les pays, plus facilement qu'aujourd'hui, mais là aussi avec des exigences de normes sociales et environnementales. Les progressistes doivent militer pour mieux coordonner leurs économies. C'était l'état d'esprit de Bretton-Woods au lendemain de la seconde guerre mondiale. Et nous n'en serions pas capables au lendemain d'une crise telle que nous venons de la traverser ?
Je sais ce que le G20, pour y avoir participé une fois -- mais c'était déjà suffisant pour comprendre, pas assez pour obtenir ! -- je sais que le G20 fait un travail de dialogue entre grandes puissances de tous les continents et nous y avons siégé avec Dilma ROUSSEFF. Mais nous ne pouvons pas concevoir simplement la coordination des politiques publiques dans un seul lieu.
La proposition que je fais, c'est que nous puissions créer un Conseil de sécurité économique et social, comme il existe un Conseil de sécurité à l'échelle du monde pour régler les différends politiques et préserver la paix. Nous pourrions avoir la même instance, non seulement pour nommer les responsables des organisations, mais surtout pour accompagner les grandes évolutions économiques et régler les situations de crise.
Enfin, si nous voulons plus de croissance, nous la voulons durable, nous la voulons protectrice, nous la voulons soucieuse de l'environnement. Il y a quelques mois nous étions au sommet « Rio+20 » et nous constations à la fois des progrès -- il y en a eu -- mais également tellement d'avancées qui ont été retardées ou empêchées. C'est le moment de nous engager dans des transitions : transition énergétique, transition écologique, transition économique aussi. La question du climat -- qui a été engagée à Rio et poursuivie à Doha -- doit être une grande priorité pour les progressistes. La France est candidate pour organiser la conférence sur le climat en 2015.
A l'agenda des progressistes, nous avons à réduire les risques financiers liés à la mondialisation, à éviter que les excès qui n'ont pas été réduits recommencent à produire leurs effets. Il y a eu beaucoup de mots et finalement assez peu d'engagements. Quand je fais le constat, la bulle obligataire menace encore nos économies. La finance non-régulée, ce qu'en anglais on appelle -- cela fait déjà plus savant, mais enfin c'est le même phénomène -- le « shadow banking », révèle finalement que, quels que soient les mécanismes, il y a des forces qui échappent à tout contrôle.
Tout cela n'a pas cessé et nous devons donc, dans le G20 et dans toutes les instances internationales, faire appliquer les mêmes règles de prudence dans toutes les économies. Personne -- et encore moins la première puissance économique du monde -- ne doit s'y soustraire !
De la même façon, nous devons réformer nos banques, séparer les activités de dépôts et de crédits, de celles de spéculation. Nous le ferons en France et peut-être parmi les premiers en Europe, parce que c'est la même ambition : faire que l'économie soit financée et que la spéculation puisse être enrayée. Au niveau de l'Europe, la France fait tout ce qu'elle doit pour que l'Union bancaire et la supervision puissent être menées le plus tôt possible, de façon à permettre le soutien des banques mais surtout d'éviter, là encore, que les excès d'hier deviennent les dérives d'aujourd'hui.
Et je ne veux pas oublier ce qui figure à notre agenda sur la volatilité des prix des matières premières qui déstabilisent les marchés et ont un impact sur les économies les plus vulnérables, notamment pour les produits agricoles qui sont devenus des produits financiers et qui sont des objets spéculatifs sans lien même avec les données naturelles.
Voilà pourquoi nous avons besoin d'une gouvernance économique mondiale renouvelée. L'enjeu est ni plus, ni moins de s'insérer pleinement dans tous les flux mondiaux -- c'est-à-dire aussi la circulation des savoirs -- en favorisant de nouvelles formes de partenariat économique fondées autant sur la coopération que la compétition.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais vous dire pour introduire vos débats.
La seule question qui vaille est de savoir comment nous pouvons agir ensemble ? Agir séparément, nous le faisons, chacun dans nos pays, face à des réalités qui peuvent être différentes mais qui connaissent le même environnement.
Vous, acteurs de l'économie, responsables politiques, dirigeant syndicaux, vous avez voulu, avec le réseau de fondations que vous avez réunies, que ce débat puisse être prolongé dans le cadre de ce Forum du progrès social. Je ne peux que vous y encouragez.
Pour terminer mon propos, je reviendrai sur ce qui a toujours été dans l'Histoire le rôle des progressistes, à chaque génération, à chaque époque. Cela a toujours été de préparer la transition, de passer d'un monde à l'autre, d'être des intermédiaires, des liens entre les individus, les territoires, les générations et même les catégories sociales. Qu'est-ce qui a manqué aux progressistes ces dernières années ? Une doctrine ? Sans doute, mais surtout une unité d'action, une solidarité.
Or, un temps nouveau s'ouvre aujourd'hui, car avec la crise, a émergé une nouvelle conscience fondée sur la maîtrise du destin collectif sur la solidarité planétaire, sur l'exigence de justice, sur le besoin de démocratie. Certes, nous avons des contraintes et des adversaires. Mais si nous unissons nos forces, si nous sommes capables de définir des priorités, de fixer des grands enjeux, alors nous pouvons réussir. Ces enjeux-là, je les résumerai ainsi : la croissance, l'emploi des jeunes, la transition énergétique et la lutte contre les inégalités. Voilà les quatre domaines dans lesquels les progressistes doivent se réunir.
Mesdames et Messieurs,
Aujourd'hui, c'est le temps du débat sans doute... Mais pour nous c'est le temps de l'action. Chaque jour qui passe est un jour qui doit permettre de faire avancer le progrès -- en tout cas c'est la mission que j'ai donnée au gouvernement de la France. C'est notre responsabilité commune. Je suis heureux ici à Paris, avec nos amis brésiliens, que nous puissions lancer cet appel. Un appel pour la responsabilité, pour la confiance, pour l'unité et également pour l'espoir. Merci.